Les lépreux en Lorraine
D’après un article paru dans les « Mémoires de l’Académie de Stanislas » – Année 1881
Parmi les maladies qui affligèrent les populations du moyen âge, il en est peu qui, autant que la lèpre, aient laissé dans l’histoire des traces de leur existence. Considérée comme un châtiment que Dieu infligeait à ceux qui en étaient atteints, redoutée par les populations en raison du caractère contagieux qu’on s’accordait à lui attribuer, la lèpre entourait les malheureux qui en étaient affectés, comme d’une auréole sinistre, dans laquelle à des pensées de charité et de sympathique commisération s’associaient des idées de répulsion et d’horreur. Sous l’influence de ces sentiments opposés, on fonda de bonne heure des refuges spéciaux pour les lépreux, on promulgua à leur égard des ordonnances, on prit des dispositions légales destinées tout à la fois à les protéger et à les séquestrer.
Il nous a semblé qu’il pouvait ne pas être sans quelque intérêt, de colliger, en les coordonnant, les éléments épars qui, dans notre histoire locale, se rapportent à la lèpre et de chercher à retracer ce que furent les lépreux en Lorraine.
Mazels, musel, mezel, mezieu, mezeauls, ladres (Les ladres invoquaient saint Ladre ou saint Lazare pour les guérir, d’où le nom qui leur fut donné. Les Italiens appellent la lèpre : il malo di santo Ladri), frères lépreux, soeurs lépreuses, bons hommes, bons malades, ou parfois simplement malades, telles étaient les dénominations par lesquelles au moyen âge, en Lorraine et ailleurs, on désignait les lépreux.
Il est probable que de bonne heure, sous l’influence de la pitié qu’inspiraient leurs maux et l’état de misère de la plupart d’entre eux, furent établies des maisons de refuge consacrées à ces malheureux. On les désignait sous les noms de mezelerie, ladrerie, et plus fréquemment de maladerie, malarie ou maladière.
La lèpre, comme la peste, est originaire de l’Orient. Elle était endémique en Egypte, Moïse en fait mention. Job et Pharaon en furent atteints, les Hébreux en furent frappés pendant la captivité de Babylone.
A quelle époque et par quelles voies, la lèpre envahit-elle l’Europe occidentale ? Les Sarrasins l’ont-ils importée en France au VIIIe siècle pendant leur séjour dans nos provinces méridionales, ou les débris des armées chrétiennes, à leur retour des premières croisades (1095-1147) ont-ils ramené avec eux des lépreux qui, ayant contracté le germe de leur maladie pendant leur séjour en Palestine, l’ont propagée dans nos pays, on l’ignore.
Ce qu’on peut affirmer, c’est que longtemps avant ces grands événements, la lèpre existait en France.
Les légendaires de la première Belgique racontent les guérisons miraculeuses de lépreux opérées au IVe siècle par saint Maximin, de Trèves, au VIe siècle, par saint Vannes, de Verdun, et par saint Géry, d’Ivoy. Dès 549, le concile d’Orléans, auquel assistait Désiré, évêque de Verdun, recommandait expressément les lépreux à la charité ecclésiastique et les confinait dans des maisons isolées placées sous la surveillance des évêques.
En 583, le concile de Lyon (et plus tard celui d’Aix-la-Chapelle en 809) imposait aux évêques le soin de veiller sur les lépreux, de les nourrir et de les vêtir, en échange de leurs héritages qui advenaient à l’Eglise. En 630, saint Arnould, évêque de Metz, qui s’était retiré sur le Saint-Mont, près de Remiremont, et y vivait, à la même époque que saint Romaric, dans la solitude et la prière, avait réuni des lépreux et poussait le dévoûment jusqu’à les soigner lui-même. En 634, Adalgise ou Grimont, diacre de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Verdun, neveu ou tout au moins proche parent du roi de France Dagobert Ier, dotait avec une libéralité princière les lépreux de Maestricht, Metz et Verdun en leur faisant don d’Audun-le-Roman et de terres très étendues. Au VIIe siècle, fut fondée à Metz, à une lieue de cette ville, la maison de Dieu ou maladrerie de Longeau ; elle fut créée et dotée par douze chefs de famille du val de Metz, pour servir d’asile aux ladres ou lépreux.
Godefroy de Bouillon partant pour la Terre-Sainte, y éleva une chapelle et fit donation de terres et de rentes pour l’entretien des malades. Enfin, au concile tenu à Compiégne en 756, le divorce fut déclaré facultatif de la part du lépreux, qui pouvait autoriser son époux à le quitter et à se marier avec un autre.
Tous ces faits ne prouvent-ils pas qu’au VIe siècle, déjà la lèpre était connue et même assez répandue en France et en Lorraine.
Dans les siècles suivants, des famines meurtrières, des guerres incessantes augmentèrent d’une manière effrayante le nombre des malheureux et multiplièrent ainsi le nombre de ceux qui étaient prédisposés à contracter la lèpre. En même temps, les relations de commerce et de guerre entre l’Orient et l’Europe occidentale devinrent plus fréquentes : faut-il s’étonner de l’augmentation progressive du nombre des lépreux et de la nécessité qui s’imposa dès lors, de créer des établissements spéciaux pour les recevoir et les séquestrer ? Sous le règne de Philippe Ier, après la première croisade (1095), fut fondé en France un ordre de religieux soldats appelés hospitaliers, dont la mission spéciale était de soigner les lépreux.
Aussi est-ce pendant les XIIe et XIIIe siècles que les asiles de lépreux sont les plus nombreux et les plus prospères. Sous saint Louis (1226-1270), la France n’en compte pas moins de deux mille. Il existait à cette époque neuf mille léproseries répandues dans la chrétienneté.
En Lorraine, nous avons pu relever l’existence de près de soixante léproseries existant dans des villes, des bourgs et jusqu’en de simples villages. Les plus nombreuses sont réparties dans les pays qui, de nos jours, forment le département de la Meuse.
Dans nombre de villages du département de la Meurthe, les noms de censes, cantons ruraux, champs, etc., rappellent l’existence de maladreries ou tout au moins de bordes de lépreux.
C’est au XIIe siècle que les bourgeois de Toul fondèrent, à une heure de cette ville, à Valcourt, une léproserie dans laquelle devaient demeurer un prêtre et douze lépreux, et dont l’administration fut confiée aux abbés et religieux de Saint-Epvre. Une charte verdunoise de 1185 fait mention d’une léproserie appelée les Grands-Malades ou Saint-Jean-des-Malades (située à quelque distance du faubourg du Pavé de Verdun, au pied de la côte Saint-Michel, sur l’emplacement du cimetière actuel).
Au XIIIe siècle, s’élèvent des léproseries nouvelles : à Verdun, sur la route qui conduit à Saint-Mihiel, la maladrerie de Haudainville, près du village de ce nom, qui, à partir de 1247, fut appelée les Petits-Malades ou les Pauvres-Malades, où étaient reçus les lépreux étrangers à Verdun ; à Toul, dans le faubourg Saint-Mansuy (elle fut fondée par les religieux de Saint-Mansuy et les bourgeois de Toul) ; à Laître-sous-Amance, à Leyr dans la vallée de la Seille, à Sommières dans la Meuse, à Saint-Aubin, dans les environs de Commercy, à Neuf- château, etc.
