Les perles des Vosges

La Vologne et ses perles

 

Il était une fois « les perles des Vosges »

D’après « Le département des Vosges » de Charles Charton et Henri Lepage – Année 1845

Les perles des Vosges proviennent de la Mulette allongée (Unio elongata), qui vit dans la Vologne et dans son principal affluent le Neuné.

La Vologne sort du lac de Retournemer au pied du Hohneck et au milieu de sombres sapins. Paisible, elle traverse le lac de Longemer, mais fougueuse, elle se précipite de rochers en rochers au saut des Cuves, qu’elle quitte en mugissant et en conduisant son onde écumeuse dans la vallée de Granges. A Laveline, le village aux Gentilshommes, elle reçoit le Neuné, qui lui-même est important par l’étendue de son cours.

Après avoir traversé les beaux villages de Champ, Laval, Lépanges, Deycimont, Docelles et Cheniménil, arrosé de riches prairies entrecoupées de riants hameaux et servi de moteur à des papeteries renommées, elle se jette dans la Moselle à Jarmenil.

La vallée de la Vologne ou de la Perle (la rivière a aussi porté ce nom) est à juste titre une des plus belles vallées des Vosges. Sa réputation ne lui vient donc pas seulement des perles qu’elle charrie, expression consacrée par les anciens naturalistes.

Le mollusque, qui produit des perles, semble plutôt provenir du Neuné, d’où il s’est répandu dans la Vologne, que de cette rivière elle-même, puisqu’en remontant son cours, on ne le rencontre pas au delà de cet affluent. Il est vrai qu’il pénètre aussi dans les petits ruisseaux qui se jettent dans la Vologne inférieure, mais en se tenant toujours dans la partie la plus rapprochée de son cours. Le ruisseau de Barba, renommé par ses belles écrevisses, en offre l’exemple.

Il aime les eaux tranquilles, celles qui parcourent des prairies ou des champs cultivés et qui reçoivent par là quelques principes nutritifs. Il se tient dans les endroits profonds, sur le sable ou le gravier limoneux, où il trace des sillons assez profonds, et s’éloigne des chutes d’eau et des courants rapides. C’est la raison pour laquelle on ne le voit plus au delà de Laveline, où la Vologne a un cours tourmenté par les gros cailloux que roule son lit et par les rochers qui, dans la vallée de Granges, hérissent son onde. Il est probable aussi que les eaux qui coulent sur un sol entièrement granitique, et qui sortent des forêts de sapin sans aucun mélange d’eau agricole, sont trop crues et trop froides, et par conséquent nuisibles à son existence.

Les perles de la Vologne n’offrent pas sans doute ce brillant nacré, ce vif éclat qui reflète toutes les couleurs d’une manière si riche et qui fait tout le prix des perles d’Orient. Mais il en est quelquefois de fort belles, de bien régulières et d’une belle eau. Souvent, plusieurs perles se trouvent ensemble dans la même coquille, mais il ne s’en rencontre jamais plus d’une qui soit d’une grosseur et d’une couleur qui les rendent propres à être employées comme bijou.

Il en est de différentes couleurs : de blanches, de roses, de roussâtres et de jaunâtres. Leur grosseur varie depuis celle d’un pois jusqu’à celle d’un grain de millet. On en trouve aussi qui sont piriformes et encore de celles appelées baroques.

Ce n’est pas dans les plus belles coquilles, ni dans les plus jeunes que l’on trouve les perles, mais dans les plus irrégulières, les plus raboteuses, les plus excoriées, celles qui offrent le plus de rugosités et qui ont atteint leur grosseur. On en voit presque toujours dans les coquilles qui présentent des cicatrices de fractures occasionnées par accident. On prétend qu’il faut que la coquille ait quatre ans pour produire des perles. C’est donc quatre années qu’il faut à la mulette pour atteindre sa grosseur. Ceux qui les recherchent prétendent encore que lorsqu’une coquille contient une perle, elle n’est jamais isolée, mais toujours environnée d’un grand nombre de coquilles, comme si elle avait besoin de soins particuliers.

La pêche des perles de la Vologne présentait autrefois une certaine importance, puisqu’elle était aménagée par ordonnance du souverain. En effet, les ducs de Lorraine se la réservaient, l’interdisaient à tous leurs sujets et la faisaient faire par leurs officiers, qui établissaient un pêcheur en titre. La pêche ne devait se faire que dans les mois de juin, juillet et août. Nous mentionnerons à titre de curiosité l’existence d’un corps d’officiers de pêche, sur les rivières de la Vologne et du Neuné, et dont la mission spéciale consistait à empêcher ou à surveiller les pê ches de perles alors assez communes dans ces deux cours d’eau. Leur traitement était de 50 francs.

