Le siège de Metz en 1552

 

 

 

D’après la monographie « La France guerrière » – Charles d’Héricault – Louis Moland - 1868

 

Le siège de Metz est un des plus mémorables de l’ancienne France, et peu d’aventures de guerre excitèrent aussi vivement l’attention de l’Europe, l’émotion de l’Allemagne et l’enthousiasme de la France.

Le siège de Metz en 1552 dans La Moselle d'Antan Siege-de-1552-119x150La faiblesse de la ville, la puissance des moyens employés pour l’attaquer, les terribles conséquences que devait avoir sa reddition, tout explique cet intérêt que les incidents de la défense firent croître jusqu’à l’angoisse et l’exaltation patriotique.

Metz, dominée par des hauteurs voisines, était facile à battre de beaucoup de côtés, et elle ne pouvait même pas cacher aux ennemis les mouvements intérieurs de la défense, les préparatifs des sorties, les travaux des fortifications. Nous voyons que ce fut là un des grands sujets de préoccupation pour les assiégés. Elle était fortifiée à l’ancienne mode, c’est-à-dire de façon à ne pouvoir résister à l’artillerie.

Sa muraille était nue, non remparée. Elle n’avait aucun épaulement, aucun ouvrage avancé, aucun bastion. Entourée de trois côtés, au nord, à l’est et à l’ouest, par deux rivières, la Moselle et la Seille, elle était, du côté du sud, presque ouverte et défendue seulement par un vieux boulevard.

De plus, elle avait un développement considérable, il fallait presque une armée pour la défendre. Cette armée, la France menacée sur toute sa frontière du nord et de l’est, depuis Strasbourg jusqu’à Boulogne, et abandonnée par ses alliés, la France ne l’avait pas. Enfin, non seulement il n’y avait pas à se fier au dévouement des habitants, mais on devait compter, au contraire, sur l’antipathie, sur l’hostilité plus ou moins déclarée de la ville.

Celle-ci, hier encore, ville libre de l’Empire, république aristocratique, très fière, très riche, tout indépendante, occupée par surprise, était plus impériale sans doute que française, et M. de Brabançon, lieutenant de la reine de Hongrie, un des principaux officiers de l’Empereur, se vantait d’avoir des intelligences avec les plus notables habitants, les Tallanges, les Baudoche, les Gournay, « les plus anciens gentilshommes de la ville de Metz ».

Charles-Quint était là en personne, le puissant empereur, le redouté, le victorieux, avec une armée supérieure en nombre à toutes celles qu’il avait jamais mises sur pied. Il y avait réuni les plus braves de ses soldats, les plus énergiques représentants de ses peuples innombrables, depuis la Baltique jusqu’au détroit de Gibraltar. Tout ce qui était vaillant en haute et basse Allemagne, dans les Pays-Bas, en Espagne, en Italie, était venu se joindre à lui pour prendre part à cette curée de la France.

Il y avait autour de la ville cent quarante-trois enseignes allemandes, vingt-sept espagnoles, seize italiennes, plus de douze mille cavaliers, cent quatorze pièces d’artillerie, en résumé près de cent mille hommes, dont soixante mille de fort bonnes troupes et sept mille pionniers.

L’Empereur avait juré qu’après cette armée, il lui en viendrait une autre, deux autres, trois autres, et qu’il ne quitterait pas Metz avant d’avoir repris cette ville impériale, dont la conquête le menait, par la Champagne ouverte, jusqu’au cœur de la France. Il avait su intéresser à sa querelle la vanité germanique : comment laisser, entre les mains des Français, le duché de Lorraine et les trois évêchés Metz, Toul et Verdun ? N’était-ce pas terre allemande ?

C’était là encore ce qui donnait à ce siège un si poignant intérêt : la grosse querelle entre la Gaule et la Germanie, entre l’Empire et la France, continuait. Nous avions été bien souvent vaincus dans cette lutte, pendant le règne du grand et chevaleresque roi François Ier.

Le jeune Henri II allait-il être plus heureux ? Il avait su habilement profiter de la guerre religieuse et civile, des dissensions entre l’Empereur et les princes protestants, pour conquérir, au commencement de l’année l552, cette partie de « l’héritage des Francs», que les troubles de la féodalité en avaient séparé. Il voulait aller plus loin et reprendre tout le territoire de la Gaule jusqu’au Rhin. C’était un projet national et, dit Vieilleville, « toute la jeunesse des villes quittait père et mère, pour se faire enrôler ». On voulait voir la rivière du Rhin.

Mais les Allemands avaient bien vite fait la paix entre eux. Tous les confédérés avaient abandonné le roi de France. Seul, le margrave Albert de Brandebourg, l’un des fondateurs de la monarchie prussienne, lui était resté en apparence fidèle. Mais en réalité, préoccupé de projets de trahison, il cherchait uniquement à rendre cette trahison plus dangereuse pour la France. Il avait parfaitement réussi.

Après avoir, étant encore à la solde de la France, pillé les alliés de la France, mis à feu et à sang, avec une véritable rage, tous les pays qu’il parcourait, après avoir essayé de s’introduire, sous couleur d’amitié, dans Metz, il demanda, préparant de loin sa trahison, avec une fourberie de marchand plutôt que d’homme de guerre, au duc de Guise le partage des provisions, que celui-ci avait eu tant de peine à rassembler dans la ville.

Puis, sentant que sa conduite équivoque n’allait bientôt plus tromper le roi Henri II, il se jeta sur un petit corps de cavalerie française qui l’accompagnait, l’écrasa, fit prisonnier son chef, le duc d’Aumale, frère du duc de Guise, et, le traitant avec une insolence lâche et grossière, il l’amena à l’Empereur, auprès duquel il se rendit avec toute son armée.

Ce fut là une des causes de cette angoisse qui saisit les Français au commencement du siège. Il y en avait d’autres encore. Le comte de Reux, général de l’Empereur, avait envahi le nord de la France, avait pris Noyon, Nesle, Roie, Hesdin, une de nos villes les plus fortes. Il avait fallu que le roi et le connétable de Montmorency quittassent Saint-Mihiel où ils étaient venus pour secourir Metz et qu’ils se rendissent dans la Picardie avec la petite armée qu’ils avaient rassemblée.

Le duc de Guise n’avait donc plus rien à attendre que de lui, et du courage de ses soldats. Mais ses soldats étaient la fleur de la noblesse et de l’armée françaises. Quant à lui, il montra des qualités d’énergie, de prévoyance, de prudence et d’activité qui en font un de ces hommes de guerre dont la patrie peut être fière.

Il était arrivé dans la ville dès le 17 août, et depuis ce jour jusqu’à la fin du siège, personne ne lui vit plus donner une heure à son plaisir personnel. Tout était à faire en cette ville de huit à neuf mille pas de tour, et qui n’était réellement défendue en aucun endroit. Avec l’aide de gens experts en l’art des fortifications, de l’illustre Pierre Strozzi, de Camille Marini, de M. de Gounor et surtout du vieux M. de Saint-Remy, l’ingénieur qui commençait à enlever aux Italiens la renommée d’être les plus habiles artificiers du monde, avec l’aide de ces personnages, Guise s’était mis à visiter les murailles et à entreprendre de fortifier la place.Francois-de-Lorraine-duc-de-Guise-109x150 dans La Moselle d'Antan

Il y procéda avec cette fermeté qui ne reculait devant rien, avec ce génie d’observation qui ne se démentit jamais et qui lui fit dès lors, comme en toutes les circonstances du siège, deviner les réflexions, les projets, les ruses, les tentatives de l’ennemi, avec toutes ces qualités enfin que nous venons d’énumérer plus haut et parmi lesquelles il faut toujours rappeler une infatigable activité.

On rempara les murailles, on fit les fossés, les tranchées, les bastions. On abattit sans pitié tons les bâtiments qui joignaient les murs. On changea les églises en citadelles, et sur les hauts clochers on établit des plates-formes, chargées de canons destinés à répondre à ceux que les ennemis ne manqueraient pas de disposer sur les montagnes voisines.

Il fallait, tout en travaillant sans relâche et en faisant appel aux habitants du pays messin, songer à la moisson qui demandait tous les bras des paysans, car la récolte du blé et du raisin qui se préparait, était tout aussi nécessaire à la défense que les bonnes murailles et les plus grands courages.

Dès ce moment, on se mit donc à l’œuvre, et comme on continua de le faire au travers de toutes les péripéties du siège, « chacun, dit un des témoins, fut occupé à porter la terre pour remparer jour et nuit. Messieurs les princes, seigneurs, capitaines, lieutenants, les généraux, M. de Guise lui-même, portaient la hotte, pour donner courage aux soldats et aux citoyens à faire de même. Ce que tous faisaient, jusqu’aux dames et demoiselles. Et ceux qui n’avaient pas de hottes s’aidaient de chaudrons, paniers, sacs, draps, de tout ce qui pouvait servir à transporter la terre. Quant à M. de Guise, il faisait porter son diner aux endroits où l’on travaillait, pour surveiller et encourager, et il ne sortait de la ville que pour aller visiter le pays et se rendre bien compte des endroits où les ennemis seraient tentés de s’établir et où les Français pourraient dresser des embuscades ».

Il fit ensuite affluer dans la ville toutes les provisions du pays. Il fit améliorer et changer les vieilles poudres qui pourrissaient dans les magasins depuis quarante ans, et rompit à la future discipline du siège les soldats et les gentilshommes qui accouraient de toutes parts.

C’est alors qu’il dut se livrer à une lutte diplomatique avec ce margrave Albert de Brandebourg, qui, en invoquant sa position d’allié du roi de France dont il touchait la solde et qu’il se préparait à trahir, essayait toute fourberie, tantôt pour attirer Guise dans un guet-apens, tantôt pour se faire livrer une porte de la ville et introduire ses Prussiens dans la cité, mais surtout pour se faire donner les provisions que le gouverneur avait rassemblées à si grand’peine.

Guise se défiait de ce personnage et, sans lui donner prétexte de fâcherie, il sut déjouer toutes ses ruses. Mais la conduite du margrave devint si équivoque, que le connétable, campé à Saint-Mihiel, n’osa envoyer les secours d’hommes et d’artillerie attendus par la ville. Cette artillerie surtout fit grand défaut. Quant aux hommes, l’enthousiasme avec lequel toute la noblesse française accourait défendre cette porte d’entrée de la France, aida à combler les vides de la garnison.

Du reste, à ce moment on n’avait encore que des craintes. Ou savait que l’Empereur avait convoqué ses capitaines de tous pays et qu’il rassemblait, entre Inspruck, Munich, Augsbourg et Ulm, une année formidable. Puis cette armée s’ébranla. Elle passa le Rhin.

Les capitaines que Guise envoyait à la découverte lui rapportaient que les Impériaux étaient à Spire, puis aux Deux-Ponts, à quinze lieues de Metz. Les probabilités du siège augmentaient. On pressa la rentrée des provisions de toute sorte et on concentra dans la ville les petits corps répandus dans le voisinage. Puis, on détruisit tous les faubourgs de Metz, de crainte que les ennemis n’y trouvassent des facilités pour approcher les murailles et les battre à l’abri.

