Petite promenade dans les rues de Verdun (3)
Suite de notre promenade dans les rues de Verdun au début du XXe siècle. Je vous emmène sur la rive gauche de la Meuse.
D’après la monographie « Verdun promenade historique et pittoresque » — Edmond Pionnier – 1901
La rive gauche de la Meuse
La route qui descend la pente de la Roche rejoint après un long détour l’extrémité de la rue du Rû, dont le nom lui vient peut-être du bras de la Meuse que l’on surnommait le Rû.
Cette voie, que la citadelle et l’évêché surplombent de leur formidable hauteur, se termine par l’ancienne église Saint-Amand. La paroisse de Saint-Amand était considérable, et l’église l’une des plus belles de Verdun. Aussi accueillit-on fort mal l’ordre de destruction quand Marillac dut la culbuter pour transformer la citadelle. Le sanctuaire fut transféré au bas du Mont Saint-Vannes, dans l’hôpital militaire de Saint-Vincent que l’on consacra à l’exercice du culte.
En 1762, Saint-Amand menaçait ruine, bien qu’elle n’eût pas cent trente ans d’existence. La paroisse comprenait alors le quartier de Rû, Montgaud, la Roche, la citadelle, les faubourgs de Jardin-Fontaine, Glorieux, Regret et Baleycourt. Or les habitants des faubourgs, éloignés de leur église, et qui étaient les plus nombreux, se montraient fort mécontents de trouver les portes closes quand ils venaient la nuit réclamer les secours de la religion. Ils auraient désiré que l’église fût reportée en dehors des murs.
La ville appuyait leur requête qui fut rejetée, et le bâtiment fut reconstruit en 1765 à sa place primitive. Il est de style toscan et sans aucune valeur architecturale. En 1827, l’évêque, M. de Villeneuve, obtint d’y établir une chapelle pour le service religieux des soldats condamnés aux travaux des fortifications, et le 4 novembre 1828, on célébra en grande pompe une solennité en l’honneur de saint Charles, patron du roi Charles X. Vers 1830, l’église fut fermée, abandonnée au commandant de place qui la convertit en magasins et en écurie, et la fabrique de Fromezey hérita de l’autel et du tabernacle.
La maison d’arrêt occupe l’emplacement de l’Orphanotrophe (Maison d’éducation pour les orphelins) de Nicolas Psaume qui disposa l’hôpital Saint-Jacques de façon à ce qu’il pût recevoir vingt-quatre orphelins. Il y eut, aux frais de l’évêque, des cours de théologie, de philosophie, de jurisprudence, faits par des professeurs venus en droite ligne de la Sorbonne. Mais en 1565, les ressources de Nicolas Psaume étant épuisées, maîtres et élèves quittèrent la maison. Nicolas Psaume prescrivit en vain dans son testament d’y faire instruire dix orphelins sous la direction d’un prêtre. Cette nouvelle tentative ne réussit pas davantage, et en 1590, les bâtiments étaient cédés aux religieux de Châtillon-1′Abbaye. En 1683, comme on l’a lu plus haut, l’Orphanotrophe fut racheté par l’évêque et servit de séminaire jusqu’à la Révolution. La Révolution y logea la gendarmerie, puis différents corps de la garnison. Reconstruit de 1741 à 1749, le séminaire devint en 1812 la prison civile.
La rue de Rû s’embranche sur la rue du Pont-des-Augustins où se dressent à l’Ouest, le marché couvert et la bibliothèque publique.
