Petite promenade dans les rues de Verdun (2)
Après avoir visité les quartiers Saint-Paul – Saint-Pierre – Saint-Maur – La Belle-Vierge, continuons, si vous le voulez, notre promenade dans les rues de Verdun, au début du XXe siècle.
D’après la monographie « Verdun promenade historique et pittoresque » — Edmond Pionnier – 1901
La Cathédrale – L’Evêché – Saint-Vannes
La place de la cathédrale, l’un des points culminants de la ville, la patrie des courants d’air, rendez-vous perpétuel de tous les vents de l’atmosphère qui semblent s’y être réunis pour lutter comme en un champ clos, est dominée par la Cathédrale, l’Evêché, le Séminaire, dont la masse imposante contraste étrangement avec la ville basse prosternée aux pieds de la colline.
Peu de monuments ont un passé aussi mouvementé que celui de la Cathédrale de Verdun.
Située d’abord vers le IVe siècle hors des murs de la ville, puis dans l’endroit où elle se dresse maintenant, elle fut brûlée une première fois vers l’an 740, puis par les Normands, par le duc Boson vers 917, par les Hongrois et enfin vers 1050 sous l’évêque Thierry. Ravagée en 1135 par Renaud, comte de Bar et voué de Verdun, qui avait non loin de là une tour d’où il incommodait et rançonnait les habitants, elle fut reconstituée en 1139 après que l’évêque Albéron eut défait le comte Renaud et consacrée, bien qu’inachevée, par le pape Eugène III en 1147. Ce fut, sauf quelques modifications de détail, le monument que l’on put voir jusqu’en 1755. Son auteur, l’architecte Garin, avait copié les églises métropolitaines de Trêves et de Mayence.
C’était une grande construction, de style roman, semblable à une croix de Lorraine, avec deux transepts, et deux chœurs, l’un à l’Orient, le grand chœur, l’autre à l’Occident, le vieux chœur. Le chœur oriental, très haut, était environné sur ses côtés par un mur auquel s’adossaient les stalles des chanoines. Le vieux chœur, élevé de 12 degrés au-dessus du transept, avait été embelli vers la fin du XIIe siècle par un pavé en mosaïque d’une merveilleuse beauté. Chaque abside était flanquée de deux tours carrées dont la plate-forme était surmontée d’une flèche aiguë, terminée par la croix ; à la partie supérieure, un double rang d’arcades fermées encadrait d’autres arcades concentriques de moindre dimension. Pas de voûte à l’intérieur, mais un lambris horizontal à plusieurs compartiments décorés avec goût, supporté par une charpente ouvragée, peinte et dorée. Les fenêtres étroites et cintrées ; l’entrée principale probablement placée vers le milieu de la face Nord, deux autres portes sur le flanc Est du transept, peut-être d’autres sur la face Sud. Des cryptes, dont l’une, celle sous l’abside du côté de l’épître, a été déblayée et où l’on distingue encore des peintures murales, le Christ en croix, l’Annonciation, etc.
Au XIIIe siècle, on ajoute au sud une sacristie, belle salle ogivale, éclairée par deux grandes baies geminées, sobrement ornées : c’est la Sorbonne, ainsi appelée peut-être parce qu’elle servait soit aux réunions du Chapitre, soit aux conférences théologiques, ou comme le veut l’abbé Cloüet, parce qu’on y fit longtemps un grand catéchisme que l’on s’avisa, par plaisanterie, de comparer aux leçons de la célèbre Sorbonne de Paris.
Au XIVe siècle, on perce la plupart des chapelles latérales, quelques fenêtres. Vers la fin de ce siècle, quand Jean Wautrec, doyen séculier et premier magistrat de la cité, eut pris à sa solde les ouvriers restés sans travail par suite de l’achèvement du grand rempart, il les employa sous la direction d’un personnage alors inconnu, Pierre Perrat, depuis architecte des cathédrales de Metz et de Toul, à voûter la nef et à refaire dans le style de l’époque le chevet oriental. Au XVIe siècle enfin, on érigea le monument de Wassebourg. Tel était l’aspect de l’ancienne Cathédrale qui avait en somme fort grand air avec sa toiture en plomb, ses quatre tours élancées et ses 13 cloches dont une, la Sainte-Marguerite, pesait 18 000 l. Cela n’empêchait pas un dicton populaire de la comparer, à cause de ses quatre clochers, à un bahut renversé. Et les Huguenots, qui essayèrent en 1562 de surprendre la ville, se proposaient de retourner le bahut et de le replacer sur ses quatre pieds.
