Les ruines du prieuré de Bonneval
Il y avait autrefois, dans la vallée de Bonneval, un prieuré de chanoines réguliers de l’ordre de St-Augustin, fondé au XIe siècle. Ce prieuré, sous l’invocation de Notre-Dame, n’était, dans l’origine, qu’un petit ermitage qui servit de retraite à Wichard, frère d’Engibalde, fondateur d’Hérival. Mais cet ermitage, s’étant accru par les aumônes et les donations qu’on lui fit, devint par la suite un prieuré.
Ce prieuré fut détruit en 1793. Une partie du chœur de l’église, avec une voûte en ogives, subsiste encore. Je trouve les ruines de ce prieuré magnifiques et je vous propose de découvrir l’historique de la fondation de ce prieuré et les règles en vigueur pour les ermites.
Les photos sont publiées avec l’aimable autorisation de Patrick Nouhailler.
D’après des extraits de « Mémoires de la Société d’archéologie lorraine » – 1910
Le XIe et le XIIe siècles sont marqués, dans l’histoire des domaines soumis à la juridiction des anciens comtes du Bassigny et de leurs descendants ou collatéraux, les comtes de Clefmont (Haute-Marne), par une rare efflorescence de fondations religieuses, monastiques ou érémitiques.
Riquin de Darney érige le prieuré de Relanges vers 1030. Renard II de Fontenoy, comte de Toul, donne en 1048 une nouvelle splendeur à Bleurville, bâti par ses aïeux. Gauthier Ier de Deuilly élève le monastère que protège son donjon, en 1044. Saint-Jacques de Sionne, près de Neufchâteau, apparait en 1097 par les soins de la famille de Bourlémont-Brissey-Coussey. Morimond surgit, en 1109, sur les terres des sires d’Aigremont et des comtes de Clefmont. En 1140, Flabémont prend place à côté de Deuilly, grâce à Guy d’Aigremont. Bonfays voit le jour en 1145 et reçoit les largesses de Simon III, comte de Clefmont, et de son frère Wichard II, sire de Monthureux-le-Sec. Droiteval s’élève à la même époque par les soins d’Aubert III de Darney, d’Elvide sa femme et de Liétard leur fils. Enfin, vers le même temps, le comte Simon III et Wichard de Monthureux fondent un domaine de Templiers sur leurs terres d’Esley.
Au début du XIIe siècle, sous le gouvernement du comte Humbert de Clefmont ou de son fils le comte Simon II, seigneur de Monthureux-le-Sec, Thuillières et partie de Saint-Baslemont, la vie érémitique vint s’établir à côté de la vie monastique de Relanges. Les deux gorges de Chèvreroche et de Bonneval se peuplèrent de cellules anachorétiques.
Le premier noyau fut fixé d’abord sur les terres des sires de Saint-Baslemont, sur la rive droite du ruisseau de Bonneval, au pied d’un ancien châtelet ou enceinte gauloise et les premiers ermites qui à cette époque s’arrêtèrent dans ce vallon désert lui donnèrent le nom de Bonneval. C’est qu’en effet, enfoncé dans les grands bois, resserré entre les coteaux de la Sallon, de la Voivre et de Heyblemont, il est abrité de toutes parts et offre les avantages de la vie solitaire.
En quittant Saint-Baslemont, une marche d’une demi-heure conduit à Bonneval. On se dirige vers les anciennes granges de Bonfays, mais quelque cents mètres avant d’y arriver, il faut obliquer brusquement à droite, vers le sud-ouest. Par un mauvais chemin menant à Relanges, on pénètre en forêt et, après une descente assez raide de dix à quinze minutes, on débouche dans un vallon encaissé, face à l’enceinte gauloise. Immédiatement se présente un ancien moulin seigneurial, qui tombe en ruines. Le chemin, passant sur le bief de ce moulin, pique brusquement sur Relanges, et laisse à droite une jolie chapelle moderne pour longer les décombres d’une église antique. Ce vieux moutier croulant est ce qui reste du prieuré de Bonneval.