La fin de septembre était venue. L’automne était aussi beau que l’hiver devait être rigoureux. L’armée allemande avançait toujours et toujours grossissait. Elle touchait à la Moselle, puis à la Sarre. Elle était à Saarbruck, puis à Forbach, à sept lieues de Metz.

Il était difficile de douter désormais des intentions de l’Empereur. Les escarmouches commençaient entre la cavalerie envoyée par François de Guise et les coureurs de l’avant-garde allemande. Tous les renseignements étaient d’accord pour faire monter l’armée ennemie à plus de cent vingt mille hommes, et c’est aussi l’opinion de quelques-uns des annalistes contemporains.

Guise avait alors quatre mille cinq cents hommes de pied et six cent vingt hommes de cavalerie, et il prévoyait bien qu’il n’avait pas grand secours à espérer désormais. Mais il savait que cette petite armée « était composée de gens de bien, » et il se résolut à s’enfermer dans la place et à la défendre jusqu’à la mort.

Toutefois, comme il n’y avait à attendre que peu d’aide des habitants, et qu’il y avait à craindre la trahison de plusieurs d’entre eux, comme il fallait, en ce péril suprême, avec une si petite troupe, en face d’une telle armée, être au moins à peu près sûr de la cité qu’on défendait, le duc, après avoir pris toutes précautions pour protéger les biens des habitants, les engagea à quitter la ville et il n’y garda qu’une centaine de prêtres, pour célébrer le service divin, et environ deux mille ouvriers de tous états.

La noblesse française accourait toujours à Metz comme à un rendez-vous d’honneur. Un prince du sang de France, le prince de la Roche-sur-Yon venait d’arriver suivant deux princes lorrains, un prince de Savoie, le duc de Nemours, le duc Horace Farnèse, et une foule de seigneurs, de capitaines, de gens d’armes.

Les ennemis approchaient toujours, les escarmouches devenaient plus fréquentes, car Guise, suivant le système qu’il employa jour et nuit pendant tout le siège, ne laissait pas aux Impériaux une heure de repos.

Le 17 octobre, la cavalerie ennemie était aux Étangs, à trois lieues de Metz. Le 19, les deux généraux de l’Empereur, deux généraux renommés du seizième siècle, le duc d’Albe et le marquis de Marignan, vinrent, avec vingt mille hommes, reconnaître la ville. Le siège était commencé.

Du haut de la Belle-Croix, les généraux étudièrent attentivement les fortifications tandis que leurs troupes tâtaient les nôtres à divers endroits de la ville. Mais elles les trouvaient « roides et assurées ». L’escarmouche dura depuis onze heures jusqu’au soir. Les ennemis se retirèrent laissant les Français très fiers de ce début, et pendant trois jours, on fut en repos. On en profita pour activer le travail des fortifications, quoique avec une si grande ville et qui avait tant de côtés faibles, on ne sût « auquel on devait premièrement entendre ».

Le 20 du mois, à cinq heures du matin, un grand bruit de tambours battant aux champs annonça que l’armée approchait. En effet, à sept heures, quand le brouillard tomba, on vit apparaître l’avant-garde au nord de la cité. Une partie de l’armée ennemie grimpa le mont Chatillon, pour y asseoir le camp, tandis que le reste se tenait en bataille au nord-est, jusqu’à ce que le camp fût logé. Ce soir-là, à minuit, arrivèrent à Metz deux princes du sang de France, le duc d’Enghien, le prince de Condé, les deux fils du connétable, accompagnés d’une centaine de gentilshommes. On prit les dernières dispositions pour faire régner la plus dure discipline, pour ne laisser aux traîtres et aux espions aucune occasion d’intelligence avec les ennemis, et on distribua les postes de combat.

A la fin du mois le siége avait pris les plus vives allures, et comme le dit une des nombreuses chansons populaires qui célèbrent si curieusement ce grand évènement :

Le mardi, devant la Toussaint,
Est arrivée la Germanie
A la Belle-Croix des Messins,
Faisant grande escarmoucherie.
Mais les Français, d’âme hardie,
Au-devant d’eux s’en sont allés.
C’était pour rompre leur folie
De venir voir en nos fossés.

Doubles canons ils ont menés
A la Belle-Croix dessus dite,
Pour battre le Palais de Metz.
Les grandes églises et petites.
Mais ils ont trouvé les reliques.
Aux Carmes et aux Cordeliers,
De deux pièces d’artillerie
De quoi on les a salués.

Les Allemands rentrèrent à leur cantonnement du mont Chatillon. Mais ils y restèrent peu. Le jour de la Toussaint, ils commencèrent à descendre vers la partie méridionale. Le marquis de Brabançon, avec les gens des Pays-Bas, garda cette première position et y établit un camp que les Français nommèrent malicieusement le camp de la reine Marie. Le duc d’Albe et le gros de l’armée vinrent s’établir entre les deux rivières, en face de la muraille du sud, qui était la partie la moins naturellement forte de la place.

Les autres quartiers de la ville avaient jusque-là donné tant d’affaires aux assiégés, que l’on n’avait pu travailler beaucoup à celui-ci. L’on se mit à la besogne avec une sorte de fureur et au bout de huit jours l’on avait construit, derrière la vieille muraille, un rempart haut déjà de trois pieds, et de vingtquatre pieds de large. Les ennemis s’étaient établis dans toutes les ruines des faubourgs, des abbayes, des hameaux, situés entre la Moselle et la Seille. Les tranchées étaient commencées ainsi que tous les terrassements qui devaient porter l’artillerie des assiégeants.

Pendant ces huit jours, les mauvaises nouvelles se succédèrent, comme pour nous enlever le courage. D’abord, on vit, à l’essai, que la grosse artillerie, trouvée dans la ville, était mauvaise. Les pièces éclatèrent. Il nous fut impossible de nous opposer, autrement que par des sorties et des escarmouches, aux mouvements, un peu lointains, de l’ennemi. Il fallut que le duc improvisât des canonniers, pour essayer de faire refondre les vieilles pièces.

On apprit, d’un trompette ennemi, la prise de Hesdin par les troupes de l’Empereur, et les incidents qui forçaient le roi et le connétable à quitter les environs de la Lorraine et à faire perdre aux assiégés, l’espérance de secours.

Guise, à la première nouvelle de ces échecs en Picardie, avait, du reste, envoyé un homme d’esprit et de hardiesse, Thomas Delvêche, auprès du roi, pour lui dire qu’il ne s’inquiétât point de Metz : elle avait des vivres pour longtemps, et il connaissait assez le cœur et la vertu des gens de bien qui étaient dans la ville pour espérer, avec la grâce de Dieu, la défendre contre tous les assauts.

On avait découvert des espions et des intelligences entre la place et les assaillants. On remarquait aussi que tous les blessés mouraient et l’on en concluait que les médicaments étaient empoisonnés. Enfin, le marquis de Brandebourg avait mis fin à sa conduite hypocrite ; il avait, comme nous l’avons dit, écrasé un petit corps de troupes françaises qui l’accompagnait, et amenant, avec lui le frère de François de Guise, le duc d’Aumale, qu’il avait fait prisonnier et à qui il prodiguait les mauvais traitements, il vint, avec son armée de plus de vingt mille hommes, camper à l’occident de la ville. Il donnait les mains, à sa gauche, aux Impériaux de Brabançon, et, de sa droite, il touchait au grand camp du duc d’Albe. La cité était donc entourée par une ceinture d’ennemis.

Dans la nuit de la Toussaint, il était encore entré vingt-cinq ou trente gentilshommes venant de Verdun. Mais, à partir de ce jour, on ne put entrer dans la ville qu’avec difficulté, et cela devint bientôt comme impossible.

Toutefois, il y entra encore un homme, bien humble au regard des puissants princes qui se trouvaient là, et dont pourtant l’arrivée fut célébrée avec la même joie que la venue d’une troupe de renfort. Je veux parler du grand médecin Ambroise Paré. « On gagna un capitaine italien, dit Ambroise Paré lui-même, qui promit de me faire entrer. Je me mis en chemin avec lui, mon apothicaire, et un cheval qui portait sa pleine charge de drogues. Nous partîmes de Verdun. Nous n’allions que de nuit. Quand nous fûmes à une lieue et demie du camp, je vis, à deux lieues à la ronde, des feux allumés autour de la ville ; on eût dit que toute la terre brûlait, et il m’était avis que nous ne pourrions jamais passer autour de ces feux sans être découverts, et par conséquent, pendus ou étranglés. Pour vrai dire, j’eusse bien voulu être encore à Paris. Mais Dieu conduisit si bien notre affaire que nous entrâmes dans la ville à minuit, à l’aide d’un certain signal que mon capitaine fit à un autre capitaine de M. de Guise. J’allai trouver incontinent ce seigneur à son lit ; il me reçut de bonne grâce, étant tout joyeux de ma venue ».

Bientôt les tranchées s’approchent de la ville. Les redoutes sont élevées et garnies de canons formidables. L’artillerie commence à tonner et les batteries ennemies à mordre les murailles, tantôt ici, tantôt là, à essayer les murs, les tours, les bastions. Et, tantôt ici, tantôt là, les princes et pionniers couraient avec la hotte, les sacs de laine, les gabions, les fascines, appuyant, épaulant, bâtissant, répondant aux offres de capitulation, que l’on verrait plutôt la fin de la vie de l’Empereur que la fin du siège.

Puis, de jour et de nuit, sortant par les trois portes que l’on avait laissées ouvertes dans la ville, ils allaient tuer à coups d’épée les soldats dans les tranchées, dresser des embuscades aux troupes qui sortaient du camp, mettre en fuite et piller les fourrageurs et les convois des Allemands, faisant des reconnaissances de tout côté, échangeant parfois des coups de lances entre les capitaines, tandis que les arquebusiers se saluaient de coups de feu. Il ne se passait point de jour que nos soldats n’allassent donner l’alarme aux ennemis, battre les chemins entre le camp, faisant du butin, des prisonniers, du dégât.

« Nos gens faisaient souvent des sorties, dit encore Ambroise Paré. Dès la veille, il y avait presse à se faire enrôler pour ces sorties, car c’était une grande faveur d’avoir permission de courir sur l’ennemi. On sortait au nombre de cent ou cent vingt, bien armés, avec rondaches, coutelas, arquebuses, pistolets, piques, pertuisanes, hallebardes, et l’on allait jusqu’aux tranchées réveiller l’ennemi en sursaut. Alors l’alarme se donnait dans tout le camp. Leurs tambours sonnaient. Pareillement leurs trompettes et clairons ronflaient et sonnaient. Et tous leurs soldats criaient : A l’arme, à l’arme, aux armes, armes, comme l’on fait la huée après les loups. Tous criaient en divers langages, selon les pays, et on les voyait sortir de leurs tentes et petites loges pour secourir leurs compagnons qu’on égorgillait comme des moutons. La cavalerie venait également de tous côtés, au grand galop, et il leur tardait bien de se trouver au milieu de la mêlée, où l’on donnait et recevait les coups.