Vers 10 heures du soir, le 2 avril 1755, la foudre qui avait atteint déjà la Cathédrale en 1717 et 1738, s’abattit avec un bruit effroyable sur la tour du Sud-Ouest qui en un clin d’œil fut en flammes. L’incendie se propagea avec une extraordinaire rapidité, et l’évêque, M. de Nicolaï, qui était accouru pour se rendre compte de la gravité du danger, dut se retirer devant les ruisseaux de plomb fondu qui se précipitaient en cascades de la toiture. La force du vent et l’intensité des flammes étaient telles que plusieurs régions de la ville et même le faubourg de Glorieux craignirent pour leur sécurité. Ce ne fut qu’après un effort de trente heures que l’on put se rendre définitivement maître du feu. On admira la courageuse conduite d’un brave couvreur, Lambert Dumey, qui reçut une gratification de 30 l. et fut exempt de guet et de garde pendant 10 ans.
Les registres publics ont gardé le souvenir de cette catastrophe et le procureur syndic écrivait le 26 avril 1755 dans un rapport présenté au conseil : « l’alarme a été si vive qu’on a appréhendé pendant sept à huit heures, que le feu ne se communiquât aux maisons voisines de la Cathédrale, et de là, à celles des alentours, ce qui aurait pu occasionner le plus funeste embrasement capable de réduire en cendres sinon la totalité de la ville, du moins la plus grande et la plus considérable partie ».
La Cathédrale fut restaurée dans le mauvais goût de l’époque et perdit son cachet artistique pour s’enlaidir et se vulgariser. Les quatre clochers furent remplacés par les deux tours occidentales, carrées et lourdes, beaucoup moins hautes que les précédentes, avec une grossière balustrade. Aux riches verrières qui ne laissaient filtrer qu’une lumière douce et tamisée, succédèrent d’insignifiantes ouvertures cintrées à vitres blanches. Le chœur occidental et ses cryptes disparurent, et l’on installa dans l’abside les fonts baptismaux et les grandes orgues.
Le chœur oriental fut abaissé, ce qui entraîna le comblement d’une partie des cryptes et la destruction de leurs voûtes. Le sol était recouvert de pierres tombales qui cachaient la sépulture des bienfaiteurs de la cité ou de ceux qui avaient brillé de quelque éclat parmi leurs contemporains. Là reposaient environ vingt évêques dont Nicolas Psaume, H. de Béthune, des bourgeois comme Constantius et Wautrec. Aux dalles funéraires, on préféra un pavé quelconque d’une régularité désespérante. L’ogive se transforma trop souvent en plein cintre. On respecta bien certaines parties de l’œuvre de Garin, mais en les modernisant. Ainsi les piliers romans, sur qui les siècles avaient étendu une pâtine vénérable, furent déshonorés par un consciencieux grattage, fouillés de canelures, surchargés de motifs du style le plus prosaïque.
Ce fut ce même style qui inspira la facture des nouvelles portes placées à l’extrémité septentrionale des deux transepts, ainsi que celle du portail central, orné par le sculpteur Watrinette. Le Chapitre était convaincu de la magnificence de ces embellissements qui lui coûtèrent plus de 600 000 l, non compris un don de 50 000 l. dû à la générosité du roi et les sommes considérables que l’évêque M. de Nicolaï y consacra personnellement.
La municipalité fut plus clairvoyante. « On ne peut pas dire que le Chapitre embellit, puisqu’il a supprimé deux belles flèches qui subsistaient et qu’au lieu d’une couverture générale en plomb très solide et très distinguée, il en substitue simplement une d’ardoises ». (Délibération du11 juillet 1755).
