La légende de la hotte du diable de Milly

La hotte du diable à Milly

 

D’après « Les chroniques de l’Ardenne et des Woëpvres » de Jean François Louis Jeantin

Au temps où saint Baldéric arrivait sur les plateaux de l’Argonne, conduit par le vol mystérieux d’un faucon, tout le Dormois, la plaine de Woëpvre, les bas-fonds de la Tinte, les rives de l’Azenne, et le bassin d’Ornois étaient couverts de forêts.

Il lui fallut un demi-siècle pour ouvrir quelques percées. A la tête de ses moines, le courageux missionnaire se lance dans les gorges, portant la croix d’une main et la bâche dans l’autre. Il pénètre successivement sous les noirs et perpétuels ombrages qui servaient encore de retraite à quelques restes de païens.

Travailleur intrépide, il pousse ses pionniers de montagne en montagne, marchant sous les colonnades sans fin des troncs noueux des chênes, des hautes cimes des hêtres, débochant sans relâche, par le fer ou par le feu.

Les dernières idoles tombent sur son passage, elles disparaissent avec leurs bois sacrés. Et, de hauteur en hauteur, partant de l’Oratoire de Saint-Germain en Dormois, la croix vient au-delà de la Meuse, en Lorraine, s’abattre comme un brillant météore sur les ruines du Château d’Adrien. Là, s’élève bientôt une autre chapelle sous le même vocable que celui de Montfaucon.

A cinq lieues de distance, les deux églises se dressent, hautes de 500 m. Ce sont deux phares unis par un fil électrique, et de clocher en clocher, le même saint reçoit les mêmes hommages et porte aux pieds du même Dieu l’encens et les vœux de ces naissantes Chrétientés.

Pendant que le royal anachorète s’avançait vers l’aurore, un autre ouvrier de la vigne mystique, un prince aussi, poursuivait la même œuvre au septentrion. C’était un Verdunois, saint Vandrille (Vandregesilus).

Vandrille complétait la mission, commencée par saint Maur, poursuivie par saint Clair, dans les gorges de Flabas et de Fontaine. Il allait défrichant ces plateaux, ces versants, ces collines, dont les chênes séculaires descendaient sur la Meuse, entre Samoigneux et Dun.

De son manoir à Brabant (ad Braibannum), de son château sur le mont d’Harold (Haroldi mons, Superiacum majus), de ses essarts sur le plateau de Bréheville (Breheris villa, Vander sartum), lui aussi, portait son apostolat dans la grande forêt des Woëpres (Webria).

Disciple de Baldéric, il imitait son maître, et le visitait souvent sur la hauteur de Murvaux. C’est, dit-on, en se rendant de sa part, près de ce saint homme, qu’arriva à un bon Frère l’aventure merveilleuse, où la pierre de Milly figure diaboliquement.

Un soir, à la tombée de la nuit, le moine contournait le mamelon, allongé et circulaire, qui dresse ses deux pointes, l’une vers le Dormois, et l’autre vers l’Ornois. Il avait hâte d’arriver au sommet, sur la croupe duquel saint Baldéric édifiait alors son église à saint Germain. Mais il s’égare dans le labyrinthe de mille sentiers tortueux. Il marche, il marche, et s’enfonce dans la plaine, qui n’était point encore défrichée. Et voilà qu’un spectacle étrange s’offre à sa vue, tout-à-coup !

Dans une clairière plantée d’arbres vieux comme le temps, sous des chênes épars, desséchés presque tous par la cime, il aperçoit un monument gigantesque !

Aujourd’hui que le terrain est nu et complètement ouvert, vous voyez une rase campagne, longue et large de plusieurs lieues. Cest une plaine de verdure, entre le Bradon, le Loison, et la Meuse, plaine dont le tapis se projette, à l’ouest, sous les montagnes Dormoises et s’enfonce, à l’est, dans les vallées de l’Ornois.

