Les ruines de l’abbaye de Haute-Seille à Cirey-sur-Vezouze
De l’abbaye de Haute-Seille, il ne reste que de superbes vestiges, classés aux monuments historiques en 1927. Ils sont une propriété privée. L’ensemble du site a été converti en exploitations agricoles et forme actuellement un hameau.
L’ancien portail du XVIIIe siècle, de style classique, a été transformé en habitation. De l’église abbatiale, il ne subsiste qu’une partie de la façade, magnifique, mais inaccessible à la visite. Quel dommage !
Voici un petit historique de cette abbaye.
D’après les « Mémoires de la Société d’archéologie lorraine » – Année 1887
Haute-Seille est un petit hameau situé sur la Vezouse et faisant partie de la commune de Cirey.
Là, s’élevait avant la Révolution une grande et belle abbaye de l’ordre de Citeaux, dont il ne reste plus que des vestiges. Ce monastère, suivant un titre du XVIe siècle, n’était d’aucun diocèse, mais étant « assis au détroit du comté de Salm, il a toujours été, après Dieu, sous la garde de ces seigneurs ».
Ceux des bâtiments qui subsistent encore servaient autrefois, comme aujourd’hui, à l’exploitation des terres. Ce sont donc ceux qui offraient le moins d’intérêt au point de vue de l’architecture. Ils se composent d’une cour rectangulaire, entourée de constructions qui atteignent un développement extérieur de 125 mètres sur 83. Au point B, est une porte monumentale, dans le goût du XVIIe siècle, donnant accès dans la cour à travers laquelle un passage pavé mène à un corridor C, qui conduit aux jardins. Le moulin occupait, en D et E, l’emplacement du polissoir actuel.
Dans l’enclos, traversé par le canal M, se voient encore une serre (I), des remises (J) et deux petits étangs (K et L). Le vieux mur d’enceinte (O), haut de dix pieds et épais de deux, est bien conservé. On y a pratiqué une porte (P) par laquelle on rejoint le nouveau chemin de Haute-Seille à Cirey.
Quant aux constructions remarquables qui formaient le couvent proprement dit, il n’en reste plus que des débris informes. Seul le portail de l’église est encore debout, et cette ruine isolée au milieu des jardins a un caractère de tristesse et de grandeur qui doit impressionner vivement tous ceux qui la contemplent pour la première fois.
C’est un spécimen intéressant de l’architecture romane, si rare maintenant en Lorraine. Il se compose de cinq grandes arcades de même hauteur, mais de styles différents. Celle du milieu, qui servait de porte, est romane. Son ouverture intérieure est de 2,19 mètres. Elle était flanquée de huit colonnettes dont les chapiteaux seuls subsistent en partie. Six d’entre elles étaient engagées dans les angles de trois rentrants, leurs chapiteaux supportent une archivolte formée de trois tores variés. Le plus rapproché du centre est orné d’un ruban en spirale, le suivant d’une moulure en creux, le troisième est uni. Les deux autres colonnettes étaient dégagées de la façade. Sur leurs chapiteaux, retombe un large bandeau décoré de chevrons en relief ou plutôt d’une ligne en zigzag, il circonscrit l’archivolte et complète son ornementation.
Les deux arcatures voisines de la porte sont aveugles et n’ont d’autre but que de cacher la nudité de la muraille. Elles sont ogivales et formées d’un semblable bandeau à chevrons, dont les extrémités reposent, d’une part sur le chapiteau d’une colonnette qui se trouvait logée dans un rentrant de la façade, et de l’autre se confondent avec celles du bandeau de la porte, un peu au-dessus du point d’appui.
Les deux dernières arcades sont aussi aveugles, mais en plein cintre, quoique avec une légère tendance à l’ogive et sans aucune ornementation. On remarque dans celle de droite une petite porte murée.
Au-dessus d’une corniche unie, se trouve un étage comprenant trois fenêtres entre deux grands oculi. Ceux-ci, qui correspondent aux arcatures les plus éloignées de la porte, sont très ébrasés et inscrits dans un tore uni.
Les fenêtres, d’une grande élégance, sont en plein cintre et ne diffèrent entre elles que par leur ornementation. Les dimensions de l’ouverture sont à l’intérieur de 2 mètres environ de hauteur sur 75 centimètres de largeur. Elles sont plus rapprochées l’une de l’autre que les arcs qui se trouvent au-dessous en sorte que celle du milieu seule correspond exactement à la porte. Ces baies sont encore intactes et se composent chacune de quatre colonnettes supportant deux nervures dont la plus grande est décorée, dans la fenêtre centrale d’une série de traits verticaux et de demi-lunes diversement disposés, et dans les deux autres, d’un double rang de billettes, inscrit dans une moulure unie. La nervure intérieure est ornée d’une rangée de petits cercles ou anneaux qui, dans la fenêtre du milieu, sont différents de ceux que l’on voit dans les deux autres.
Tous les chapiteaux que nous avons mentionnés sont d’un style sévère, mais élégant et mériteraient une description particulière. Nous signalerons seulement un de ceux de gauche de la fenêtre de droite, sur lequel est sculptée une fleur de lys.
Le portail était complété, dit-on, par un pignon dont une rose ou oculus occupait le centre. Sa face intérieure est des plus simples, on n’y remarque que deux chapiteaux surmontant deux colonnes qui occupent l’espace laissé vide, entre les oculi et les fenêtres voisines.
Tout ce qui reste est en pierre de taille et d’une construction très soignée. L’épaisseur de la maçonnerie est de plus d’un mètre.
L’église, qui datait de la seconde moitié du XIIe siècle était en forme de croix latine et orientée. Les débris de ses murailles qui, servant de clôture, atteignent encore par places jusqu’à mètres de hauteur, permettent d’en retrouver à peu près toutes les dimensions. La nef avait 45 mètres de longueur et 15 mètres de largeur, les transepts 4,8 mètres sur 11 mètres. L’abside était à trois pans coupés, dont chacun avait 4 mètres. Il parait qu’elle a été copiée par l’architecte qui construisit l’église actuelle de Cirey. Une petite sculpture encastrée dans le mur de droite en entrant, attire l’attention : c’est un médaillon en pierre, de 50 centimètres environ de diamètre intérieur, représentant en demi-relief la Vierge couronnée, assise et tenant sur ses genoux l’Enfant Jésus dont la tête manque. Cette sculpture d’un travail médiocre dénote une époque reculée. La similitude qui existe entre ce médaillon et le sceau de l’abbaye est remarquable.