Quand les nôtres étaient forcés, ils revenaient vers la ville, toujours en combattant. Ceux qui les poursuivaient étaient repoussés à coups d’artillerie, qu’on avait chargée de cailloux, de morceaux de fer découpés en carrés et en triangles. Ceux de nos soldats qui étaient sur la muraille faisaient pleuvoir, dru comme grêle, un feu d’escopetterie et des balles sur les ennemis, pour les envoyer coucher, et plusieurs n’allaient pas bien loin, mais demeuraient surplace. Nos gens aussi ne s’en revenaient pas tous avec la peau entière. Il en restait toujours quelques-uns derrière pour la dîme. Mais ils étaient joyeux de mourir au lit d’honneur. Quelques jours après, on faisait d’autres sorties, ce qui fâchait fort les ennemis, parce qu’ils ne pouvaient dormir en sûreté ».

Toutefois, la tranchée avançait toujours et elle approcha bientôt assez pour que les soldats des deux partis pussent échanger des injures.

Le 20 novembre, l’Empereur arriva en personne au camp, et sa venue fut révélée aux assiégés par de grandes salves d’arquebuserie et d’artillerie. Il passa toute l’armée en revue. Cette arrivée décupla l’énergie des assiégeants. Et, tout étant prêt, commença la plus terrible canonnade qu’on eût encore entendue en Europe, et qui retentissait à quatre lieues à la ronde.

Ils avaient surtout une batterie de vingt-cinq à trente pièces, d’un calibre énorme pour le temps, et qui se mit à battre la muraille méridionale, aux environs de la porte Champenoise, avec une telle furie, qu’en peu d’heures on compta mille trois cent quarante-trois coups, et que la muraille fut percée en plusieurs endroits. La canonnade recommença les jours suivants, avec la même rage.

Pendant ce temps, de jour et de nuit, l’on travaillait à bâtir un nouveau rempart derrière ce mur entamé. Arriverait-on avant l’ennemi, dont l’artillerie, commandée par un des plus renommés généraux de cette arme, don Juan Manrique, faisait cruellement merveille ? Aurait-on bâti le rempart avant l’effondrement total de la muraille ?

« Le vingt-huitième de ce mois de novembre, dit un des témoins et chroniqueurs du siège, Bertrand de Salignac-Fénelon, les ennemis, continuant leurs batteries, ouvrirent la tour d’Enfer de dix-huit ou vingt pieds de large. Sur le midi, tout le pan de mur, entre les tours des Wassieux et des Lainiers, après avoir été fortement battu, assez près du sol, commença à pencher en dehors et à se séparer de la terre qui l’appuyait. Deux heures après, sous les coups de l’ennemi, ce mur tomba tout d’un coup dans le bastion. Heureusement, il s’affaissa plutôt qu’il ne tomba, rendant la montée malaisée pour l’assaut. Les Allemands, voyant renverser la muraille, jetèrent un cri et firent montre d’une grande joie, comme s’ils étaient sur le point d’arriver à la fin de leur entreprise. Mais quand la poussière abattue leur laissa voir derrière la brèche un rempart haut déjà de huit pieds, on n’entendit plus leur risée.
Un de nos soldats, nommé Montilly, fit la bravade de descendre immédiatement par la brèche, comme pour dire aux ennemis qu’il ne se souciait guère qu’on pût aisément y monter. Nos gens de guerre, de pied et de cheval, plantèrent leurs enseignes, guidons et cornettes sur le rempart, et tous les matins, au changement de garde, on ne manquait pas de lesy déployer ».

« Nos soldats, reprend Ambroise Paré, criaient à ceux du dehors : Au renard, au renard, au renard ! et échangeaient mille injures avec eux. Mais, M. de Guise ayant défendu, sous peine de mort, qu’on parlât aux assiégeants, de crainte que ce ne fût à quelque traître l’occasion de dévoiler ce qui se passait dans la ville, nos hommes attachaient des chats vivants au bout de leurs piques, échangeaient avec eux des cris de : Miaut, miaut, miaut, et les lâchaient. Les Impériaux étaient furieux d’avoir tant dépensé pour faire une brèche de quatre-vingts pas, où l’on pouvait entrer cinquante hommes de front, et de trouver derrière un rempart plus fort que la muraille ».

« Grand nombre de nos arquebusiers, continue Salignac, comme si cette muraille n’eut été pour eux rien autre chose qu’un obstacle, s’étaient mis dessus pour tirer dans les tranchées et les cavaliers de l’ennemi. Aussi leurs soldats de tranchée firent-ils de petites embrasures dans leurs terrassements, par lesquelles ils pouvaient tirer à couvert et en plein dans la brèche, pour empêcher les nôtres d’oser s’y présenter. Toutefois, les gens d’armes, ayant l’armet en tête et vêtus de leurs blouses de travail, montaient tout au haut de la muraille, pour vider les hottes de terre. Ils paraissaient si peu craindre le danger que les pionniers et les femmes mêmes, qui travaillaient au rempart, s’accoutumèrent peu à peu à monter avec eux.

Pendant tout le reste de ce jour, les ennemis essayèrent à coups de canon ce rempart qui les avait tellement surpris. Mais, quoiqu’il fût fraîchement fait, il se trouva assez fort, en plusieurs endroits, pour arrêter le boulet.

A la nuit, la canonnade cessa. Mille coups environ avaient été tirés ce jour-là. Nous nous mîmes au travail pendant les ténèbres et avec plus d’activité que jamais, pour élever et renforcer le rempart, pour étayer la tour qui s’était écroulée ».

Les assiégés attendaient l’assaut que le margrave Albert de Brandebourg avait demandé à l’Empereur la faveur de donner aux Français, promettant de prendre la ville sans grande difficulté. Pendant ce temps, nous continuions ces sorties hardies et furieuses, telles qu’on les estimait faites plutôt par des « esprits diaboliques que par des hommes mortels ».

Nous avions aussi au dehors divers corps de troupes qui, par leur courage et leur activité, se montraient dignes des assiégés. Elles étaient sous le commandement général de M. de Nevers. Elles couraient toute la Lorraine, prenant les villes occupées par les Impériaux, saccageant les villages où ils étaient cantonnés, enlevant leurs convois, exterminant les corps de troupes qui s’éloignaient du camp, et se livrant à une guerre de partisans, incessante, sans pitié, guerre toute de hardiesse et de ruses, guerre dramatique, pittoresque, joyeuse, dont Roger de Rabutin et le maréchal de Vieilleville se sont faits les historiens.

Le premier de ces deux capitaines avait son quartier général à Toul, sous M. de Nevers et sous ce vieux gouverneur d’Esclavolles qui, sommé de rendre cette place sans défense, répondait sévèrement : « Prenez d’abord Metz, nous causerons ensuite de Toul ».

C’est de Verdun que Vieilleville partait pour ces expéditions si habilement combinées, si énergiquement exécutées, qui le firent surnommer par Charles-Quint le Lion-Renard, et où il était conduit par l’irritation que lui avait causée la lâche trahison du margrave Albert de Brandebourg. Il est vrai que Vieilleville jouait gros jeu avec de tels personnages, avec ce vieil empereur auquel le sentiment de la générosité avait toujours été inconnu et qui mit à prix la tête du Lion-Renard et jura qu’il le ferait empaler.

Quant au margrave, à chaque défaite de ses soldats, il courait ivre de fureur près de son prisonnier, le duc d’Aumale, lui mettait le couteau sur la gorge avec force paroles insultantes, lui jurant qu’il le « crèverait à coups de pistolet ». Par un raffinement de grossièreté allemande, il se vengeait de ses échecs en forçant le prince lorrain à garder la même chemise pendant trente-six jours et en parant son propre corps « d’ivrogne, » des babils que le duc de Guise envoyait à son frère « pour le rafraîchir ».

Vieilleville continuait la guerre, enlevant les convois, prenant les châteaux, les villes même, parmi lesquelles Pont-à-Mousson, exterminant les petits corps d’armée et cherchant jusque tout près de Metz, les soldats du margrave. Il en tua mille aux portes du camp, dans ce village de Rougerieulle, situé dans la montagne, d’où il nous montre la ville de Metz, à l’aube, « là-bas, en la plaine, avec toute l’armée de l’Empereur, l’assiette du siège et des camps que l’on voyait aussi à clair que l’on voit Paris de Montmartre, Rouen du mont Sainte-Catherine, Lyon de Fourvières. Chose si admirable à voir que l’on ne pouvait rien désirer de mieux, surtout les tonnerres et les éclairs de chaque côté d’où l’on s’entre-tirait incessamment, surtout encore les volées des trente canons en batterie contre la brèche, là où les canonniers faisaient une telle diligence qu’en moins d’une heure nous en vîmes tirer dix-huit coups dont le tremblement était si fort qu’il nous soulevait et nous faisait perdre terre. Mais l’aube du jour apparut plus grande, car nous étions en décembre et il était près de sept heures. M. de Vieilleville commanda que chacun prît, s’il voulait, le plaisir de cette vue, mais qu’il se hâtât, car le marquis Albert était un fort mauvais voisin. Il fit sonner trompettes et partit en disant que ceux qui n’avaient pas dormi dormiraient à cheval ».

Malgré tous ces efforts, la position des assiégés ne s’améliorait guère. L’artillerie ennemie était tellement supérieure, qu’elle pouvait raser tout ce qu’elle voulait, et de fait il y avait des brèches de toute part. L’hiver était arrivé avec toutes ses rigueurs, la neige était tombée en grande masse, le froid était intense. La nuit, on entendait des bruits souterrains qui indiquaient le travail des mines. Le duc de Guise venait écouter au pied des murailles pour tâcher de saisir la direction de ces sapes, et comme le dit l’une des chansons populaires, « le vieil gendarme Saint-Remy nuit et jour cherchait dans les caves » pour trouver les endroits propres aux contre-mines. En effet l’on en commença plusieurs.

Le gouverneur, pour répondre aux rodomontades de l’Empereur, qui jurait qu’il ne quitterait pas Metz avant de l’avoir prise et d’avoir exterminé la garnison, dût-il y user trois armées, le gouverneur commença à mettre la garnison à la portion congrue. Il savait qu’il n’avait pas de secours à attendre avant longtemps. Il commença à diminuer d’un quart la nourriture des hommes, à faire tuer et manger les chevaux inutiles. On était du reste décidé à ne pas se rendre avant d’avoir mangé « ânes, mulets, chiens, chats, rats, même les bottes, les collets et les autres cuirs qu’on eût pu amollir et fricasser ».

Le 7 décembre, l’armée ennemie s’ébranla. On attendit l’assaut. Chacun se rendit à son poste de combat, aux brèches, aux bastions, aux places de secours, le long des murailles. On était peu de monde pour garder une si grande ville, mais tout le monde était prêt à bien faire. Les princes de Bourbon, de Lorraine, de Savoie et les fils du connétable prirent le premier rang à la grande brèche. Le vieux Saint-Remy avait préparé « tous ses artifices à feu et engins de guerre ».