Dans tout cet espace, alors occupé par la forêt de Woëpvre, à moins de côtoyer les versants, vous ne trouveriez pas un caillou gros comme une noix. Et, cependant, voici, près de Milly, une pierre fichée, un Dolmen peut-être, une haute borne sans doute. Pierre d’une grandeur si démesurée que le peuple ne peut concevoir comment on a pu la transporter là. Suivant lui, une puissance infernale seule a pu l’amener et la dresser dans cet emplacement.

Eh bien, suivant la légende, cette pierre n’était pas unique, à l’époque de l’événement. Il en existait d’autres, et en assez grand nombre, rangées en cercles concentriques. C’étaient d’énormes parallélipipèdes plus ou moins réguliers. En étendant ses bras, l’homme ne peut mesurer la largeur du plus petit. Leur hauteur dépasse celle d’un géant.

Les blocs sont appareillés deux à deux. Chaque paire est surmontée par une traverse posée horizontalement. C’était donc un double cercle de portes, et, au centre, se dressait un dernier rocher. Celui-là est un Titan qui surmonte les autres blocs. C’est comme le pilier central d’une tente immense, dont une vapeur, noire et rougeâtre, formerait les vastes rideaux.

Sur cette colonne est un hideux fantôme. C’est le Prince des ténèbres. C’est l’antique ennemi, l’ennemi éternel du genre humain. Sa lance de feu éclaire l’épaisseur des ombres, il est entouré d’une troupe de démons.

Il parle, et de sa voix il ébranle les montagnes : « Esprits, leur a-t-il dit, notre cause est perdue. Les sectateurs du Christ l’emportent, ils se multiplient, ils pullulent, ils pénètrent partout. La Croix triomphe et nous chasse impitoyablement. Voyez-la, sublime et majestueuse, briller sur tous ces clochers. Voyez cet oratoire qui se dresse, et qui va nous bannir de cette forêt. C’était ici notre dernier refuge, retirons-nous plus au nord. Enfonçons-nous dans l’Ardenne. Là, nos adorateurs sont encore aussi fidèles que nombreux. Emportez ce monument, et qu’il ne succombe pas sous les coups des chrétiens ».

Il dit, et à son signal, les roches s’écroulent. Elles tombent l’une sur l’autre, et les démons s’empressent d’obéir. L’un charge le rocher central sur ses larges épaules, l’autre soulève les traverses, d’autres emportent les bases.

Un dernier pilier reste encore. Déjà un petit diable l’avait mis sur sa hotte. Il s’en allait, léger comme s’il n’eût porté qu’un fétu, quand apparaît le saint hermite. Celui-ci fait un signe de croix, la roche retombe, elle s’enfonce en terre.

La voilà fichée pour toujours aux portes de Milly. 


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La légende de Sainte Idelette de Doulcon

La légende de Sainte Idelette de Doulcon dans Légendes de Lorraine lajeunebergeregeorgeslaugee.vignette 

D’après un article paru dans la revue « Le pays lorrain » en 1912

Une gracieuse légende qui se raconte à la veillée, nous représente Idelette, gardant un troupeau de moutons dans la vallée de la Meuse, non loin de Doulcon, qui alors avait le rang de capitale du pays Dormois (*), et enseignant les éléments de la foi aux habitants encore païens de ces contrées. Une vertu divine accompagnait les pieuses exhortations de la Vierge et souvent des faits merveilleux confirmaient ses paroles.

Un jour, frappant le sol de sa quenouille, la sainte bergère fit jaillir une source qui porte son nom, entre Doulcon et la ferme de la Brière. De cette quenouille de bois sec, enfoncée dans la terre, elle fit naître sur le champ un buisson d’épines blanches, dont les rameaux fleuris vinrent ombrager la fontaine.

De tels prodiges impressionnèrent vivement les farouches idolâtres qui, peu à peu, ouvrirent leur intelligence et leur coeur aux vérités chrétiennes.

Au-dessus de Jupille, s’élevait une colonne sur laquelle trônait une statue de Jupiter, fameuse dans la région. Là était le centre du paganisme de toutes parts, les adorateurs des faux-dieux venaient aux pieds de l’idole, déposer leurs voeux et leurs hommages. La source pétrifiante qui coule non loin de l’antique métairie, reçut plus d’une fois, sans doute, des pièces de monnaie, comme tributs de leurs dons.