Le pavé a été enlevé, car il rendait impossible la transformation ridicule qui s’est accomplie depuis d’une église en un jardin potager, et les sépultures qu’il protégeait ont été profanées.
C’est ainsi qu’on découvrit, là et dans un terrain voisin qui servait de cimetière, un assez grand nombre de cercueils en grès, qui ont été en partie détruits et dont plusieurs servent d’auges dans le pays. Ce sont, en effet, de véritables auges pouvant contenir un corps humain. A la hauteur des épaules, la cavité se resserre en dessinant la forme de la tête. On y remarque, dans le fond, une rigole aboutissant à un trou percé aux trois quarts de la longueur.
Celles que nous avons vues ne portent ni inscriptions, ni croix, peut-être y en avait-il sur les couercles qui ont tous disparu. Il y en a encore une dans un pré non loin de l’église, ses dimensions intérieures sont de 1,72 m de longueur et de 35 cm de profondeur, sur une largeur de 52 cm à la tête et 35 cm aux pieds, l’épaisseur de la pierre est partout de 10 centimètres.
Ce sont les tombes des religieux des premiers temps du monastère. D’après une tradition qui s’est conservée jusqu’à nos jours, chacun d’eux devait dès son entrée, travailler à façonner de ses propres mains le cercueil qui devait le recevoir à sa mort, mais ce paraît être une fausse croyance.
On retrouve à peine quelques traces de l’emplacement qu’occupait le quartier abbatial qui se trouvait accolé au nord de l’église. Sa façade avait un développement de 31,5 mètres sur une profondeur de 14,8 m. L’épaisseur des murs était de 1,10 m. Il communiquait à l’église par une petite porte en plein cintre qui existe encore.
Le cloître situé sur le côté méridional de l’église avait 47 mètres parallèlement aux transepts, et 26 mètres de façade. Au-dessus étaient les logements des religieux. Une petite porte, semblable à la première, mettait de même cette partie du monastère en communication avec l’église.
C’est entre ces constructions et celles qui existent encore, que se tenait, à certains jours de fête, notamment à la Saint-Bernard, la foire où l’on venait des villages voisins. On a trouvé à plusieurs reprises des pièces de monnaie et des médailles de dévotion.
L’abbaye fut reconstruite presque entièrement dans le courant du siècle dernier, ses bâtiments étaient donc comme neufs au moment de sa ruine. Un état de ses biens, dressé en 1747 conformément à un arrêt du Conseil de Stanislas, avant la fin des reconstructions dont nous venons de parler, donne un aperçu intéressant de ce qu’elle était autrefois :
« L’abbaye est entourée de murailles tout autour de son enclos. Elle a son entrée par une grande porte du côté du village de Frémonville, flanquée de deux petites tournelles de part et d’autre d’icelle.
Une grande et vaste cour, tout autour de laquelle sont des logements de portier, jardinier et domestiques, avec des écuries, vacheries et greniers à foin. Dans la même cour, sont aussi deux maisons de fermiers-laboureurs avec les écuries, greniers à foin et autres commodités, et le toit paraissant tout neuf et en bon état. De suite est encore une seconde cour, grande et spacieuse, dans le fond de laquelle, à main gauche, est un bâtiment tout neuf, grand et spacieux, bâti à la moderne et proprement, et qui n’a pas encore été habité.
L’église se trouve à côté dudit bâtiment neuf. Elle est très grande et spacieuse, propre et en état, mais le clocher est à rebâtir à neuf, il menace ruine et écrase la voûte.
La maison et logement, ancien des religieux est en très mauvais état, étant même déjà démoli pour la plus grande partie des anciens bâtiments, dans le dessein de les rétablir à neuf. L’appartement qui était occupé par défunt M. l’abbé, de même que les chambres d’hôtes, sont et paraissent encore en mauvais état et même avec ruine évidente visible ce qui sera d’une dépense considérable.
Il y a dans l’enclos des jardins potagers et vergers, etc. ».
Au moment de la Révolution, le monastère possédait :
A Haute-Seille, une métairie, un moulin, une tuilerie, des étangs et des bois, avec le droit de pêche dans la Vezouse et de chasse sur son territoire
A Tanconville, des terres, des bois, les étangs et un moulin, la seigneurie foncière, le patronage de la cure et des dimes
A Hesse, une métairie, un moulin, des bois, la seigneurie foncière, le patronage de la cure et les dimes
A Lezey, une métairie, un étang et les deux tiers de la seigneurie foncière
Le patronage de la cure avec tout ou partie des dimes de Parux, Bertrambois, Hattigny, La Frimbolle, Landange, Aspach, Niderhoff, Fraquelfing, Neufmoulin, Languimberg, Fribourg, Ommeray, Rosheim, Rosenwiller, etc.
Des biens sur la plupart de ces finages et sur ceux de Cirey, le Val-de-Bon-Moutier, Harboué, Frémonville, Sainte-Pole, Vacqueville, Merviller, Thiaville, Hemoncourt, Xousse, Jambrot, Maizières-lès-Vic, Lorquin, etc.
Les dîmes en totalité ou en partie de Blâmont, Blémerey, Domjevin, Fréménil, Vého, Nitting, Hermelange, Maizières-lès-Vic, Gelucourt, Krafftel, Videlange, etc.
Enfin les métairies de la Neuve-Grange avec des bois, une scierie et un moulin d’Ormange avec des bois et des étangs, de Xirxange avec un moulin, des étangs et des bois ; de Récour avec un moulin et des bois ; de la Vigne, du Griffon, de Rotomoncel et de Saint-Benoît.
