Charles IV (1624 – 1675) et Louis XIV
D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895
Charles IV rentra en Lorraine peu après la mort de Mazarin. Grâce au traité de Vincennes, les troupes françaises évacuèrent le pays. Il ne resta bientôt plus que les travailleurs occupés à démolir les fortifications des deux villes de Nancy.
Le Duc ne retrouva point l’esprit public tel qu’il l’avait laissé. Les Lorrains, si sévèrement traités sous le cardinal de Richelieu, avaient vu le régime français s’adoucir graduellement sous le cardinal Mazarin. Le gouverneur La Ferté avait rétabli l’ordre et rendu au travail la sécurité et la protection dont il a surtout besoin. Le sentiment national était persistant sans doute, mais l’occupation française n’excitait plus ces haines intransigeantes qui avaient longtemps rendu tout rapprochement impossible. La pacification des Âmes fut très sensible surtout à partir de 1654, au moment de la captivité du Duc.
Les soldats lorrains étant passés au service de la France, se prirent bien vite d’un goût très vif pour leurs nouveaux frères d’armes.
« La facilité française, dit le comte d’Haussonville, les charmait autant que la morgue espagnole les avait naguère blessés. Dans les rangs inférieurs c’était, de soldat à soldat, un continuel assaut de bravoure, de bonne humeur et de franche camaraderie… Dans les grades élevés, grâce à la familiarité d’une vie toute militaire, la noblesse des deux camps, déjà rapprochée par la langue et par les moeurs, par tant de goûts et par tant de semblables habitudes, s’était liée étroitement… Au moment de la signature du traité des Pyrénées, l’armée des compagnons de Charles IV était devenue pour ainsi dire presque aussi française que lorraine ».
Un mouvement sympathique analogue, moins vif peut-être que dans l’armée, s’était produit dans la nation. La bourgeoisie ne boudait plus. Elle recherchait dans la magistrature et dans l’administration les places qui lui avaient été autrefois vainement offertes. L’annexion semblait se faire d’elle-même, et il est probable que Charles l’eût trouvée accomplie s’il fût resté dix ans de plus dans sa tour de Tolède.
Le Duc ne rapportait guère de sa vie errante que les théories du pouvoir absolu qu’il avait vu pratiquer un peu partout et il songeait à les appliquer chez lui sans ménagement. Il ne rencontra pas d’opposition dans les masses de la nation, désireuses de vivre en paix sous un gouvernement fort.
Mais il se heurta aux revendications de la Chevalerie, gardienne des traditions féodales. Les nobles tinrent à Liverdun une réunion nombreuse et lui envoyèrent une adresse pour réclamer le rétablissement des antiques institutions et notamment la juridiction des assises. Non seulement le Duc les reçut fort mal, mais il fit poursuivre et condamner par la Cour souveraine, comme des factieux, les chefs les plus en vue, M. de Cléron-Saffres et M. de Ludres.
M. de Cléron-Saffres fut condamné à sortir de Lorraine dans un délai de huit jours et à vendre tous ses biens sous trois mois. C’est de lui que descend la seconde maison d’Haussonville. Quant à M. de Ludres, on logea chez lui des gens de guerre pour y vivre à discrétion et y « manger ses poules ». (Mémoires de Beauvau).
Les Assises furent définitivement abolies. La Cour souveraine, composée de nobles de second ordre et de bourgeois anoblis, resta investie du pouvoir judiciaire. Ce fut là évidemment l’acte le plus louable de son règne. « La juridiction des chevaliers des assises, dit M. d’Haussonville, n’était plus en 1663 qu’une institution surannée, contraire aux tendances de l’époque, condamnée par les progrès de la société comme par ceux de la raison publique ».
Ce qui empêcha surtout le succès de la Chevalerie, c’est qu’elle n’agissait et ne parlait que pour la revendication de ses privilèges. Elle ne sut pas ou ne voulut pas associer la nation à sa cause. Les députés de la bourgeoisie de Nancy s’étant présentés à une réunion tenue à Pont-à-Mousson, on ne les laissa même pas entrer dans la salle. La bourgeoisie ainsi éconduite se le tint pour dit et se désintéressa complètement des réclamations égoïstes d’un patriciat si exclusif.
