Les ordres de chevalerie des états de Lorraine et de Bar
D’après une parution dans « Gesellschaft für lothringische Geschichte und altertumskunde, Metz »
par Ad. Lang – Année 1862.
Origine des ordres de chevalerie
Il est assez généralement admis que l’origine des ordres de chevalerie doit être rapportée aux croisades. On cherche dans les ordres célèbres d’Alcantara, de Calatrava, du Temple, ou de Saint-Jean de Jérusalem, l’idée première qui, s’adaptant aux changements des mœurs avec la marche des siècles, a produit d’abord les ordres de l’Éléphant, de la Jarretière, de l’Annonciade et de la Toison-d’Or, et plus tard ces myriades d’ordres équestres, indispensables à la constitution de chaque nouvel état et à l’installation de chaque nouvelle dynastie.
En admettant cette généalogie du principe équestre, il faut refuser d’admettre tous les ordres antérieurs à l’époque des croisades, et considérer comme fabuleux les ordres des Chevaliers Dorés, de la Sainte-Ampoule, de la Couronne Royale, etc., etc., attribués à Constantin, à Clovis et à Charlemagne.
Peut-être est-on sur ce point trop exclusif, et en dégageant les vieilles légendes du Saint-Graal et de la Table-Ronde, de l’entourage fabuleux dont se sont plus à les entourer la verve inspirée des troubadours et la crédulité des chroniqueurs, on peut y retrouver un germe de chevalerie bien antérieur aux luttes contre les infidèles, et bien plus conforme à l’esprit actuel des Ordres de chevalerie.
Aussi loin que les traditions des peuples accusent l’existence de rangs privilégiés, on trouve deux castes de noblesse :
- - L’une, héréditaire ; c’est la noblesse des noms et des familles.
- - L’autre, personnelle ; c’est le caractère distinctif des ordres de chevalerie.
Cette seconde classe d’aristocratie a été admise par les Grecs comme par les Romains. Et les couronnes d’or données aux vainqueurs des jeux olympiques, comme celles décernées aux triomphateurs du Capitole, ne sont, à vrai dire, que les insignes d’ordres de chevalerie.
Lorsque, dans une tribu sauvage, la bravoure et les services rendus par un individu, sont constatés par le nombre et la forme des tatouages qu’il porte sur la poitrine, n’est-ce pas là encore le caractère distinctif de cette noblesse personnelle que nous appelons ordres de chevalerie ?
Une décoration est une distinction personnelle honorifique. La réunion des hommes décorés d’une même distinction personnelle constitue en principe un Ordre de Chevalerie.
Je ne vois rien là qui rappelle l’idée des Croisades. Cependant je ne nierai pas que les Ordres militaires et religieux de la Terre-Sainte n’aient été le point de départ de beaucoup d’Ordres de chevalerie, et n’aient apporté de nombreuses modifications dans les statuts de ceux qui pouvaient exister antérieurement.
En résumé, je ferai dériver les Ordres de chevalerie de deux principes :
- - L’un passif, qui remonte à la plus haute antiquité et rappelle l’idée d’honneur et de gloire en mémoire de faits accomplis ;
- - L’autre actif, qui date des guerres contre les infidèles et comporte l’idée de devoir et de courage en vue de faits à accomplir.
Ces deux principes ont trop de points communs, on le comprend aisément, pour n’avoir pas tendu à se fusionner plus ou moins, et c’est de la combinaison de ces deux idées primitives que sont sortis les statuts de la plupart des ordres de chevalerie modernes.
Ordre militaire d’Austrasie.
Si les grands événements qui se sont accomplis de loin en loin dans l’histoire des nations, ont suggéré aux princes de toutes les époques la pensée d’en consacrer la mémoire par quelque institution particulière, nous ne devons pas être étonnés qu’un tel sentiment se fût présenté à l’esprit du duc Charles d’Austrasie, lorsque son armée victorieuse eut sauvé la France de l’envahissement des Arabes. Le désastre de Tours a été le premier échec de l’islamisme, qui, depuis cent ans, triomphait de tous les obstacles et absorbait successivement tous les peuples avec une effrayante et irrésistible rapidité.
Charles Martel, auquel sa victoire a valu son glorieux surnom, distingua sur le champ de bataille les plus illustres chefs de l’armée, et leur fit prendre pour emblème la genette, en mémoire de quelques-uns de ces animaux qui furent trouvés en vie dans le camp d’Abdérame.