Inspectons ces débris d’un autre âge. Ce qui frappe d’abord, c’est le choeur, en partie debout, avec deux baies cintrées, étroites, hautes de 1,50m, trois colonnettes engagées, ornées de leurs chapiteaux sculptés et réunies par une frise à moulures. En dessous de la frise, on voit une très jolie piscine trilobée, enfoncée dans la muraille du côté de l’épître et garnie de bordures à boudin. La voûte n’existe plus, mais le chœur est accosté d’une chapelle, dont la voûte, à anse de panier, a résisté aux injures du temps.
Au fond de cette chapelle se trouve une porte étroite qui semble avoir communiqué avec le prieuré et, sur la droite, se voit une autre piscine, plus simple et plus petite que la précédente, affectant le plein cintre et n’ayant qu’une rainure pour toute ornementation. Le choeur et la chapelle se terminent à pan droit.
L’église est orientée du nord-ouest au sud-est. A huit mètres environ du choeur et vis-à-vis la petite chapelle, par conséquent sur le côté nord-ouest, on remarque les restes d’une tour ronde dont les marches d’escalier ont été arrachées. Ces débris peuvent avoir encore quatre à cinq mètres d’élévation.
Entre ces deux vestiges se trouve un amoncellement de pierres, de platras, dans lequel un fouillis de broussailles a plongé ses racines. De ce qui reste, on peut facilement juger que cette église était du XIIe siècle. Les baies, les sculptures des chapiteaux, de la frise et des piscines, accusent le roman pur. Seule, la piscine trilobée du choeur indiquerait la transition vers le gothique.
L’histoire nous apprend que deux frères, originaires de Remiremont, furent, à la fin du XIe siècle, fondateurs d’ermitages qui ont subsisté, plus ou moins transformés, jusqu’à la Révolution. Ces deux ascètes, avant de choisir leur genre de vie, étaient attachés au service du Chapitre de Remiremont.
Ils se nommaient, l’un Engibalde, l’autre Wichard. On retrouve le nom du premier à côté de celui d’Anténor, fondateur des ermites du Châtelet (tertre entre Remiremont et Saint-Étienne, qui a presque disparu), dans le manuscrit de la bibliothèque romaine de l’Angelica (codex liturgique remiremontais, tenu à jour pendant les Xe, XIe, et XIIe siècles), parmi les témoins des donations faites au Chapitre sous les abbatiats d’Ode de Luxembourg et de Gisèle II.
Dom Calmet nous dit qu’Engibalde était prêtre et, de fait, l’ancienne règle d’Hérival, donnée par Constantin, troisième supérieur des ermites, le désigne sacerdos quidam, Ingibaldus nomine, de locis Vosagensibus oriundus.
Quant à Wichard, la même règle dit qu’il était dans le monde lorsqu’Engibalde se retira au désert et que celui-ci détermina son frère à adopter son genre de vie. Le manuscrit de l’Angelica fait mention, à plusieurs reprises, d’Engibalde. On le trouve cité comme laïque, puis, lorsqu’il fût prêtre, comme hebdomadaire ou prêtre semainier du Chapitre, et même, une fois, comme secrétaire-chancelier.
Les religieux du Romberg ou Saint-Mont, qui, depuis l’invasion des Hongrois, s’étaient fixés à Remiremont, desservaient l’église de l’abbaye et prenaient soin des affaires temporelles des dames, comme il se pratiquait ordinairement dans les monastères doubles. Mais, sur la fin du XIe siècle, en 1074, selon les uns, en 1083, plus probablement, ces religieux commencèrent à déplorer le relâchement qui se remarquait sensiblement dans le noble Chapitre. Ils prirent la résolution de fuir une vie désormais trop peu conforme aux règles monastiques, et de délaisser des religieuses trop peu édifiantes, auprès desquelles leur ministère était frappé de stérilité. En conséquence, ils se retirèrent dans la solitude, pour y vivre dans une plus exacte observance des conseils de l’Évangile.
Anténor s’établit au Châtelet d’abord, puis, se trouvant trop près de Remiremont, il regagna le Saint-Mont avec quelques compagnons. Le vénérable Séhérus, de son côté, se fixa avec d’autres disciples en un lieu désert, nommé Chaumousey, où il bâtit la célèbre abbaye qui, au XVIIIe siècle, eut la gloire de compter saint Pierre Fourier parmi ses religieux.