Cependant, on se préoccupait de la succession de Charles IV. On craignait qu’il ne songeât sérieusement à instituer pour héritier, le prince de Vaudémont, le fils que lui avait donné Béatrix de Cusance, et qu’il aimait beaucoup, au préjudice de son neveu le prince Charles. Le Duc montrait de plus en plus de l’éloignement pour le jeune prince qui manifestait en grandissant des qualités supérieures.
Nicolas-François et ses amis, pour achever de lui donner une sérieuse consistance, voulaient le marier dans une grande maison. Ils recherchèrent Mle de Montpensier, la grande Mademoiselle, puis la soeur de cette princesse, Marguerite d’Orléans et enfin Mle de Nemours. Le roi parut s’intéresser à ce dernier mariage. Il chargea Lyonne de signer au contrat en son nom.
Charles IV avait lui-même semblé favorable. Mais, avec sa versatilité ordinaire, il changea de sentiment, traîna les choses en longueur, inventa mille prétextes pour ajourner sa signature.
Ce mauvais vouloir de plus en plus marqué, inspira à Lyonne l’idée d’en profiter, pour réaliser le dessein que se transmettaient tous les gouvernements depuis Henri IV et Richelieu, de réunir la Lorraine à la France.
Louis XIV prêta l’oreille aux suggestions de son ministre, et alors fut conclu le traité de Montmartre, l’un des incidents les plus étranges de ce règne, si fécond en à-coups et en péripéties inattendues (6 février 1662).
Charles instituait le roi de France héritier des duchés de Lorraine et de Bar, dont il conserverait seulement la jouissance viagère. De son côté, le roi conférait à tous les princes de la maison de Lorraine, la qualité et le titre de princes du sang, aptes à succéder dans le cas où la ligne des Bourbons viendrait à manquer. Le Duc recevrait, comme une sorte de pot-de-vin, une somme d’un million. Pour garantie de la convention, il remettrait la ville de Marsal entre les mains du roi.
Ainsi, le roi et le Duc, dans cette étonnante transaction, disposaient de la France et de la Lorraine comme d’un bien privé. On eût dit, de deux fermiers trafiquant, sans les consulter, des domaines de leurs maîtres. L’infatuation du système monarchique ne pouvait aller plus loin. Louis fut surpris du déchaînement unanime que souleva un acte pareil.
La reine Anne d’Autriche, le chancelier Séguier, le plus obséquieux des hommes, Turenne, le plus réservé, la cour, le parlement, les princes du sang désapprouvèrent hautement. Mais le roi ne fut pas ébranlé par cette rumeur universelle, il s’obstina et ordonna que le traité fût enregistré au parlement. Les magistrats n’auraient eu garde de résister. Mais, ils tournèrent la difficulté en introduisant dans la formule de vérification, cette clause, que le droit des princes lorrains de succéder à la couronne de France ne s’ouvrirait pour eux, que lorsque chacun d’eux aurait individuellement adhéré à la réunion de la Lorraine à la France.
On savait bien que le duc Nicolas-François et son fils Charles ne donneraient pas leur signature. Charles IV protesta vainement contre la restriction qui devait, de fait, annuler les effets du contrat. On ne s’explique pas bien pourquoi Louis XIV voulut aller jusqu’au bout. Il tint un lit de justice en grand appareil le 27 février.
Personne, bien entendu, ne résista : Séguier lui-même loua le traité qu’il avait blâmé, publiquement les princes du sang n’ouvrirent pas la bouche, les ducs et pairs se turent, aucun magistrat ne prit la parole.
Si en France, la conscience publique fut révoltée par ce scandaleux marché, en Lorraine, une protestation indignée éclata dans la population tout entière. Cette petite nationalité, qui avait tant lutté et tant souffert pour maintenir son indépendance, se soulevait contre la trahison de son souverain qui, pour des intérêts personnels, pour la satisfaction de ses haines de famille, la vendait à l’oppresseur étranger.
Les images du prince, qu’on trouvait jusque dans les cabanes, furent partout déchirées. Des imprécations se firent d’un bout du pays à l’autre. La Cour souveraine, sanctionnant la réprobation populaire, prononça dès le mois de février un arrêt qui déclarait le traité de Montmartre nul et de nul effet.