Il avait eu aussi des biens que le malheur des temps lui avait fait perdre successivement à Adelhouse, Albestroff, Azerailles, Azoudange, Badonviller, Bertrambois, Blanche-Eglise, Courtegain, Dorlitzheim Emberménil, Foulcrey, Guéblange, Hablulz, Hampont, Haut-Clocher, Hellocourt, Herbéville, Igney, Lafrimbolle, Leintrey, Marsal, Nossoncourt, Rambervillers, Réchicourt-le-Château, Richeval, Rosières-aux-Salines, Saint-Nicolas,
Sarrebourg, Thann, Varangéville, Xures, etc.
L’abbaye de Haute-Seille dut sans doute sa fondation à saint Bernard. Il est de tradition qu’il a a visité ce pays, où il est encore l’objet d’une vénération, notamment à Haute-Seille et à Cirey. Il existait, il y a peu de temps, à Cirey, une pratique superstitieuse, qui y avait été introduite de l’abbaye de Haute-Seille, et qui consistait à porter, en marchant à rebours aux pieds de la statue de saint Bernard, un balai neuf, dont on frottait la tête du saint et des pommes de terre dont on lui faisait présent.
Il est donc probable que la voix éloquente de ce grand fondateur de monastères, là comme dans tant d’autres lieux, sut réveiller la foi et obtenir des seigneurs, l’établissement d’une maison de son ordre.
Le territoire de Haute-Seille appartenait alors à la puissante maison de Salm, par suite de l’alliance de Hermann, comte de Salm, avec la comtesse Agnès de Langstein (Pierre-Percée), héritière de ce domaine.
C’était une « vaste solitude » en partie couverte de broussailles et de ronces et environnée de forêts. Quelques parcelles de terre y étaient cultivées par des serfs.
Tel était son aspect quand, en 1140, la comtesse de Langstein, veuve alors du comte de Salm, les comtes Henry et Hermann ses fils, Conrad, comte de Langtein, son épouse Hawide et Hugues leur fils, en firent don à l’Ordre de Citeaux, pour y établir un monastère sous l’invocation de sainte Marie de Haute-Seille, ce que prouve une charte d’Etienne, évêque de Metz, confimant les donations faites à l’abbaye pour sa fondation.
Des moines envoyés du monastère de Teuley vinrent aussitôt prendre possession de ces biens et, grâce à leur activité et surtout à l’appui de la comtesse Agnès, la construction des bâtiments et le défrichement du sol se firent si rapidement, qu’au bout de quelques années, l’abbaye se trouvait déjà dans une situation des plus prospères. Mais la pieuse femme qui la protégeait étant morte, ses héritiers ainsi que d’autres seigneurs qui avaient contribué à son établissement, voulurent y exercer leurs droits de souveraineté et de garde d’une manière tellement vexatoire que les religieux se disposaient à se retirer ailleurs, quand le même Etienne, évêque de Metz, informé de ce qui se passait, s’interposa en leur faveur. Il décida, en 1147, ces seigneurs qui étaient les comtes de Salm et de Langstein, Bencelin de Turquestein, Asselin de Walteringen et Béron de Busnes, tous ses parents ou alliés, à lui céder les droits qu’ils prétendaient avoir sur Haute-Seille, et l’évêque les ayant aussitôt transportés à l’abbaye, celle-ci fut alors tranquille, n’ayant plus rien à démêler avec personne. La même année, le pape Eugène III la confirma dans la possession de tous ses biens.
Ces puissantes interventions mirent pour quelque temps les religieux à l’abri des chicanes et de la malveillance, et ils purent jouir en paix de leurs domaines, qui déjà étaient considérables et s’augmentaient tous les ans par de nouveaux dons. C’est alors que les bâtiments furent terminés et Pierre de Brixey, évêque de Toul, dans le diocèse duquel se trouvait Haute-Seille, put, en 1176, consacrer l’église et les autels.
Malheureusement, ils étaient toujours à la merci des comtes de Salm qui paraissent avoir conservé, malgré la cession faite à l’évêque de Metz, leur droit de gardiens ou voués de Haute-Seille. Aussi les verrons-nous souvent s’ingérer dans les affaires de l’abbaye et lui causer les plus grands maux.
Le premier que l’on y voit apparaître est le comte Henry, qui était si mal disposé envers les religieux, qu’il voulait détourner le cours de la Vezouse, que ceux-ci avaient fait passer à leurs frais dans leur enclos (ce canal creusé de main d’homme et muré dans toute son étendue existe encore aujourd’hui), et retirer même les donations qu’ils avaient reçues de lui et de ses prédécesseurs.
Plus tard, changeant de sentiment, il confirma (en 1184) toutes ces donations, en y ajoutant celle de la forêt dite d’Everbois située entre l’abbaye et Cirey, et renonça, pour lui et pour ses successeurs, à toutes les prétentions qu’il pouvait avoir pour raison de fondation, d’avocatie ou de garde. Par de nouvelles largesses, il prouva dans la suite que ses sentiments étaient restés les mêmes, et le monastère, protégé par lui et bien administré, se trouva bientôt dans un état si florissant, qu’il put acheter, en 1244, à l’abbaye de Honcourt, les dîmes de Blâmont et des biens aux environs pour 120 marcs d’argent, somme considérable à cette époque.
Quelques années auparavant, Ferry de Salm avait succédé au comte Henry, son père, dans une partie de ses états. Le chroniqueur Richer, moine de Senones, qui vivait de son temps, a laissé le récit des maux qu’il fit à son monastère.
Ce seigneur faisait sa résidence habituelle au château de Blâmont, et Haute-Seille était trop à sa portée, pour ne pas avoir à souffrir aussi de sa convoitise et de ses violences. Jacques de Lorraine, évêque de Metz, fut, en 1254, obligé de s’interposer en faveur des religieux que Ferry avait dépouillés et maltraités « allant jusqu’à lever la main sur eux » et ordonner la restitution d’un troupeau de porcs qu’il leur avait fait enlever. Il est vrai que six ans plus tard, le même évêque s’étant emparé, inconsciemment sans doute, des dîmes et du droit de patronage de la cure d’Hattigny, qui appartenaient à l’abbaye, celle-ci dut porter plainte devant l’évêque de Toul et l’évêque de Metz, successeur de Jacques, qui la rétablirent dans la jouissance de ses droits.