Engibalde s’enfonça dans les sombres forêts au sud-ouest de Remiremont et se fixa en un bois, sur une côte, appelée maintenant le Ban-Nord, située à égale distance de la gorge du Villerin et de celle d’Hérival. Ce lieu montre encore les ruines connues sous le nom de « Vieilles Abbayes ». L’abbesse Gisèle II, qui avait pour Engibalde une grande vénération, l’encouragea dans son dessein, le favorisa de ses bienfaits et, d’une main libérale, lui transporta, du consentement de son Chapitre, en toute propriété, l’alleu d’Hérival et ses dépendances. Ce lieu se nommait alors Asprevaux, Aspera vallis et, en effet, dit dom Calmet, c’est une solitude affreuse, très âpre, très resserrée, très stérile. Et ailleurs, il ajoute, c’est un vallon extraordinairement stérile et solitaire, situé à une lieue, au midi de Remiremont. On lui donna depuis le nom de Hirevaux, Hièrevaux, aujourd’hui Hérival.
La gorge d’Hérival, environnée d’épaisses forêts de sapins des Vosges, est limitée à l’est par la côte du Ban Nord, à l’ouest par le Peutet, au nord par la Croisette et débouche au midi, par l’étroite et longue coupure de la Vallée des Roches, sur Faymont-Val-d’Ajol.
Dans les commencements, Engibalde, qui avait entrainé à sa suite son frère Wichard et quelques compagnons, ne suivait aucune règle spéciale. Tous vivaient solitairement dans des cellules, ou plutôt des cabanes, séparées les unes des autres. Cependant, Wichard lui demanda de construire un oratoire où lui et ses solitaires pussent, de temps à autre, recevoir les sacrements et entendre la messe. Mais, raconte dom Calmet inspiré ici par l’ancienne règle d’Hérival, Engibalde faillit tout perdre et ruiner son édifice spirituel, par la singularité de ses pratiques et de ses sentiments. Il ne voulait ni oratoire, ni église, ni autel, ni office, ni chant des psaumes, ni même communion eucharistique. Il suffisait à des solitaires, disait-il, de servir Dieu en esprit, de le prier mentalement et de recevoir spirituellement la sainte communion.
Pibon, évêque de Toul, le reprit plusieurs fois de ses erreurs, mais rien n’était capable de l’ébranler et de lui faire changer de sentiments. Cette âme, dit Guinot, était trempée pour l’hérésie, si enfin l’humilité et l’obéissance n’eussent mis un frein au fougueux mysticisme de son imagination morose. En effet, Engibalde devançait de six cents ans les rêveries quiétistes du XVIIe siècle et, dans son intransigeante austérité, préludait au rigorisme farouche des plus terribles jansénistes. Pourtant Dieu toucha le cœur de l’ermite obstiné. Riquin de Commercy, qui, en 1107, avait succédé à Pibon, parvint, non sans peine, après une foule de monitions, à vaincre l’opiniâtreté d’Engibalde. Celui-ci alla enfin à Remiremont, y communia et y mourut.
Alors, on construisit une église à Hérival, on y célébra la messe et l’on donna la communion aux quelques rares solitaires qui étaient restés sous la conduite de l’austère anachorète.
Dans l’intervalle, Wichard, fatigué d’une vie contemplative contraire à l’esprit de l’Église, rompit avec son frère, se retira, non dans une solitude voisine, mais à Bonneval. Son départ fille vide autour d’Engibalde. La plupart de ses disciples le quittèrent peu à peu pour se réunir à Wichard qui avait porté à Bonneval la vie érémitique, dépouillée du sombre rigorisme dont voulait l’affubler le fondateur Engibalde. Celui-ci fut laissé presque seul à Hérival.
Comment Wichard arriva-t-il des sources de la Combauté, aux rives de la Saônette ? Aucun document ne nous l’apprend. Et cependant, la règle des ermites d’Hérival nous fait savoir qu’il vint, avec les transfuges d’Hérival, chercher asile sur les terres des sires de Saint-Baslemont et des comtes de Bassigny, seigneurs de Monthureux-le-Sec et Thuillières.