En 1273, à Nancy, sous le règne du duc Ferry III, existait déjà la léproserie de la Magdelaine, aux alentours de laquelle se sont successivement élevées les maisons qui ont fini par former de nos jours le faubourg Saint-Pierre. On l’appelait maladrerie de la Magdelaine-lez-Nancy ou devant-Nancy, pour la distinguer d’une léproserie de la Magdelaine élevée à Varangéville, à peu de distance de Saint-Nicolas-du-Port.
Le mai 1312, le duc Thiébaut II donna la léproserie de la Madelaine de Nancy, et confia le soin des lépreux aux Dames prêcheresses, religieuses de l’ordre de Saint-Dominique, qui, en 1292, étaient venues s’établir à Nancy et dont le couvent était peu distant. Cette donation fut confirmée en septembre 1328, par le duc Ferry IV.
En 1478, une chapelle fut construite à la Madelaine de Nancy. Cette maison jouissait de privilèges et franchises qui furent confirmés par le duc René Ier (22 mars 1436), par la duchesse Isabelle en 1441, par le duc Antoine en 1508 et par lettres patentes du 8 août 1603 du duc Charles III.
A Remiremont, dans les Vosges, existait une léproserie de la Madelaine, située aux portes de cette ville, près d’une ancienne chapelle dédiée à sainte Marie-Madelaine. Brûlée en 1645 par les gens de guerre, elle fut reconstruite peu après par les soins d’Antoinette Maillot, veuve d’Adam de la Madelaine. L’emplacement occupé par cette léproserie a conservé jusqu’à nos jours le nom de la Madelaine.
Vers le commencement du XIVe siècle, se trouvaient dans le val de Saint-Dié, trois léproseries : la Rouge-Pierre, Charémont et la Schenalle. En 1562, un chanoine du chapitre de Saint-Dié, convaincu de lèpre, fut condamné à terminer ses jours dans une cellule qu’il dut se faire construire au milieu des forêts, près de l’ermitage de la Madelaine.
La plupart des léproseries durent leur existence à l’initiative privée. C’était un ou plusieurs bourgeois riches d’une ville, tantôt quelque prince ecclésiastique ou temporel, qui, émus de pitié pour le triste sort des lépreux, fondaient par donation ou testament, et le plus souvent dotaient en même temps un hôpital pour les recevoir.
Pour subvenir à leur entretien, les ressources, loin de manquer, ne firent que s’accroître. Outre la charité publique qui subvenait aux menus besoins des lépreux et les redevances que ceux-ci étaient parfois tenus de leur payer, les léproseries s’enrichirent peu à peu par les libéralités et les donations des grands, par les droits, priviléges et franchises qui leur furent octroyés par les princes ou les villes. Devant quelques églises, existaient des troncs spéciaux dont les produits leur étaient destinés.
A Nancy, chaque lépreux occupant une maison de la Madelaine, payait un cens annuel d’un franc aux Dames prêcheresses, outre le droit d’entrée convenu de gré à gré avec elles. Un décret du duc Charles III (2 avril 1562) autorise « les bons malades de la Madelaine encore qu’ils ne soient de la paroisse de Nancy ou de Saint-Dizier à participer aux aumônes qui se distribuent les dimanches, jeudis et vendredis de chaque semaine ».
Au commencement du XVIIe siècle, les lépreux avaient la coutume de faire faire la quête des aumônes près de l’église collégiale Saint-Georges, par un lépreux qui, autorisé à se tenir dans une loge, faisait appel à la charité publique. Les comptes du cellerier de Nancy montrent que jusqu’en 1640, on délivrait par an « douze rézeaulx de bled aux bons malades de la Magdelaine pour subvenir à leur nourriture et autres nécessités de leur vie calamiteuse ».
Le soir du jour de la Toussaint, la ville faisait un don de trois francs aux malades de la Madelaine pour « faire leur bon soir ».
A Metz, dès 1196, un des trois deniers de l’impôt des morts établi par l’époque Bertram, était destiné à l’entretien des bons malades. En 1326, la ville de Metz donne la moitié des moulins de la Seille à la léproserie de Saint-Ladre ; en 1299, une donation considérable de terres est faite à la léproserie des Bordes. Plusieurs papes avaient dispensé de la dîme la maison de Dieu de Longeau ainsi que les autres léproseries de Metz, et une bulle du pape Honoré III confirma en 1435 tous ces privilèges.
A Verdun, la maladrerie des Petits-Malades, à part quelques pièces de terres et de prés, ne jouissait que d’un revenu annuel en argent de vingt-huit livres verdunoises. Des bulles de Martin IV et de Boniface III exemptaient de la dîme, les immeubles des malades et leur bétail. La cité les affranchissait de tous impôts. D’après le manuscrit intitulé les Droits de Verdun, les armes des vaincus en combat singulier leur étaient attribuées.
La léproserie des Grands-Malades était plus richement dotée. Par une charte de novembre 1213, Thiébaut IV, comte de Bar, avait institué les Grands-Malades usagers de la forêt de Dieue « pour tailler et prendre ce qu’il faudroit de bois pour lesdits malades, en telle manière qu’ils n’en peurent vendre ny donner aultre part ». Au XIVe siècle, cette maladrerie était exemptée de tous impôts par la cité, qui lui avait en outre attribué le droit de mortuaire. Elle possédait de nombreuses rentes en argent, grains et vin provenant de prés, terres, vignes et bois dont les seigneurs des environs lui avaient fait don. Outre ces ressources et les droits d’entrée assez onéreux qu’elle exigeait de ses pensionnaires, cette maladrerie possédait des rentes annuelles et perpétuelles, souscrites en sa faveur par des congrégations religieuses ou des corps ecclésiastiques, par de simples particuliers ou des familles, sous la condition de recevoir ceux de leurs membres qui viendraient à être entachés de lèpre.
La léproserie de la Madelaine à Remiremont, très pauvre à son origine, s’agrandit par les dons de la charité. Un chanoine de Remiremont, du nom de Fleury, fit en 1349, à cet hospice, donation de tous ses biens, en reconnaissance des bienfaits qu’il y avait reçus et aussi pour participer aux biens spirituels dont cet asile était enrichi.
Quelques villes, comme Toul et Verdun, eurent deux maladreries. Metz en a compté cinq. L’inégalité des conditions sociales se retrouvait dans les maladreries d’une même ville. A Metz, la léproserie des Bordes, qui appartenait à la cité, paraît avoir été principalement destinée aux indigents, comme à Verdun celle des Petits-Malades.
La léproserie des Grands-Malades ou Saint-Jean des malades est exclusivement réservée aux familles verdunoises auxquelles leur position de fortune permet d’acquitter une large prébende (prouvende) pour ceux de leurs membres qui devront entrer dans la maison.
Parmi les mézeaulx, existait aux Grands-Malades, à Verdun, une hiérarchie : les frères et les convers. Ces derniers « debvaient faire à la maison tout ce de bien qu’ils pourroient et entendre aux œuvres et labour d’icelle ». Il y avait encore de simples locataires (le plus souvent des nobles) auxquels n’était dû que le logement, leur entretien et leur nourriture restant à la charge de leur famille. Enfin, outre les malades, y résidaient, notamment au XIVe siècle, des personnes qui n’étaient point lépreuses, des haitiez (sains) qui moyennant une donation, s’y étaient assurés un asile et une prébende.