En présence de cet état de choses, qui se continuait encore depuis que Henry Ier, sire de Blâmont avait succédé à Ferry, les pauvres religieux, sentant le besoin d’un puissant appui contre ceux-là même qui auraient dû être les premiers à les défendre, prirent le parti de s’adresser au duc de Lorraine. Celui-ci, par une charte de 1267, accorda sa sauvegarde à l’abbaye et prit sous sa protection, tous ses biens, à charge par elle de célébrer, pour le duc et ses successeurs quatre grands anniversaires le lendemain des Quatre-Temps de chaque année.
Mais cette protection ne semble pas avoir été toujours bien efficace, puisque l’on voit, en 1285, Bouchard d’Avesnes, évêque de Metz, donner à Haute-Seille, pour l’entretien de son infirmerie et à cause de ce qu’elle avait eu à souffrir des courses et des invasions des ennemis, le droit de patronage et les revenus des églises paroissiales de Landange et de Matoncourt (sans doute Martincourt près de La Garde) avec la chapelle d’Ommeray qui dépendaieut de son diocèse.
Quant au sire de Blâmont, il vécut dès lors en bonne intelligence avec les religieux. Il leur donna même, en 1280, ses fours banaux de Domjevin et de Frisonviller (hameau détruit près de Domjevin), à condition de partager la moitié dit produit. Il céda, par un traité fait en 1291, à Bouchard d’Avesnes, la garde du monastère et des métairies de Gresson et de Gemmigny (fermes situées sur le territoire de Frémonville et qui n’existent plus depuis longtemps), qui en dépendaient.
L’année suivante, une contestation s’étant élevée au sujet des bois de Haute-Seille entre l’abbaye et les bourgeois de Blâmont, qui prétendaient avoir le droit d’y prendre leur chauffage, il pria, d’accord avec l’abbé, l’évêque de Metz de faire un rapport établissant les droits des parties qui s’engagèrent d’avance à se soumettre à son jugement sous peine d’amende. Il fit enfin, en 1314, une transaction avec l’abbé au sujet des bois des Rappes et de l’Usuaire que le monastère avait acquis et pour lesquels ils étaient en désaccord. Il fut convenu que les sujets d’Henry jouiraient à l’avenir aux Rappes du droit d’usage et de pâture, et qu’au bois de l’Usuaire les religieux auraient le même droit, à condition de rendre au seigneur de Blâmont les fours banaux de Domjevin. Cette année aussi, Jean, comte de Salm, qui avait des prétentions sur ces bois, fit avec l’abbaye un accord semblable à celui qu’avait fait son cousin.
Pendant tout le reste du XIVe siècle, nous ignorons quelle fut la destinée de Haute-Seille. Toutefois, il est permis de supposer qu’elle ne dut être heureuse ni tranquille surtout à cause des guerres continuelles qui désolaient le pays. En 1334, le pape Jean XXII accorde à l’abbaye une bulle contre ceux qui la molestaient et cherchaient à s’emparer de ses biens. En 1391, notamment, un combat fut livré près de Cirey par Henry III, sire de Blâmont, aux Messins, qui le défirent et ravagèrent tous les environs.
C’est pour cela qu’en 1400, le duc de Lorraine, « considérant que ladite église et abbaye commence à descendre en ruine » lui accorda sa sauvegarde aux mêmes conditions que son prédécesseur.
L’année précédente, une confrérie, sous le titre de l’Annonciation de Notre-Dame, avait été établie dans l’église de Haute-Seille. Les statuts portaient qu’une messe serait chantée tous les samedis à l’autel de la Vierge pour tous les confrères et consœurs, qui devaient donner à cette intention 25 gros chacun, le jour de l’Annonciation. Le châtellier de la confrérie devait entretenir une lampe ardente devant l’autel et fournir douze cierges chaque année. Peu après, un décret du Chapitre général de l’ordre de Citeaux, associa aux prières de la congrégation, tous les membres de cette confrérie.
En 1407, Henry, sire de Blâmont, obtint des religieux la cession du droit de collation à la cure de Blâmont, pour le donner à la collégiale qu’il avait fondée en cette ville, moyennant un cens annuel et perpétuel de 5 gros et à condition qu’ils continueraient à jouir des grosses dîmes et des novales comme auparavant. Ce fait, si simple en apparence, occasionna dans la suite bien des procès entre le Chapitre de Blâmont et l’abbaye car, d’après les Statuts synodaux du diocèse de Toul, celle-ci comme décimatrice était tenue de faire certaines réparations ou fournitures à l’église paroissiale, les autres restant à la charge des chanoines en leur qualité de collateurs de la cure.
Le même seigneur, qui venait d’obtenir l’autorisation de faire un étang dans un terrain qui dépendait de la métairie de Gresson appartenant à l’abbaye, la prit, en reconnaissance sous sa protection en 1419. Ce qui n’empêcha pas Jean, fils du duc de Lorraine, à cause du « grand amenrissement et désolation de l’église et abbaye de Haute-Seille » de renouveler, quelques années plus tard, la sauvegarde qui lui avait été accordée. On a vu ce que valaient toutes ces protections qui, loin d’être avantageuses, n’étaient souvent qu’une charge de plus pour les maisons religieuses.
Au commencement du XVIe siècle, des difficultés dont on ne connaît pas l’origine s’étant élevées entre les religieux de Haute-Seille et les habitants de Frémonville, ceux-ci se laissèrent aller à des « battures, outrages, forces et violences » contre les gens de l’abbaye et contre la personne de l’abbé. Ils enlevèrent des troupeaux et commirent des dommages pour une valeur de plus de 100 florins d’or. Les moines se plaignirent au duc Antoine qui chargea les officiers de Blâmont d’informer. Mais ce prince étant sur les entrefaites parti pour la France, les habitants de Frémonville recommencèrent à vexer les religieux, venant les insulter jusqu’aux portes mêmes du monastère. Les officiers de Blâmont reçurent de nouveau l’ordre de se transporter sur les lieux, mais on ignore, et le résultat de l’enquête à laquelle ils durent se livrer, et la sentence qu’ils prononcèrent.