Là, se voyait autrefois la maison des Sacs, c’est-à-dire des religieux de la Pénitence de Jésus-Christ que l’on appelait à cause de leur vêtement Sacs ou Sachets et qui, soumis plus tard à la règle de saint Augustin, prirent le nom de leur patron. Attirés à Verdun vers l’an 1310 par l’évêque Nicolas de Neuville qui leur donna le droit de mendier, ils purent par leurs économies acheter l’immeuble qu’ils occupèrent jusqu’à la Révolution. Quantité de fondations pieuses augmentèrent leurs ressources, entre autres la messe Marillac pour le repos de l’âme du maréchal. On tint en 1567 dans leur cloître un véritable chapitre national des Augustins. En 1775, il y avait sept pères, un ecclésiastique et deux frères convers. En 1790, il restait encore cinq pères et deux frères. Les recettes pour l’exercice de 1789, d’après le procès-verbal des commissaires du gouvernement, se montaient à 2316 1. 17 sous 2 deniers. C’était, parait-il, insuffisant et la communauté passait pour la plus pauvre de la cité. L’église, dont le chœur, remplacé maintenant par la façade de la bibliothèque, regardait l’Orient, était signalée comme un beau spécimen de l’architecture ogivale du XIVe siècle. L’évêque constitutionnel Aubry voulut la conserver pour l’usage des habitants du faubourg du Pré, mais elle disparut et l’on en fit une salle de spectacle, propriété privée, qui fut inaugurée au carnaval de 1797 par un bal public. La ville racheta cette propriété vers 1830, y construisit un porche assez insignifiant, et y installa son théâtre.
Cet édifice sert actuellement de bibliothèque municipale avec, au premier étage, trois pièces principales, le bureau, la salle des livres et la salle de lecture, grande et belle, fort bien décorée, grâce aux anciennes boiseries de Saint-Paul, et qui reçoit le jour par une vaste verrière. Les vitrines contiennent, à coté de nombreux manuscrits, des livres aussi précieux que rares. Le fonds provient des anciens établissements ecclésiastiques de Verdun, et principalement des abbayes de Saint-Paul, Saint-Vannes, Saint-Airy, du collège des Jésuites, etc. Quantité de collections privées se sont déversées dans le trésor primitif, entre autres, celle des de Plaine, des d’Attel de Luttange. Outre 475 manuscrits (Récolement de 1900), la bibliothèque possède plus de 35 000 volumes. C’est donc une des plus riches de la contrée.
Le quai de la Boucherie, perpendiculaire à la rue du pont-des-Augustins, portait à l’époque où il fut exaucé (1785-1789) l’abattoir et la boucherie commune, où devaient étaler sous peine d’une forte amende, les quatre maîtres du « boucher grand », c’est-à-dire ceux qui débitaient le bœuf, le mouton ou le veau. C’est aujourd’hui le quai de la Comédie, et cette appellation est d’autant mieux méritée que nous y trouvons le théâtre construit sur l’emplacement de la boucherie commune, depuis halle aux blés, et incendiée pendant le grand bombardement des 13, 14 et 15 octobre 1870.
Le théâtre, œuvre de M. Chenevier, inauguré le 4 novembre 1893, par M. Poincaré, alors ministre des beaux-arts, figure au premier rang parmi les embellissements dont la ville est redevable à l’intelligente initiative de la municipalité. Ce bâtiment est orienté de telle façon qu’il apparaisse tout entier avec son caractère monumental de la promenade de la Digue. La façade, haute et large, s’appuie sur de fines colonnes corinthiennes que supporte un balcon de grande allure. Des niches creusées dans l’épaisseur du mur devaient recevoir, d’après le projet primitif, les statues des Muses de la danse, de la tragédie et de la comédie. La bordure supérieure est faite de motifs de décorations gracieux et achevés.
En arrière-plan, une lyre surmonte la partie postérieure de l’édifice. L’intérieur comprend un vaste pérystile, de larges escaliers, un foyer spacieux et élégant s’ouvrant par de hautes fenêtres sur le balcon. La salle, où peuvent se ranger commodément près de 800 spectateurs, est ornée avec goût et resplendit de dorures. Le plafond, dont l’exécution a été confiée à un artiste nancéien, représente un soleil flamboyant sur lequel une lyre d’or, symbolisant Apollon le dieu des Arts. Ses rayons illuminent et inspirent la musique, la comédie, la poésie, que des génies couronnent de fleurs. Ces motifs, peints dans un ton clair mais très précis, ressortent nettement sur un ciel d’un bleu limpide. Autour de la coupole, court une guirlande qui ajoute encore à la fraîcheur du décor. Les plus minutieuses précautions ont été prises contre l’incendie.