L’armée ennemie s’avança, puis elle s’arrêta. On resta ainsi tout le jour. Les assiégés étaient graves, recueillis et déterminés. Quand la nuit vint sans avoir amené l’assaut, on supposa que les Allemands avaient vu la brèche garnie de trop de « museaux de fer, de morions et de corselets » pour oser s’aventurer.

Mais ce devait être sans doute partie remise, et maître Ambroise Paré nous indique les énergiques précautions des assiégés.

« On avait préparé toute espèce d’artifices de feu, comme boîtes, barricades (petits barils), grenades, pots à feu, lances ardentes, torches, fusées, cercles entourés de chausse-trapes, fagots brûlants. On avait, en outre, de l’eau bouillante, du plomb, de la poudre de chaux vive pour brûler les yeux des assaillants.
On avait donné l’ordre de percer les maisons de chaque côté pour loger les arquebusiers et prendre les ennemis en flanc. Les femmes devaient dépaver les rues et jeter par les fenêtres bûches, tables, tréteaux, escabelles pour effondrer les cervelles.
Plus loin, derrière la brèche, on avait établi un gros corps de garde remparé de charrettes, de palissades, de tonneaux pleins de terre, armé de petites pièces de canons qui eussent rompu les jambes et ainsi pris les Allemands en flanc, tête et queue. S’ils avaient forcé ces défenses, ils en eussent trouvé d’autres de cent pas en cent pas, qui ne se seraient pas mieux conduites que les précédentes et eussent fait beaucoup de veuves et d’orphelins. Enfin, il leur eût fallu encore emporter sept gros bastillons, commandés chacun par un prince et où tous étaient décidés à se défendre jusqu’au dernier soupir de leur âme.
On avait résolu de porter les trésors, l’argent, les joyaux, les plus riches meubles dans la grand’place et de les réduire en cendre, afin d’empêcher les ennemis d’en faire profit.
Il y avait, en outre, des hommes énergiques dont la mission était de mettre le feu aux maisons et aux poudres, afin de tout détruire, la ville, les Allemands et nous.
C’était le consentement de tous, qui préféraient voir ces extrémités que de tomber aux mains des cruels Espagnols. Et on eût vu là quelque chose qui eût rappelé la destruction de Troie et de Jérusalem ».

L’assaut ne se donnait pas, au grand déplaisir de l’Empereur, dont la situation d’esprit nous est peinte naïvement dans une lettre du duc d’Albe interceptée par Vieilleville.

« L’Empereur, sachant que la brèche était plus que raisonnable et que pas un de ses capitaines ne s’offrait pour y monter, s’y est fait porter par quatre lansquenets, et l’ayant vue, il dit en grande colère :
Comment, plaies de Dieu ! n’entre-t-on point là-dedans ? La brèche est grande et à fleur de fossé ! Vertu Dieu ! à quoi cela tient-il ?
Je lui ai répondu que nous étions avertis que le duc de Guise avait fait faire derrière la brèche un fort retranchement garni d’un milliasse d’artifices de feu, tellement qu’il n’y avait pas d’armée qui n’y dût périr.
Mort Dieu ! reprit l’Empereur, que ne l’avez-vous fait essayer ! Croyez-vous aveuglément ce que l’on vous rapporte ?
J’ai été contraint de lui répliquer que nous n’avions pas affaire à une ville d’Allemagne, qui se rend quand on la menace, mais qu’il y avait là-dedans dix mille braves hommes, soixante grands seigneurs, neuf ou dix princes du sang royal de France, comme Sa Très Sacrée Majesté a pu le connaître par les sanglantes et victorieuses saillies qu’ils ont faites sur nous. Sur cette remontrance sa colère s’est accrue.
Ah ! Je renie Dieu ! Je vois bien que je n’ai plus d’hommes ! Il me faut dire adieu à l’Empire, à toutes mes entreprises et au monde, et me confiner en quelque monastère, car je suis vendu et trahi, à tout le moins mal servi, et, par la mort Dieu ! avant trois ans je me ferai cordelier !
Il est vrai que nous avons mal réussi jusqu’ici. Nous avons eu tort de vouloir combattre les hommes et le temps ».

L’hiver était, en effet, le meilleur auxiliaire des assiégés. La peste, la faim, le froid décimaient les Allemands. Capitaines et soldats demandaient à grand cri qu’on les menât aux brèches aimant mieux périr de la main de l’ennemi que de misère. Mais les généraux, que les entreprises, les sorties et les attaques continuelles des Français portaient à la réflexion, craignaient que l’armée n’y fût anéantie et qu’un retour offensif des Français victorieux ne leur rendît, après des assauts meurtriers, la retraite difficile, sinon impossible.

Puis l’Empereur avait demandé quels étaient ceux qui se mouraient, si c’étaient des gens de marque. Quand il eut appris que c’étaient de pauvres soldats, il dit que c’était un bien qu’ils mourussent et qu’il y a toujours trop de chenilles et hannetons pour manger les fruits de la terre. Il ajouta encore qu’il prendrait la ville par force ou famine, car la prise de tant de seigneurs lui compenserait sa dépense au quadruple, et il voulait encore une fois aller visiter les bons Parisiens et se faire à Paris couronner roi de France.

Le siège continua. Mais ni brèche, ni sape, ni mine n’avaient amené de résultats. Nous n’étions ni moins fréquents ni moins hardis dans nos sorties et nos entreprises, et l’on savait que nous étions décidés à mourir avant de nous rendre. La vie dans les camps devenait intolérable. Les soldats désertaient et venaient hâves, déguenillés, presque mourants se rendre à nos coureurs qui les accueillaient et les soignaient. Les généraux désespéraient du succès. On commença dès le jour de Noël à voir de la ville certains mouvements annonçant que l’Empereur cédait enfin. Mais on n’y voulait pas croire.

Ce fut le 27 que, dans une de leurs sorties, les nôtres trouvèrent vide le camp des Italiens. Les Français redoublèrent d’activité. La retraite se faisait lentement et en force. L’Empereur était encore au camp. Le 27 et le 28, la canonnade dura plus forte que jamais.

Enfin le dimanche, premier de l’an 1553, l’empereur Charles-Quint abandonna le siège, furieux et désespéré de « cette bastonnade » la plus rude qu’il eût reçue en toute sa vie et dont la pensée l’empêcha désormais d’entreprendre rien de grand.

Mais François de Guise se tenait sur ses gardes, connaissant l’esprit rasé de l’Empereur et craignant qu’il n’eût simulé ces mouvements pour mettre le désordre parmi les assiégés, les engager à diminuer leur surveillance, les pousser à des sorties imprudentes pour ensuite enlever la ville par surprise.

Le lendemain, sur les onze heures de nuit, on vit deux fusées s’élever du grand camp méridional et du camp de la Reine Marie, au nord-est, et le duc d’Albe et le marquis de Brabançon délogèrent piteusement, sans bruit de trompette ou de tambour, dans un désordre inexprimable, laissant les tentes dressées, une énorme quantité d’armes, des tonneaux pleins de poudre, des meubles à foison, une partie de leur artillerie enterrée, et abandonnant une multitude incroyable de malades.

Les troupes de la ville et les bandes du duc de Nevers se mirent en route pour « chausser les éperons à messieurs les Espagnols » et pour activer leur retraite. Mais on trouvait les champs et les villages pleins de malheureux soldats en si grande misère, que les bêtes les plus cruelles eussent eu pitié de ces misérables tombant par les chemins et le plus souvent s’affaissant près des haies, au pied des buissons pour devenir la proie des chiens et des oiseaux. Les Français les prenaient en pitié et se jetaient sur les grosses troupes qui protégeaient la retraite.

Le margrave Albert de Brandebourg était resté le dernier dans son camp de l’ouest avec une armée bien supérieure en nombre encore à toutes les troupes françaises de Lorraine. Ce fut sur lui que se tourna l’effort des Français. On allait chercher ces Prussiens jusque dans leurs fortifications ; on les lardait de coups de piques jusque dans leurs loges ; on espérait les exaspérer, les attirer en bataille dans la plaine. Mais ils restaient unis et serrés, et bien leur en prenait, car tout ce qui était trouvé était « égosillé » par les maraudeurs et les gens du pays.

Enfin on fit porter par les soldats (car il n’y avait plus de chevaux ni guère de pionniers) des canons dans une île voisine du Pont des Morts, et l’on se mit à tirer sur le camp du margrave avec une telle furie, que l’on voyait du haut des clochers « mouvoir et remuer ces ivrognes aussi dru et menu que les fourmis dans une fourmilière où l’on a jeté de l’eau chaude, et ils ne savaient de quel côté se tourner ».

Le margrave délogea donc, embarquant son artillerie sur la Moselle et prenant avec le gros de son armée le chemin de Trèves. On se mit à sa poursuite, et « on avait bon marché de ses gens, affaiblis par le froid, la faim et toute misère, mais, au lieu de les tourmenter, bien souvent les Français leur ouvraient passage, ne souhaitant que tenir le chef pour payer l’écot de tous ».

Le 15 de janvier, il n’y avait plus un ennemi devant la ville, mais le spectacle que présentaient les camps était horrible. On y trouvait des bandes de soldats de toute nation, malades à la mort, renversés dans la neige boueuse, d’autres assis sur de grosses pierres, ayant les jambes dans la fange, les jambes gelées jusqu’aux genoux, qu’ils essayaient en vain de retirer en suppliant qu’on les achevât. Le duc de Guise, les seigneurs et les soldats les secoururent, les firent soigner et nourrir.

De tous côtés, en ce camp, on voyait la terre toute labourée et levée comme le cimetière Saint-Innocent, à Paris, après quelque grande mortalité, puis des tas de morts non enterrés. On entendait des cris de souffrance qui sortaient des misérables loges creusées en terre et à peine recouvertes d’un peu de chaume. Les soldats qui revenaient de donner la poursuite aux ennemis rapportaient que les chemins étaient pavés de morts, de charrettes remplies de moribonds et abandonnées, de canons, d’armes, de débris noircis, restes des poudres, des meubles et harnais que l’on avait fait brûler pour ne point les laisser aux mains des Français.

L’Empereur avait perdu trente mille hommes par les maladies, la faim et les coups de l’ennemi. Il avait fait la paix avec les princes allemands en leur promettant l’envahissement et la soumission de la France. Il fut obligé de reculer, dès le premier effort, devant une petite troupe et une ville qu’on fortifiait au jour le jour, sous le coup et sur l’indication de ses canons. La vanité germanique n’oublia pas aisément ce honteux échec. Le margrave Albert de Brandebourg s’en vengea sur le duc d’Aumale : il lui vola ses habits et lui fit payer soixante-dix mille écus de rançon.

Mais Metz, Toul et Verdun nous restèrent, et la gloire et le succès de cette défense rendirent inévitable la réunion de la Lorraine à la France.