Il est vrai que les boiseries du sanctuaire et des chapelles latérales, la chaire à prêcher, les hauts panneaux de l’Est sont des merveilles d’ébénisterie dues en général au ciseau de Lacour de Toul. On a prodigué les marbres et les dorures. Le chœur entouré d’une magnifique balustrade en marbre et dont les portes et les ouvrages de ferronnerie sont du pur style Louis XV, l’autel en marbre d’un travail parfait, le colossal baldaquin, entièrement en bois, masqué par une épaisse couche de dorure et dont la croix terminale touche la voûte, avec ses quatre monumentales colonnes torses en marbre gris d’Italie, excitent l’admiration de tous les visiteurs. Les plans du baldaquin qui reproduit, mais sur une moindre échelle, celui de Saint-Pierre de Rome, avaient été rapportés de la ville éternelle par un savant et joyeux chanoine, l’abbé de Plaine.
Pendant une courte période de la Révolution, ce temple devint le tribunal révolutionnaire. Les juges siégeaient au choeur et l’accusateur public tonnait du haut de la chaire à prêcher. Telle quelle, la Cathédrale mesure à l’intérieur 94 mètres de long – 35,30 mètres de large – 19 mètres de hauteur du pavé à l’arête de la voûte – 38,65 mètres pour la longueur du sanctuaire et du chœur sur une largeur de 12 mètres. On l’a dotée récemment d’un agréable jeu de cloches et d’un gai carillon que l’on projette de rattacher à la sonnerie de l’horloge.
En résumé, avec son abside orientale du XIIe siècle, et la porte Saint-Jean ou Saint-Martin aujourd’hui murée, mais du roman le plus pur, la Sorbonne du XIIIe siècle, la plupart des chapelles latérales du XIVe, quelques fenêtres du XVe et du XVIe, le monument de Wassebourg de la Renaissance et l’ensemble du XVIIIe siècle, la Cathédrale est un étrange composé de tous les styles dont le concours nuit évidemment à l’harmonie de l’édifice.
Le grand séminaire doit son origine à l’évêque M. d’Hocquincourt qui obtint par lettres patentes du roi, octroyées à Versailles en novembre 1678, la fondation à Verdun d’une école ecclésiastique où l’on éduquerait les jeunes clercs. En décembre de la même année, on inaugurait au palais épiscopal le cours de théologie. Mais il fallut bientôt déménager pour cause d’exiguïté, et acheter aux religieux de Châtillon-l’Abbaye, l’hôpital Saint-Jacques dans la ville basse (1682). Au bout de 50 ans, le séminaire tombait en ruines, et l’évêque, M. d’Hallencourt, le reconstruisait entièrement. Les travaux durèrent huit ans. En 1749, ils étaient achevés et l’on prenait possession des locaux qui servent aujourd’hui de prison civile rue de Rû. Les séminaristes avaient en outre à Jardin-Fontaine une fort belle propriété qui passa par plusieurs mains et finalement échut le 1er août 1819 à Louis Fossée au prix de 12.800 francs.
Après le séminaire constitutionnel, ce fut le séminaire de Nancy, dont le diocèse comprenait les trois départements de la Meurthe, de la Meuse et des Vosges, qui fut chargé de préparer le clergé meusien. En 1823, M. d’Arbou, à peine installé à Verdun, disposa dans la galerie et les chambres de l’evêché, des salles destinées aux jeunes lévites qu’il rappela de Nancy. Le grand séminaire devint donc une partie intégrante de l’évêché et fut aménagé de 1829 à 1837. La chapelle n’a été terminée qu’en 1856. En 1828, M. de Villeneuve faisait l’acquisition pour le séminaire d’une maison de campagne sise au Coulmier et payée 16.000 francs. On la revendit en 1836 pour la remplacer bientôt par celle de Glorieux.