Cependant, au commencement du siècle dernier, soit que la pêche ne fût pas assez productive, soit que le souverain en voulût gratifier l’un des seigneurs de sa cour, il parait qu’elle ne se faisait plus déjà avec les mêmes soins, puisqu’on voit le comte Humbert de Bourcier, seigneur de Girecourt et du faubourg de Bruyères, jouir du droit de la pêche des perles dans tout le cours de la Vologne. Ou bien était-il seulement l’officier chargé des intérêts des princes ?

D’un autre côté, le chapitre de Remiremont, étant propriétaire pour moitié de la rivière de Vologne, ne devait pas manquer d’exercer ses droits dans la pêche des perles. De même, le seigneur de Cheniménil, qui avait droit de pêche depuis le pont de Jarmenil jusqu’au Jambal de Granges, devait aussi les mettre à exécution.

Quoi qu’il en soit, il est certain qu’à aucune époque cette pêcherie n’a fourni de revenus aux ducs de Lorraine ni au chapitre, et qu’elle était établie seulement dans le but de satisfaire à la vanité suzeraine, au luxe et aux caprices de la mode. Aussi, l’épouse de Léopold Ier en possédait un très beau collier et des pendants d’oreilles, et sa fille, la princesse Charlotte, abbesse de Remiremont, en avait aussi un collier, dont elle se parait dans les solennités.

Aujourd’hui, l’administration ne juge pas à propos d’empêcher la recherche de cet ornement qui a bien perdu de son ancienne faveur. Elle a senti que notre siècle, prenant chaque jour plus de goût pour les choses utiles et moins pour ce qui n’est qu’agréable, laissait à la curiosité seule la recherche des perles de la Vologne.

Ce n’est sans doute que dans ce but, qu’on en offrit à l’impératrice Joséphine prenant les bains à Plombières, et cette auguste princesse, qui a laissé de si bons souvenirs dans nos contrées, ayant exprimé le désir de posséder le mollusque qui les produisait, on lui en envoya de quoi peupler les pièces d’eau de la Malmaison.

Ce fut aussi par le même motif qu’en 1828, Mme la duchesse d’Angoulême visitant les Vosges, en désira un bracelet, désir qui n’a pu être satisfait puisqu’on ne put réunir le nombre de perles nécessaires pour le former. Ce n’est pas qu’elles soient bien rares, car il n’est pas une famille aisée des bords de la Vologne qui n’en possède quelques-unes, mais elles y attachent du prix et ne s’en dessaisiraient pas, même pour une princesse, et la jeune mariée est encore heureuse de voir figurer dans sa parure de noce la perle de la Vologne. Il n’y a pas à douter que la Mulette allongée n’ait été autrefois beaucoup plus nombreuse dans la Vologne qu’elle ne l’est aujourd’hui. Du temps de Dom Calmet, elle était en si grand nombre dans le Neuné, que le fond du ruisseau semble, dit-il, en être pavé.Leur diminution provient de plusieurs causes :
- les recherches des perles par des enfants ou des personnes ignorantes, qui inconsidérément ouvrent toutes les coquilles sans s’attacher à aucune
- l’accroissement de la population qui a multiplié les habitations et qui, perfectionnant le mode d’irrigation des prairies, a dressé le cours de la rivière, comblé les bas fonds, aplani et défriché ses rives
- le grand nombre d’usines établies sur son cours
- enfin les produits chimiques employés en grande quantité par les papeteries, tels que le chlorure de chaux, les alcalis et l’alun , et par le blanchiment des toiles à Lépanges et à Deycimont.

Si l’on en croit Dom Calmet, la Vologne ne serait pas la seule rivière des Vosges qui donnerait des perles : il dit en avoir trouvé lui-même dans la Meurthe, entre Saint-Dié et Etival, au village de la Voivre. Il dit aussi que, dans les moules de l’étang Saint-Jean près de Nancy, on en rencontre quelquefois. Ces perles ne provenaient certainement pas de la Mulette allongée, qui ne se rencontre dans les Vosges, que dans la Vologne et ses affluents, mais probablement de la Mulette des peintres ou de la Mulette obtuse.