Ces faits peuvent s’expliquer, croyons-nous, par l’état de surexcitation où se trouvaient les esprits, même dans les pays où la Réforme ne put se maintenir à une époque où les doctrines de Luther commençaient à se répandre.
De nouvelles calamités, qui sans doute étaient dues à la même influence, ne tardèrent pas à fondre sur Haute-Seille. On les trouve consignées dans deux mémoires. Ils furent rédigés vers 1748, par les religieux, dans leur procès contre M. Alliot, nommé abbé commendataire, et avaient pour but de prouver, entre autres choses que Haute-Seille n’avait jamais été gouvernée que par des abbés réguliers et que le comte Antoine de Salm n’avait été ni élu, ni même nommé abbé commendataire, mais s’était emparé des biens du monastère.
« Jean de Xanrey fut élu abbé le 19 février 1556 à cette époque et dès auparavant, il y avoit guerre entre l’empereur Charles-Quint et la France, ce qui occasionna la dévastation de l’abbaye de Hauteseille située dans la terre de Salm qui étoit fief de l’Empire.
Ce fut sans doutte dans les circonstances de ces temps malheureux que le comte Anthoine de Salm dont la maison étoit puissante et attachée à l’Empire, pût s’emparer des biens de cette abbaye et en commetre la régie à M. Perini, curé de Landange. Mais, la paix s’étant faite en 1559, le calme succéda à l’orage, et il est certain qu’en supposant l’intrusion du comte Anthoine de Salm, ellc ne fut que momentanée et qu’il y renonça, soit volontairement, soit forcément, puisque Dom Jean de Xanrey, élu en 1556 abbé de l’abbaye de Hauteseille, continua de la gouverner en cette qualité, le fait est prouvé par des actes authentiques.
Le calme ramené par la paix de 1559 ne fut pas de durée ; de longues guerres d’état et de religion survinrent ensuitte et remirent en proye l’abbaye d’Hauteseille. Tout devint inculte, désert et abandonné en sorte que les abbés et religieux de cette abbaye, soit pour subsister, soit pour payer des contributions afin d’éviter des incendies, furent obligés, comme tous ceux qui vivoient dans ces temps de calamité de contracter plusieurs dettes.
Si le comte a touché quelque revenu de l’abbaye, ce ne peut être que par violence et usurpation [...]. Le comte se seroit violemment emparé en 1557 de quelques parts des biens de l’abbaye ce qui ne seroit pas sans exemple. L’on voit, en effet, dans toutes les histoires, qu’en ces temps malheureux, la pluspart des seigneurs s’emparoient des biens des monastères, où souvent ils s’établissoient avec leurs femmes et enfans auxquels ils les transmettoient comme des biens patrimoniaux.
Qui peut prouver que les Rhingraffs de Salm furent incapables d’excès envers l’abbaye de Hauteseille ? On le peut d’autant moins, qu’alors ils étoient infectés de l’hérésie de Luther, et que d’ailleurs, il est notoire que les seigneurs de cette maison vexèrent tellement l’abbaye de Senones, située comme Hauteseille dans la terre de Salm, que les religieux de ce monastère furent contraints de se réfugier à Rambervillers [...] ».
Quoi qu’il en soit de l’intrusion d’Antoine de Salm, il est certain qu’après sa retraite, l’abbaye était toujours dans la dépendance de ses parents. Dom Jean Périni, alors abbé essaya vainement de se soustraire à cette lourde charge. Il écrivit, en 1567, à la comtesse de Salm pour se plaindre « des violences que ses sujets de Badonviller avoient exercées à Haute-Seille le jour de la Nativité, de la juridiction que ses officiers prétendoient sur le monastère, ayant voulu prendre connaissance d’une petite bataille qui avoit eu lieu à l’abbaye entre des domestiques et des étrangers, et enfin d’une imposition de 500 francs à laquelle on les avoit taxés pour aides impériales ». Il se plaignit de même au comte de Salm, maréchal de Lorraine, que ses officiers de Badonviller accompagnés du doyen et de vingt-cinq arquebusiers, étaient venus à Haute-Seille pour y faire une saisie à cause du refus de payer les impositions.
Ses plaintes ne furent sans doute pas écoutées, car il dut protester de nouveau en 1572 contre les agissements des officiers des comtes qui avaient fait publier le cri de la fêtesans son consentement (droit seigneurial qui consistait à faire annoncer la fête patronale et à rendre une ordonnance concernant la police du champ de foire). Ils y avaient nommé leurs maîtres avant les religieux et en les qualifiant de seigneurs régaliens et fondateurs, tandis qu’anciennement et même du temps où Antoine de Salm était coadjuteur ou abbé, il se faisait ainsi « Au nom de Dieu et de la Vierge Marie, des seigneurs abbé et couvent et de Nos Seigneurs les comtes de Salm conservateurs et sauvegerdiens dudit monastère ».
Cette fois, les comtes voulurent en finir avec l’abbaye, ils lui imposèrent donc un traité par lequel elle s’engageait à payer 40 florins pour les sommes qu’elle avait refusé d’acquitter et à se soumettre à l’avenir aux aides impériales et à toutes les autres impositions. Mais le procureur général de l’évêché de Metz à Vic, informé de ce qui venait de se passer et jugeant un pareil accord préjudiciable à la juridiction que l’évêque prétendait avoir sur Haute-Seille, fit aussitôt assigner devant son tribunal l’abbé, qui déclara qu’il avait été contraint d’accepter ce traité contre lequel il avait protesté.
Ces difficultés se terminèrent, en 1573, par une transaction d’après laquelle les religieux promettaient de payer chaque année 50 francs pour aides impériales et droit de sauvegarde quant au cri de la fête, il fut convenu qu’il continuerait de se faire comme du passé, à condition que l’abbaye donnerait le past (repas) à ceux qui seraient députés pour l’assistance, cri et publication.
Par là, les comtes de Salm conservaient leur droit de sauvegarde à Haute-Seille. Ils en abusèrent à un tel point, qu’en 1596, l’abbé ayant répondu à une assignation à comparaître devant le procureur général de Vic, ils lui firent signifier défense de ne subir d’autrejuridiction que la leur.