La rue Beaurepaire réunit le pont Beaurepaire et la place Mazel, le vieux Mazel du XVIe siècle. La dénomination de Mazel neuf s’appliquait au terrain gagné sur la rivière. Le Mazel (macellum, marché) était certainement le quartier le plus ancien de ce côté de la Meuse, après le Châtel ou Fermeté. La place Mazel comme la place d’Armes fut rétrécie au début du XVIIe siècle. On y trafiquait dans les Estaulx de Mazel, boutiques en plein vent, dont la propriété se transmettait par vente ou par héritage de père en fils. Dans un coin, le pilori où l’on exposait les bourgeois coupables de certains délits.
A l’angle Nord de la place Mazel, entre la rue et la place, l’hôtel des Quatre-Clochers dont les quatre tourelles à flèches fort pointues sont très visibles sur les vieilles vues de Verdun. Là, logeaient sans doute les comtes de Bar, voués de Verdun, lorsqu’ils se rendaient dans la cité. L’hôtel des Quatre-Clochers prenait jour par de hautes fenêtres ogivales ornées d’animaux fantastiques, et dont la dernière ne disparut que vers 1840. Ce qui restait de la façade a été démoli vers 1865.
Jusqu’au XVIIe siècle, la rue Mazel était barrée par la porte Ancel-rue, vulgairement Nancel-rue (porte de la rue d’Anselme). Cette porte, jetée entre l’ancienne Fermeté et la portion de l’enceinte qu’on appelait le petit rempart, devenait un obstacle sérieux pour la circulation, depuis qu’elle était englobée dans les nombreuses constructions qui se pressaient autour des Jésuites, du Tournant-Saint-Pierre et de la Tour Chaussée. Aussi fut-elle supprimée en 1618, à la grande joie des voisins. Mais le souvenir en est resté dans l’inscription très apparente qui a été gravée au-dessus de la porte du n° 40 « Ici souloit estre la porte à Nancelrue, qui fut démolie l’an 1618 ».
A cette date, la rue Neuve, autrefois rue Neuve-sur-l’Eau, était à peine ébauchée, car les bourgeois étaient rares qui s’enhardissaient jusqu’à édifier, sur les décombres de la rive, des maisons que les colères du fleuve ne respectaient pas toujours. La rue Neuve coupée par la rue du port de la Madeleine se terminait au Fossé Lambin qui changea de nom plusieurs fois. Une enseigne d’hôtellerie, dit-on, suffit à débaptiser le Fossé Lambin, rue Jean-Boucart au XVIe siècle, pour en faire la rue du Saint-Esprit.
Le quartier de la Tour Chaussée était sillonné surtout par les voies de Fornel-rue et des Rouyers. Fornel-rue, la rue du Four, a disparu sans qu’il soit possible de retrouver sa trace. La rue des Rouyers est demeurée, mais elle a perdu jusqu’à l’apparence même de ce mouvement qui l’animait à l’époque où de nombreux ateliers de rouyers, de fabricants de roues, c’est-à-dire de charrons, donnaient à ce coin, l’un des plus industrieux de Verdun, une physionomie si active et si gaie.
Les Rouyers formaient une corporation dont les statuts, sur parchemin, scellés du sceau du Saint-Empire, sont conservés aux archives de notre ville. La confrérie, dont les membres devaient fêter la Saint-Eloi et assister à la messe célébrée ce jour-là, était tenue d’entretenir deux torches pour « la dévotion et l’honneur » de la procession du saint-sacrement. Les compagnons s’obligeaient « à la conduite du mariage » ou des obsèques de l’un d’entre eux sous peine d’amende. Ils recevaient d’ailleurs, pour ce dérangement, une indemnité suffisante. Les maîtres de l’art, élus le lendemain de la Saint-Eloi, inspectaient les boutiques et veillaient à ce que les rouyers forains, de passage à Verdun, payassent, sans trop maugréer, le droit fixé pour l’exercice de leur profession.
Proche de la rue des Rouyers, l’étroite et pittoresque ruelle des Sergents nous fait songer à quelque sombre coin du vieux Barcelone et communique à cette partie de Verdun, péniblement arrachée aux boues de la Meuse, un air de mystère qui ne lui messied point.
Notre prochaine promenade nous conduira sur les ponts de Verdun et la Tour Chaussée.