Les ruines du château des fées à Ruaux
Une petite promenade sur les vestiges du Château des Fées de Ruaux, datant selon les uns, de l’époque gallo-romaine, ne remontant d’après les autres, qu’au XIIe siècle, époque à laquelle Simon, duc de Lorraine, en aurait interrompu la construction sur la réclamation des Dames de Remiremont.
D’autres croient encore, qu’étant donné la forme octogonale de l’enceinte et l’appareil des murs, elle ne remonterait pas au-delà du XVIe siècle. Enfin, la légende prétend qu’elle serait l’œuvre de fées !
Je vous propose une description de ce château, faite il y a plus d’un siècle et demi. La configuration a bien changé, plusieurs conflits sont malheureusement passés par là.
Les photos de ces ruines sont publiées avec l’aimable autorisation de Pascal.
D’après un article de M. Maud’heux publié dans les « Annales de la société d’émulation des Vosges » – 1858
Le château des fées occupe le sommet de la partie extrême du plateau du Feys, qui s’élève entre la vallée de la Semouze et une petite vallée arrosée par un ruisseau qui descend du hameau de Clairefontaine et vient se jeter dans la Semouze. Les flancs de cette espèce de promontoire sont hérissés par les affleurements des assises à peu près horizontales du grès bigarré qui constitue le massif de la montagne. Ces affleurements sont entrecoupés par des failles et supportent des roches détachées, de toutes les grosseurs et de toutes les formes, les unes isolées, les autres réunies en groupes.
Le plateau du Feys forme un sol plat et horizontal qui commence à prendre une légère inclinaison à partir d’une distance d’environ cent mètres de l’enceinte, dont le coté TT’ est extérieurement de plein pied avec le plateau. Mais la roche qui le constitue et qui n’est elle-même qu’une assise de grès, forme saillie sur le sol intérieur, d’une hauteur qui varie de 0,60 à 0,80m. Depuis T jusqu’en T’, le plan du sol intérieur incline davantage vers l’ouverture C, de telle sorte qu’une autre assise du grès, d’abord couchée sous le sol vers le point T, forme progressivement une saillie qui, à peu de distance du point D, laisse le sol en contrebas de 0,60 à 0,70m. Il a paru inutile de signaler cet accident sur le plan.
Les roches RR forment un double massif, séparé par un passage étroit et irrégulier : elles n’offrent aucune trace du travail de l’homme, et si, comme je le crois, elles sont les restes d’une assise, il faut admettre que les autres parties en ont été séparées par la rupture des blocs contigus à ces rochers. Ce n’est pas non plus le travail de l’homme qui a creusé le passage qui les sépare. Une fouille pratiquée dans le passage a prouvé que les rochers ne se rejoignent qu’à l’angle de rencontre de leur inclinaison, ce qui dénote une des failles naturelles que les assises offrent d’ailleurs sur une foule d’autres points. L’élévation des rochers RR sur le sol de l’enceinte est de 1,60m.
La grande pierre S offre une longueur de 4m sur 1m de largeur, et 0,60m d’épaisseur en moyenne. Elle repose inclinée sur deux roches plus petites et de formes plus massives. D’autres roches, de dimensions beaucoup moindres, et des pierres détachées des murs sont disséminées dans l’enceinte et à son pourtour extérieur.
Une pierre, en partie fouillée, m’avait paru un bas-relief complètement mutilé, mais, après un examen plus attentif, M. Laurent a pensé que l’évidement n’était que le commencement d’un travail destiné à la creuser en auge, travail que la rupture de cette pierre en deux fragments aura fait abandonner. La pierre Z gît dans l’enceinte près de l’ouverture C : en dehors de cette ouverture, deux pierres de même dimension, taillées de même, mais n’ayant pas d’échancrure à l’extrémité, reposent l’une sur l’autre. On doit supposer que ces trois pierres étaient dressées debout dans l’ouverture et servaient à la fermer au moyen de barres ou de poutres assujetties dans les échancrures.
Le plan donne une exacte idée du mode de construction des murs et de leur largeur. Ils régnent sur tous les côtés où l’enceinte borde les rampes très-inclinées de la montagne. Les pierres des deux parements ne sont pas toutes de même dimension. La plupart cependant portent 0,30 ou 0,40m en hauteur et en largeur.