Le grand séminaire possède un bijou artistique : le cloître, construit de 1509 à 1517 par maître Nicolas, « masson » de Verdun. Ce cloître, qui entoure de trois côtés une cour fermée vers le Nord par la cathédrale, se compose de 19 ouvertures, toutes de dessin différent, mais toutes admirables par la variété, la légèreté des rinceaux qui s’entrecroisent dans chaque arcade. Ce cloître merveilleusement conservé est certainement l’un des plus beaux modèles de la période architecturale appelée le gothique flamboyant. Les contemporains l’appréciaient et le Chapitre fut tellement satisfait du travail de maître Nicolas qu’on lui alloua des gratifications considérables et que l’on fit présent à sa femme d’un couvre-chef et d’un pellisson. A l’extrémité méridionale, sur l’emplacement actuel de la cave du séminaire, trônait autrefois l’écolâtre : c’était un chanoine chargé, entre autres choses, d’exercer les enfants de chœur et d’apprendre à lire et à écrire à toute la jeunesse du cloître. On l’avait affublé du surnom irrévérencieux de « Chauffe-cul », allusion certaine aux procédés pédagogiques qu’il mettait en pratique.
L’Evêché, assis sur l’avancée sud-est du plateau occupé par la ville haute et couronnant un escarpement d’environ 35 mètres de hauteur au-dessus de la ville basse, commande toute la campagne environnante qu’il découvre dans un splendide panorama.
De proportions moins considérables avant le XVIIIe siècle, l’évêché se dressa probablement de tout temps sur cette partie du rocher. Brûlé en 1028, reconstruit en 1040, brûlé à nouveau en 1048, il fut souvent inhabité, surtout pendant la seconde moitié du moyen âge. La population de Verdun s’ameutait volontiers et les évêques préféraient, pour leur sûreté personnelle, se retirer dans leurs châteaux de Charny ou de Hattonchâtel. Nicolas Psaume le reconstruisit tout à neuf en 1548 pour s’en faire expulser quatre ans après à l’arrivée des Français. Ce fut dès lors pour un moment le logis du gouverneur et son quartier général.
Nicolas Psaume ne put rentrer en possession de sa maison qu’au bout de 12 ans, et lorsqu’il mourut en 1575, on y caserna une compagnie de gens de guerre qui le saccagèrent. Presque tous les évêques qui se succédèrent pendant un siècle et demi y firent des réparations jusqu’au jour où vint s’asseoir sur le siège épiscopal de Verdun le « maçon mitré » M. d’Hallencourt. Le moment était bien choisi. Ses bois offraient des ressources extraordinaires. M. d’Hallencourt voulut en profiter et remanier de fond en comble l’évêché. Ses démarches aboutirent et les travaux commencèrent en 1725, dirigée au début par M. de Cotte, écuyer, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, conseiller du roi et premier architecte de sa majesté, puis par M. de Cotte Fils, intendant et contrôleur des bâtiments du roi, avec ordre de se conformer aux plans de son père. Les murs montaient lentement : en 1741, une portion seulement était achevée. En 1754, l’évêché n’était pas encore terminé et avait absorbé 500.000 1, soit plus d’un million de francs d’aujourd’hui.
C’est ainsi que fut érigé sans grande hâte ce palais « trop superbe pour les successeurs des apôtres » (Abbé Langlois), aussi admirable par la grandeur des proportions que par l’intelligence des détails.
Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’évêché recevait des hôtes de distinction. C’est à l’évêché qu’on hébergea le roi à son passage en 1632, la reine en 1633, le roi Louis XV en 1744 lors de sa chevauchée vers Metz, la reine Marie Leczinska en août 1725, lorsqu’elle vint rejoindre son mari, le jeune roi LouisXV. On lui rendit des honneurs magnifiques. On l’escorta en grande pompe à l’évêché, où les chevaliers de l’Ordre Social, réunion de beaux esprits, lui débitèrent des vers de mirliton.