A la fin du XIe siècle, les sires de Saint-Baslemont étaient les frères Odon et Dudon. L’histoire laisse soupçonner qu’ils étaient issus des sires de Clefmont, comtes de Bassigny. Leur terre seigneuriale, sur laquelle les cadets du Bassigny gardèrent certains droits pendant plusieurs siècles, était un démembrement de ce qui fut, au XIIe siècle, la seigneurie de Monthureux-le-Sec. A cette époque, celle-ci n’avait pas encore le titre de baronnie de Thuillières, ou plutôt était une terre relevant du comté de Clefmont-en-Bassigny. Sur la fin du XIe siècle, ces terres féodales de franc alleu appartenaient au comte Simon Ier, auquel succéda le comte Humbert qui mourut bientôt et fut remplacé par ses fils le comte Simon II, vers 1098, et Hugues de « Claromonte ».
Ce fut donc à Eudes de Saint-Baslemont et à ses coseigneurs que Wichard s’adressa pour trouver un lieu où il pût se fixer. La droite de la gorge, dominée par l’enceinte gauloise du Heyblemont, lui fut abandonnée jusqu’au ruisseau. Il bâtit un ermitage qu’il appela Bonneval.
Comme il s’était séparé de son frère à cause de l’obstination de ce dernier à rejeter le culte liturgique, son premier soin fut d’adjoindre à sa cellule un sanctuaire qu’il dédia à la Sainte Vierge. Mais Wichard avait amené avec lui, d’Hérival, un certain nombre de compagnons qui, rejetant aussi un mysticisme exagéré, voulaient une vie érémitique régulière et raisonnable. Aussi, chercha-t-il à les établir aux environs de Bonneval.
Non loin de son ermitage, se trouvaient la vallée de la Saônette et la solitude de Chèvreroche. Le comte Simon II, sire de Monthureux, en était le seigneur. Il est à croire que c’est à lui que Wichard s’adressa pour y fixer ses ermites. Toujours est-il que le sire de Monthureux, comme les sires de Saint-Baslemont, fit accueil aux nouveaux arrivants. Les uns et les autres firent les frais des chapelles érémitiques de Bonneval et de Chèvreroche, comme le laissent entendre les documents postérieurs.
En effet, la seigneurie de Saint-Baslemont, à titre de fondatrice, garda certains droits et la vouerie de Bonneval. C’est ce que l’on voit signalé dans les dénombrements du 13 mars 1471 et du 23 juin 1477. De plus, on trouve que les cadets de Saint-Baslemont conservèrent et portèrent le titre seigneurial de Bonneval.
Quant à Chèvreroche, on apprend par Benoit Picart que « l’ermitage de Notre-Dame-de-Consolation » été bâti par les seigneurs de Monthureux, que le groupe « Saint-Antoine » était du patronage des seigneurs d’Esley. Ce qui revient à-dire, quand on sait que Saint-Antoine et Notre-Dame-de-Consolation ne forment qu’une seule collectivité sous le nom générique de Chèvreroche, et qu’il y a eu démembrement féodal sur la fin du XIIIe siècle, que tous les ermitages du val de la Saônette sont dus aux seigneurs de Monthureux. Pour mettre en avant cette affirmation précise, Benoît Picart possédait évidemment des documents antérieurs au XIIIe siècle, des actes de l’époque où la baronnie de Thuillières avait encore le titre féodal de Monthureux, où les barons se nommaient encore sires de Monthureux. D’ailleurs, l’architecture de Notre-Dame-de-Consolation, comme celle de Bonneval, accuse nettement le début du XIIe siècle. Si, entre 1840 et 1850, la chapelle Saint-Antoine n’avait pas disparu sous les coups d’un vandalisme insensé, peut être aurions-nous pu y retrouver le même style qu’à Bonneval et qu’à Notre-Dame-de-Consolation.