Sept miches de pain blanc et trois sols par semaine, par an quarante sols pour leur robe, douze sols pour leur lard, un cent de faixains (fagots) à deux harts, une part aux vignes communes, telle était la prébende que l’on trouvait à la léproserie de Saint-Ladre à Metz. Celle des Grands-Malades à Verdun devait lui ressembler beaucoup.
L’administration des léproseries a varié selon les localités et les époques. A Nancy, nous l’avons vu, les ducs de Lorraine avaient fait don de la Madelaine aux Dames prêcheresses. A Valcourt, près de Toul, la surveillance était confiée à l’abbé et aux religieux du monastère de Saint-Epvre de Toul.
Les deux maladreries de Verdun furent administrées par des maîtres, gouverneurs ou procureurs laïques, institués au XIIIe siècle « de par l’Eveske et par la citeit » et dont plus tard, après la lutte des lignages des corps de métiers contre l’autorité épiscopale, l’investiture passa exclusivement au corps municipal. Toujours élus parmi les jurés de la cité, ces gouverneurs furent presque tous d’anciens maîtres échevins pendant le XIVesiècle. Beaucoup d’entre eux remplirent plusieurs fois les mêmes fonctions.
Jusqu’en 1428, ils stipulaient pour la léproserie dans tous les actes d’acquêt ou de vente. Leur intervention était moins nécessaire pour les baux ou constitutions de cens. C’étaient les lépreux eux-mêmes qui signaient beaucoup d’actes de ce genre.
A Remiremont, jusqu’en 1645, le gouvernement de la Madelaine fut confié à des frères hospitaliers convers, ayant fait vœu de pauvreté et de chasteté et qui suivaient la même règle que ceux établis en 1140 en Angleterre, sous le règne de Henry Ier. Leur supérieur portait le nom de maître. Le curé de Remiremont, qui avait le droit d’installer et de surveiller ces religieux, était le supérieur principal de la léproserie. Aucun malade d’ailleurs n’y était reçu sans la permission expresse de l’évêque.
A côté de ces administrateurs ecclésiastiques ou laïques, nous ne serons point étonnés de ne jamais trouver, dans les asiles consacrés aux lépreux, de médecins chargés de les soigner et de soulager leurs maux. Considérant les lépreux comme des infortunés frappés par la main de Dieu, la société au moyen âge, logique avec elle-même, croyait avoir tout fait en pratiquant la charité chrétienne en faveur des malheureux qu’elle condamnait à l’isolement et à la séquestration.
Les léproseries étaient situées le plus souvent à une certaine distance des centres de population pour éviter les chances de contagion, tout en permettant aux malheureux qui y passaient le reste de leurs jours de revoir de temps à autre leurs parents et d’être plus à la portée des aumônes qu’ils recevaient de la charité publique.
Une fois par an, à Remiremont, les personnes bienfaisantes avaient l’habitude de visiter la Madelaine pour donner aux lépreux des pains, que par crainte de la contagion, on leur tendait au bout d’un bâton. Les lépreux ont disparu, mais le souvenir de cette charitable coutume a, pendant longues années, persisté à Remiremont. Naguère encore, les enfants portant des pains au bout d’une baguette, se rendaient en foule, à certain jour, à la Madelaine, qui jusqu’aujourd’hui a conservé son nom. On recevait les pains pour les distribuer aux pauvres de la ville, des féveroles étaient remises aux enfants, pour leur rappeler l’infime nourriture dont autrefois les lépreux devaient se contenter.
Les lépreux ou les membres d’une même famille de lépreux habitaient en général chacun une hutte ou maisonnette séparée, appelée en Lorraine, Borde, parce que dans l’origine, elles furent élevées le long des chemins, d’où la possibilité pour les lépreux d’implorer de leurs bordes la charité des passants.
La réunion de plusieurs d’entre elles était désignée sous le nom de Bordel, terme qui, dans l’origine synonyme de léproserie, perdit cette signification dès le XIVe siècle. Plus tard, les léproseries formèrent de petites et lugubres cités : la maladrerie des Grands-Malades à Verdun, entourée de murs, renfermait une église, un cimetière, un grand jardin et un cloître qu’entouraient les cellules des mézeaulx.
Le nombre légalement limité des maisons de lépreux dans chaque maladrerie (il y en avait seize dans celle de la Madelaine à Nancy en 1603, douze dans celle de Valcourt près de Toul, sept aux Petits-Malades de Verdun, etc.), impliquait la limitation du nombre de bons malades susceptibles d’y être admis. Parfois, il arrivait que dans les grandes villes, ou déjà comme de nos jours tendaient à affluer les malheureux, la totalité des loges de lépreux était occupée. C’est du moins ce que l’on peut inférer des lettres patentes du duc de Lorraine Charles III (8 août 1603), qui autorisent les Dames prêcheresses de Nancy à recevoir et loger dans la maladrerie de Madelaine de Nancy, les lépreux des ville, prévôté et banlieue de Nancy, des pays et terres de l’obéissance du duc (excepté le bourg de Saint-Nicolas où il y avait une léproserie), à condition que si les maisons, loges ou bordes où habitent les lépreux sont remplies, et s’il se présentait des lépreux des ville, prévôté ou banlieue de Nancy, les Dames prêcheresses devront faire déloger les forains pour leur faire place, quand même ils ne pourraient, vu leur pauvreté, payer de droit d’entrée.
L’horreur qu’au moyen âge on avait de la lèpre, la crainte qu’inspirait le danger de sa contagion, étaient telles, que découvrir ceux qui en étaient infectés, paraît avoir été une des préoccupations constantes des autorités.
Dans les anciens droits et privilèges de la ville de Saint-Avold, sont énumérées toutes les dispositions qui devront être prises contre les lépreux, dès qu’on aura connaissance du mal dont ils sont atteints.
A Metz, un atour ou règlement de police rendu en 1278 par les Treize, institue des commissaires spéciaux pour rechercher dans chaque paroisse les lépreux et condamne à la perte d’une oreille tout individu qui sans titre se livrerait à ces investigations. Le même règlement défend à tout mezel d’entrer dans Metz avant la Chandeleur (2 février), établit une amende de dix sols contre tout habitant qui leur donnerait quelque chose, et ordonne de séquestrer les lépreux aux ribauds ou sergents de ville, menaçant leur négligence du supplice de la xippe.
Aux XIVe et XVe siècles, les médecins de Metz prêtaient serment entre les mains du maître échevin de lui déclarer tous les cas de lèpre. Pendant longtemps cette obligation resta rigoureuse, elle ne commença à tomber en désuétude que vers le commencement du XVIIe siècle, quand les cas de lèpre ne furent plus devenus que très rares. Dès qu’une personne à Metz était soupçonnée d’être affectée de la lèpre, elle était conduite, pour être examinée, chez le myr, le physicien ou médecin stipendié de la cité, qui avait à se prononcer sur son état de maladie.
A Nancy, encore en 1623, la procédure suivie contre les lépreux était plus compliquée : toute personne soupçonnée de lèpre était, par les ordres de la Chambre de ville, arrêtée et conduite à Toul par un sergent, aux frais de la ville quand elle était pauvre. Là, elle était soumise par plusieurs chirurgiens à « l’examen de l’épreuve » qui se passait devant l’offcialité de Toul. A Pont-à-Mousson, toute personne soupçonnée de lèpre était pareillement conduite à Toul par un valet de ville.