 

 


Archive pour 12 août, 2011

Les perles des Vosges

La Vologne et ses perles

 

Il était une fois « les perles des Vosges »

D’après « Le département des Vosges » de Charles Charton et Henri Lepage – Année 1845

Les perles des Vosges proviennent de la Mulette allongée (Unio elongata), qui vit dans la Vologne et dans son principal affluent le Neuné.

La Vologne sort du lac de Retournemer au pied du Hohneck et au milieu de sombres sapins. Paisible, elle traverse le lac de Longemer, mais fougueuse, elle se précipite de rochers en rochers au saut des Cuves, qu’elle quitte en mugissant et en conduisant son onde écumeuse dans la vallée de Granges. A Laveline, le village aux Gentilshommes, elle reçoit le Neuné, qui lui-même est important par l’étendue de son cours.

Après avoir traversé les beaux villages de Champ, Laval, Lépanges, Deycimont, Docelles et Cheniménil, arrosé de riches prairies entrecoupées de riants hameaux et servi de moteur à des papeteries renommées, elle se jette dans la Moselle à Jarmenil.

La vallée de la Vologne ou de la Perle (la rivière a aussi porté ce nom) est à juste titre une des plus belles vallées des Vosges. Sa réputation ne lui vient donc pas seulement des perles qu’elle charrie, expression consacrée par les anciens naturalistes.

Le mollusque, qui produit des perles, semble plutôt provenir du Neuné, d’où il s’est répandu dans la Vologne, que de cette rivière elle-même, puisqu’en remontant son cours, on ne le rencontre pas au delà de cet affluent. Il est vrai qu’il pénètre aussi dans les petits ruisseaux qui se jettent dans la Vologne inférieure, mais en se tenant toujours dans la partie la plus rapprochée de son cours. Le ruisseau de Barba, renommé par ses belles écrevisses, en offre l’exemple.

Il aime les eaux tranquilles, celles qui parcourent des prairies ou des champs cultivés et qui reçoivent par là quelques principes nutritifs. Il se tient dans les endroits profonds, sur le sable ou le gravier limoneux, où il trace des sillons assez profonds, et s’éloigne des chutes d’eau et des courants rapides. C’est la raison pour laquelle on ne le voit plus au delà de Laveline, où la Vologne a un cours tourmenté par les gros cailloux que roule son lit et par les rochers qui, dans la vallée de Granges, hérissent son onde. Il est probable aussi que les eaux qui coulent sur un sol entièrement granitique, et qui sortent des forêts de sapin sans aucun mélange d’eau agricole, sont trop crues et trop froides, et par conséquent nuisibles à son existence.

Les perles de la Vologne n’offrent pas sans doute ce brillant nacré, ce vif éclat qui reflète toutes les couleurs d’une manière si riche et qui fait tout le prix des perles d’Orient. Mais il en est quelquefois de fort belles, de bien régulières et d’une belle eau. Souvent, plusieurs perles se trouvent ensemble dans la même coquille, mais il ne s’en rencontre jamais plus d’une qui soit d’une grosseur et d’une couleur qui les rendent propres à être employées comme bijou.

Il en est de différentes couleurs : de blanches, de roses, de roussâtres et de jaunâtres. Leur grosseur varie depuis celle d’un pois jusqu’à celle d’un grain de millet. On en trouve aussi qui sont piriformes et encore de celles appelées baroques.

Ce n’est pas dans les plus belles coquilles, ni dans les plus jeunes que l’on trouve les perles, mais dans les plus irrégulières, les plus raboteuses, les plus excoriées, celles qui offrent le plus de rugosités et qui ont atteint leur grosseur. On en voit presque toujours dans les coquilles qui présentent des cicatrices de fractures occasionnées par accident. On prétend qu’il faut que la coquille ait quatre ans pour produire des perles. C’est donc quatre années qu’il faut à la mulette pour atteindre sa grosseur. Ceux qui les recherchent prétendent encore que lorsqu’une coquille contient une perle, elle n’est jamais isolée, mais toujours environnée d’un grand nombre de coquilles, comme si elle avait besoin de soins particuliers.

La pêche des perles de la Vologne présentait autrefois une certaine importance, puisqu’elle était aménagée par ordonnance du souverain. En effet, les ducs de Lorraine se la réservaient, l’interdisaient à tous leurs sujets et la faisaient faire par leurs officiers, qui établissaient un pêcheur en titre. La pêche ne devait se faire que dans les mois de juin, juillet et août. Nous mentionnerons à titre de curiosité l’existence d’un corps d’officiers de pêche, sur les rivières de la Vologne et du Neuné, et dont la mission spéciale consistait à empêcher ou à surveiller les pê ches de perles alors assez communes dans ces deux cours d’eau. Leur traitement était de 50 francs.