A la Révolution, l’évêque constitutionnel Aubry, personnage très modeste, se contenta d’un simple appartement, et l’évêché servit à l’administration du district, puis aux bureaux de la Sous-Préfecture qui furent en 1803 transférés à Saint-Paul. A cette date, un sénatus-consulte créa 35 sénatoreries dotées d’un hôtel et de revenus pris sur les biens nationaux, et l’évêché fut affecté à la sénatorerie de Nancy. Le titulaire, un certain Vimar, n’y séjourna que rarement. Pendant la Restauration, à partir de 1814, les généraux commandant le département de la Meuse y eurent leur quartier général. Mais en 1823, lorsque l’évêché de Verdun fut rétabli, le palais épiscopal redevint la maison d’habitation des évêques.
La place Châtel et la rue Porte-Châtel nous conduisent au plus ancien monument de Verdun, la porte Châtel, dite porte Champenoise, parce qu’elle s’ouvrait du côté de la Champagne. C’est un reste de la forteresse primitive qui constitua Verdun avant la conquête romaine. Cette forteresse, sorte de camp sous les Romains, prit au moyen âge le nom de Châtel ou ancienne Fermeté. On y pénétrait par trois portes, celle du Princier, proche de la Tour-le-Princier, celle de Mazel, vers les Petits-Degrés et celle de Châtel, la seule que les années aient épargnée. Un chemin allait de la porte Châtel au Champ des Gentils que D. Cajot place sur la côte Saint-Barthélemy et où les païens, les gentils, faisaient des sacrifices avec force réjouissances. Est-ce cette particularité qui aurait fait surnommer ces parages Mont de la joie, Mons gaudii, d’où nous est venue la rue Montgaud ? Nous l’ignorons.
A l’Ouest de la porte Châtel, à l’extrémité de la rue des Hauts-Fins, s’étend l’esplanade de la Roche. Toute la région qui comprend l’esplanade de la Roche et la citadelle s’appelait au XVIe siècle le Mont Saint-Vannes. Immédiatement après l’occupation de la ville par Henri II, on avait entouré le Mont Saint-Vannes d’un soupçon de fortification. Ces ouvrages n’étaient séparés de la ville que par un fossé, et la porte Châtel était reliée directement à la porte du rempart, dite porte au Mainil ou en France, sur le grand chemin de Champagne et qui se confondait à peu près avec la porte de secours de la citadelle.
Mais que pouvaient ces murailles dans une guerre sérieuse, surtout lorsque l’aristocratie verdunoise ne supportait qu’impatiemment le joug du roi de France, et que l’évêque ne songeait qu’à reconquérir son indépendance ?
La construction de solides remparts s’imposait, aussi bien contre les ennemis du dehors que contre ces mauvaises têtes de Verdunois, toujours prêts à la révolte.
Louis XIII envoya à Verdun un maréchal de camp avec des forces suffisantes pour étouffer toute tentative de rébellion. Le maréchal de camp Marillac arriva en 1620. Il avait sous ses ordres trois ingénieurs, Châtillon, Allaume et d’Argencourt. En 1624, on se mit l’oeuvre, et la citadelle fut à peu près terminée en 1630 ou 1631.
Elle se composait de 7 bastions reliés par des courtines et dont deux regardaient la ville. L’escarpement du Sud, négligé au XVIe siècle, fut renforcé comme le reste de l’enceinte.
La vieille porte au Mainil, celle qui donnait accès sur la Champagne, était la seule qui existât sur la rive gauche de la Meuse. Le trafic était déjà considérable, et les denrées, pour entrer à Verdun où en sortir de ce côté, devaient traverser la citadelle qu’il fallait laisser constamment ouverte. Marillac supprima la porte au Mainil et la relégua à l’extérieur des nouveaux ouvrages, dans l’angle rentrant formé par le rempart à l’Est de la citadelle et à l’Ouest de Saint-Maur. Plus tard, en 1636 seulement, fut percée, aux frais du roi, la porte de France, et la ville entreprit de ses deniers la rue Porte-de-France sur l’emplacement d’une grange qui dépendait de la maison d’un riche bourgeois, Geoffroy de la Plume.