Enfin, de même que la seigneurie de Saint-Baslemont avait la garde féodale de Bonneval, de même que la seigneurie d’Esley, démembrée de Monthureux, avait le patronage féodal des ermitages de la Petite-Bruyère, de même aussi la baronnie de Thuillières, ayant-droit de Monthureux, conserva la garde féodale et le haut domaine de Notre-Dame-de-Consolation. C’est ce qui est expressément marqué dans le dénombrement de Gilles d’Ernecourt, « baron de Thuillières », du 4 janvier 1616. Il y est même exprimé que la dite chapelle « appartient audit seigneur ».
Eudes de Saint-Baslemont et son frère, de même que le comte Simon II, ne semblent pas avoir concédé de biens fonciers aux ermitages de Bonneval et de Chèvreroche. Ils autorisèrent simplement Wichard et ses ermites à résider sur leurs terres féodales. Tout au plus trouve-t-on, dès les temps les plus reculés, en faveur de Bonneval, la donation d’un douzième dans la grosse dime de Saint-Baslemont, pour l’acquit d’une fondation, et, en faveur de Chèvreroche, le droit de quête. Si plus tard on voit à Bonneval un modeste pied terrier, accusant une minime dotation foncière, nous saurons à qui l’ermitage de Wichard pût le devoir.
Mais le frère d’Engibalde, fixant au sol des ermites, n’avait pas à solliciter une dotation ni des bâtiments réguliers qui sont le fait d’un monastère proprement dit. Les seigneurs de Saint-Baslemont et de Monthureux n’eurent pas à faire, sur la fin du XIe siècle, d’autre générosité aux ermites, outre l’autorisation de séjour sur leurs domaines, que la concession de quelques verges de terre, de quelques rochers-abris, au milieu des solitudes improductives et perdues de Bonneval et de Chèvreroche.
Tout ce que Wichard accepta des seigneurs locaux, fut, au milieu de friches, la construction des oratoires de Bonneval, de Notre-Dame-de-Consolation et de Saint-Antoine. En tout cas, on ne trouve aucun titre de fondation, ni la moindre allusion à une concession ou érection authentique.
Après quarante années d’une vie érémitique très dure, Engibalde, désormais réconcilié avec l’Église et le bon sens, mourut à Remiremont à l’âge de 80 ans, le 7 août 1123. Son corps fut enterré dans une des chapelles de l’église abbatiale, sous le pontificat du pape Calixte II, alors qu’Henri V était empereur et que Riquin de Commercy était évêque de Toul, la dernière année de l’abbatiat de Gisèle III, voire la première de Judith de Vaudémont.
Sans retard, tous les anachorètes qui avaient embrassé le genre de vie d’Engibalde et de Wichard s’assemblèrent pour se choisir un supérieur, et l’élection fut en faveur du fondateur de Bonneval. En conséquence, celui-ci quitta ses disciples de la Saônette pour prendre la direction des « Vieilles-Abbayes », d’où il gouverna toute la famille érémitique. Il s’associa un prêtre « distingué et d’illustre origine ». Ce prêtre était Constantin, qui fut le 3e prieur d’Hérival.
Jusqu’alors les ermites n’avaient pas eu de règle de vie spéciale. Engibalde et Wichard suivirent d’abord les traces d’Anténor leur premier maître. Celui-ci n’avait donné à ses disciples, au Châtelet, puis au Saint-Mont, la règle d’aucun ordre religieux. Les ermites vivaient simplement dans les exercices de la piété et de la mortification. Chacun s’acheminait donc vers la perfection un peu suivant son zèle, sa propre inspiration ou la direction que donnaient à tous les instructions plus ou moins arbitraires du supérieur.
Wichard et Constantin qui avaient vu à quels inconvénients pouvait aboutir cette façon d’agir, qui sentaient que la direction d’un supérieur pouvait mener à un rigorisme impossible ou à un relâchement funeste, songèrent à donner une règle ou des statuts à l’institution érémitique. Ils s’adressèrent à Henri de Lorraine, évêque de Toul, et à Lambert, abbé de Citeaux, pour avoir leurs conseils. Ceux-ci opinèrent que nos anachorètes devaient garder leur genre de vie et prendre la règle de saint Augustin à laquelle ils apporteraient les modifications que les circonstances pourraient réclamer.