Archive pour 12 janvier, 2012

Le siège de Metz en 1552

 

 

 

D’après la monographie « La France guerrière » – Charles d’Héricault – Louis Moland - 1868

 

Le siège de Metz est un des plus mémorables de l’ancienne France, et peu d’aventures de guerre excitèrent aussi vivement l’attention de l’Europe, l’émotion de l’Allemagne et l’enthousiasme de la France.

Le siège de Metz en 1552 dans La Moselle d'Antan Siege-de-1552-119x150La faiblesse de la ville, la puissance des moyens employés pour l’attaquer, les terribles conséquences que devait avoir sa reddition, tout explique cet intérêt que les incidents de la défense firent croître jusqu’à l’angoisse et l’exaltation patriotique.

Metz, dominée par des hauteurs voisines, était facile à battre de beaucoup de côtés, et elle ne pouvait même pas cacher aux ennemis les mouvements intérieurs de la défense, les préparatifs des sorties, les travaux des fortifications. Nous voyons que ce fut là un des grands sujets de préoccupation pour les assiégés. Elle était fortifiée à l’ancienne mode, c’est-à-dire de façon à ne pouvoir résister à l’artillerie.

Sa muraille était nue, non remparée. Elle n’avait aucun épaulement, aucun ouvrage avancé, aucun bastion. Entourée de trois côtés, au nord, à l’est et à l’ouest, par deux rivières, la Moselle et la Seille, elle était, du côté du sud, presque ouverte et défendue seulement par un vieux boulevard.

De plus, elle avait un développement considérable, il fallait presque une armée pour la défendre. Cette armée, la France menacée sur toute sa frontière du nord et de l’est, depuis Strasbourg jusqu’à Boulogne, et abandonnée par ses alliés, la France ne l’avait pas. Enfin, non seulement il n’y avait pas à se fier au dévouement des habitants, mais on devait compter, au contraire, sur l’antipathie, sur l’hostilité plus ou moins déclarée de la ville.

Celle-ci, hier encore, ville libre de l’Empire, république aristocratique, très fière, très riche, tout indépendante, occupée par surprise, était plus impériale sans doute que française, et M. de Brabançon, lieutenant de la reine de Hongrie, un des principaux officiers de l’Empereur, se vantait d’avoir des intelligences avec les plus notables habitants, les Tallanges, les Baudoche, les Gournay, « les plus anciens gentilshommes de la ville de Metz ».

Charles-Quint était là en personne, le puissant empereur, le redouté, le victorieux, avec une armée supérieure en nombre à toutes celles qu’il avait jamais mises sur pied. Il y avait réuni les plus braves de ses soldats, les plus énergiques représentants de ses peuples innombrables, depuis la Baltique jusqu’au détroit de Gibraltar. Tout ce qui était vaillant en haute et basse Allemagne, dans les Pays-Bas, en Espagne, en Italie, était venu se joindre à lui pour prendre part à cette curée de la France.

Il y avait autour de la ville cent quarante-trois enseignes allemandes, vingt-sept espagnoles, seize italiennes, plus de douze mille cavaliers, cent quatorze pièces d’artillerie, en résumé près de cent mille hommes, dont soixante mille de fort bonnes troupes et sept mille pionniers.

L’Empereur avait juré qu’après cette armée, il lui en viendrait une autre, deux autres, trois autres, et qu’il ne quitterait pas Metz avant d’avoir repris cette ville impériale, dont la conquête le menait, par la Champagne ouverte, jusqu’au cœur de la France. Il avait su intéresser à sa querelle la vanité germanique : comment laisser, entre les mains des Français, le duché de Lorraine et les trois évêchés Metz, Toul et Verdun ? N’était-ce pas terre allemande ?

C’était là encore ce qui donnait à ce siège un si poignant intérêt : la grosse querelle entre la Gaule et la Germanie, entre l’Empire et la France, continuait. Nous avions été bien souvent vaincus dans cette lutte, pendant le règne du grand et chevaleresque roi François Ier.

Le jeune Henri II allait-il être plus heureux ? Il avait su habilement profiter de la guerre religieuse et civile, des dissensions entre l’Empereur et les princes protestants, pour conquérir, au commencement de l’année l552, cette partie de « l’héritage des Francs», que les troubles de la féodalité en avaient séparé. Il voulait aller plus loin et reprendre tout le territoire de la Gaule jusqu’au Rhin. C’était un projet national et, dit Vieilleville, « toute la jeunesse des villes quittait père et mère, pour se faire enrôler ». On voulait voir la rivière du Rhin.

Mais les Allemands avaient bien vite fait la paix entre eux. Tous les confédérés avaient abandonné le roi de France. Seul, le margrave Albert de Brandebourg, l’un des fondateurs de la monarchie prussienne, lui était resté en apparence fidèle. Mais en réalité, préoccupé de projets de trahison, il cherchait uniquement à rendre cette trahison plus dangereuse pour la France. Il avait parfaitement réussi.

Après avoir, étant encore à la solde de la France, pillé les alliés de la France, mis à feu et à sang, avec une véritable rage, tous les pays qu’il parcourait, après avoir essayé de s’introduire, sous couleur d’amitié, dans Metz, il demanda, préparant de loin sa trahison, avec une fourberie de marchand plutôt que d’homme de guerre, au duc de Guise le partage des provisions, que celui-ci avait eu tant de peine à rassembler dans la ville.

Puis, sentant que sa conduite équivoque n’allait bientôt plus tromper le roi Henri II, il se jeta sur un petit corps de cavalerie française qui l’accompagnait, l’écrasa, fit prisonnier son chef, le duc d’Aumale, frère du duc de Guise, et, le traitant avec une insolence lâche et grossière, il l’amena à l’Empereur, auprès duquel il se rendit avec toute son armée.

Ce fut là une des causes de cette angoisse qui saisit les Français au commencement du siège. Il y en avait d’autres encore. Le comte de Reux, général de l’Empereur, avait envahi le nord de la France, avait pris Noyon, Nesle, Roie, Hesdin, une de nos villes les plus fortes. Il avait fallu que le roi et le connétable de Montmorency quittassent Saint-Mihiel où ils étaient venus pour secourir Metz et qu’ils se rendissent dans la Picardie avec la petite armée qu’ils avaient rassemblée.

Le duc de Guise n’avait donc plus rien à attendre que de lui, et du courage de ses soldats. Mais ses soldats étaient la fleur de la noblesse et de l’armée françaises. Quant à lui, il montra des qualités d’énergie, de prévoyance, de prudence et d’activité qui en font un de ces hommes de guerre dont la patrie peut être fière.

Il était arrivé dans la ville dès le 17 août, et depuis ce jour jusqu’à la fin du siège, personne ne lui vit plus donner une heure à son plaisir personnel. Tout était à faire en cette ville de huit à neuf mille pas de tour, et qui n’était réellement défendue en aucun endroit. Avec l’aide de gens experts en l’art des fortifications, de l’illustre Pierre Strozzi, de Camille Marini, de M. de Gounor et surtout du vieux M. de Saint-Remy, l’ingénieur qui commençait à enlever aux Italiens la renommée d’être les plus habiles artificiers du monde, avec l’aide de ces personnages, Guise s’était mis à visiter les murailles et à entreprendre de fortifier la place.Francois-de-Lorraine-duc-de-Guise-109x150 dans La Moselle d'Antan

Il y procéda avec cette fermeté qui ne reculait devant rien, avec ce génie d’observation qui ne se démentit jamais et qui lui fit dès lors, comme en toutes les circonstances du siège, deviner les réflexions, les projets, les ruses, les tentatives de l’ennemi, avec toutes ces qualités enfin que nous venons d’énumérer plus haut et parmi lesquelles il faut toujours rappeler une infatigable activité.

On rempara les murailles, on fit les fossés, les tranchées, les bastions. On abattit sans pitié tons les bâtiments qui joignaient les murs. On changea les églises en citadelles, et sur les hauts clochers on établit des plates-formes, chargées de canons destinés à répondre à ceux que les ennemis ne manqueraient pas de disposer sur les montagnes voisines.

Il fallait, tout en travaillant sans relâche et en faisant appel aux habitants du pays messin, songer à la moisson qui demandait tous les bras des paysans, car la récolte du blé et du raisin qui se préparait, était tout aussi nécessaire à la défense que les bonnes murailles et les plus grands courages.

Dès ce moment, on se mit donc à l’œuvre, et comme on continua de le faire au travers de toutes les péripéties du siège, « chacun, dit un des témoins, fut occupé à porter la terre pour remparer jour et nuit. Messieurs les princes, seigneurs, capitaines, lieutenants, les généraux, M. de Guise lui-même, portaient la hotte, pour donner courage aux soldats et aux citoyens à faire de même. Ce que tous faisaient, jusqu’aux dames et demoiselles. Et ceux qui n’avaient pas de hottes s’aidaient de chaudrons, paniers, sacs, draps, de tout ce qui pouvait servir à transporter la terre. Quant à M. de Guise, il faisait porter son diner aux endroits où l’on travaillait, pour surveiller et encourager, et il ne sortait de la ville que pour aller visiter le pays et se rendre bien compte des endroits où les ennemis seraient tentés de s’établir et où les Français pourraient dresser des embuscades ».

Il fit ensuite affluer dans la ville toutes les provisions du pays. Il fit améliorer et changer les vieilles poudres qui pourrissaient dans les magasins depuis quarante ans, et rompit à la future discipline du siège les soldats et les gentilshommes qui accouraient de toutes parts.

C’est alors qu’il dut se livrer à une lutte diplomatique avec ce margrave Albert de Brandebourg, qui, en invoquant sa position d’allié du roi de France dont il touchait la solde et qu’il se préparait à trahir, essayait toute fourberie, tantôt pour attirer Guise dans un guet-apens, tantôt pour se faire livrer une porte de la ville et introduire ses Prussiens dans la cité, mais surtout pour se faire donner les provisions que le gouverneur avait rassemblées à si grand’peine.

Guise se défiait de ce personnage et, sans lui donner prétexte de fâcherie, il sut déjouer toutes ses ruses. Mais la conduite du margrave devint si équivoque, que le connétable, campé à Saint-Mihiel, n’osa envoyer les secours d’hommes et d’artillerie attendus par la ville. Cette artillerie surtout fit grand défaut. Quant aux hommes, l’enthousiasme avec lequel toute la noblesse française accourait défendre cette porte d’entrée de la France, aida à combler les vides de la garnison.

Du reste, à ce moment on n’avait encore que des craintes. Ou savait que l’Empereur avait convoqué ses capitaines de tous pays et qu’il rassemblait, entre Inspruck, Munich, Augsbourg et Ulm, une année formidable. Puis cette armée s’ébranla. Elle passa le Rhin.

Les capitaines que Guise envoyait à la découverte lui rapportaient que les Impériaux étaient à Spire, puis aux Deux-Ponts, à quinze lieues de Metz. Les probabilités du siège augmentaient. On pressa la rentrée des provisions de toute sorte et on concentra dans la ville les petits corps répandus dans le voisinage. Puis, on détruisit tous les faubourgs de Metz, de crainte que les ennemis n’y trouvassent des facilités pour approcher les murailles et les battre à l’abri.