A Verdun, dès qu’un individu était soupçonné d’être entaché de la lèpre, la police locale (dans l’évêché et comté de Verdun, les curés des paroisses) le soumettait à la visite d’un médecin ou d’un chirurgien. L’examen du praticien confirmait-il les premiers soupçons, le malade devait subir la Preuve.
Celle-ci n’était pas partout la même. Aussi la valeur qu’on lui reconnaissait variait-elle suivant la ville où elle avait été subie et arrivait-il au même malade d’être obligé de subir l’examen de la preuve dans plusieurs villes. En 1470, Nicole François, abbé de Saint-Vincent-lès-Metz, était « jugiés laidre par les preuves de Toul, Verdun et Triève ». En 1580, Jean de Schœnenburg, archevêque de Trèves, critiquait sévèrement les divers modes d’épreuve en usage dans les villes voisines, décrétait que nul de ses sujets dénoncé comme mezel ne serait rendu à la liberté, s’il n’était reconnu sain, pur, suivant l’antique épreuve de la cité de Trèves.
Dans le diocèse de Verdun, après avoir longtemps appartenu à l’évêque et été une des attributions des archidiacres, le droit super examine et condemnatione leprosorum, avait été à la fin du XVe siècle dévolu à l’officialité épiscopale.
C’était presque toujours à la léproserie que l’épreuve était subie. Souvent, par une disposition étrange, l’official adjoignait aux médecins un ou plusieurs lépreux de la maison. Parfois les curés prenaient la précaution de faire accompagner le prévenu par deux prud’hommes de la paroisse, afin de constater son identité devant les juges et d’empêcher une substitution de personne. On avait eu l’exemple de personnes saines qui s’étaient soumises à l’épreuve, sous le nom d’individus réellement lépreux, auxquels elles avaient cédé, à beaux deniers, les lettres d’absolution frauduleusement obtenues.
Au jour fixé pour le jugement, le malheureux sur lequel pesait la terrible prévention d’être lépreux, comparaissait seul et à huis clos devant la Cour spirituelle. Après avoir évoqué le nom de Dieu, l’official rappelait aux hommes de l’art que c’était un crime « sequestrare non sequestrandos, dimittere cum populo leprosos ». Il interpellait le misérable du sort duquel on allait décider, l’assurait de l’impartialité de ses juges et s’inspirant de l’Évangile, lui montrait en perspective la liberté ou le ciel. Enfin il lui faisait prêter serment de répondre avec vérité aux questions que lui adresseraient les médecins.
La mission de ceux-ci commençait. Ils interrogeaient le patient : comptait-il des ladres dans sa famille ? N’avait-il pas eu de relation avec les lépreux ? A quelles indispositions était-il sujet ? On procédait ensuite à deux séries d’épreuves dont M. Buvignier, dans son intéressant travail sur les Maladreries de la cité de Verdun, a retracé les péripéties. Dans une épreuve préliminaire, on examinait le sang du malade, qui était réparti en trois vases : quelques grains de sel, du vinaigre, de l’urine d’un jeune garçon servaient de réactifs. L’examen était-il favorable, le prévenu, proclamé sain, était renvoyé libre des faits de l’accusation, muni de lettres d’absolution dont le pasteur de la paroisse devait donner lecture au prône.
Dans le cas contraire, les médecins procédaient le lendemain, devant la Cour ecclésiastique, à une seconde série d’investigations et recherchaient la présence de quelques-uns des signes sur lesquels était basé le diagnostic de la lèpre. Leur absence était-elle constatée, le prévenu était déclaré sain et recevait des lettres d’absolution.
Quelques indices seulement venaient-ils confirmer les premières présomptions, il était déclaré cassot (cassatus), ou capot suspect de ladrerie et comme tel, renvoyé dans sa demeure où il restait interné et soumis aux visites des médecins et à certaines prescriptions hygiéniques.
Mais si le patient présentait des signes nombreux ou décisifs de la lèpre, la voix était-elle rauque, les bulbes des cheveux ou des poils étaient-ils entourés d’une sécrétion rougeâtre, la peau était-elle onctueuse ou présentait-elle des taches ou des ulcères, les urines étaient-elles cendreuses, la peau de la jambe et du talon était-elle insensible aux piqûres, le prévenu était déclaré lépreux et « cum multis verbis bonis et consolatoris sequestrandum a populo ».
La multiplicité des épreuves prescrites, la minutie des précautions observées avant de prononcer l’arrêt qui décidait du sort du patient accusé de lèpre n’a rien qui doive étonner. Pouvait-on entourer de trop de formes, de trop de solennité un acte qui retranchait de la société un de ses membres, un acte qu’il n’était pas rare d’avoir vu provoquer par la haine ou par la cupidité d’héritiers avides ? Le fait d’être reconnu lépreux n’avait-il pas pour sanction d’être mis au ban des chrétiens, d’être considéré comme mort civilement et condamné à l’isolement et à la séquestration ?
L’Église regardant le lépreux comme un infortuné que la main de Dieu avait frappé et qu’un miracle seul pouvait guérir, ne pouvait plus qu’invoquer en sa faveur la charité chrétienne. Aux yeux de la loi, il était tenu pour déchu de tous ses droits. L’autorité civile n’avait pour mission que de veiller à l’exécution de toutes les ordonnances restrictives de sa liberté.
La sentence rendue par le juge ecclésiastique, qui seul avait autorité en cette matière, le lépreux était mort au monde. Avant toutefois d’être exclu de la société, il y reparaissait une dernière fois pour entendre dire, à son intention, les prières des morts et, vivant, assister à ses funérailles.
Nous empruntons à M. Richard, le récit des lugubres cérémonies qui, à la fin du XVIe siècle, s’accomplirent à Remiremont lors des funérailles de deux lépreuses.
En 1597, deux jeunes filles, Marie et Jeanne de Ranfaing, ayant comparu devant le Consistoire, avaient été déclarées par les médecins qui les examinèrent, être atteintes de la lèpre, et d’après la sentence du juge ecclésiastique, condamnées à être transférées à la maladrerie de la Madelaine, près de Remiremont.
« Le 15 juin 1597, à huit heures du matin, au son de toutes les cloches de la ville, les lépreuses, recouvertes d’un grand voile noir, se rendirent à la porte de l’église paroissiale. Le curé, revêtu simplement d’une aube et d’une étole, vint les y recevoir, et après les avoir aspergées d’eau bénite, leur dit d’aller se placer devant l’autel de la sainte Vierge, qui était entouré d’une balustrade afin de séparer les lépreuses du peuple. Sur une table, dans un coin de cet enclos, étaient déposées deux housses ou robes longues, des gants, une cliquette, un baril et une panetière.
Les lépreuses entendirent la messe et communièrent dans cet enclos. Ensuite le curé, revêtu d’un surplis et d’une étole violette, vint bénir ce qui était sur la table et dit aux lépreuses en leur présentant les housses « Recevez ces habits et les revêtez en signe d’humilité, sans lesquels, désormais, je vous défends de sortir de votre maison, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Prenant le baril, il dit « Prenez ce baril pour recevoir ce qu’on vous donnera pour boire et je vous défends, sous peine de désobéissance, de boire aux rivières, ruisseaux, fon-taines et puits communs ; ne vous y lavez en quelque manière que ce soit, ni vos draps, chemises et toute autre chose qui ait touché votre corps ».