Tous ces travaux, complétés à la fin du XVIIe siècle par Vauban, modifièrent considérablement cette partie de la Cité. L’arrangement de ces bastions, de ces fossés, de ces glacis, l’obligation de tenir les alentours découverts, forcèrent Marillac à dépeupler le Mont Saint-Vannes. Trois faubourgs qui entouraient Saint-Vannes furent en majeure partie culbutés : Haute-Escance (Glorieux) sur le versant nord-ouest de la colline, le ban Saint-Vannes à l’Est au sommet, et le Mainil sur le versant sud. Le faubourg de Glorieux se prolongeait sans interruption jusqu’à la porte au Mainil. Marillac fit détruire 200 maisons et les propriétaires s’exilèrent dans le hameau qu’ils appelèrent Regret et dont le sens se passe de commentaire.
« Le ban Saint-Vannes a eu le sort du faubourg de Glorieux. Plus de 160 habitations démolies de fond en comble, pour ménager une esplanade entre la ville et la citadelle, ont causé le renversement des églises paroissiales de Saint-Remy et de Saint-Amand et réduit à la mendicité près de 200 familles depuis la clôture de Saint-Vannes jusqu’à la porte Châtel ». (D. Cajot).
Saint-Remy disparut pour toujours. Saint-Amand qui avait eu la malchance de se trouver sur le tracé du front bastionné fut reconstruit au Sud du plateau, et les Capucins, comme nous le savons, durent s’expatrier. Le terrain qui séparait l’évêché et la porte Châtel du fossé de la citadelle, terrain non aplani, couvert de broussailles, s’appela le Broussy. Or la porte de France n’était accessible aux habitants de ces quartiers que par la rue Montgaud dont la pente était rude. On réclamait une voie moins ardue. Comme d’autre part Verdun ne possédait aucune promenade publique, sur la proposition de M. François Clouet, maire de la ville, on nivela et planta d’arbres, entre les années 1782 et 1783, l’esplanade. On aménagea de même l’avenue de Jardin-Fontaine, l’allée que nous nommons allée des Soupirs et qui porta pendant quelque temps le nom de Cloueterie. Des officiers du génie surveillèrent les travaux dont la dépense atteignit 6 500 livres environ.
On régularisa de plus le versant sud, et on rendit accessible aux voitures, en faisant sauter les rochers qui obstruaient le passage, le chemin qui descend vers la Meuse. C’est probablement à cette époque que l’esplanade, et pour cause, fut baptisée la Roche. On l’inaugura le soir du 2 août 1783, à l’occasion du voyage du frère du roi Louis XVI, le comte de Provence, futur Louis XVIII. Elle fut illuminée jusqu’à la porte de France par des « pots à feu », placés entre les arbres. Au centre, on avait élevé une pyramide, où étaient peintes sur des transparents éclairés, les armes du prince et celles de la ville. Ainsi s’est embellie cette promenade publique, ombragée aujourd’hui d’arbres séculaires, et d’où la vue embrasse la vallée que drainent lentement les eaux de la Meuse.
La clôture de la citadelle englobait l’abbaye de Saint-Vannes. L’église des apôtres Saint-Pierre et Saint-Paul, dite ensuite de Saint-Vannes, fut la cathédrale des quatre premiers évêques de Verdun. Leurs successeurs immédiats, après que le siège épiscopal eut été transféré dans la cité, en firent leur lieu de sépulture et Saint-Vannes, le 8e évêque, en établit une communauté de religieux. Au début du Xe siècle, l’évêque Barnoin, y installa des clercs et 8 chanoines, dont la vie ne fut pas un exemple de régularité. Aussi son successeur Bérenger les remplaça-t-il en 952 par des moines de l’ordre de saint Benoit. Ce fut l’origine de l’abbaye de Saint-Vannes qui demeura jusqu’à la Révolution.