La fin de septembre était venue. L’automne était aussi beau que l’hiver devait être rigoureux. L’armée allemande avançait toujours et toujours grossissait. Elle touchait à la Moselle, puis à la Sarre. Elle était à Saarbruck, puis à Forbach, à sept lieues de Metz.

Il était difficile de douter désormais des intentions de l’Empereur. Les escarmouches commençaient entre la cavalerie envoyée par François de Guise et les coureurs de l’avant-garde allemande. Tous les renseignements étaient d’accord pour faire monter l’armée ennemie à plus de cent vingt mille hommes, et c’est aussi l’opinion de quelques-uns des annalistes contemporains.

Guise avait alors quatre mille cinq cents hommes de pied et six cent vingt hommes de cavalerie, et il prévoyait bien qu’il n’avait pas grand secours à espérer désormais. Mais il savait que cette petite armée « était composée de gens de bien, » et il se résolut à s’enfermer dans la place et à la défendre jusqu’à la mort.

Toutefois, comme il n’y avait à attendre que peu d’aide des habitants, et qu’il y avait à craindre la trahison de plusieurs d’entre eux, comme il fallait, en ce péril suprême, avec une si petite troupe, en face d’une telle armée, être au moins à peu près sûr de la cité qu’on défendait, le duc, après avoir pris toutes précautions pour protéger les biens des habitants, les engagea à quitter la ville et il n’y garda qu’une centaine de prêtres, pour célébrer le service divin, et environ deux mille ouvriers de tous états.

La noblesse française accourait toujours à Metz comme à un rendez-vous d’honneur. Un prince du sang de France, le prince de la Roche-sur-Yon venait d’arriver suivant deux princes lorrains, un prince de Savoie, le duc de Nemours, le duc Horace Farnèse, et une foule de seigneurs, de capitaines, de gens d’armes.

Les ennemis approchaient toujours, les escarmouches devenaient plus fréquentes, car Guise, suivant le système qu’il employa jour et nuit pendant tout le siège, ne laissait pas aux Impériaux une heure de repos.

Le 17 octobre, la cavalerie ennemie était aux Étangs, à trois lieues de Metz. Le 19, les deux généraux de l’Empereur, deux généraux renommés du seizième siècle, le duc d’Albe et le marquis de Marignan, vinrent, avec vingt mille hommes, reconnaître la ville. Le siège était commencé.

Du haut de la Belle-Croix, les généraux étudièrent attentivement les fortifications tandis que leurs troupes tâtaient les nôtres à divers endroits de la ville. Mais elles les trouvaient « roides et assurées ». L’escarmouche dura depuis onze heures jusqu’au soir. Les ennemis se retirèrent laissant les Français très fiers de ce début, et pendant trois jours, on fut en repos. On en profita pour activer le travail des fortifications, quoique avec une si grande ville et qui avait tant de côtés faibles, on ne sût « auquel on devait premièrement entendre ».

Le 20 du mois, à cinq heures du matin, un grand bruit de tambours battant aux champs annonça que l’armée approchait. En effet, à sept heures, quand le brouillard tomba, on vit apparaître l’avant-garde au nord de la cité. Une partie de l’armée ennemie grimpa le mont Chatillon, pour y asseoir le camp, tandis que le reste se tenait en bataille au nord-est, jusqu’à ce que le camp fût logé. Ce soir-là, à minuit, arrivèrent à Metz deux princes du sang de France, le duc d’Enghien, le prince de Condé, les deux fils du connétable, accompagnés d’une centaine de gentilshommes. On prit les dernières dispositions pour faire régner la plus dure discipline, pour ne laisser aux traîtres et aux espions aucune occasion d’intelligence avec les ennemis, et on distribua les postes de combat.

A la fin du mois le siége avait pris les plus vives allures, et comme le dit une des nombreuses chansons populaires qui célèbrent si curieusement ce grand évènement :

Le mardi, devant la Toussaint,
Est arrivée la Germanie
A la Belle-Croix des Messins,
Faisant grande escarmoucherie.
Mais les Français, d’âme hardie,
Au-devant d’eux s’en sont allés.
C’était pour rompre leur folie
De venir voir en nos fossés.

Doubles canons ils ont menés
A la Belle-Croix dessus dite,
Pour battre le Palais de Metz.
Les grandes églises et petites.
Mais ils ont trouvé les reliques.
Aux Carmes et aux Cordeliers,
De deux pièces d’artillerie
De quoi on les a salués.

Les Allemands rentrèrent à leur cantonnement du mont Chatillon. Mais ils y restèrent peu. Le jour de la Toussaint, ils commencèrent à descendre vers la partie méridionale. Le marquis de Brabançon, avec les gens des Pays-Bas, garda cette première position et y établit un camp que les Français nommèrent malicieusement le camp de la reine Marie. Le duc d’Albe et le gros de l’armée vinrent s’établir entre les deux rivières, en face de la muraille du sud, qui était la partie la moins naturellement forte de la place.

Les autres quartiers de la ville avaient jusque-là donné tant d’affaires aux assiégés, que l’on n’avait pu travailler beaucoup à celui-ci. L’on se mit à la besogne avec une sorte de fureur et au bout de huit jours l’on avait construit, derrière la vieille muraille, un rempart haut déjà de trois pieds, et de vingtquatre pieds de large. Les ennemis s’étaient établis dans toutes les ruines des faubourgs, des abbayes, des hameaux, situés entre la Moselle et la Seille. Les tranchées étaient commencées ainsi que tous les terrassements qui devaient porter l’artillerie des assiégeants.

Pendant ces huit jours, les mauvaises nouvelles se succédèrent, comme pour nous enlever le courage. D’abord, on vit, à l’essai, que la grosse artillerie, trouvée dans la ville, était mauvaise. Les pièces éclatèrent. Il nous fut impossible de nous opposer, autrement que par des sorties et des escarmouches, aux mouvements, un peu lointains, de l’ennemi. Il fallut que le duc improvisât des canonniers, pour essayer de faire refondre les vieilles pièces.

On apprit, d’un trompette ennemi, la prise de Hesdin par les troupes de l’Empereur, et les incidents qui forçaient le roi et le connétable à quitter les environs de la Lorraine et à faire perdre aux assiégés, l’espérance de secours.

Guise, à la première nouvelle de ces échecs en Picardie, avait, du reste, envoyé un homme d’esprit et de hardiesse, Thomas Delvêche, auprès du roi, pour lui dire qu’il ne s’inquiétât point de Metz : elle avait des vivres pour longtemps, et il connaissait assez le cœur et la vertu des gens de bien qui étaient dans la ville pour espérer, avec la grâce de Dieu, la défendre contre tous les assauts.

On avait découvert des espions et des intelligences entre la place et les assaillants. On remarquait aussi que tous les blessés mouraient et l’on en concluait que les médicaments étaient empoisonnés. Enfin, le marquis de Brandebourg avait mis fin à sa conduite hypocrite ; il avait, comme nous l’avons dit, écrasé un petit corps de troupes françaises qui l’accompagnait, et amenant, avec lui le frère de François de Guise, le duc d’Aumale, qu’il avait fait prisonnier et à qui il prodiguait les mauvais traitements, il vint, avec son armée de plus de vingt mille hommes, camper à l’occident de la ville. Il donnait les mains, à sa gauche, aux Impériaux de Brabançon, et, de sa droite, il touchait au grand camp du duc d’Albe. La cité était donc entourée par une ceinture d’ennemis.

Dans la nuit de la Toussaint, il était encore entré vingt-cinq ou trente gentilshommes venant de Verdun. Mais, à partir de ce jour, on ne put entrer dans la ville qu’avec difficulté, et cela devint bientôt comme impossible.

Toutefois, il y entra encore un homme, bien humble au regard des puissants princes qui se trouvaient là, et dont pourtant l’arrivée fut célébrée avec la même joie que la venue d’une troupe de renfort. Je veux parler du grand médecin Ambroise Paré. « On gagna un capitaine italien, dit Ambroise Paré lui-même, qui promit de me faire entrer. Je me mis en chemin avec lui, mon apothicaire, et un cheval qui portait sa pleine charge de drogues. Nous partîmes de Verdun. Nous n’allions que de nuit. Quand nous fûmes à une lieue et demie du camp, je vis, à deux lieues à la ronde, des feux allumés autour de la ville ; on eût dit que toute la terre brûlait, et il m’était avis que nous ne pourrions jamais passer autour de ces feux sans être découverts, et par conséquent, pendus ou étranglés. Pour vrai dire, j’eusse bien voulu être encore à Paris. Mais Dieu conduisit si bien notre affaire que nous entrâmes dans la ville à minuit, à l’aide d’un certain signal que mon capitaine fit à un autre capitaine de M. de Guise. J’allai trouver incontinent ce seigneur à son lit ; il me reçut de bonne grâce, étant tout joyeux de ma venue ».

Bientôt les tranchées s’approchent de la ville. Les redoutes sont élevées et garnies de canons formidables. L’artillerie commence à tonner et les batteries ennemies à mordre les murailles, tantôt ici, tantôt là, à essayer les murs, les tours, les bastions. Et, tantôt ici, tantôt là, les princes et pionniers couraient avec la hotte, les sacs de laine, les gabions, les fascines, appuyant, épaulant, bâtissant, répondant aux offres de capitulation, que l’on verrait plutôt la fin de la vie de l’Empereur que la fin du siège.

Puis, de jour et de nuit, sortant par les trois portes que l’on avait laissées ouvertes dans la ville, ils allaient tuer à coups d’épée les soldats dans les tranchées, dresser des embuscades aux troupes qui sortaient du camp, mettre en fuite et piller les fourrageurs et les convois des Allemands, faisant des reconnaissances de tout côté, échangeant parfois des coups de lances entre les capitaines, tandis que les arquebusiers se saluaient de coups de feu. Il ne se passait point de jour que nos soldats n’allassent donner l’alarme aux ennemis, battre les chemins entre le camp, faisant du butin, des prisonniers, du dégât.

« Nos gens faisaient souvent des sorties, dit encore Ambroise Paré. Dès la veille, il y avait presse à se faire enrôler pour ces sorties, car c’était une grande faveur d’avoir permission de courir sur l’ennemi. On sortait au nombre de cent ou cent vingt, bien armés, avec rondaches, coutelas, arquebuses, pistolets, piques, pertuisanes, hallebardes, et l’on allait jusqu’aux tranchées réveiller l’ennemi en sursaut. Alors l’alarme se donnait dans tout le camp. Leurs tambours sonnaient. Pareillement leurs trompettes et clairons ronflaient et sonnaient. Et tous leurs soldats criaient : A l’arme, à l’arme, aux armes, armes, comme l’on fait la huée après les loups. Tous criaient en divers langages, selon les pays, et on les voyait sortir de leurs tentes et petites loges pour secourir leurs compagnons qu’on égorgillait comme des moutons. La cavalerie venait également de tous côtés, au grand galop, et il leur tardait bien de se trouver au milieu de la mêlée, où l’on donnait et recevait les coups.