Nicolas-François et son fils protestèrent sous toutes les formes, mais firent vainement appel à l’équité royale. Le prince Charles, qui était surveillé, s’échappa du Louvre et se réfugia en Franche-Comté, puis en Italie, puis à Vienne. Il écrivit aux seigneurs de l’ancienne Chevalerie, réclamant leur fidélité et leur promettant de leur donner un jour satisfaction.
Charles IV éprouva-t-il quelque remords en présence de cette agitation nationale ? Il était difficile de lire dans cette âme troublée et si changeante.
Tout à coup, on le vit se rapprocher de son frère et parler de son neveu comme de son véritable héritier. C’est qu’il avait besoin d’eux pour l’exécution d’un dessein qu’il poursuivait avec sa passion ordinaire. Il s’était épris, à Paris, d’une jeune fille douée des plus rares qualités, mais qui était très modestement la fille d’un apothicaire.
Elle se nommait Marianne Pajot. Il avait résolu de l’épouser. La duchesse d’Orléans en fut avertie et sollicita l’intervention du roi. Celui-ci, avec son despotisme habituel, oubliant qu’il n’avait aucun droit à se mêler des affaires privées d’un prince souverain, fit enlever la jeune fille qui fut enfermée dans un couvent.
Marianne Pajot épousa plus tard le marquis de Lassay. C’était une femme d’un haut mérite. On est porté à croire que son mariage avec le Duc – morganatique au besoin – eût été avantageux à la Lorraine. Comme elle joignait à un grand charme, un caractère aussi ferme qu’élevé, elle aurait exercé sans doute assez d’empire sur son mari pour mettre fin à ses déportements et même à son agitation politique.
Charles, après beaucoup de bruit, se consola assez vite. Il entama un nouveau projet de mariage avec Mle de Saint-Remy, fille d’un maître d’hôtel de la duchesse d’Orléans. Mais on fit aussi disparaître cette seconde fiancée. Enfin, dégoûté de la cour de France où il avait perdu tout prestige et même toute considération, il se décida à résider en Lorraine (mai 1662).
Charles IV revenait presque dépopularisé, malgré la fidélité tenace des Lorrains. Il avait vieilli : ses traits, autrefois très beaux, s’étaient creusés, ridés et durcis. Toutefois, il avait conservé sa force herculéenne et la souplesse qui en faisait un admirable jouteur dans les exercices chevaleresques. Il s’étourdissait dans les fêtes, mécontent de tous, mais faisant visage gai à la mauvaise humeur générale.
Le roi ne le perdait pas de vue, et s’il n’insistait pas pour l’exécution intégrale du traité de Montmartre, il exigeait du moins qu’il lui livrât sans délai la ville de Marsal.
Le Duc répondait par des défaites, tâchait de gagner du temps. Louis XIV se lassa et menaça de venir lui-même occuper la forteresse. Charles n’avait garde de se défendre. Mais son neveu, ayant connu à Vienne le bruit de cette expédition, monta à cheval et galopa jusqu’à Marsal où il prit des mesures pour se défendre. Son oncle lui intima l’ordre de retourner immédiatement en Autriche.
Au mois d’août, le roi réalisa sa menace. Il chargea le maréchal de La Ferté d’investir Marsal, et lui-même, accompagné de toute la jeune noblesse, s’avança jusqu’à Metz. Le Duc ne fit même pas mine de résister et, le 31 août 1663, ses représentants signèrent à Nomeny, le traité dit de Marsal, aux termes duquel la place fut livrée dans les trois jours. Il alla ensuite saluer le roi à Metz. Il ne fut plus question du pacte de Montmartre et les troupes françaises vidèrent le pays.
Ce traité de Nomeny excita une joie extraordinaire dans toute la Lorraine. On y vit la cessation définitive de l’occupation. Charles y trouva même un regain de popularité. Lorsqu’il se rendit à Nancy, il y fut accueilli par les acclamations d’autrefois. Toujours bizarre, il eut cette fantaisie d’entrer comme un victorieux, non par la porte Saint-Nicolas, mais par une brèche qu’avaient ouverte les démolisseurs français.