Cependant, au commencement du siècle dernier, soit que la pêche ne fût pas assez productive, soit que le souverain en voulût gratifier l’un des seigneurs de sa cour, il parait qu’elle ne se faisait plus déjà avec les mêmes soins, puisqu’on voit le comte Humbert de Bourcier, seigneur de Girecourt et du faubourg de Bruyères, jouir du droit de la pêche des perles dans tout le cours de la Vologne. Ou bien était-il seulement l’officier chargé des intérêts des princes ?

D’un autre côté, le chapitre de Remiremont, étant propriétaire pour moitié de la rivière de Vologne, ne devait pas manquer d’exercer ses droits dans la pêche des perles. De même, le seigneur de Cheniménil, qui avait droit de pêche depuis le pont de Jarmenil jusqu’au Jambal de Granges, devait aussi les mettre à exécution.

Quoi qu’il en soit, il est certain qu’à aucune époque cette pêcherie n’a fourni de revenus aux ducs de Lorraine ni au chapitre, et qu’elle était établie seulement dans le but de satisfaire à la vanité suzeraine, au luxe et aux caprices de la mode. Aussi, l’épouse de Léopold Ier en possédait un très beau collier et des pendants d’oreilles, et sa fille, la princesse Charlotte, abbesse de Remiremont, en avait aussi un collier, dont elle se parait dans les solennités.

Aujourd’hui, l’administration ne juge pas à propos d’empêcher la recherche de cet ornement qui a bien perdu de son ancienne faveur. Elle a senti que notre siècle, prenant chaque jour plus de goût pour les choses utiles et moins pour ce qui n’est qu’agréable, laissait à la curiosité seule la recherche des perles de la Vologne.

Ce n’est sans doute que dans ce but, qu’on en offrit à l’impératrice Joséphine prenant les bains à Plombières, et cette auguste princesse, qui a laissé de si bons souvenirs dans nos contrées, ayant exprimé le désir de posséder le mollusque qui les produisait, on lui en envoya de quoi peupler les pièces d’eau de la Malmaison.

Ce fut aussi par le même motif qu’en 1828, Mme la duchesse d’Angoulême visitant les Vosges, en désira un bracelet, désir qui n’a pu être satisfait puisqu’on ne put réunir le nombre de perles nécessaires pour le former. Ce n’est pas qu’elles soient bien rares, car il n’est pas une famille aisée des bords de la Vologne qui n’en possède quelques-unes, mais elles y attachent du prix et ne s’en dessaisiraient pas, même pour une princesse, et la jeune mariée est encore heureuse de voir figurer dans sa parure de noce la perle de la Vologne. Il n’y a pas à douter que la Mulette allongée n’ait été autrefois beaucoup plus nombreuse dans la Vologne qu’elle ne l’est aujourd’hui. Du temps de Dom Calmet, elle était en si grand nombre dans le Neuné, que le fond du ruisseau semble, dit-il, en être pavé.Leur diminution provient de plusieurs causes :
- les recherches des perles par des enfants ou des personnes ignorantes, qui inconsidérément ouvrent toutes les coquilles sans s’attacher à aucune
- l’accroissement de la population qui a multiplié les habitations et qui, perfectionnant le mode d’irrigation des prairies, a dressé le cours de la rivière, comblé les bas fonds, aplani et défriché ses rives
- le grand nombre d’usines établies sur son cours
- enfin les produits chimiques employés en grande quantité par les papeteries, tels que le chlorure de chaux, les alcalis et l’alun , et par le blanchiment des toiles à Lépanges et à Deycimont.

Si l’on en croit Dom Calmet, la Vologne ne serait pas la seule rivière des Vosges qui donnerait des perles : il dit en avoir trouvé lui-même dans la Meurthe, entre Saint-Dié et Etival, au village de la Voivre. Il dit aussi que, dans les moules de l’étang Saint-Jean près de Nancy, on en rencontre quelquefois. Ces perles ne provenaient certainement pas de la Mulette allongée, qui ne se rencontre dans les Vosges, que dans la Vologne et ses affluents, mais probablement de la Mulette des peintres ou de la Mulette obtuse.

 

 

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