L’abbaye de Saint-Vannes était située hors de l’ancienne Fermeté, sur la hauteur qui relie à l’Ouest le Châtel et la côte Saint-Barthélémy. Ses nombreux bâtiments, ses beaux jardins entourés de fortes murailles, étaient bordés au Midi par la route qui partait de la porte Châtel, aboutissait à la porte au Mainil et se dirigeait vers la Champagne et Paris. Les constructions entouraient deux cours : celle de l’Ouest comprenait le logement de l’abbé ; celle de l’Est renfermait le cloître, la salle capitulaire, la bibliothèque, le réfectoire, les cellules des religieux. Elle touchait au Sud à l’immense et belle église dont une des tours reste debout.
Quand au XVIIe siècle, Saint-Vannes eut été enserré dans l’enceinte fortifiée, certaines de ses dépendances furent utilisées pour le service militaire. Ainsi l’hôpital ou aumônerie, vaste salle du XIIe et du début du XIIIe siècle, avec ses trois nefs séparées par deux rangées d’arcades ogivales, devint l’arsenal. La Révolution prit possession du monastère le 17 mai 1790. Les religieux déclarant qu’ils ne voulaient pas abandonner leur retraite, on réunit à Saint-Vannes tous les moines des différentes communautés qui préféraient vivre en commun, mais qui durent se disperser le 14 octobre 1793. L’abbaye fut convertie en caserne et l’église fermée.
L’église et le cloître de Saint-Vannes méritent une mention spéciale. L’église fut rebâtie trois fois, au XIe, au XIIIe et au XVe siècle, et chaque fois avec la plus grande magnificence. Au XIe siècle, l’abbé Richard de Banton, qui dirigea l’abbaye de 1004 à 1046, présida à la première réfection. L’église reposait apparemment, à juger du moins par ce qu’il en reste aujourd’hui, sur piliers massifs, dans la proportion et le style des cathédrales romanes de la vallée du Rhin.
Elle avait son grand portail à l’Occident. Il s’ouvrait entre deux grosses tours carrées sur une nef centrale éclairée par des fenêtres cintrées, recouverte par un plafond horizontal à compartiments et terminée par trois absides voûtées et décorées d’arcades à l’intérieur et à l’extérieur. Au XIIIe siècle, l’abbé Louis de Hirgis, qui administra Saint-Vannes de 1197 à 1237, entreprit une seconde restauration dans laquelle il maintint le plein-cintre et conserva à la basilique la forme de la croix qu’il accusa davantage encore. Mais l’église qu’on a pu admirer jusqu’au XIXe siècle fut l’oeuvre d’Étienne Bourgeois, abbé de Saint-Vannes, qui vers 1430 en entreprit la reconstruction dans le style ogival. Elle fut achevée en 1520 par son successeur Nicolas Goberti.
Étienne Bourgeois garda le portail et les tours romanes et y adjoignit un vaisseau à trois nefs de hauteur presque égale, qui mesurait près de 60 mètres de long, 24 mètres de large et 18 mètres de hauteur sous la clef de voûte, et comptait 12 travées en dehors de la porte romane. Les trois nefs étaient séparées par des arcades ogivales, portées par des colonnes élancées et couronnées de chapiteaux savamment fouillés. Des losanges ou des roses d’un dessin varié, d’une exécution soignée, surmontaient les fenêtres, gracieuses et légères, à trois lancettes. Les voûtes étaient également ouvragées et les clefs sculptées. Celle qui dominait l’autel principal s’ornait de l’aigle à deux têtes du Saint-Empire.
Entre les contreforts extérieurs, de chaque côté des nefs secondaires, six chapelles très régulières à petites fenêtres ogivales. Au milieu des deux tours de la façade occidentale, brillait une magnifique rosace de création romane mais modifiée au XVe siècle dans le goût de l’époque. A l’intérieur, un mobilier d’une grande richesse dont les premières pièces dataient de Richard de Banton. L’extérieur, dont la pierre, qu’on s’était heureusement gardé de gratter ou de peindre, avait conservé sa belle teinte rosée, était surmonté de gracieux clochetons, et sur le haut des murs, régnait une longue balustrade, délicate comme une broderie.