Ils firent encore nommer en 1615, comme coadjuteur, un membre de leur famille, le comte Louis-Ernest, malgré l’abbé et les religieux, qui furent contraints de l’accepter, mais ceux-ci protestèrent si hautement que le comte, jugeant sa situation impossible malgré l’appui de ses parents, préféra faire sa renonciation.
Quelques années auparavant, s’était produit un événement d’une grande importance pour Haute-Seille. Nous voulons parler de l’annexion du prieuré de Hesse, situé dans le voisinage.
Ce monastère avait été fondé par les comtes de Dabo, parents du pape Léon IX et restauré dans la suite avec magnificence par les comtes de Linange, leurs successeurs. C’était d’abord une abbaye de bénédictines. Mais ces religieuses ayant été contraintes de l’abandonner à cause des guerres qui désolaient le pays et les avaient privées de ressources. Il fut uni, en 1447, à la collégiale de Sarrebourg puis donné vers 1483, à la demande des chanoines eux.mêmes, aux religieux de Saint-Augustin. Il devint enfin, en 1550, du consentement des comtes de Linange, un prieuré séculier, dont le dernier titulaire Nicolas Périni, jugeant son union à l’abbaye de Haute-Seille avantageuse, la demanda au pape avec l’assentiment de l’évêque de Metz, et en ayant obtenu les bulles en 1579, il prit lui-même l’habit à Haute-Seille, dont il fut élu abbé après la mort de Jean Périni, son frère.
Cette union, toutefois, ne se fit pas sans opposition de la part des comtes de Linange qui soutenaient qu’elle devait être annulée, parce qu’elle avait eu lieu sans leur consentement.
Après de longs débats, le pape ayant décidé que le consentement des fondateurs n’était point nécessaire, il y eut, en 1605, une transaction par laquelle les comtes reconnurent l’union du prieuré et la juridiction que l’abbaye de Haute-Seille y prétendait. L’abbé prenait la qualité de seigneur haut justicier à Hesse et avait obtenu de l’évêque de Metz le droit d’y avoir un signe patibulaire).
A charge par celle-ci de leur payer 100 écus d’or à chaque mutation d’abbé et de les recevoir, eux ou leurs officiers, quand il leur plairait d’aller à Hesse. Cela se nommait le droit d’hébergement. Les bons moines ne semblent pas avoir toujours donné satisfaction aux comtes de Linange sur cet article, car il y eut, en 1739, un procès à ce sujet, et une sentence du bailliage de Vic condamna l’abbaye à héberger indistinctement les comtes ou leurs officiers, chaque fois que l’occasion s’en présenterait.
L’instruction des procédures criminelles devaient se faire par les officiers de Hesse et l’exécution des criminels par ceux des comtes qui auraient le tiers dans les confiscations.
L’abbaye possédait à Blâmont et à Sarrebourg, des hôtels où elle mettait en sûreté ses titres et ses ornements les plus précieux pendant les temps de guerres ou de troubles. Le duc de Lorraine Charles IV lui accorda, en 1628, pour ces maisons, l’exemption du logement des soldats.
A cette époque déjà, les mouvements de troupes étaient plus fréquents et partout l’on se préparait à la guerre. Elle éclata bientôt, en effet, cette guerre sauvage qui ravagea notre pays et réduisit en quelques années, ses malheureux habitants à la plus affreuse misère.
Haute-Seille ne devait pas échapper à la ruine générale : ses champs furent dévastés, ses récoltes et ses bestiaux enlevés, et ses bâtiments, après avoir été mis au pillage, devinrent en partie la proie des flammes et nécessitèrent dans la suite de coûteuses reconstructions. Il en fut de même de la plupart des métairies qu’elle possédait et l’on sait que celle de Récour fut réduite en cendres, vers la Toussaint de 1635, par une armée qui y passait. Cette année, les religieux furent obligés de contracter un emprunt « pour réparer les ruines et incendies de leurs maisons et métairies, ce qui les a forcés de se retirer dans les villes voisines ».
L’année suivante, ils durent engager à Charles Massu, prévôt de Blâmont, les dimes de ce lieu et leur droit de rapportage (sorte de rente en nature) à Barbezieux, Barbas, Fremonville et Gogney, pour la somme de 1 900 francs. Un grand nombre de biens furent ainsi mis en gage à cette époque, dont beaucoup ne purent être rachetés et demeurèrent à jamais perdus.
En 1648, la situation de Haute-Seille était si précaire, que l’on voit l’abbé Dom Louis Fériet, afin d’arriver à dégager les biens que son monastère possédait à Rosheim, ayant épuisé toutes ses ressources, forcé de mettre sa crosse en gage pour 800 francs, et même de vendre à un marchand de Strasbourg toutes les cloches « que l’on disoit estre de Hesse et pesoient environ six milliers ». Plus tard, il fallut vendre la maison de Blâmont, pour parvenir à retirer les dimes de ce lieu et emprunter aux chartreux de Molsheim, pour « réparer l’église de Hesse, qui avoit été renversée et rétablir les bâtiments et les usines de ce prieuré, qui étaient entièrement abandonnés ».
Enfin l’abbaye se vit condamner, par une sentence du bailliage de Lunéville, après un long procès avec le chapitre de Blâmont, à reconstruire en partie l’église de cette ville, qui avait été brûlée pendant la guerre et à lui fournir un calice et les ornements nécessaires au culte.
Lorsque Dom Jacques Moreau de Vlautour fut nommé abbé en 1692, il fit faire, du monastère et de ses dépendances, un état qui montre dans quelle situation précaire Haute-Seille se trouvait encore. La communauté ne se composait que du prieur et de cinq religieux, dont le cellérier, le dépensier et le sacristain, de trois frères et de l’organiste. Il y avait en outre, trois religieux desservant les cures de Bertrambois, Hesse et Languimberg.