Quand les nôtres étaient forcés, ils revenaient vers la ville, toujours en combattant. Ceux qui les poursuivaient étaient repoussés à coups d’artillerie, qu’on avait chargée de cailloux, de morceaux de fer découpés en carrés et en triangles. Ceux de nos soldats qui étaient sur la muraille faisaient pleuvoir, dru comme grêle, un feu d’escopetterie et des balles sur les ennemis, pour les envoyer coucher, et plusieurs n’allaient pas bien loin, mais demeuraient surplace. Nos gens aussi ne s’en revenaient pas tous avec la peau entière. Il en restait toujours quelques-uns derrière pour la dîme. Mais ils étaient joyeux de mourir au lit d’honneur. Quelques jours après, on faisait d’autres sorties, ce qui fâchait fort les ennemis, parce qu’ils ne pouvaient dormir en sûreté ».

Toutefois, la tranchée avançait toujours et elle approcha bientôt assez pour que les soldats des deux partis pussent échanger des injures.

Le 20 novembre, l’Empereur arriva en personne au camp, et sa venue fut révélée aux assiégés par de grandes salves d’arquebuserie et d’artillerie. Il passa toute l’armée en revue. Cette arrivée décupla l’énergie des assiégeants. Et, tout étant prêt, commença la plus terrible canonnade qu’on eût encore entendue en Europe, et qui retentissait à quatre lieues à la ronde.

Ils avaient surtout une batterie de vingt-cinq à trente pièces, d’un calibre énorme pour le temps, et qui se mit à battre la muraille méridionale, aux environs de la porte Champenoise, avec une telle furie, qu’en peu d’heures on compta mille trois cent quarante-trois coups, et que la muraille fut percée en plusieurs endroits. La canonnade recommença les jours suivants, avec la même rage.

Pendant ce temps, de jour et de nuit, l’on travaillait à bâtir un nouveau rempart derrière ce mur entamé. Arriverait-on avant l’ennemi, dont l’artillerie, commandée par un des plus renommés généraux de cette arme, don Juan Manrique, faisait cruellement merveille ? Aurait-on bâti le rempart avant l’effondrement total de la muraille ?

« Le vingt-huitième de ce mois de novembre, dit un des témoins et chroniqueurs du siège, Bertrand de Salignac-Fénelon, les ennemis, continuant leurs batteries, ouvrirent la tour d’Enfer de dix-huit ou vingt pieds de large. Sur le midi, tout le pan de mur, entre les tours des Wassieux et des Lainiers, après avoir été fortement battu, assez près du sol, commença à pencher en dehors et à se séparer de la terre qui l’appuyait. Deux heures après, sous les coups de l’ennemi, ce mur tomba tout d’un coup dans le bastion. Heureusement, il s’affaissa plutôt qu’il ne tomba, rendant la montée malaisée pour l’assaut. Les Allemands, voyant renverser la muraille, jetèrent un cri et firent montre d’une grande joie, comme s’ils étaient sur le point d’arriver à la fin de leur entreprise. Mais quand la poussière abattue leur laissa voir derrière la brèche un rempart haut déjà de huit pieds, on n’entendit plus leur risée.
Un de nos soldats, nommé Montilly, fit la bravade de descendre immédiatement par la brèche, comme pour dire aux ennemis qu’il ne se souciait guère qu’on pût aisément y monter. Nos gens de guerre, de pied et de cheval, plantèrent leurs enseignes, guidons et cornettes sur le rempart, et tous les matins, au changement de garde, on ne manquait pas de lesy déployer ».

« Nos soldats, reprend Ambroise Paré, criaient à ceux du dehors : Au renard, au renard, au renard ! et échangeaient mille injures avec eux. Mais, M. de Guise ayant défendu, sous peine de mort, qu’on parlât aux assiégeants, de crainte que ce ne fût à quelque traître l’occasion de dévoiler ce qui se passait dans la ville, nos hommes attachaient des chats vivants au bout de leurs piques, échangeaient avec eux des cris de : Miaut, miaut, miaut, et les lâchaient. Les Impériaux étaient furieux d’avoir tant dépensé pour faire une brèche de quatre-vingts pas, où l’on pouvait entrer cinquante hommes de front, et de trouver derrière un rempart plus fort que la muraille ».

« Grand nombre de nos arquebusiers, continue Salignac, comme si cette muraille n’eut été pour eux rien autre chose qu’un obstacle, s’étaient mis dessus pour tirer dans les tranchées et les cavaliers de l’ennemi. Aussi leurs soldats de tranchée firent-ils de petites embrasures dans leurs terrassements, par lesquelles ils pouvaient tirer à couvert et en plein dans la brèche, pour empêcher les nôtres d’oser s’y présenter. Toutefois, les gens d’armes, ayant l’armet en tête et vêtus de leurs blouses de travail, montaient tout au haut de la muraille, pour vider les hottes de terre. Ils paraissaient si peu craindre le danger que les pionniers et les femmes mêmes, qui travaillaient au rempart, s’accoutumèrent peu à peu à monter avec eux.

Pendant tout le reste de ce jour, les ennemis essayèrent à coups de canon ce rempart qui les avait tellement surpris. Mais, quoiqu’il fût fraîchement fait, il se trouva assez fort, en plusieurs endroits, pour arrêter le boulet.

A la nuit, la canonnade cessa. Mille coups environ avaient été tirés ce jour-là. Nous nous mîmes au travail pendant les ténèbres et avec plus d’activité que jamais, pour élever et renforcer le rempart, pour étayer la tour qui s’était écroulée ».

Les assiégés attendaient l’assaut que le margrave Albert de Brandebourg avait demandé à l’Empereur la faveur de donner aux Français, promettant de prendre la ville sans grande difficulté. Pendant ce temps, nous continuions ces sorties hardies et furieuses, telles qu’on les estimait faites plutôt par des « esprits diaboliques que par des hommes mortels ».

Nous avions aussi au dehors divers corps de troupes qui, par leur courage et leur activité, se montraient dignes des assiégés. Elles étaient sous le commandement général de M. de Nevers. Elles couraient toute la Lorraine, prenant les villes occupées par les Impériaux, saccageant les villages où ils étaient cantonnés, enlevant leurs convois, exterminant les corps de troupes qui s’éloignaient du camp, et se livrant à une guerre de partisans, incessante, sans pitié, guerre toute de hardiesse et de ruses, guerre dramatique, pittoresque, joyeuse, dont Roger de Rabutin et le maréchal de Vieilleville se sont faits les historiens.

Le premier de ces deux capitaines avait son quartier général à Toul, sous M. de Nevers et sous ce vieux gouverneur d’Esclavolles qui, sommé de rendre cette place sans défense, répondait sévèrement : « Prenez d’abord Metz, nous causerons ensuite de Toul ».

C’est de Verdun que Vieilleville partait pour ces expéditions si habilement combinées, si énergiquement exécutées, qui le firent surnommer par Charles-Quint le Lion-Renard, et où il était conduit par l’irritation que lui avait causée la lâche trahison du margrave Albert de Brandebourg. Il est vrai que Vieilleville jouait gros jeu avec de tels personnages, avec ce vieil empereur auquel le sentiment de la générosité avait toujours été inconnu et qui mit à prix la tête du Lion-Renard et jura qu’il le ferait empaler.

Quant au margrave, à chaque défaite de ses soldats, il courait ivre de fureur près de son prisonnier, le duc d’Aumale, lui mettait le couteau sur la gorge avec force paroles insultantes, lui jurant qu’il le « crèverait à coups de pistolet ». Par un raffinement de grossièreté allemande, il se vengeait de ses échecs en forçant le prince lorrain à garder la même chemise pendant trente-six jours et en parant son propre corps « d’ivrogne, » des babils que le duc de Guise envoyait à son frère « pour le rafraîchir ».

Vieilleville continuait la guerre, enlevant les convois, prenant les châteaux, les villes même, parmi lesquelles Pont-à-Mousson, exterminant les petits corps d’armée et cherchant jusque tout près de Metz, les soldats du margrave. Il en tua mille aux portes du camp, dans ce village de Rougerieulle, situé dans la montagne, d’où il nous montre la ville de Metz, à l’aube, « là-bas, en la plaine, avec toute l’armée de l’Empereur, l’assiette du siège et des camps que l’on voyait aussi à clair que l’on voit Paris de Montmartre, Rouen du mont Sainte-Catherine, Lyon de Fourvières. Chose si admirable à voir que l’on ne pouvait rien désirer de mieux, surtout les tonnerres et les éclairs de chaque côté d’où l’on s’entre-tirait incessamment, surtout encore les volées des trente canons en batterie contre la brèche, là où les canonniers faisaient une telle diligence qu’en moins d’une heure nous en vîmes tirer dix-huit coups dont le tremblement était si fort qu’il nous soulevait et nous faisait perdre terre. Mais l’aube du jour apparut plus grande, car nous étions en décembre et il était près de sept heures. M. de Vieilleville commanda que chacun prît, s’il voulait, le plaisir de cette vue, mais qu’il se hâtât, car le marquis Albert était un fort mauvais voisin. Il fit sonner trompettes et partit en disant que ceux qui n’avaient pas dormi dormiraient à cheval ».

Malgré tous ces efforts, la position des assiégés ne s’améliorait guère. L’artillerie ennemie était tellement supérieure, qu’elle pouvait raser tout ce qu’elle voulait, et de fait il y avait des brèches de toute part. L’hiver était arrivé avec toutes ses rigueurs, la neige était tombée en grande masse, le froid était intense. La nuit, on entendait des bruits souterrains qui indiquaient le travail des mines. Le duc de Guise venait écouter au pied des murailles pour tâcher de saisir la direction de ces sapes, et comme le dit l’une des chansons populaires, « le vieil gendarme Saint-Remy nuit et jour cherchait dans les caves » pour trouver les endroits propres aux contre-mines. En effet l’on en commença plusieurs.

Le gouverneur, pour répondre aux rodomontades de l’Empereur, qui jurait qu’il ne quitterait pas Metz avant de l’avoir prise et d’avoir exterminé la garnison, dût-il y user trois armées, le gouverneur commença à mettre la garnison à la portion congrue. Il savait qu’il n’avait pas de secours à attendre avant longtemps. Il commença à diminuer d’un quart la nourriture des hommes, à faire tuer et manger les chevaux inutiles. On était du reste décidé à ne pas se rendre avant d’avoir mangé « ânes, mulets, chiens, chats, rats, même les bottes, les collets et les autres cuirs qu’on eût pu amollir et fricasser ».

Le 7 décembre, l’armée ennemie s’ébranla. On attendit l’assaut. Chacun se rendit à son poste de combat, aux brèches, aux bastions, aux places de secours, le long des murailles. On était peu de monde pour garder une si grande ville, mais tout le monde était prêt à bien faire. Les princes de Bourbon, de Lorraine, de Savoie et les fils du connétable prirent le premier rang à la grande brèche. Le vieux Saint-Remy avait préparé « tous ses artifices à feu et engins de guerre ».