Le cloître s’étendait au Nord de l’église, avec laquelle il communiquait sur trois côtés de la cour. Edifié au XIIIe siècle, dans le style ogival, il comptait 18 travées entières et 2 demi-travées. D’une régularité en quelque sorte mathématique, il se distinguait par l’harmonie des proportions, la grâce et le fini des détails.
Ces merveilles ont presque totalement disparu aujourd’hui. Tous les événements semblent avoir conspiré à leur perte. Dès la construction de la citadelle, on parla de culbuter Saint.Vannes. En 1552, on découronna les tours pour y mettre du canon. Marillac voulut raser l’abbaye. Sa disgrâce n’empêcha pas les projets d’abonder.
Louis XIV, frappé de la grandeur de l’église qu’il visita en 1687, en interdit la destruction. Lors de la Révolution, le Génie reçut la garde des bâtiments. La couverture de l’église menaçait ruine. Le colonel directeur Thiébaut proposa en 1817 un devis de 4 500 francs pour la réparation. Le comité des fortifications rejeta la proposition, prétendant que c’était à la ville à pourvoir à cette dépense. La ville trouva cette décision d’autant plus étrange qu’elle n’était pas propriétaire, et comme elle était fort pauvre à ce moment, elle n’accepta pas cette nouvelle charge, persuadée que le département de la guerre reviendrait à de meilleurs sentiments. Il n’en fut rien. Une visite que fit en 1818 à Saint-Vannes le duc d’Angoulême ne modifia nullement la situation.
Ordre fut donné en 1820 d’enlever la toiture pour éviter les accidents et dès lors, les voûtes à nu se corrompirent très vite. Le 11 octobre 1826 parut une note qui prescrivait la démolition complète de l’église. Le directeur du génie, à qui l’on ne doit nullement imputer la perte du monument, fit tout ce qu’il était possible pour sauver ce qui restait. Les colonels Petitot et Olry présentèrent de nouveaux rapports. Tout fut inutile et, entre 1831 et 1832, on supprima la basilique, sauf la tour septentrionale qui a survécu, grâce à l’idée émise par le colonel Petitot de la transformer en silo destiné à la conservation des grains et des farines de la garnison, idée qui ne fut d’ailleurs jamais réalisée.
On respectait le cloître, la salle capitulaire contiguë, et l’ancienne aumônerie. La grande rose centrale du portail fut léguée plus tard à l’église de la Chalade.
Le siège de 1870 a consommé la destruction : l’incendie causé par le feu de l’ennemi a détruit les annexes du cloître. Le cloître a singulièrement souffert, la salle capitulaire s’est effondrée et tous les bâtiments ont été criblés de boulets. Le délabrement où ils se trouvaient n’a pas permis de les conserver, et de tout cet asile de méditation, de travail et de paix que fut Saint-Vannes, il ne subsiste, à cette heure, que la tour romane du XIe siècle, dressant sa silhouette dépaysée au milieu des murailles bastionnées et des parcs d’artillerie.
En 1873, la Société philomathique intervint, et, grâce à certaine initiative privée, on eut le bonheur de recueillir et de déposer au Musée ou dans l’ancien cimetière de Saint-Victor quelques-uns de ces fragments très précieux, mais trop peu nombreux, qui devinrent, par la suite, la propriété de la ville.
Un amateur distingué, M. Clément, qui avait acheté ces débris, a entrepris tout récemment de relever, dans la cour de la maison qu’il habite rue de l’Hôtel-de-Ville, une partie du cloître Saint-Vannes. Il a pu reconstituer, outre la fameuse porte de la salle capitulaire, celle qui se trouve décrite dans le dictionnaire d’architecture de Viollet-le-Duc (tome VII, page 457) et dont la composition vaut un chef-d’œuvre. Nous espérons bien que M. Clément, dont le culte des belles choses est universellement connu à Verdun, ne s’arrêtera pas en si bon chemin, et continuera cette résurrection que tous ceux qui s’intéressent à notre histoire locale désirent sincèrement.
De très belles photos de la cathédrale et de la porte Châtel sur le blog d’Anthony Koenig.
La prochaine promenade nous emmènera sur la rive gauche de la Meuse.