Cette institution, faite en l’an 732, prit tous les caractères d’un Ordre de chevalerie. Le duc d’Austrasie en fut le chef comme le fondateur. Il fixa le nombre des chevaliers à seize, et distribua lui-même le collier aux princes qui furent admis dans l’Ordre.
Les sept premiers titulaires de l’Ordre militaire de la Genette furent les suivants :
1. Charles, duc d’Austrasie, chef de l’Ordre ;
2. Childebrand, prince d’Austrasie ;
3. Eudes, duc d’Aquitaine ;
4. Carloman, prince d’Austrasie ;
5. Pépin, prince d’Austrasie, depuis roi de France ;
6. Luitprand, prince de Lombardie ;
7. Odilon, duc de Bavière.
Les chevaliers de la Genette devaient s’engager à exposer leur vie en combattant les infidèles, en défendant l’État et la Religion.
Pépin-le-Bref, en devenant roi de France, aurait réuni la maîtrise de l’Ordre militaire d’Austrasie à la Couronne, mais comme on n’en trouve pas de traces ultérieures, il y a lieu de supposer que son existence ne s’est pas prolongée au-delà du règne de Pépin.
Certains auteurs lui accordent une plus longue durée, et d’après eux, l’Ordre de la Genette aurait été aboli seulement en 1022, par le roi Robert qui le remplaça par l’Ordre de Notre-Dame de l’Étoile (Réformé sous Jean-le-Bon en 1351, et devenu Ordre militaire de l’Étoile).
Sans prétendre que l’ordre d’Austrasie a eu une existence réelle, j’ai voulu le présenter sous une apparence vraisemblable en négligeant les détails variés rapportés par les chroniqueurs, et auxquels il ne faut pas ajouter plus de foi qu’au chiffre de trois cent soixante et quinze mille Sarrazins qui auraient été tués, avec Abdérame, à la bataille de Tours.
« Après quoi, ayant poursuivi le reste, il (le duc) purgea heureusement la France de cette malheureuse engeance ». Mais si ce récit ampoulé n’atténue en rien l’importance de cette bataille au point de vue de l’histoire, de même les exagérations dont on a entouré l’Ordre de la Genette peuvent s’appliquer à une institution dont l’existence a été réelle.
Je ne puis terminer cet article sans donner la description des insignes de l’Ordre, tels qu’ils nous sont transmis par les anciens historiens.
Le collier de l’Ordre, qui était d’or, entrelacé de roses émaillées de gueules, suspendait une genette d’or émaillée de sable et de gueules, sur une terrasse de sinople émaillée de fleurs. Ces insignes, qui sont donnés par Hermant, ne sont pas entièrement conformes à la description qu’on trouve dans Moréri. D’après cet auteur, le collier était d’or à trois chaînons entrelacés de roses émaillées de fleurs.
On remarquera que la différence entre ces descriptions consiste surtout dans le collier de France porté par la genette, lequel peut n’avoir été introduit dans les insignes qu’après l’avènement des princes austrasiens sur le trône de France.
Ordres militaires de Lorraine.
Le véritable esprit du moyen âge, développé par l’influence des croisades, se retrouve dans un ordre de chevalerie, institué en Lorraine, à la fin du XIVe siècle. Le duc Jean Ier, voulant réprimer les désordres dont souffrait le peuple des campagnes, ne crut pas trouver de meilleur moyen pour arriver à ce but que de lier les gentilshommes, en établissant un code d’honneur et en développant les sentiments de dévouement et de générosité.
Il établit un ordre de chevalerie, dont le siège était l’église collégiale de Saint-Georges à Nancy. Les statuts et la liste des premiers chevaliers étaient conservés dans le Trésor des Chartes, mais ils ont été perdus on ne sait à quelle époque.
Les confrères étaient désignés sous le nom de Chevaliers aux blanches manches, ce qui indique suffisamment les signes distinctifs propres à cet Ordre.
La durée de cette institution ne peut être établie d’une manière certaine, et il y a lieu de croire qu’elle s’est éteinte avec le duc Jean, son fondateur.
Un demi-siècle plus tard, un autre ordre de chevalerie fut institué par le duc de Lorraine, René Ier.