Leur offrant la cliquette, il dit « Prenez cette cliquette en signe qu’il vous est défendu de parler à personne, sinon à vos semblables. Si c’est par nécessité et si vous aviez besoin de quelque chose, le demanderez au son de cette cliquette, en vous te- nant loin des gens et au-dessous du vent ».
En leur donnant les gants, le curé dit « Prenez ces gants, par lesquels il vous est défendu de toucher chose aucune à mains nues, sinon ce qui vous appartient et ne doit venir entre les mains des autres ». En leur donnant la panetière, il dit « Prenez cette panetière pour y mettre ce qui vous sera donné par les gens de bien et aurez souvenance de vos bienfaiteurs ».
Ces recommandations faites, le curé donna aux lépreuses son aumône et exhorta tous les assistants à imiter son exemple. Ensuite, il les conduisit à la Madelaine avec la croix et l’eau bénite, accompagné du clergé et d’un grand concours de peuple récitant les litanies et des psaumes qu’on terminait par des « Orate pro eis ».
A la porte de la léproserie, le curé dit en se tournant vers les lépreuses : « Voici le lieu qui vous est donné pour y faire votre résidence. Je vous défends d’en sortir pour vous trouver aux places et assemblées publiques, comme églises, marchés, moulins, fours, tavernes et autres semblables. Cependant vous ne vous fâcherez pas d’être ainsi séquestrées, parce que cette séparation n’est que corporelle et que quant à l’esprit, qui est le principal, vous serez toujours autant avec nous que vous le fûtes autrefois et vous aurez constamment part et portion à toutes les prières de notre sainte Mère l’Église et comme si personnellement vous étiez tous les jours assistantes au service divin avec les autres. Et quant à vos petites nécessités, les gens de bien y pourvoiront et Dieu ne vous délaissera pas. Seulement, prenez bon courage et ayez patience. Dieu demeure avec vous ».
Après ce discours, le curé introduisit les lépreuses dans la léproserie, en referma la porte, devant laquelle il planta une croix en bois. Se tournant vers le peuple, il recommanda les lépreuses à ses prières, défendit expressément de les injurier, de les maltraiter et dit qu’elles étaient sous la protection de Dieu. Il termina en exhortant les frères convers de la léproserie, les parents et amis des lépreuses de les assister durant trente heures, afin de les fortifier dans le nouveau genre de vie qu’elles allaient forcément embrasser.
De la comparaison de ce récit, avec les prescriptions relatives aux funérailles des lépreux contenues dans le missel de Verdun de 1509, dans le rituel messin imprimé en 1541 par ordre du cardinal Jean de Lorraine, administrateur perpétuel de l’évêché de Metz, dans le Manuel à l’usage des prêtres du Verdunois, rédigé en 1554 par l’évêque Psaume et dans le rituel de Toul de 1616, il ressort qu’en Lorraine, comme du reste dans les autres provinces, ces cérémonies ont, à peu de choses près, offert pendant une longue série d’années, le même caractère d’un sinistre symbolisme.
Basées sur des croyances acceptées par tous, elles devaient exercer une influence profonde sur l’esprit de tous ceux qui assistaient à ce lugubre cérémonial et remplir les imaginations de terreur et d’effroi. Chacun ne pouvait-il pas redouter d’être un jour ou l’autre l’objet d’une condamnation semblable ?
Il s’en faut de beaucoup que les conditions civiles et religieuses, sous l’empire desquelles ont vécu les lépreux, aient, dans la suite des siècles, toujours été identiques. Jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles furent observées les décisions des conciles relatives aux ladres, toutes empreintes d’un sentiment de religieuse pitié.
Le pape Urbain III faisait un devoir aux époux de suivre leur conjoint atteint de lèpre et de cohabiter avec lui. Jusqu’au milieu du XVe siècle, l’église de Verdun ne refusait aux lépreux à ses derniers moments ni les prières de ses prêtres, ni les sacrements.
Au XVIe siècle, on voit encore des ladres hériter, vendre, acquérir, comparaître en personne devant les notaires des officialités des archidiacres de Verdun. Le lépreux n’est pas encore maudit, sans relation avec le monde : des journaliers, des vignerons s’établissent à ses côtés, en se rendant adjudicataires de cellules et de vignes situées dans l’enceinte même des Grands-Malades de Verdun. De petits bourgeois attendent la vacance d’une prébende de lépreux qu’ils se disputent au plus offrant. La situation des mézeaulx paraît si peu à plaindre, que parfois des goujats simulent les plaies hideuses qui caractérisent la lèpre et forcent la police à sévir contre les faux lépreux.
Loin de frapper comme au XVIe siècle presque exclusivement des malheureux sans ressources, la lèpre, dans les siècles antérieurs, atteignait parfois les personnages les plus éminents : en 1160, Raoul, comte de Vermandois ; en 1185, Baudouin, roi de Jérusalem ; en 1291, Robert Bruce, le héros de l’Écosse, succombaient aux atteintes de la lèpre. Pendant sa campagne en Palestine (1249), saint Louis ne craignit pas d’admettre dans sa tente des chevaliers de Saint-Lazare atteints de lèpre. Attachés à sa personne, ils accompagnèrent le monarque, à son retour d’Orient, à la cour de France.
Peu à peu toutefois, à mesure que par suite des progrès de la civilisation le bien-être se développa, que les prescriptions de l’hygiène furent mieux observées, la lèpre cessa de chercher ses victimes dans les classes élevées de la société. Au lieu de frapper indistinctement nobles, prêtres, bourgeois ou manants, elle ne sévit plus que sur les classes peu aisées. Serait-ce par le fait de cette modification dans la répartition sociale du fléau, est-ce sous l’influence d’accusations odieuses autant qu’imméritées portées contre les lépreux, toujours est-il que vers la fin du XIVe siècle, un revirement se produisit à leur égard dans l’esprit des populations. Terribles en furent les conséquences.
A partir de cette époque, des mesures sévères sont prises contre eux. Elles tendent toutes au même but : mettre les lépreux au ban de la société.
Dans les villages ou dans les villes dans lesquelles n’existait pas de maladrerie, les lépreux durent élever leurs huttes au bord des chemins. Le plus grand nombre toutefois étaient condamnés à passer dans les léproseries leur triste existence.
Un grabat et quelques meubles composaient le chétif mobilier du lépreux. Une tunique, une housse à capuchon et collet pour couvrir les épaules et la poitrine, une ceinture de cuir pour la serrer, une panetière, des gants et des cliquettes, telle était sa garde-robe. La housse était toujours de couleur sombre : grise à Nancy et à Verdun, brune à Remiremont, noire dans d’autres localités. Elle était à Nancy, en 1607, munie de doubles marques en laiton aux armes de la ville, pour signaler à l’attention des passants ceux qui la portaient.
Aux termes des statuts synodaux du diocèse de Verdun, de 1507, si le ladre est à l’aise, c’est à ses héritiers à subvenir aux frais de ses funérailles, du costume qu’il ne devra plus quitter, à son mobilier, à la construction d’une cabane. Dans le cas contraire, ces dépenses incombent à la ville (c’était le cas à Nancy encore en 1623) ou à la paroisse dont le ladre faisait partie.