Les dettes se montaient à 40 952 frs barrois, le moulin était abandonné, les élangs ne rapportaient rien à cause du manque d’entretien des chaussées : « La pluspart des batiments estaient négligés depuis un très lontemps, il manquoit des vitres presque partout, il n’y avoit aucune cerrure dans aucune porte de l’abbaye, une grande partie des portes se trouvoient rompues, il manquoit des barreaux à toutes les fenestres du dortoir, grand grenier, etc. Le grand bâtiment de la grande cuisine menaçoit de ruine, il faloit retenir généralement toutes les houvertures, recurer touts les anciens conduits qui traversent l’abbaye et les murer à neuf, refaire plusieurs ruines dans la cloture et remettre la thuillerie sur pied qui estoit abandonnée ».
A Hesse, l’état de délabrement était le même : « la moitié de l’églize qui estoit abbatüe et ruinée de plus de la moitié, tant la voute qu’autres édifices, que le reste de la toiture tant de l’églize que de la tour, aussi bien que du reste de la nef et des collatéraux menaçoient ruine et une partie de la tour abbatüe les greniers et, écuries ont besoin d’estre rebatis tout à neuf, plusieurs gros batiments entièremeut ruinéz et tout, ce qui reste sur pied a besoin d’estre promptement rétablis ».
Dom Moreau prit solennellement possession de l’abbaye le 7 février 1693. On voit, par le procès-verbal qui en fut dressé, quelles étaient les formalités suivies à Haute-Seille en pareille circonstance.
M. Marchal, curé de Harbouey, notaire apostolique, l’investit d’abord du spirituel, « luy mettans en mains, dit-il, les clefs de l’église et luy faisans ouvrir, le faisans seoir dans le siège abbatialle ou tous les seigneurs religieux luy ont baisé la main le genouil en terre, le reconnaissans par cette soubmission leur abbé. Luy ay fait toucher le calice le livre des saints Evangiles, ouvrir le tabernacle ou re- pose le saint Sacrement, le tout au son des cloches, sans contredit de personne ».
Puis M. Boileau, juge des terres et seigneuries de Haute-Seille, le mit en possession du temporel, en exécution d’un arrêt du Parlemeut de Metz, « en conséquence de quoy, après avoir fait assembler les révérends prieur et religieux et touts les habitans dudit Hauteseille et leur fait lecture desdits brévet et arrest, nous nous sommes transportés dans l’appartement abbatial où nous avons mis ès mains dudit seigneur abbé Moreau, les clefs de la principale porte dudit appartement qu’il a ouvert et fermé. Ensuitte estans entrés dans la chambre abbatiale nous luy avons pareillement fait faire feu et fumée, et après, nous estans encor transportés dans la cour de ladite abbaye, nous luy avons mis en mains une pierre et une motte de terre, pour représentation générale et entière de la prise de possession qu’a fait ledit seigneur abbé ».
Grâce au règne réparateur du duc Léopold et à la paix que ce prince sut maintenir en Lorraine, grâce aussi à l’administration habile et économe de l’abbé Moreau, qui augmenta beaucoup les revenus du monastère et éteignit une partie de ses dettes, Haute-Seille se releva peu à peu de ses ruines. En 1707 et 1708, on rétablit les cloîtres, les stalles de l’église, etc. En 1711, des marchés furent passés avec Jean Vallier, de Nancy, sculpteur, pour « faire la sculpture qui devoit être autour du sanctuaire » et avec Antoine Malbert architecte « pour faire le bâtiment de trois faces à l’abbaye ».
Dom Moreau eut, en 1706, l’honneur de donner pendant quelques jours l’hospitalité au prince Camille et à l’abbé de Lorraine, son frère. Ce fait se trouve consigné dans les Mémoires de M. Moreau de Brazey, neveu de l’abbé de Haute-Seille.
Le calme où vivaient alors les religieux fut encore troublé par le prince de Salm. Mais, cette fois, c’était la faute de l’abbé. Celui-ci ayant cru pouvoir se qualifier, en 1725, de seigneur haut, moyen et bas justicier à Haute-Seille, le prince s’opposa aussitôt à cette prétention. Et un arrêt des commissaires députés pour examiner les droits de chaque partie, fit défense à l’abbé de prendre cette qualité. En conséquence, les plaids annaux de 1730 furent tenus par les officiers de la principauté et du comté de Salm dans la basse-cour même du monastère. L’abbé protesta, mais il est certain que ce fut en vain puisque l’état des biens de l’abbaye, dressé en 1747, dit que « la haute, moyenne et basse justice dans le lieu et ban de Hauteseille appartient pour moitié aux domaines en commun tant du comté que de la principauté de Salm, et y est exercé par les officiers en commun desdites principauté et comté, et l’abbaye n’y aucune part ».
A la même époque, les religieux perdirent encore un long procès contre ces mêmes officiers, au sujet de la seigneurie du village de Tanconville, qui commençait à s’élever dans un lieu désert et inculte de temps immémorial, qu’ils soutenaient appartenir à leur communauté avec tous les droits seigneuriaux, en vertu d’anciennes donations. On ne leur reconnut que la propriété de certaines terres, bois et étangs avec la seigneurie foncière, et le reste fut attribué aux comté et principauté de Salm.
Dom Henry Lecler, successeur de Dom Moreau, étant mort le 13 février 1747, Stanislas, en vertu de l’indult général qu’il avait obtenu du pape en 1740 pour les bénéfices situés en Lorraine, nomma abbé commendataire de Haute-Seille, par brevet du 6 mars suivant,
M. Nicolas-Joseph Alliot, simple clerc tonsuré, dont le seul titre à cette faveur était d’avoir pour père un des intendants du prince.
Le prieur et les religieux s’émurent de la nouvelle de cet acte imprévu et sans exemple dans les annales du monastère et, s’étant assemblés capitulairement, ils adressèrent au roi de Pologne un placet dans lequel ils demandaient qu’il leur fût permis d’élire un abbé régulier. « C’est un fait de notoriété publique, disaient-ils, que le droit d’élection étoit acquis et assuré à l’abbaye de Hauteseille tant par sa position dans la terre de Salm que par le Concordat Germanique auquel elle a toujours été soumise et par l’article trois du traité de Vienne de 1736 ; des titres aussi authentiques paraissoient devoir la mettre à couvert de la commande ».