L’armée ennemie s’avança, puis elle s’arrêta. On resta ainsi tout le jour. Les assiégés étaient graves, recueillis et déterminés. Quand la nuit vint sans avoir amené l’assaut, on supposa que les Allemands avaient vu la brèche garnie de trop de « museaux de fer, de morions et de corselets » pour oser s’aventurer.

Mais ce devait être sans doute partie remise, et maître Ambroise Paré nous indique les énergiques précautions des assiégés.

« On avait préparé toute espèce d’artifices de feu, comme boîtes, barricades (petits barils), grenades, pots à feu, lances ardentes, torches, fusées, cercles entourés de chausse-trapes, fagots brûlants. On avait, en outre, de l’eau bouillante, du plomb, de la poudre de chaux vive pour brûler les yeux des assaillants.
On avait donné l’ordre de percer les maisons de chaque côté pour loger les arquebusiers et prendre les ennemis en flanc. Les femmes devaient dépaver les rues et jeter par les fenêtres bûches, tables, tréteaux, escabelles pour effondrer les cervelles.
Plus loin, derrière la brèche, on avait établi un gros corps de garde remparé de charrettes, de palissades, de tonneaux pleins de terre, armé de petites pièces de canons qui eussent rompu les jambes et ainsi pris les Allemands en flanc, tête et queue. S’ils avaient forcé ces défenses, ils en eussent trouvé d’autres de cent pas en cent pas, qui ne se seraient pas mieux conduites que les précédentes et eussent fait beaucoup de veuves et d’orphelins. Enfin, il leur eût fallu encore emporter sept gros bastillons, commandés chacun par un prince et où tous étaient décidés à se défendre jusqu’au dernier soupir de leur âme.
On avait résolu de porter les trésors, l’argent, les joyaux, les plus riches meubles dans la grand’place et de les réduire en cendre, afin d’empêcher les ennemis d’en faire profit.
Il y avait, en outre, des hommes énergiques dont la mission était de mettre le feu aux maisons et aux poudres, afin de tout détruire, la ville, les Allemands et nous.
C’était le consentement de tous, qui préféraient voir ces extrémités que de tomber aux mains des cruels Espagnols. Et on eût vu là quelque chose qui eût rappelé la destruction de Troie et de Jérusalem ».

L’assaut ne se donnait pas, au grand déplaisir de l’Empereur, dont la situation d’esprit nous est peinte naïvement dans une lettre du duc d’Albe interceptée par Vieilleville.

« L’Empereur, sachant que la brèche était plus que raisonnable et que pas un de ses capitaines ne s’offrait pour y monter, s’y est fait porter par quatre lansquenets, et l’ayant vue, il dit en grande colère :
Comment, plaies de Dieu ! n’entre-t-on point là-dedans ? La brèche est grande et à fleur de fossé ! Vertu Dieu ! à quoi cela tient-il ?
Je lui ai répondu que nous étions avertis que le duc de Guise avait fait faire derrière la brèche un fort retranchement garni d’un milliasse d’artifices de feu, tellement qu’il n’y avait pas d’armée qui n’y dût périr.
Mort Dieu ! reprit l’Empereur, que ne l’avez-vous fait essayer ! Croyez-vous aveuglément ce que l’on vous rapporte ?
J’ai été contraint de lui répliquer que nous n’avions pas affaire à une ville d’Allemagne, qui se rend quand on la menace, mais qu’il y avait là-dedans dix mille braves hommes, soixante grands seigneurs, neuf ou dix princes du sang royal de France, comme Sa Très Sacrée Majesté a pu le connaître par les sanglantes et victorieuses saillies qu’ils ont faites sur nous. Sur cette remontrance sa colère s’est accrue.
Ah ! Je renie Dieu ! Je vois bien que je n’ai plus d’hommes ! Il me faut dire adieu à l’Empire, à toutes mes entreprises et au monde, et me confiner en quelque monastère, car je suis vendu et trahi, à tout le moins mal servi, et, par la mort Dieu ! avant trois ans je me ferai cordelier !
Il est vrai que nous avons mal réussi jusqu’ici. Nous avons eu tort de vouloir combattre les hommes et le temps ».

L’hiver était, en effet, le meilleur auxiliaire des assiégés. La peste, la faim, le froid décimaient les Allemands. Capitaines et soldats demandaient à grand cri qu’on les menât aux brèches aimant mieux périr de la main de l’ennemi que de misère. Mais les généraux, que les entreprises, les sorties et les attaques continuelles des Français portaient à la réflexion, craignaient que l’armée n’y fût anéantie et qu’un retour offensif des Français victorieux ne leur rendît, après des assauts meurtriers, la retraite difficile, sinon impossible.

Puis l’Empereur avait demandé quels étaient ceux qui se mouraient, si c’étaient des gens de marque. Quand il eut appris que c’étaient de pauvres soldats, il dit que c’était un bien qu’ils mourussent et qu’il y a toujours trop de chenilles et hannetons pour manger les fruits de la terre. Il ajouta encore qu’il prendrait la ville par force ou famine, car la prise de tant de seigneurs lui compenserait sa dépense au quadruple, et il voulait encore une fois aller visiter les bons Parisiens et se faire à Paris couronner roi de France.

Le siège continua. Mais ni brèche, ni sape, ni mine n’avaient amené de résultats. Nous n’étions ni moins fréquents ni moins hardis dans nos sorties et nos entreprises, et l’on savait que nous étions décidés à mourir avant de nous rendre. La vie dans les camps devenait intolérable. Les soldats désertaient et venaient hâves, déguenillés, presque mourants se rendre à nos coureurs qui les accueillaient et les soignaient. Les généraux désespéraient du succès. On commença dès le jour de Noël à voir de la ville certains mouvements annonçant que l’Empereur cédait enfin. Mais on n’y voulait pas croire.

Ce fut le 27 que, dans une de leurs sorties, les nôtres trouvèrent vide le camp des Italiens. Les Français redoublèrent d’activité. La retraite se faisait lentement et en force. L’Empereur était encore au camp. Le 27 et le 28, la canonnade dura plus forte que jamais.

Enfin le dimanche, premier de l’an 1553, l’empereur Charles-Quint abandonna le siège, furieux et désespéré de « cette bastonnade » la plus rude qu’il eût reçue en toute sa vie et dont la pensée l’empêcha désormais d’entreprendre rien de grand.

Mais François de Guise se tenait sur ses gardes, connaissant l’esprit rasé de l’Empereur et craignant qu’il n’eût simulé ces mouvements pour mettre le désordre parmi les assiégés, les engager à diminuer leur surveillance, les pousser à des sorties imprudentes pour ensuite enlever la ville par surprise.

Le lendemain, sur les onze heures de nuit, on vit deux fusées s’élever du grand camp méridional et du camp de la Reine Marie, au nord-est, et le duc d’Albe et le marquis de Brabançon délogèrent piteusement, sans bruit de trompette ou de tambour, dans un désordre inexprimable, laissant les tentes dressées, une énorme quantité d’armes, des tonneaux pleins de poudre, des meubles à foison, une partie de leur artillerie enterrée, et abandonnant une multitude incroyable de malades.

Les troupes de la ville et les bandes du duc de Nevers se mirent en route pour « chausser les éperons à messieurs les Espagnols » et pour activer leur retraite. Mais on trouvait les champs et les villages pleins de malheureux soldats en si grande misère, que les bêtes les plus cruelles eussent eu pitié de ces misérables tombant par les chemins et le plus souvent s’affaissant près des haies, au pied des buissons pour devenir la proie des chiens et des oiseaux. Les Français les prenaient en pitié et se jetaient sur les grosses troupes qui protégeaient la retraite.

Le margrave Albert de Brandebourg était resté le dernier dans son camp de l’ouest avec une armée bien supérieure en nombre encore à toutes les troupes françaises de Lorraine. Ce fut sur lui que se tourna l’effort des Français. On allait chercher ces Prussiens jusque dans leurs fortifications ; on les lardait de coups de piques jusque dans leurs loges ; on espérait les exaspérer, les attirer en bataille dans la plaine. Mais ils restaient unis et serrés, et bien leur en prenait, car tout ce qui était trouvé était « égosillé » par les maraudeurs et les gens du pays.

Enfin on fit porter par les soldats (car il n’y avait plus de chevaux ni guère de pionniers) des canons dans une île voisine du Pont des Morts, et l’on se mit à tirer sur le camp du margrave avec une telle furie, que l’on voyait du haut des clochers « mouvoir et remuer ces ivrognes aussi dru et menu que les fourmis dans une fourmilière où l’on a jeté de l’eau chaude, et ils ne savaient de quel côté se tourner ».

Le margrave délogea donc, embarquant son artillerie sur la Moselle et prenant avec le gros de son armée le chemin de Trèves. On se mit à sa poursuite, et « on avait bon marché de ses gens, affaiblis par le froid, la faim et toute misère, mais, au lieu de les tourmenter, bien souvent les Français leur ouvraient passage, ne souhaitant que tenir le chef pour payer l’écot de tous ».

Le 15 de janvier, il n’y avait plus un ennemi devant la ville, mais le spectacle que présentaient les camps était horrible. On y trouvait des bandes de soldats de toute nation, malades à la mort, renversés dans la neige boueuse, d’autres assis sur de grosses pierres, ayant les jambes dans la fange, les jambes gelées jusqu’aux genoux, qu’ils essayaient en vain de retirer en suppliant qu’on les achevât. Le duc de Guise, les seigneurs et les soldats les secoururent, les firent soigner et nourrir.

De tous côtés, en ce camp, on voyait la terre toute labourée et levée comme le cimetière Saint-Innocent, à Paris, après quelque grande mortalité, puis des tas de morts non enterrés. On entendait des cris de souffrance qui sortaient des misérables loges creusées en terre et à peine recouvertes d’un peu de chaume. Les soldats qui revenaient de donner la poursuite aux ennemis rapportaient que les chemins étaient pavés de morts, de charrettes remplies de moribonds et abandonnées, de canons, d’armes, de débris noircis, restes des poudres, des meubles et harnais que l’on avait fait brûler pour ne point les laisser aux mains des Français.

L’Empereur avait perdu trente mille hommes par les maladies, la faim et les coups de l’ennemi. Il avait fait la paix avec les princes allemands en leur promettant l’envahissement et la soumission de la France. Il fut obligé de reculer, dès le premier effort, devant une petite troupe et une ville qu’on fortifiait au jour le jour, sous le coup et sur l’indication de ses canons. La vanité germanique n’oublia pas aisément ce honteux échec. Le margrave Albert de Brandebourg s’en vengea sur le duc d’Aumale : il lui vola ses habits et lui fit payer soixante-dix mille écus de rançon.

Mais Metz, Toul et Verdun nous restèrent, et la gloire et le succès de cette défense rendirent inévitable la réunion de la Lorraine à la France.

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