Quittait-il sa borde, le menton, la bouche et la partie inférieure du nez cachés par un bandeau, pour se procurer en ville les choses nécessaires à la vie, les humiliations attendent le lépreux à chaque pas. Veut-il adresser la parole à quelqu’un, il devra ne pas oublier de se placer sous le vent. Veut-il renouveler sa provision de vin, c’est à la porte du cabaret que le marchand lui remplit son baril, non sans se servir de l’entonnoir spécial qui appartient à chaque lépreux.
Désire-t-il acheter des fruits ou toute autre denrée, défense lui est faite d’y toucher avant qu’elle soit sienne, et ce n’est que de loin, qu’avec sa baguette il lui est permis de désigner d’une façon précise l’objet dont il a besoin.
Le lépreux ne peut passer sur un pont ayant appui sans avoir mis ses gants. Défense absolue lui est faite de dépasser le porche des églises, d’entrer dans les maisons où l’on cuit le pain. Sur les chemins, dans les rues, dans celles surtout qui sont étroites, sans cesse, tous les cinq ou six pas, il doit agiter ses cliquettes. A ce bruit redouté, le vide se fait autour de lui, tous se retirent à son approche, les mères notamment qui, de crainte de les exposer au danger de la contagion, se hâtent d’emporter leurs enfants.
Mendier était la principale sinon l’unique occupation des lépreux, quand leur mal ne les retenait pas cloués sur leur grabat. Encore cette liberté de mendier était-elle soumise à bien des restrictions.
Au XIIIe siècle, à Verdun, il ne leur était permis de venir mendier et quêter qu’en un certain lieu, devant le portail de l’église Saint-Airy. Plus tard, il leur fut accordé de mendier dans toutes les rues, mais seulement pendant quatre mois de l’année. Du 1er mars au 31 octobre, défense leur était faite de pénétrer dans Verdun. Durant ces huit mois, les jurés de la ville faisaient distribuer par mois à chaque lépreux trois setiers de vin, deux franchards de froment conseigle et alternativement un demi-franchard de pois et un demi-franchard de fèves.
Quand, en 1564, Nicolas Psaume, évêque de Verdun, institua l’aumône publique, la mendicité dans l’intérieur de la ville fut défendue aux ladres comme aux ordres mendiants. Malgré une indemnité de 12 gros qui en compensation leur fut allouée, et bien que l’aumône publique fût désormais chargée de subvenir aux besoins des lépreux, ils n’en continuèrent pas moins à mendier, stationnant près des portes de la ville et importunant les passants de leurs lamentations. En 1594, on les avait obligés à se re- tirer à une portée d’arquebuse des murailles, quand l’année suivante, la situation de l’administration charitable devient si précaire que force fut de permettre de nouveau aux ladres de venir, pendant les mois d’hiver, mendier dans les rues de Verdun.
A Nancy, on fut plus sévère à leur égard jusqu’en 1603, ce n’était qu’a certain jour, le soir de la fête de tous les Saints, qu’il était permis aux lépreux de venir quêter dans les rues et devant les portes de certaines églises. Leur entrée en ville était souvent l’occasion de rixes et de scandales qui rendaient nécessaire l’intervention des valets et sergents de ville. Peu d’années après cependant, le nombre des lépreux ayant notablement diminué, on paraît ne plus s’être opposé à ce qu’ils parcourussent les rues en demandant l’aumône. Du moins peut-on l’inférer de la permission accordée le 1er février 1624, à Nancy, à une femme récemment reçue bonne malade, de quêter en ville et ailleurs comme les autres.
Seul, au milieu de compagnons d’infortune aussi malheureux que lui, il ne restait au lépreux que ses souvenirs. Enfant, la justice lui refusait sa part de la succession paternelle. Marié, son union était rompue et sa femme libre de contracter d’autres liens. Père, il était séparé de ses enfants, le seuil de sa maison lui était interdit. Ses enfants, sous peine de perdre leur liberté et de partager le sort de leur père, ne pouvaient plus le voir ailleurs que dans la rue. Il ne leur était plus donné de l’embrasser.
Le lépreux jouissait-il du droit de bourgeoisie dans une ville, y exerçait-il des fonctions publiques, il en était déchu. Autrefois riche peut-être, il avait vu ses biens partagés entre ses héritiers. Le lépreux guérissait-il, le cas devait être des plus rares, il avait beau revendiquer sa femme et sa fortune, les tribunaux le déboutaient de sa demande, par la raison que sa femme lui avait alloué l’équivalent de ce que l’on donne à un mort que l’on enterre.
Riche, aimé, honoré hier, le lépreux se voyait aujourd’hui sans affection, sans fortune, sans autres ressources que la charité publique. Et près de lui, il savait les siens qui le fuyaient, ses biens possédés par ses héritiers.
Faut-il s’étonner dès lors si, considérés comme des morts tolérés parmi les vivants, les lépreux deviennent rapidement faux, trompeurs et dépravés, et si les léproseries méritent d’être appelées par Ambroise Paré de véritables sentines, des repaires de tous les vices. Les deux sexes y sont confondus, d’où résultent les désordres les plus violents.
En 1502, un jeudi saint, à Toul, les lépreux des bordes de Saint-Mansuy, excités par d’ignobles jalousies, assassinent l’un d’entre eux. Cinq sont exécutés à Foug, trois sont brûlés vifs, deux, traités avec plus d’indulgence, sont pendus.
C’est dans ces tristes refuges que, réuni à ses frères d’infortune aigris comme lui par le malheur et les privations, le lépreux terminera ses jours.
La mort elle-même ne le délivre pas de la malédiction qui pèse sur lui. L’Eglise lui ferme ses cimetières : c’est dans leurs bordes, dit l’évêque de Verdun, Wary de Dammartin (1507), que les ladres doivent être inhumés, quia cui non communicamus vivo, non communicamus mortuo. C’est dans le même esprit que les statuts synodaux de Toul de 1515 disposaient que « les lépreux ne doivent point être enterrés avec les saines gens, ni en un même cimetière, mais en leur cimetière, ou en leur tabernacle qui n’est aucunement bénit ». Dans quelques localités, après la mort du lépreux, on brûlait ses meubles et ses vêtements, quelquefois jusqu’à sa maison.
Un sort terrible était réservé aux lépreux qui, poussés par le désespoir, avaient le courage de fuir loin des léproseries, dans le voisinage desquelles ils devaient rester.
En 1351, deux lépreuses qui s’étaient échappées de la maladrerie de la Schenalle, dans le val de Saint-Dié, ayant été arrêtées de nouveau, furent jugées par Gérardin, prévôt du duc de Lorraine Ferry IV. Le prévôt, autorisé par son souverain, et s’appuyant sur une bulle de pape, qui vouait aux flammes les lépreux évadés, infligea à ces malheureuses la peine du fouet et les fit jeter vivantes sur le bûcher. Ce procès et cette exécution soulevèrent un conflit de juridiction : offensé de cet empiétement sur ses droits, le chapitre de Saint-Dié excommunia le prévôt Gérardin et porta ses plaintes devant le duc Ferry IV, qui y fit droit et ordonna à son prévôt de livrer les lépreuses à la justice ecclésiastique. Deux mannequins les représentant, furent présentés par le prévôt lui-même au chapitre de Saint-Dié qui les condamna à mort et les livra au bras séculier qui les fit brûler. Arnould, notaire impérial, dressa procès-verbal de cette seconde et bien étrange exécution.