Ils démontraient ensuite que la possession de l’abbaye par le comte Antoine de Salm qui l’avait eue en commende en 1557 ne pouvait servir de précédent, puisque le comte s’était emparé de ces biens, sans avoir jamais reçu aucune nomination. Mais le chancelier La Galaizière leur répondit par une défense expresse de procéder à cette élection et l’ordre d’avoir à mettre le nouvel abbé en possession de son bénéfice.
Sur ces entrefaites, le prince de Salm, jugeant ses intérêts lésés, parce que sa principauté était une terre de l’Empire, prit fait et cause pour les récalcitrants et écrivit au Pape pour le supplier de rejeter la nomination de M. Alliot et de confirmer les religieux dans la liberté de choisir leur abbé. C’est alors que ceux-ci forts de leur droit, élirent régulièrement Dom F. d’Estrepy qui, malgré les menaces et les persécutions dont il fut l’objet, déploya la plus grande activité pour faire confirmer son élection, que l’abbé de Morimont avait déjà ratifiée.
Il s’adressa d’abord au Pape qui, loin de lui être favorable, ratifia ce qui avait été fait, et donna, en 1749, à Stanislas et aux roix de France, ses successeurs en Lorraine, un bref de nomination de l’abbé de Haute-Seille. Il eut aussi recours à l’Empereur, dont il ne put rien obtenir, et enfin, décrété de prise de corps, il dut se retirer au-delà du Rhin pour mettre sa personne en sûreté.
Les procès engagés en cour de Rome entre les religieux et M. Alliot, tant à cause de la nomination de celui-ci que de la séparation des menses abbatiale et conventuelle, durèrent jusqu’au 14 janvier 1754, où ils prirent fin par une transaction, en vertu de laquelle les religieux prirent à bail de l’abbé pour toute la durée de sa vie, la mense abbatiale, et restèrent chargés de toutes dettes, réparations, procès et impositions prévues et imprévues. Ce qui fut confirmé par l’abbé de Citeaux.
A partir de cette époque, les abbés ne résidèrent plus à Haute-Seille, dont l’administration resta toute entière entre les mains du prieur. Dom de Marien, qui était alors revêtu de cette dignité, était un homme d’une haute valeur. Sous son intelligente direction, les travaux de réfection et d’embellissement, que les procès avaient forcé de laisser si longtemps interrompus, furent repris et poussés avec la plus grande activité, malgré des ressources fort restreintes.
Le procès-verbal d’une visite faite en 1759 par ordre de l’abbé de Citeaux, constate le bon ordre qui régnait alors dans le monastère : « Le bâtiment abbatial est beau et fort spatieux ainsy que les jardins et les basses cours, en sorte que tout ce qui regarde le temporel de l’abbaye à la charge entière des religieux, mérite de vrays applaudissements et fait honneur à Dom prieur ; le spirituel n’est pas moins bien conduit, la paix règne dans la maison, l’office s’y fait régulièrement et décemment ».
Jusqu’en 1789, l’abbaye semble avoir joui d’une paix profonde, troublée seulement par quelques procès sans importance. Ce fut certainement l’époque la plus heureuse de son existence, car on a vu quel avait été jusque-là le sort de ces religieux qu’on a tant accusés de passer leur vie dans l’abondance et l’oisiveté.
Bientôt éclatèrent les premiers troubles avant-coureurs des violences qui allaient être commises. On sait que les maisons religieuses furent les premières victimes de la rage des révolutionnaires.
Le 1eraoût 1789, en effet, les habitants des villages voisins, vinrent en grand nombre assaillir Haute-Seille dont ils enfoncèrent les portes, pillèrent les archives et dévastèrent les caves et les appartements. Un détachement de carabiniers, envoyé de Lunéville, dès qu’on y apprit de la bouche du prieur lui-même ce qui venait de se passer, arriva le lendemain dans la soirée et suffit à rétablir l’ordre. Les auteurs de ces actes de sauvagerie furent châtiés, mais les dégâts causés dans les archives étaient irréparables.
Une enquête fut faite quelques jours après par M. Laplante, conseiller du roi, délégué à cet effet, à la requête des religieux qui voulaient « faire constater par un acte juridique cette invasion et l’enlèvement des papiers qui en avoit été la suite ». Le commissaire put se rendre compte par lui-même que la porte de la pièce voûtée où se trouvaient les archives était entièrement hachée et brisée, que plusieurs armoires contenant les titres de propriété avaient été vidées ou bouleversées, et qu’enfin des vols et des dégâts avaient été commis dans toutes les parties du monastère.
Les religieux ne devaient pas jouir d’une longue tranquillité. Peu après, ils durent abandonner leur monastère décrété Propriété nationale. Dès le mois d’avril 1791, commença la vente de leurs biens, notamment de la maison qu’ils possédaient à Blâmont, puis ce fut le tour de l’abbaye comme l’apprend la pièce suivante :
« Ce jour 22 Décembre 1791, en la salle des séances du Directoire du District de Blâmont.
Première enchère et publication sur la mise de la somme de 5 300 livres, d’un corps de bien situé à Hauteseille, possédé ci-devant par les Bernardins dudit lieu, consistant en un bâtiment qu’occupoient les Religieux, une Eglise, le quartier abbatial, un hallier, une serre, treize jours huit ommées de jardin, les cours et le canal… ledit bien actuellement confié aux soins d’un gardien laïc ».
Mais la mise à prix, si dérisoire qu’elle fût, n’ayant tenté aucun amateur, le Directoire de Blâmont, après avoir entendu le procureur-syndic, remit l’adjudication à une autre époque ce qui fut approuvé par le Directoire de Nancy le 28 janvier suivant.
Nous n’avons pu, malgré toutes nos recherches, découvrir l’acte de vente de Haute-Seille qui devait contenir sa description complète. Il est probable que l’abbaye fut louée pendant plusieurs années avant de trouver un acquéreur qui la morcela et la réduisit à l’état où on la voit aujourd’hui.
Les ruines du portail offrent cependant encore assez d’intérêt aux archéologues, pour faire désirer qu’elles soient mises à l’abri de la destruction et débarrassées des plantes et des arbustes qui les recouvrent et qui, s’ils ajoutent au pittoresque de l’ensemble, n’en sont pas moins la cause de fréquentes dégradations.