Dans l’intervalle des deux parements, la disposition est plus irrégulière encore : cet intervalle est rempli d’un blocage de moellons et d’un mortier de médiocre qualité. Des terres se sont amassées sur le sommet des murs : des herbes, des plantes, des buissons et des arbres y sont percrus. Mesurés depuis l’intérieur de l’enceinte, les murs présentent encore, vers le point D, une hauteur de 2,50m. Elle varie ailleurs de 1m à 1,80m. Aucune des pierres tombées à leurs pieds n’a paru différente de celles du corps des murs, et n’a dénoté qu’ils eussent été surmontés d’un couronnement quelconque.
Leur ajustage dans les angles offre les meilleures conditions de solidité. En général, l’irrégularité de l’appareil et le mode de construction de ces murs, ressemblent à ceux qui étaient en usage après la période romaine et durant le moyen âge. Mais ils ressemblent aussi à l’opus incertum et antiquum de Vitruve, tel qu’il est représenté dans l’atlas du manuel d’archéologie de Muller.
L’ouverture C, où il ne reste que l’assise inférieure du parement externe, est placée vis-à-vis de failles qui ouvrent, à travers les affleurements du grès, un passage étroit et rapide comme la rampe de la montagne.
Après avoir étudié toutes les particularités intérieures et extérieures de cette enceinte, après avoir ouvert sur plusieurs points, et notamment suivant une ligne du nord au sud, des fouilles qui ont immédiatement rencontré le sol vierge, qui n’ont amené aucune découverte, mais qui ont justifié qu’aucune construction n’avait partagé l’enceinte en plusieurs parties, nous avons cherché à nous rendre compte de l’origine et de la destination primitive des ruines que nous avions sous les yeux.
Leur position à l’extrémité d’un plateau est bien celle que les Romains préféraient pour l’emplacement des camps et des postes militaires destinés à protéger un point important ou à garder un passage. Une première hypothèse se présentait donc à l’étude.
En jetant les yeux sur la carte de l’état-major, feuille de Lure, on reconnaît que le plateau du Feys n’est qu’à 6 ou 7 kilomètres de Plombières. Et que le chemin le plus court entre cette ville et Bains, autre établissement thermal, devrait être dirigé par Ruaux et par le hameau de Clairefontaine, descendre la vallée creusée par le ruisseau qui en découle, franchir la rivière de Semouze, vis-à-vis Petenpoiche, et de ce point gagner Bains ou Fontenoy-le-Château par les forêts du Clerjus et de Trémonzey.
Cette communication a-t-elle existé ? Les renseignements que j’avais recueillis ne signalent aucun vestige de voie romaine dans cette direction, excepté sur le territoire de Trémonzey, au lieu dit la Vieille-Chaussée, où l’on a reconnu le tronçon d’un chemin pavé paraissant se diriger vers Saint-Loup, mais qui aurait pu cependant appartenir à une voie tracée entre Bains et Ruaux, déviée de sa direction pour contourner la hauteur au pied de laquelle elle existe.
Le nom de Ruaux qui n’est que la corruption du mot Rual, employé dans les anciens manuscrits pour signifier une rue ou un chemin et qui parait dérivé des mots Ravent et Raon, ayant le même sens dans les anciens dialectes réputés Celtiques, semble révéler qu’une voie y a existé à une époque ancienne mais indéterminée. On a découvert à Ruaux des tombeaux en pierre portant des inscriptions et des armoiries dans une partie appelée la rue ancienne. Un canton voisin porte encore le nom de champ du marché. D’anciens titres, dit-on, donnent à Ruaux le nom de ville. Mais ces traditions et ces vestiges ne permettent pas de remonter au-delà des temps féodaux. On ne signale aucune trace de l’époque romaine.
Il y a lieu de penser aussi que Ruaux, qui dépendait de l’évêché de Besançon, faisait originairement partie de la Séquanie, et l’on ne remarque dans l’histoire, aucune époque où les circonstances politiques auraient pu engager les Romains à établir un poste militaire, destiné à prévenir un péril venant de cette province, vers laquelle le château des fées fait précisément face.
Ces objections s’affaibliraient si l’on admettait que le château des fées aurait été construit pendant la période franke, lorsque Ruaux formait en quelque sorte la frontière des royaumes d’Austrasie et de Bourgogne. Mais alors, on élevait bien plutôt des châteaux-forts et des tours que des postes militaires, et il est évident qu’il n’eût pas fallu plus de travail et de dépenses pour construire une tour que pour ériger l’enceinte du château des fées.