Depuis le XIIIe siècle, époque à laquelle l’institution des léproseries atteignit son apogée, le nombre de ces établissements en Lorraine resta d’abord stationnaire, puis ne tendit plus qu’à diminuer. Des causes multiples y contribuèrent. Tout d’abord, il est probable que parmi les maladreries relativement nombreuses qui s’étaient constituées dans de petites localités, un certain nombre furent fermées par suite de l’état précaire de leurs ressources.
Quelques-unes, au contraire, grâce aux libéralités des grands, à la charité des fidèles avaient en peu de temps acquis des richesses considérables : les ladres, dès lors, excitèrent moins la pitié que l’envie. Aussi voit-on, en 1540, des chevaliers avides et besogneux spolier la maladrerie de Verdun, malgré la sauvegarde que, depuis plus d’un siècle, les comtes de Bar lui avaient accordée, malgré la bulle d’excommunication que le pape Benoit XII fulmina contre eux.
Pour s’emparer des biens des lépreux, on ne craignit pas souvent de leur imputer des forfaits imaginaires : au XIVe siècle, on les accusa d’enlever les enfants, d’entretenir commerce avec l’esprit malin. On leur prêta notamment le sinistre dessein de vouloir empoisonner les sources et les puits pour que, la lèpre devenant ainsi générale, la séquestration et les distinctions humiliantes qu’on leur faisait subir ne fussent plus justifiées. Ces accusations servirent de prétextes aux plus affreuses cruautés des bûchers s’élevèrent pour les juifs et les lépreux, malgré les défenses expresses de l’Église, énoncées au concile tenu à Auch en 1300, de se livrer à de mauvais traitements envers les lépreux.
A Metz, en 1321, sous l’échevinat de Bouguin Chiclaron, les lépreux et un grand nombre de juifs, accusés d’avoir pris part à un complot de ce genre, furent brûlés vifs. En ces temps d’ignorance et de barbarie, une épidémie, comme il n’arrivait que trop souvent, se déclarait-elle, aussitôt les populations affolées cherchant une cause au fléau, accusaient d’avoir voulu empoisonner les eaux, les lépreux qui, sans pitié, étaient livrés au bourreau. Philippe de Vigneulles raconte à ce sujet dans sa Chronique : « En 1390, eult en la cité de Mets, grande mortalité et au pays. Item, fut justice faicte des méseaulx, qui vollaient empoisonner les yawes (eaux) ».
Au XVIe siècle, bien des léproseries furent supprimées et réunies à des hôpitaux ordinaires, auxquels fut imposée dès lors l’obligation de recevoir les lépreux qui solliciteraient leur admission. En 1525, à Metz, la grande maladrerie de Saint-Ladre fut réunie à l’hôpital Saint-Nicolas dans lequel depuis lors les lépreux furent reçus comme pensionnaires. A Nancy, par une ordonnance du duc Léopold (11 mai 1696), les revenus de la maladrerie de Leyr furent, ainsi que ceux des hôpitaux de Bouxières-aux-Dames et de Bouxières-la-Grande (B.-aux-Chênes), réunis à ceux de l’hôpital de Saint-Charles de Nancy.
Grâce aux progrès de l’hygiène publique et privée, aux progrès de la médecine dans le traitement d’un grand nombre d’affections cutanées qui ne furent que trop souvent confondues avec la lèpre, le nombre des personnes tenues pour être affectées de la lèpre diminua sensiblement. Elle devint de plus en plus rare dans les classes supérieures de la société, pour ne plus sévir que parmi les pauvres, les gens sans asile placés sous l’influence des conditions hygiéniques les plus défavorables.
Pendant la première moitié du XVIIe siècle, les léproseries construites aux siècles précédents existaient encore. Toutefois le nombre des lépreux qui y étaient renfermés diminuait d’une manière si notable qu’un grand nombre d’entre elles, faute de raison d’être suffisante, furent supprimées.
La maladrerie de la Magdelaine à Nancy qui, en 1616, ne renfermait plus que quatre lépreux, existait encore en 1623, car le 28 décembre de cette année, les Dames Prêcheresses furent, par un arrêté du Conseil de ville, invitées à fournir une chambre à la femme de Nicolas Bagard, charretier, demeurant à Nancy, reconnue entachée de lèpre. Cette léproserie avec ses dépendances ayant été supprimée, les Dames Prêcheresses en firent dans la suite un gagnage (ferme) dont en 1790, le revenu annuel était de 1 509 livres au cours de Lorraine.
A Verdun, le dernier ladre conduit aux Petits-Malades (mise à sac et brûlée par les Croates en 1636) fut un boulanger de Verdun, du nom de Jean Génin ; il y entra en février 1627. En 1630, la maladrerie devenue déserte, changeant de nom, devenait l’ermitage de Saint-Privat et était concédée par le magistrat de Verdun à un ordre de solitaires venus de la Lozère. En 1695, les revenus des Petits-Malades furent définitivement réunis à ceux de l’hôpital général de Verdun.
Dès cette époque, le nombre des lépreux et la crainte qu’ils inspiraient diminuant, ils se mêlent peu à peu aux gens sains. Le 14 décembre 1623, à Nancy, il est donné commission à deux conseillers de ville de veiller à ce que les lépreux ne soient plus pêle-mêle avec les sains et qu’ils ne logent les mendiants, passants ou autres.
Dans les archives de la commanderie de Saint-Antoine, à Pont-à-Mousson, on trouve un traité conclu en 1628 entre cette ville et le commandeur, par lequel celui-ci s’engage à recevoir les lépreux de Pont-à-Mousson… selon le rapport qui en sera fait par les chirurgiens jurés commis par MM. les vicaires de Toul et de Metz, la ville de Pont-à- Mousson dépendant par partie de l’évêché de Toul et de celui de Metz.
La lèpre paraît donc n’avoir disparu complètement en Lorraine que dans la première moitié du XVIIe siècle. Les bâtiments des léproseries toutefois restèrent debout ; ils constituèrent une ressource précieuse pendant les épidémies de peste qui, à cette époque, décimaient les populations. Pendant la peste qui régna à Nancy de 1630 à 1633, les nombreux malades expulsés hors des murs de Nancy trouvèrent un asile à Maréville. Mais quand la place commença à y manquer, on en envoya aussi à la Magdelaine. Bon nombre de personnes sont portées sur les listes de décès de cette époque, comme étant mortes aux loges.
A Verdun, pendant les épidémies de peste de 1632 et 1636, l’ancienne léproserie des Petits-Malades fut convertie en un camp funèbre dans lequel on parqua les pestiférés. Des huttes y furent élevées dans lesquelles on envoyait misérablement périr les victimes du fléau.
Les léproseries ayant été supprimées, quelques-unes furent remises en Lorraine aux religieux de l’ordre de Saint-Lazare qui les premiers s’étaient exclusivement consacrés au service des lépreux (L’un des ordres de chevalerie religieuse les plus anciens fut celui de Saint-Lazare. Les chevaliers de cet ordre accueillaient dans leurs rangs les gentilshommes lépreux, leur grand-maître était lépreux).