Il avait beau vieillir, il n’en restait pas moins romanesque. Pendant un assez long séjour qu’il fit à Mirecourt, il avait rencontré à l’abbaye de Poussay, une jeune chanoinesse de 15 ans, Isabelle de Ludres, appartenant à l’une des familles les plus considérables de la Chevalerie lorraine. Il s’en éprit passionnément et demanda sa main. La jeune fille, flattée de monter au rang de souveraine, l’accorda volontiers. La famille, justement méfiante, exigea que le duc se liât devant l’autel. Le curé de Richardménil célébra les fiançailles.
Mais alors, intervint Béatrix de Cusance, qui s’avança jusqu’à Mattaincourt pour faire valoir des droits supérieurs, puisqu’elle avait même été mariée. Le Duc refusa de la voir et lui enjoignit durement de retourner à Besancon. Béatrix, qui voyait ainsi s’évanouir le rêve de sa vie, se sentit frappée mortellement.
Elle tomba si gravement malade, qu’on désespéra d’elle. Elle ne demanda plus, comme grâce dernière, qu’une cérémonie qui lui permît de mourir épouse légitime. Charles, s’étant assuré par les médecins qu’elle n’en échapperait pas, consentit et envoya le sire de Risaucourt pour le représenter dans ce mariage in extremis (20 mai 1663).
Quant à la jeune chanoinesse, elle fut atteinte d’une affection inquiétante qui avait toutes les apparences d’un empoisonnement. Pendant qu’on la soignait, le Duc l’oublia et ne tarda pas à rechercher une nouvelle compagne. Ce fut Mle d’Apremont, fille d’un seigneur du Barrois, qui lui avait fait la guerre et s’y était ruiné. Marie-Louise d’Apremont entrait à peine dans sa quatorzième année.
Au bruit de ces fiançailles extravagantes, la chanoinesse et sa mère, la comtesse de Ludres, formèrent opposition entre les mains du prévôt de Saint-Georges et de trois curés de Nancy. Mais cet obstacle n’était pas pour arrêter un vieillard insensé. Il chargea le procureur général Canon de le débarrasser de l’opposition. Le magistrat complaisant fit arrêter la mère et la fille, et menaça Isabelle de Ludres « de lui faire mettre la tête à ses pieds comme à une faussaire et à une criminelle de lèse-majesté » si elle persistait dans ses réclamations. Elle se désista.
Isabelle de Ludres devint plus tard fille d’honneur de la reine, puis de la duchesse d’Orléans (la Palatine). Pour son éclatante beauté, on l’appela à la cour et en Lorraine, la Belle de Ludres.
Et, le 4 novembre 1665, non sans quelque honte d’une union si disproportionnée, Charles IV épousa presque clandestinement sa fiancée de treize ans. Il était lui-même dans sa soixante-deuxième année. Après quinze jours de mystère, il se fatigua de cette contrainte, annonça publiquement son mariage, et la nouvelle duchesse fit son entrée solennelle dans la capitale de la Lorraine.
Les joies de cette union sénile ne suffirent pas à remplir tout entier le coeur de Charles. Une autre passion, bien autrement impérieuse, le tourmentait. Il était avant tout un homme de guerre, et le repos lui pesait. Il se flattait de trouver dans de nouveaux conflits, les moyens de se venger de tous les déboires que lui avait infligés Louis XIV.
Il reforma peu à peu cette armée lorraine qui s’était acquis un renom sans égal en Europe. Il s’essaya dans des querelles de mince importance sur sa frontière du côté de l’Allemagne, contre l’Electeur palatin.
Louis XIV finit par s’impatienter et le somma de lui envoyer son armée qui, en effet, servit la France pendant la courte guerre du Droit de dévolution. Mais la campagne finie, il refusa de la licencier complètement, et s’enfonça de plus en plus dans des intrigues qui devaient le ramener fatalement à une lutte ouverte.
C’est au milieu de ces difficultés, et voyant se former l’orage, que Charles imagina, pour intéresser le ciel même à sa défense, de faire donation de ses États à la Sainte-Vierge (22 janvier 1669). Il disait : « On n’osera pas faire la guerre à la mère de Dieu ! ». Il est vrai qu’en même temps, il nommait des collecteurs de l’impôt dû à la nouvelle souveraine pour son joyeux avènement.
Il chercha à entrer dans la triple alliance que la Hollande formait contre Louis XIV, avec l’Espagne et l’Autriche. Le roi, instruit de toutes ses menées, grondait dans son Louvre : « Dites à Monsieur de Lorraine que si je mets une fois le pied à l’étrier, il ne rentrera jamais dans ses Etats ».