Ce qui d’ailleurs forme une objection qui semble insurmontable contre ces deux hypothèses, et contre celles qui présenteraient cette enceinte, ou comme le commencement d’un château dont la construction serait restée inachevée et abandonnée , ou comme une place de refuge que les populations se seraient ménagée pour les temps de guerre, toujours accompagnés autrefois de dévastations et de pillages, ce sont les groupes des rochers RR et S et les nombreuses roches disséminées dans l’enceinte. Elles n’auraient pas permis à des soldats, encore moins à des familles rurales et à leurs bestiaux, de se loger dans l’espace d’ailleurs peu étendu que les murs environnent.
Bien certainement, le premier soin de ceux qui l’auraient établie dans l’une ou l’autre de ces destinations, aurait été de la rendre logeable en la nivelant et en la débarrassant des rochers qui l’encombrent. Et rien n’était à la fois plus facile et plus commode que de les utiliser en y taillant les pierres qui ont été employées à la construction des murs.
Sans la présence de ces rochers, l’idée d’un poste militaire de l’époque romaine, ou même de l’époque franke, aurait pu être admise. On ne peut douter que les établissements thermaux de Plombières et de Bains, où les Romains ont laissé des vestiges considérables de leur occupation, n’ont pas pu être dépourvus alors de communication entr’eux. On peut très bien supposer aussi que les guerres des rois d’Austrasie et de Bourgogne auraient motivé, dans quelque circonstance ignorée aujourd’hui, la construction de cette enceinte.
L’hypothèse d’une place de refuge serait beaucoup moins acceptable, parce que le château du seigneur était le refuge naturel et obligé des populations rurales, parce qu’au besoin les vastes forêts du pays leur offraient de nombreuses retraites, où les partis ennemis ne se seraient pas aventurés à les poursuivre.
Mon impression, à la première visite du château des fées, avait été qu’il constituait une enceinte gauloise, entourant un dolmen, offrant dans l’intérieur de l’enceinte la place réservée aux druides et aux chefs, en dehors du côté TT sur le plateau, celle d’où le peuple, sans pénétrer dans l’enceinte réservée, pouvait assister aux sacrifices et en suivre l’accomplissement dans tous leurs détails.
L’ouverture C et le passage dans les rochers inférieurs formant la voie par laquelle on amenait les victimes, et par laquelle aussi les druides et les chefs arrivaient dans l’enceinte et en sortaient sans se mêler au peuple.
Cette impression était loin cependant de me donner une conviction exempte de doutes, et je désirais surtout la soumettre à mes collègues, après avoir recueilli préalablement tous les souvenirs que le pays pouvait avoir conservés sur l’ancien état de l’enceinte.
Deux vieillards qui nous ont été signalés comme ayant conservé les notions les plus anciennes sur ces ruines, nous ont dit qu’une grande quantité de pierres, provenant du château des fées, avaient été enlevées à l’époque de la construction de l’église de Ruaux, et employées dans cette construction. Suivant eux, le mur se prolongeait sur le côté TT qui, étant plus voisin du chemin, aurait été complètement détruit : ce mur aurait été garni d’anneaux en fer.
Je crois que la première partie de ces souvenirs est exacte. Il y a lieu de croire que les murs atteignaient en hauteur le même niveau horizontal. Les pierres qui gisent à leurs pieds ne suffiraient pas pour leur restituer partout ce niveau. Les murs de l’église de Ruaux ne paraissent pas en provenir, mais, ceux du cimetière qui l’entoure offrent des dimensions et un appareillage analogue.
Dans l’assertion que le mur se prolongeait sur le côté TT, j’aperçois de graves sujets de doute : on aurait certainement laissé sur place les moellons et le mortier du blocage qui unissait les parements, et on ne les retrouve pas. En tout cas, le mur de ce côté n’aurait pu avoir qu’une très faible élévation, à moins de dépasser de beaucoup le niveau supérieur des murs des autres côtés. Ce qui n’est pas vraisemblable.
Quant aux anneaux en fer, c’est une pure fable qu’on rencontre fréquemment dans les traditions relatives aux ruines antiques : tantôt, suivant elles, ces anneaux servaient à attacher les chevaux des gardes de cavalerie ; tantôt, à attacher des malfaiteurs.
