L’abbaye de l’Etanche à Deuxnouds-aux-Bois (55)
Inscrits aux monuments historiques en décembre 1984, la chapelle et le bâtiment sont, d’après la base de données du ministère de la culture, la propriété d’une société privée. Laissé à l’abandon au milieu des bois depuis des années, cet édifice est dans un état de délabrement qui fait réellement peine à voir.
Des appels au secours ont été régulièrement lancés sur différents sites ou blogs depuis maintenant trois ans. Rien n’a bougé, et la situation ne fait qu’empirer.
Il serait tout de même dommage qu’on dise un jour : « Il y avait une abbaye… », alors je relaie l’appel.
Pour l’instant, et en espérant que la situation évolue, je vous propose de découvrir les 900 ans d’histoire de l’abbaye.
D’après le « Pouillé du Diocèse de Verdun (Volume 3) par l’abbé N. Robinet,
continué par l’abbé J.-B.-A. Gillant » – Année 1904
L’abbaye de l’Etanche, située dans un vallon solitaire au milieu des bois, entre Deuxnouds et Creuë, reconnaissait comme premier fondateur, un pieux personnage, Bertauld, qui vers 1138, donna son alleu de Faverolles à l’évêque Albéron de Chiny, pour qu’il y érigeât un monastère. Albert Leloup, neveu de Bertauld, augmenta la donation. L’évêque avait fondé en 1133, l’abbaye de Belval-en-Argonne. De cette nouvelle maison, il appela vers 1140, des religieux Prémontrés, et l’abbé de Belval lui-même vint présider aux constructions et à l’établissement du monastère.
La nouvelle abbaye et l’église furent dédiées, vers 1147, sous le titre de l’Annonciation de Notre-Dame.
Albéron, évêque de Verdun, donna aux religieux de l’Etanche ses terres de Hautchamp et de Benoite-Vaux avec leurs dépendances. D’autres seigneurs ou riches personnages gratifièrent de leurs largesses le nouveau couvent. L’évêque Albert de Mercy, par une charte datée de 1157, reconnut et approuva les libéralités faites à l’abbaye et en ajouta d’autres.
Le 17 des Calendes de décembre 1180, Alexandre III envoya une bulle confirmative de la fondation de l’abbaye avec l’énumération de tous les biens qu’elle possédait. En 1194, le pape Célestin III confirma deux donations faites à l’abbaye. En 1213, Innocent III envoya une autre bulle confirmative des biens du couvent. En février 1278, le pape Nicolas III renouvela et confirma les privilèges, immunités et indulgences accordés par ses prédécesseurs.
L’abbaye était sous la garde de l’évêque de Verdun, ainsi qu’il fut reconnu par acte authentique passé le 1er avril 1324 entre l’abbé et l’évêque.
L’Etanche jouissait, en charge d’hommage à l’évêque en son château d’Hattonchâtel, des droits seigneuriaux sur l’ancien alleu de Faveroles. En 1484, Guillaume de Haraucourt, fit saisir le temporel, faute d’hommage rendu par l’abbé Jean de Molley. Et en 1786, dans le procès-verbal de la réformation de la coutume d’Hattonchâtel, on mentionne encore les abbé, prieur, religieux et couvent de l’abbaye de l’Etanche, seigneurs hauts, moyens et bas justiciers dudit lieu (Clouet – Histoire de Verdun).
Les seigneurs de Creuë avait fondé à l’Etanche, en 1461 et vers 1470, des services annuels. Le 7 octobre 1492, Gérard d’Avillers, seigneur de Commercy, fonda quatre services par an, le lendemain des fêtes de la Vierge, le chant qutidien de l’Ave Verum à l’élévation de la messe, et le Salve Regina après les Vêpres. Fondation approuvée en 1505 par Wary de Dommartin, évêque de Verdun.