Mais la vierge chrétienne qui avait consacré sa vie à établir le règne du vrai Dieu, devait employer tous ses efforts à ruiner la dernière citadelle d’un culte faux et sacrilège. Grâce à ses efforts persévérants, la statue de Jupiter fut renversée et ses adorateurs confondus.

Cependant l’enfer ne pouvait sans fureur, voir la sainte lui arracher ses victimes et ruiner son empire. Tous les païens de la contrée n’étaient point convertis, et, parmi ceux qui, sous l’impulsion de la douce bergère, avaient consenti à recevoir le baptême, plusieurs restaient secrètement attachés aux antiques superstitions.

D’autre part, les prêtres de Jupiter ne pouvaient pardonner la destruction de leurs idoles. Ils relevaient la tête, entraînant à leur suite les faibles et les tièdes, et accusaient hautement Idelette d’amener dans le pays le trouble et la révolte, éternelle excuse de tous les persécuteurs, depuis que le loup de la fable s’est arrogé le droit de dévorer l’agneau.

La pieuse bergère voyait avec sérénité l’orage s’amonceler sur sa tête, elle puisait dans sa foi un courage supérieur à toute cette vérité. Elle n’en continuait pas moins sa vie de prières, de zèle ardent pour le salut des hommes.

Elle eut la douleur de voir, jusque dans sa famille, pénétrer la haine de ses ennemis. Deux de ses frères ne craignirent pas de se faire l’écho des bruits calomnieux élevés contre elle. Dans le but d’obtenir les faveurs du paganisme qui semblait renaître, ces personnages intimèrent à leur soeur l’ordre de renoncer à la foi chrétienne. Idelette ne put entendre sans horreur une telle proposition.

Pleine de la force d’En-Haut, elle répondit qu’elle était prête à tout, plutôt que de renoncer à Jésus-Christ. Irrités de sa noble attitude, les persécuteurs résolurent d’en finir. Ils attachèrent la vierge à une herse retournée, dont les dents, comme autant de dards, transperçaient cruellement ce corps frêle que l’on promena sur une partie du territoire. C’est ainsi que la sainte bergère mourut pour la foi de Jésus-Christ.

Si le nom de sainte Idelette n’est inscrit dans aucun martyrologe, il est du moins gravé dans la mémoire du peuple. Sur le territoire de Doulcon, on montre encore la trace du passage de la herse où était attaché le corps de la martyre, dans sa traînée douloureuse. On entend, parfois, dans la côte voisine, des bruits souterrains, pareils à ceux que ferait en versant, une voiture chargée de vaisselle. Ce sont, dit-on, les plaintes de la sainte, répétées par la montagne qui les a recueillies.

Sainte Idelette a joui d’un culte populaire qui, sans doute n’a eu d’autre origine que celle de la reconnaissance des peuples.

Avant la Révolution une chapelle existait dans la ferme de Proiville, autrefois forteresse féodale, aujourd’hui détruite. Sur l’autel, une statue vénérée de sainte Idelette souriait aux pèlerins.

Chaque année, une des processions des Rogations de Doulcon et de Sassey se rendait dans ce petit sanctuaire, où la messe était célébrée. La cérémonie terminée, il était d’usage que le fermier offrit au clergé, aux enfants de choeur et au peuple, un frugal déjeuner. Cette procession se fit quelques années encore après le rétablissement du culte, à l’emplacement du pieux édifice qui n’existait plus.

(*) Le Dormois, ainsi nommé, dit-on , d’une petite rivière, la Dormoise, qui se jette dans l’Aisne à Tahure, était situé dans l’Argonne, et comprenait les contrées voisines de la rivière d’Aire et de la rivière d’Aisne, au-dessus et au-dessous de leur confluent, en embrassant les territoires des cantons de Buzancy, de Grandpré, de Vouziers, et, dans le département de la Meuse , ceux de Montfaucon et de Varennes. Ce pays a été transformé en comté de Dormois, et est devenu plus tard le comté de Grandpré (Annales ardennaises – F.X Masson – 1861)

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