Sur un point des Vosges alsaciennes, la tradition veut qu’ils aient servi à retenir les vaisseaux lorsque la vallée du Rhin était encore un lac. Je n’ai pas besoin d’ajouter que nous avons inutilement recherché des vestiges de ces anneaux et des pierres dans lesquelles ils auraient été fixés.
Ces souvenirs n’élèvent aucune objection sérieuse contre l’hypothèse dont j’avais été préoccupé dès ma première visite. Il faut les chercher ailleurs et je n’entends nullement atténuer leur gravité.
Il n’est pas certain que la pierre S soit le fragment d’une table de dolmen. Sa position, à quelque distance des rochers RR, semble exclure cette pensée. Des fragments aussi massifs reposeraient aux pieds des piliers du monument. Sa forme, ses dimensions, la disposition de l’emplacement qu’elle occupe, inclinée contre deux autres roches, n’ont rien d’extraordinaire, et se rencontrent ainsi réunies pour d’autres roches jetées çà et là sur les rampes de la montagne.
Les rochers RR n’ont subi aucun travail humain. Leur disposition est purement accidentelle, et aucun motif sérieux n’autorise à les considérer comme les piliers d’un dolmen.
L’appareil et le mode de construction des murs ne sont pas ceux qu’on remarque dans les enceintes gauloises, toujours formées de pierres brutes posées sans ciment, et leur emploi remonte tout au plus au Ve siècle, ou à la fin du IVe. Il faudrait donc supposer que l’enceinte n’aurait été établie qu’à cette époque relativement moderne, lorsque la religion chrétienne était dominante, lorsque celle des druides était proscrite. Si telle était bien l’origine de cette enceinte, elle constituerait un monument peut-être unique en son genre.
Je n’ai pas la prétention de détruire ces objections. Je crois cependant permis de supposer que nos ancêtres pouvaient très bien se dispenser de recourir au travail et à la force de l’homme, quand la nature avait préparé par hasard des dispositions telles qu’ils s’efforçaient de les établir.
Pourquoi n’auraient-ils pas accepté pour leurs cérémonies religieuses, des rochers accidentellement superposés comme les pierres du dolmen, ou dressés debout comme le menhir et le peulvan. Sans doute, rien ne prouve que la roche S soit le fragment d’une table. Mais il est certain que les diverses parties de l’enceinte ne sont plus dans leur état primitif. Sans doute, il y a une énigme dans le contraste d’une série de murs construits en pierres taillées et avec une certaine symétrie, et la présence des rochers RR, de la roche S et des autres roches dispersées dans l’enceinte.
Mais, hypothèse pour hypothèse, celle vers laquelle j’incline, est encore celle qui fournit la solution la plus plausible. Elle semble d’ailleurs concorder avec deux circonstances d’une autre nature, le nom que portent ces ruines, le sobriquet de fous que de tout temps on a donné aux habitants de Ruaux.
On sait que la superstition populaire rattache partout le nom des fées aux lieux qui étaient consacrés par le paganisme et surtout par le druidisme. Ce n’est pas parce que le niveau de l’intelligence serait trop abaissé parmi les habitants de Ruaux, qu’un sobriquet insultant a été attaché à leur nom depuis une époque inconnue. Ne serait-ce pas plutôt parce qu’ils auraient conservé plus longtemps que leurs voisins le culte druidique ? Ne sait-on pas que plusieurs lieux qui lui étaient consacrés portent aujourd’hui la désignation de cantons des fous ou de la folie ?
Toutes ces considérations, toutes ces objections ont été discutées et pesées sur les lieux mêmes. Nous avons été à peu près d’accord pour reconnaître que, si les ruines que nous avions sous les yeux ont constitué une enceinte druidique, elle ne remonterait pas au-delà de la fin du IVe siècle. Mais, quant à l’hypothèse elle-même, si les uns l’ont considérée comme la plus probable, les autres, sans l’exclure d’une manière absolue, l’ont réputée très douteuse.
Quoiqu’il en soit, les ruines du château des fées méritent bien certainement l’attention et les études des archéologues, et, en terminant cette notice, j’exprimerai le vœu bien sincère qu’elles soient visitées par ceux que Plombières attire dans le pays et pour lesquels le bois du Feys peut devenir ainsi le but d’une excursion intéressante.