Wichard et Constantin mirent un certain temps à mûrir la règle destinée aux ermites. Ils puisèrent dans celles de saint Basile, saint Benoit et saint Norbert, les points qu’ils crurent avantageux à leurs disciples. Mais leur amour de l’austérité était extraordinaire et l’on reste stupéfait quand on voit la rigueur des pratiques auxquelles ils s’arrêtèrent.
Ils surchargèrent tellement la règle de saint Augustin qu’ils la transformèrent. Aussi n’est-il pas surprenant que les religieux qui se soumirent aux nouveaux statuts, et les auteurs qui en ont parlé, les aient appelés « la Règle d’Hérival ».
Cependant cette austérité même attira de nouveaux disciples à Wichard. Il lui fallut songer à fonder un troisième centre d’ermitages. Hérival et Bonneval étant au complet, il obtint de Judith de Vaudémont, abbesse de Remiremont, une concession sur un coin désert de la prébende de Vincey, où il envoya un essaim de ses anachorètes. Ils y établirent des ermitages d’où plus tard sortit le prieuré d’Aubiey.
Toutefois, Wichard voyait arriver la fin de sa carrière, et les statuts, qu’il avait longuement mûris, de concert avec Constantin, n’étaient pas encore publiés. Celui-ci y donna la dernière main et les mit en vigueur après la mort de Wichard, survenue en 1145.
Bonneval continua à faire corps avec Hérival. La même règle, élaborée par Wichard et Constantin, fut en vigueur à Bonneval et à Aubiey comme à Hérival. Si quelques-uns des ermites, qui étaient venus s’établir sur les domaines des sires de Saint-Baslemont et des seigneurs de Monthureux, retournèrent à Hérival, lorsque Wichard y remplaça son frère, les cellules abritées par le Château-Gaillard et le donjon de Saint-Baslemont conservèrent la plupart de leurs hôtes.
L’antique « règle d’Hérival » nous affirme expressément les liens qui unissaient Bonneval à Hérival, car il est dit, à propos de l’élection du prieur chargé de gouverner les ermites : « Nous appelons frères non seulement ceux qui résident à Hérival, mais encore ceux qui sont à Bonneval et à Aubiey et qui tous doivent être présents à l’élection de leur nouveau père spirituel. Car ces trois résidences ne forment qu’une seule direction des âmes et non pas trois directions ».
Plus loin le législateur ajoute : « Nous déclarons que nous, qui sommes à Hérival, et ceux qui sont à Aubiey et à Bonneval, nous ne faisons absolument qu’un, soit devant le Seigneur, soit aux yeux du monde. Si la même sentence d’excommunication peut frapper ceux d’Aubiey, de Bonneval et d’Hérival, en revanche, avec eux, nous ne formons qu’une seule famille, ayant le même pain, le même habit, la même possession, famille qui ne sera jamais divisée. Aussi chaque fois que quelqu’un aura besoin de secours, qu’il soit près de nous, à Hérival, ou au loin, à Aubiey ou à Bonneval, il doit revenir près de celui dont il est éloigné, c’est-à-dire auprès de son supérieur d’Hérival et celui-ci fera pour son frère ce qu’il ferait pour soi-même ».
De ces textes, il faut nécessairement conclure que Bonneval, filiation d’Hérival, garda la règle des ermites. Si après la mort de Wichard, Constantin réunit les ermites des « Vieilles-Abbayes » en une communauté qui prit à Hérival les dehors de la vie monastique, les anachorètes d’Aubiey et de Bonneval conservèrent la vie séparée, isolée, tout en se soumettant à la règle rédigée par le supérieur général.
Cette règle était fort dure. Voici comment dom Calmet en résume les points principaux.
Les clercs et les convers se levaient pour l’office de nuit, auquel, chaque jour, les clercs ajoutaient celui des morts et de la Sainte Vierge. Ils se recouchaient après matines jusque prime et la messe. Ils allaient ensuite au travail manuel. Depuis le 14 septembre jusqu’à Pâques, le travail durait seulement de 9 heures du matin à 2 heures de l’après-midi.
Ils se confessaient au moins une fois la semaine, de préférence le vendredi, et il y avait communion générale sept fois l’année à Noël, au premier dimanche de Carême, le jeudi saint, à Pâques, à la Pentecôte, à l’Assomption et à la Toussaint.