Mais, au grand détriment de son honneur, le roi, au lieu de mettre le pied à l’étrier et d’entrer franchement en campagne, commit une vilaine action, en essayant d’enlever le Duc dans un véritable guet-apens.
Deux agents se présentèrent d’abord à Nancy et engagèrent des pourparlers diplomatiques en apparence (23 août 1670). Mais trois jours après, au matin, le Duc, tenant séance avec son conseil, apprit que des troupes françaises, conduites par le comte de Fourille, s’étaient glissées pendant la nuit dans la forêt de Haye et se dirigeaient sur sa capitale.
Il n’eut que le temps de monter à cheval et de s’échapper. Il arriva à dix heures du soir, exténué, couvert de boue, dans un château près de Mirecourt. La châtelaine lui demandant s’il s’était égaré à la chasse. « Non, répondit-il, je ne suis pas le chasseur, je suis le gibier qui se sauve ! ».
Peu après, le maréchal de Créqui entrait dans Nancy avec 25 000 hommes. Il y passa quarante-huit heures installé au palais ducal, couchant insolemment dans le lit du Duc. La noblesse rejoignit Charles IV à Épinal. Mais toute résistance était impossible. Le maréchal s’empara sans difficulté des places où le Duc avait pu mettre quelques soldats. Châtel, Épinal, Longwy firent à peine un semblant de défense. En six ou sept semaines, la Lorraine était entièrement occupée.
Charles, après avoir erré dans les cantons les plus sauvages des Vosges, où il songeait sans doute à organiser une guerre de partisans, craignit de tomber aux mains de Créqui, et se décida à passer en Allemagne. Il y fut rejoint par un grand nombre de gentilshommes et par les soldats de ses vieux régiments.
Enfin, après avoir tenté en vain de nouvelles négociations avec Louis XIV, il se donna entièrement à la coalition contre laquelle la France entreprenait la guerre, qu’on a appelée la guerre de Hollande.
Charles IV y prit une part brillante, mais toujours dans une situation secondaire. Il obtint, grâce à son activité et à sa science de manoeuvrier, des avantages qui ajoutèrent à sa gloire militaire. Il était avec les alliés pendant cette admirable campagne de 1674 menée en Alsace par Turenne, et se consola de la défaite de ses amis par une raillerie : « J’ai vu un prince par la grâce du roi faire repasser le Rhin à cinq princes par la grâce de Dieu ! ».
En 1673, Louis XIV, passant en Lorraine pour aller conquérir la Franche-Comté, s’était arrêté quelques jours à Nancy. Il logea avec la reine et la cour au palais ducal et il en vanta le bon aménagement. « Le Louvre, dit-il, n’est pas plus habitable ! ».
Charles eut du moins la joie suprême pour son coeur de soldat. Après la mort de Turenne (1675), il dirigea les opérations avec une vraie supériorité et eut le plaisir de battre à Consarbrück le maréchal de Créqui, l’impitoyable oppresseur de la Lorraine (11 août 1675). Il se flattait d’envahir l’Alsace et de reconquérir bientôt son duché. Il songeait aussi, et cette fois sérieusement, étant dégoûté de ses alliés, à faire un traité définitif avec la France.
Mais une apoplexie foudroyante l’enleva dans la nuit du 17 au 18 septembre 1675. Ses soldats le pleurèrent.
La Lorraine, dans sa fidélité opiniâtre, s’émut de la disparition du héros fantasque qui avait été un si mauvais maître et lui avait fait tant de mal, et qui, après lui avoir pris pendant cinquante ans son dévouement aveugle, le sang de ses enfants, ses richesses, l’avoir dépeuplée, couverte de ruines, livrée aux aventuriers, à la famine et à la peste, ne lui avait rien laissé en échange, ni une institution, ni un monument, ni des travaux utiles, pas même une autre fondation que Bosserville.
Comment expliquer la popularité persistante d’un tel souverain ?
M. de Dumast a dit le mot juste : « Le Duc, quel qu’il fût, était un symbole vivant de l’indépendance nationale. L’amour célèbre des Lorrains pour leurs princes n’était que l’amour de la patrie ! ».