La légende de la linotte
D’après « Légendes et contes lorrains d’autrefois »
Saint Vincent effectuait une tournée d’inspection dans le Toulois. Il s’en trouvait fort satisfait. Les vignes étaient parfaitement tenues, les pampres portaient de lourdes grappes violettes et les vendanges prochaines s’annonçaient prometteuse.
Sa longue marche, sous un chaud soleil de septembre, lui avait donnée soif. Il entra dans la maison d’un vigneron.
Il n’y avait personne au logis. Mais sur la table, il trouva un cruchon de ce petit vin de Toul si agréable au gosier. Il hésita bien un peu, puis, bah ! Il était le patron des vignerons, après tout ! Il s’en servi un plein verre.
En fin connaisseur, il en admira d’abord la belle couleur pourprée, le huma délicatement, narines dilatées, et, aspirant une petite gorgée, il s’en gargarisa la langue et le palais avant de l’avaler.
- Ah, mes amis, quel bouquet !
A ce moment, un petit oiseau gris entra par la fenêtre ouverte. Il avait reconnu saint Vincent et voulait profiter de l’occasion pour faire valoir ses droits.
Il se pencha avec sans-gêne sur le rebord du cruchon et entreprit le bienheureux :
- Grand saint Vincent, dit-il, je suis la linotte des vignes et je ne vous cache pas mon mécontentement. Depuis l’époque de Noé, je vais, je viens par les vignobles, détruisant maints insectes nuisibles et réjouissant par mon chant le vigneron fatigué. Or je n’ai encore reçu aucune décoration, alors que beaucoup d’autres oiseaux… Tenez, je ne vous citerai que le rouge-gorge…
Dans sa véhémence, la linotte glissa et chut dans le cruchon. Saint Vincent n’eut que le temps de la rattraper d’une main preste. Mais la gorge avait touché le vin …
Voilà pourquoi, depuis ce temps-là, la linotte porte sur la poitrine un beau plastron lie-de-vin.