Ce prince, qui porta le titre de roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem, et qui gouverna, outre la Lorraine, le duché d’Anjou et le comté de Provence, établit à Angers, le 16 mars 1448, l’Ordre militaire du Croissant, l’un des ordres les plus importants de cette époque et dont les chevaliers ont figuré avec éclat à côté des Chevaliers de Saint-Michel, de la Jarretière et de la Toison-d’Or.
Je ne m’appesantirai pas sur un ordre de chevalerie qui, bien qu’institué par un duc de Lorraine, a spécialement fleuri dans le duché d’Anjou. Je dirai seulement que cet ordre du Croissant paraît n’avoir été qu’une réforme de l’Ordre du Navire, dit d’Outre-Mer et du Double-Croissant, établi, en 1269, par saint Louis, roi de France, à la veille du départ de l’armée pour la dernière croisade.
L’Ordre du Navire, dit d’Outre-Mer et du Double-Croissant, a donné en outre naissance aux cinq Ordres de chevalerie suivants :
1269 : Ordre militaire du Croissant (on de l’Étoile), à Naples, créé par Charles Ier.
1573 : Ordre de la Nef, ou du Navire, à Naples, créé par Charles III.
1381 : Ordre des Argonautes de Saint-Nicolas, à Naples, créé par Charles III.
1455 : Ordre de la Lune, en Calabre, créé par Jean d’Anjou.
1581 : Noble Académie des Chevaliers de l’Étoile, à Messine.
La réforme de René Ier n’admettait que trente-six chevaliers. Pour y être admis, il fallait posséder les titres de duc, prince, marquis, comte ou vicomte, et être gentilhomme de quatre races. Parmi les premiers chevaliers de l’Ordre, on trouve des membres des familles de Montmorency et de Champagne.
Les insignes consistaient en un croissant d’or porté sur le bras droit avec une légende en lettres d’azur émaillées de gueules : Loz, loz en croissant.
Ce même signe se portait sur le côté droit de l’habit ou de la soutane, pendue à une triple chaîne d’or. Au croissant d’or, étaient appendus de petits bâtons d’or façonnés en colonnes ou ferrets d’aiguillettes d’or, émaillées de gueules, ce qui voulait signifier que les chevaliers s’étaient trouvés en autant de batailles ou siéges de ville qu’il y avait de bâtons appendus au croissant. Cette décoration « faisait ainsi reconnaître leur vaillance et leurs prouesses ».
L’habit de cérémonie ou manteau d’apparat était de velours cramoisi, fourré d’hermine pour le chef de l’Ordre, et de vair pour les chevaliers ; leur mantelet était de velours blanc ; enfin la doublure et la soutane étaient blanches. Au-dessous de cette robe, une deuxième robe de damas gris, fourrée de même. Le chaperon était de velours noir, brodé d’or pour les chevaliers et d’argent pour les écuyers.
L’Ordre du Croissant s’est éteint en 1480 par la mort du roi René, suivie de la réunion de l’Anjou à la France.
En 1455, Jean II, duc de Lorraine, héritier du roi René et des prétentions angevines au trône de Naples, institua en Italie l’Ordre de la Lune, qui n’est à proprement parler qu’une réforme de l’Ordre précédent et des Ordres établis antérieurement à Naples par les princes de la maison d’Anjou.
Le duc Jean avait pris le titre de roi de Naples, et pendant son voyage dans les Deux-Siciles, il destina cet Ordre à récompenser les chevaliers napolitains qui restaient fidèles à sa dynastie. Il fit alors une assez forte promotion de chevaliers de la Lune, parmi lesquels fut le prince Robert de San Severino.
Les insignes étaient une lune d’argent portée au bras, et la même figure suspendue au cou par un collier d’or. L’existence de cet Ordre ne s’est pas soutenue.
Pour en avoir fini avec les états de Lorraine, il me reste à mentionner l’Ordre de Saint-Nicolas, ou Ordre de Lorraine (appelé aussi Ordre de la Mère de Dieu).
Cet ordre a été projeté au commencement du XVIIe siècle par Henri-le-Bon, duc de Lorraine.
Les chevaliers de Saint-Nicolas se seraient engagés à « aider la chrestienté contre le Turc ». Les ducs de Lorraine auraient été grands-maîtres. Il y aurait en un maréchal, un chancelier, un trésorier, un secrétaire, deux chapelains, deux huissiers et un nombre de chevaliers qui n’était pas limité dans le projet.