Le silence était perpétuel et l’on ne parlait qu’avec la permission du supérieur. Les ermites ne devaient posséder aucun animal, sinon des abeilles, des chats, un chien, et un cheval de monture, deux au plus.
Nul ne pouvait avoir que son habit et son instrument de travail.Si quelqu’un disposait de la valeur d’un écu, il était excommunié et, s’il mourait propriétaire, il était jeté à la voirie avec son argent. L’habit consistait en une tunique, une pellice et le manteau ; chacun avait deux paires de sandales et un scapulaire. En se couchant, les ermites gardaient leur tunique, leurs chaussures et leur ceinture.
En tout temps, ils s’abstenaient de viande, et chaque vendredi, ils n’usaient que de la nourriture du carême. On n’accordait l’usage de la viande qu’à la dernière extrémité. Enfin, le vendredi saint, les religieux étaient autorisés à ne pas manger.
Cette règle, promulguée par Constantin, fut en vigueur sous les supériorats de ses successeurs Conon, Étienne Ier et probablement Guillaume de Rombech ou du Saint-Mont. Mais, comme le fait remarquer dom Calmet, les choses violentes ne sont pas ordinairement de longue durée. Les ermites, trouvant ces statuts trop austères et plus rigoureux que n’était la règle de saint Augustin qu’ils avaient embrassée, résolurent de quitter Hérival et, en effet, se dispersèrent, qui d’un côté, qui de l’autre, laissant le prieur seul aux « Vieilles-Abbayes ».
En face de cet état de choses, le pape Honorius III, le 5 novembre 1216, en approuvant la règle des ermites d’Hérival, tempéra la rigueur primitive. Il prit sous sa protection apostolique l’institution érémitique et ses biens. Il ratifia les acquisitions faites depuis 40 ans, et lui donna les dîmes des terres acquises antérieurement au IVe concile général de Latran (1215). Enfin le pape permit aux clercs, qui jusque-là marchaient nu-pieds, sauf pendant la célébration de la messe du mercredi des cendres, de porter désormais des chaussures depuis la Saint-Martin jusqu’au 1er avril.
Dans cette bulle, Honorius III mentionne Hérival et Aubiey, mais ne dit mot de Bonneval. Toutefois il n’y a pas de doute que les privilèges, concédés aux deux premiers centres, n’aient été communs au troisième, puisque, nous l’avons vu, pour l’antique règle, les trois groupes ne formaient qu’une seule direction d’âmes. D’ailleurs, comme Bonneval et les ermitages voisins n’avaient pas de dotation, mais étaient simplement autorisés sur les terres féodales de Monthureux-le-Sec et de Saint-Baslemont, et formaient en quelque sorte des ermitages usufruitiers à emphytéose, dont le haut domaine restait aux seigneurs dominants, il n’est pas étonnant que le pape n’ait pas eu à prendre sous sa protection ou à confirmer la jouissance des biens de Bonneval et de ermitages de Chèvreroche. Il agit autrement à l’égard d’Hérival et d’Aubiey, parce que ces deux groupes avaient reçu en propre les lieux où ils étaient érigés. Hérival avait bénéficié des largesses de Gisèle II, et Aubiey de celles de Judith de Vaudémont. Pour nos ermites de Bonneval et de Chèvreroche, un seul point avait sa portée, c’était celui qui permettait l’usage des chaussures pendant l’hiver.
Ce premier adoucissement en amena bientôt un autre. En 1245, Vincent, 8e prieur d’Hérival, envoya deux de ses religieux, un prêtre du nom de Villaume et un diacre nommé Jean, à Lyon, où se trouvait le pape Innocent IV, et sollicita deux dispenses à la règle. Jusqu’alors les ermites n’avaient pas eu le droit de posséder des animaux pour leurs besoins domestiques, ce qui leur était une cause de grande difficulté de vie. Et point ne leur était permis d’user de viande, même en cas de maladie ou de grave infirmité.
Innocent IV, par bref du 29 octobre, accorda la permission de servir de la viande aux infirmes et la faculté de posséder des troupeaux de bêtes blanches.