La plupart des léproseries toutefois restèrent entre les mains des religieux qui étaient chargés de leur gestion. Quelques-unes furent transformées en ermitages ou en hospices, où étaient recueillis les pauvres et les infirmes, ou en aumôneries où, pendant quelques jours, les voyageurs pauvres étaient hébergés. Dans la plupart des maladreries existaient des chapelles, dans le plus grand nombre desquelles on continua de célébrer le culte divin jusque vers le milieu du XVIIIe siècle.
Les revenus des léproseries, parfois encore considérables malgré les dilapidations dont ils avaient été l’objet, furent réunis à ceux des hôpitaux des villes ou convertis en bénéfices ecclésiastiques. Dans quelques localités, ces revenus conservèrent une administration distincte jusqu’à la Révolution.
A partir du XVIIe siècle, avons-nous vu plus haut, il n’est plus question des lépreux en Lorraine. A supposer qu’il en existât encore, ils se retiraient selon toute vraisemblance dans une habitation solitaire, dans un endroit écarté, éloigné des villages, pour mieux se faire oublier des populations. Il ne paraît pas en avoir été de même partout en France.
Dans l’Ouest et surtout dans le Midi, sous l’influence des conditions hygiéniques qu’on y rencontre, le nombre des lépreux a dû être beaucoup plus considérable que dans l’Est et dans le Nord de la France, aussi les lépreux paraîtraient-ils y avoir laissé des descendants. Depuis le moyen âge, en effet, ont existé dans l’Ouest et dans le Midi, certains groupes d’individus qui, sous des dénominations diverses, présentent avec les lépreux de singulières analogies de telle sorte que certains auteurs, Francisque Michel dans son Histoire des races Maudites de France et d’Espagne, et le Dr V. de Rochas, dans son mémoire les Parias de France et d’Espagne (Paris, 1876), ont été conduits à les considérer comme les descendants des lépreux.
Désignés sous le nom
- de cagots sur le versant septentrional des Pyrénées (le nom de cagot viendrait de l’espagnol gafo, lépreux, d’où gafedad, lèpre, léproserie, qui dérive du roman gaf, croc ou crochet. Un des symptômes de la lèpre anesthésique consiste dans la rétraction des muscles fléchisseurs des doigts qui imitent la diposition d’une griffe d’oiseau de proie. Le mot de gafo signifiant un homme qui a les mains crochues, a servi ensuite à désigner les lépreux),
- de gafets ou gahets (ce terme est, dans les livres de coutumes du Midi de la France, indistinctement employé avec celui du lépreux) dans la Guyenne et le Bordelais,
- d’agotes dans la Navarre,
- de capots (mot qui rappellerait la casaque à capuchon obligatoire pour les lépreux) ou cassots (du terme de basse latinité cassatus, séparé du monde) dans la Gascogne et le Languedoc,
- de cacous ou caqueux (du breton kakod, qui signifie ladre) en Bretagne,
objets de l’aversion générale, tenus pour malsains, ces parias « forment une race séparée des autres en tout et pour tout, comme s’ils étaient lépreux et quasi-excommuniés » écrivait au commencement du XVIIe siècle un prêtre navarrais.
Habitant dans les campagnes, de pauvres cabanes séparées des villages par un cours d’eau ou un bouquet de bois, relégués dans les villes, dans un faubourg spécial où les personnes saines se gardaient bien de pénétrer, ces réprouvés n’en pouvaient sortir eux-mêmes sans porter bien en évidence sur leurs vêtements, un morceau de drap rouge taillé en patte d’oie.
Comme les lépreux, il leur était défendu de traverser, pieds nus, les villages, d’entrer dans les moulins, de danser ni de jouer avec leurs voisins, de venir boire aux fontaines, de laver aux lavoirs communs, de conduire leur bétail aux pâturages communaux, etc.
Comme les lépreux, ils entraient dans les églises par une petite porte spéciale, s’y plaçaient à l’extrémité de la nef, derrière les fidèles, qu’une balustrade en bois séparait de leur contact impur, prenaient de l’eau bénite dans un bénitier spécial ou la recevaient du bedeau au bout d’un bâton. Après leur mort, leur dépouille était enfouie sans nulle solennité et sur les registres des paroisses, comme dans les actes civils, l’épithète flétrissante de cagot accompagnait toujours leur nom.
Comme les lépreux enfin, ils étaient exempts de tailles, n’avaient pas le droit de porter des armes, n’étaient admis à témoigner en justice que dans des conditions exceptionnelles et alors il ne fallait pas moins de quatre ou même de sept cagots pour valoir un témoin ordinaire.
Encore de nos jours, persistent quelques traces de l’ostracisme qui pesait sur les cagots et leurs congénères. Jusqu’en 1830, les cagots ne se mariaient qu’entre eux. En 1848, pour la première fois, les gens de Michelena, petit hameau du pays basque entièrement habité par les descendants authentiques des anciens cagots, furent admis à faire partie du conseil municipal de leur commune. En 1872, en Bretagne, les descendants des cacous, tout en jouissant de la plénitude de leurs droits civils, n’en sont pas moins, dans les campagnes, l’objet du mépris général et d’une crainte superstitieuse. Dans la question de mariage subsiste encore, envers eux, le vieux préjugé. Les cacous, écrit à la même époque un médecin de Vannes, s’allient presque exclusivement entre eux ; ils habitent des faubourgs appelés Madeleine.
Et cependant si les cagots descendent des anciens lépreux, comment se fait-il, ainsi que l’a de visu, constaté le Dr de Rochas, qu’au point de vue physique et physiologique, ils ne se distinguent depuis longtemps plus en rien de leurs concitoyens ? Tous ceux qui vivent dans de bonnes conditions physiologiques sont sains et vigoureux.
Pour le comprendre, il importe de noter que dès le moyen âge, les médecins admettaient plusieurs variétés de lèpre, dont les deux principales, déjà décrites par les Grecs, sont l’éléphantiasis ou la vraie lèpre, et, d’autre part, la Leucé ou lèpre blanche.
La vraie lèpre est caractérisée par des tubercules de forme et de grosseur variables, siégeant surtout sur la peau du visage et des mains, dont l’ulcération survient souvent et a pour conséquences la destruction des parties profondes ou plus tard la formation de cicatrices, qui recourbent les doigts et impriment aux mains des déformations indélébiles.
C’est la lèpre blanche que les anciens médecins attribuent plus particulièrement aux caquots, capots et cagots, qu’ils appellent de son nom ladres blancs ou faux ladres. Enveloppés avec les vrais lépreux dans la réprobation générale, encore capables malgré leur mal d’entreprendre des travaux manuels et d’exercer certaines industries, les ladres blancs, dès la seconde moitié du XIVe siècle, cessent, à plus d’un égard, d’être entièrement assimilés aux lépreux affectés de lèpre éléphantiasique.
Quand, plus tard, celle-ci commença à décroître, c’est dans les mêmes lieux que sévit plus particulièrement la lèpre blanche qui la remplaçait et qui, beaucoup moins grave, devait s’user à son tour. Sans s’inquiéter toutefois de ces distinctions, le peuple ignorant des campagnes conserva pendant longtemps intacts des préjugés contre les descendants de ceux qui, à des degrés divers, avaient appartenu à la classe des lépreux, et il aura fallu attendre presque jusqu’à notre époque pour les voir entièrement disparaître.