Les postulants n’auraient été reçus qu’à l’âge de dix-huit ans accomplis. Le collier de l’Ordre aurait été blanc, avec l’image de Notre-Dame sur une croix de Lorraine.
Mais pour des motifs restés inconnus, le duc Henri ne donna pas suite à son projet, et l’Ordre, qui fut adopté plus tard comme ordre noble de Lorraine, a été le suivant, dont l’institution est due aux comtes de Bar.
Ordre de chevalerie du comté de Bar, devenu Ordre noble de Lorraine et de Bar.
Le 31 mai 1416, Louis Ier, comte de Bar, institua l’Ordre du Lévrier, destiné à récompenser les services rendus et à resserrer les liens entre les gentilshommes barisiens et leur souverain.
En 1422, le même prince changea et augmenta les statuts de l’Ordre militaire du Lévrier, et le plaça sous le patronage ou l’invocation de saint Hubert.
Resté ordre noble du cornté de Bar pendant plus de trois siècles, l’Ordre de Saint-Hubert n’a pas cessé de comprendre au nombre de ses chevaliers les meilleurs gentilshommes du Barrois. C’est à tort qu’il a été confondu avec plusieurs Ordres du même nom, et c’est ce qui a pu faire croire que dès le XVIIe siècle l’institution barisienne avait été transplantée en Allemagne.
En 1740, Stanislas, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, réforma la constitution de l’Ordre de Saint-Hubert et lui donna le titre d’Ordre noble des duchés de Lorraine et de Bar.
En 1766, à la mort du roi Stanislas, le roi Louis XV prit sous sa protection spéciale ceux des chevaliers de SaintHubert qui voulurent devenir Français lors de la réunion des duchés au royaume. Une partie des membres de l’Ordre se retira en Allemagne, auprès des anciens princes lorrains.
En 1783, le roi Louis XVI modifia de nouveau les réglements de l’Ordre. Le même prince, par lettres-patentes de janvier 1786, autorisa les chevaliers de Saint-Hubert à fonder, dans l’hôpital de Bar, un établissement pour les pauvres.
Supprimée en 1792, la partie française de l’Ordre de Saint-Hubert est allée se fondre en Allemagne avec la fraction qui en était séparée depuis 1766.
En 1806, le siége de l’Ordre a été transféré à Francfort, et la grande-maîtrise a été acceptée par Charles de Dalberg, grand-duc de Francfort, prince primat de l’Église catholique d’Allemagne, archevêque de Ratisbonne et président de la confédération du Rhin (électeur de Mayence, ai’chichancelier du Saint-Empire avant 1806).
Ce prince adopta l’Ordre de Saint-Hubert pour le grand-duché de Francfort.
En 1815, les traités, qui bouleversaient de nouveau l’Europe, supprimèrent le grand-duché de Francfort. L’Ordre de Saint-Hubert reprit le titre d’Ordre noble de Lorraine et de Bar. Le duc de Dalberg conserva la grande maitrise jusqu’à sa mort, en 1817. Elle fut alors conférée à Louis -Marie-Céleste d’Aumont de Rochebaron, duc de Piennes, lieutenant-général des armées françaises, chevalier des Ordres de Saint-Louis, de la Légion d’honneur et de l’Épée de Sicile.
Enfin, reporté en Allemagne en 1830, l’Ordre de Saint-Hubert a pris dans cette cinquième période un caractère moins politique et paraît s’être consacré presque exclusivement aux œuvres de bienfaisance.
Sous la restauration, des démarches ont été faites par des personnes notables pour obtenir la reconnaissance officielle et le maintien de l’Ordre de Saint-Hubert. Malgré leurs efforts, cette institution a cessé de subsister dans le Barrois et en France, faute de dignitaires et de membres. Mais il n’a jamais été supprimé.
Les archives de l’Ordre existent encore à Bar-le-Duc. On peut y trouver des empreintes du sceau sur des pièces appartenant à des familles dont les auteurs en ont fait partie.
Les insignes de l’Ordre, dans sa deuxième période, consistaient en une croix d’or octogone, aux armes de Lorraine. Le médaillon central représentait l’adoration de saint Hubert. Le ruban était rouge et porté en écharpe.