Le crucifix d’or du château de Darnieulles
N’ayant pour l’instant pas trouvé l’historique de l’ancien château de Darnieulles, je vous propose une petite légende en rapport avec un de ses seigneurs.
D’après un article paru dans la revue « Le pays lorrain » en 1906
Darnieulles possède les ruines de son antique château. Elles se dressent à quelques pas du village, sur la colline qui domine cette vallée de l’Avière rendue célèbre par la catastrophe de Bouzey. Les ruines de la vallée sont réparées, celles du château le seront-elles jamais ?
Cette question a préoccupé nos pères et fait naître une légende. Or, en attendant l’histoire de l’ancienne seigneurie de Darnieulles, qu’on nous permette de ressusciter, parmi les choses mortes et oubliées la légende du Crucifix d’or. Elle a poussé sur ces vieux murs au souffle des siècles, comme la mousse au souffle des autans. Si elle a été fécondée par l’imagination populaire, elle n’a certainement pas poussé sans un germe plus ou moins historique.
Quelles racines a notre légende dans l’histoire ? Nous l’ignorons, nous l’avons recueillie par bribes et par variantes sur les lèvres de quelques anciens et nous l’avons reconstituée d’après ces divers récits.
Le château de Darnieulles existait bien avant que le duc Charles II en fit le douaire de Jean de Pillepille, son fils naturel. Les ruines qui restent debout accuseraient le Xème ou le XIème siècle. Une tour à moitié démolie, quelques pans de murailles d’enceinte, percées d’ouvertures romanes, c’est tout ce qu’a épargné le temps de l’antique manoir qui abrita les premiers voués d’Epinal, avant d’abriter le bâtard de Charles II et d’Alison du May et dont l’un des descendants fut le héros de la légende du Crucifix d’or.
C’était sans doute vers la fin du XIVème siècle. Le sire de Darnieulles voulait éclipser par son luxe les seigneurs de Ville et de Fontenoy. Les fêtes et les tournois se succédaient et les revenus de la terre de Darnieulles ne suffisaient pas à payer les folies du jeune seigneur, qui dut vendre d’abord une partie de son bien, puis engager des bijoux de famille. Il en vint même à se défaire du grand crucifix en or massif, que quelqu’un convoitait depuis longtemps.
Ce joyau, oeuvre d’art et de foi, ce christ, don, parait-il, d’Alison du May au chef de la maison de Darnieulles, cette relique qu’on se transmettait pieusement de génération en génération, parce qu’elle avait reçu le dernier soupir des ancêtres, fut engagée sans remords.
L’acquéreur était venu lui-même au château de Darnieulles quérir sa proie. Mais, comme il l’emportait, au moment de franchir la cour, le crucifix devint lourd, si lourd qu’il fut impossible à son nouveau possesseur de faire un pas avec un fardeau si écrasant. Il laisse choir l’objet à terre et la terre cède sous son poids. Il le voit s’enfoncer dans le sol, la frayeur s’empare de lui, il croit que la terre va l’engloutir et il prend la fuite. Le seigneur de Darnieulles, à son tour effrayé, sent que l’argent lui brûle ses doigts, il le jette dans la fosse mystérieuse, creusée par le christ et la fosse se referme d’elle-même.
Depuis lors, le christ d’or qui est enfoui dans le pourtour du château, plus jamais ne put être retrouvé. Le jeune seigneur était mort, après avoir perdu la raison, sans avoir pu indiquer l’endroit exact de cet enfouissement merveilleux.
On creusa, on fouilla en coupes profondes, oncques on ne put mettre à jour, ni le christ d’or, ni l’argent maudit.
Et, ajoute la légende, d’accord du reste avec l’histoire, cette noble maison de Darnieulles perdit, avec son joyau, sa fortune, son prestige et sa lignée. Moins d’un siècle plus tard, elle tombait en quenouille. Le fief fit retour au duché de Lorraine, puis fut de nouveau baillé à la famille de Beaufort-Gellenoncourt, qui l’occupa jusqu’au XIXème siècle avec des fortunes diverses.
Ainsi, des le Xème siècle, trois illustres maisons se sont succédées à Darnieulles. Ses destinées sont-elles closes définitivement ? Peut-être, reprend la légende, car, ajoute-t-elle, si jamais le crucifix d’or est exhumé, l’antique château de Darnieulles retrouvera en même temps sa vie d’autrefois, son opulence et sa gloire, ses barons, ses valets en livrée et les carrosses dorés, qui firent si longtemps son orgueil.
Telle est la légende du Crucifix d’or. Ne cache-t-elle pas une vérité morale ? N’est-elle pas la preuve, que dans notre vieille Lorraine, la fidélité aux traditions ancestrales fut toujours regardée comme le soutien et la sauvegarde des familles ?