En 1627, Jean le Cousin, prieur des Dominicains de Verdun, vint ériger à l’Etanche, la confrérie du Rosaire. Les religieux, en vertu d’une fondation établie par Christine Groullot de Chaillon (avait donné pour cette fondation une rente de 20 barrois), devaient faire la procession du Rosaire le premier dimanche de chaque mois, et célébrer quatre anniversaires pour les confrères défunts, le lendemain des fêtes de la Nativité, de la Purification, de l’Annonciation et de l’Assomption.
La réforme de Servais de Lairuels fut introduite au monastère en 1626. Jean la Trompette, étudiant à Pont-à-Mousson, devenu abbé de l’Etanche par la mort de son oncle, vint se jeter aux pieds de son supérieur, lui offrant son abbaye pour en disposer selon les vues de Dieu. Le père de Lairuels envoya de suite à l’Etanche, quatre de ses religieux réformés, qui prirent possession le 7 février 1626, et firent accepter la réforme aux trois anciens religieux qui restaient.
Le 12 mai suivant, Servais de Lairuels fit admettre la séparation des menses afin de mieux assurer la subsistance des religieux. Un conseiller d’état, un avocat et un huissier, appelés de Saint-Mihiel à cet effet, procédèrent au partage des droits, des charges, des propriétés, et même des bâtiments. Ils réglèrent la part de l’abbé ou mense abbatiale, et celle des religieux ou mense conventuelle. Benoite-Vaux et ses dépendances fit partie de la mense conventuelle. Cette séparation des menses fut confirmée par une bulle du pape Urbain VIII en mai 1628.
L’Etanche reçut du roi Louis XIII des lettres de protection et de sauvegarde, datées de Pont-à-Mousson le 7 juillet 1632. Cette royale sauvegarde n’empêcha nullement la dévastation de l’abbaye par les Croates. Les fermiers ruinés avaient fui. Les religieux réfugiés à Hattonchâtel, puis chassés de ce lieu, erraient dans les bois, et revenaient à de longs intervalles, visiter leur couvent désert et ruiné. L’abbé vivait tranquillement en France. L’Etanche resta ainsi abandonné pendant quatre ou cinq ans.
Les temps calamiteux du XVIIe siècle avaient ramené la réunion des menses abbatiale et conventuelle. Leur séparation se fit de nouveau en 1743. La totalité des biens fut divisée en trois parts : une pour l’abbé, la deuxième pour les moines, et la troisième, ou tiers-lot, pour subvenir aux charges communes. Le tirage au sort de ces lots eut lieu le 28 janvier 1743.
L’abbaye resta constamment en règle, et ne subit jamais la commende. La nomination de l’abbé était élective et avait lieu en Chapitre, d’après la règle de saint Augustin et la bulle de 1180. Toutefois, au XVIIIe siècle, le roi, en vertu d’un indult, nomma les deux derniers abbés.
Le personnel de l’abbaye se composait ordinairement de huit religieux. En 1626, avant la réforme, il n’en restait que trois avec l’abbé. Après la réforme, il y avait l’abbé, trois anciens et quatre nouveaux religieux. En 1682, l’abbé et six religieux habitaient le monastère. Le relevé de 1790 mentionne l’abbé, cinq ou six pères et un frère convers. L’un d’eux exerçait les fonctions de prieur claustral. Les autres charges étaient celles de sous-prieur, procureur et circateur. Un religieux, ordinairement le sous-prieur, avait le titre de curé de l’Etanche.
Le savant Dominique Callot, abbé de l’Etanche, avait commencé à former la bibliothèque de l’abbaye vers 1680. Ses successeurs continuèrent à l’enrichir. Joseph Boucart l’augmenta considérablement. D’après Dom Calmet, elle valait 50 000 livres. Quelques temps après vers 1755, il fallut la vendre « par mesure d’économie ». En 1770, l’abbé et ses religieux reformèrent une nouvelle bibliothèque, celle qui se trouvait à l’abbaye au moment de la suppression en 1790.
L’ancien couvent bâti au XIIe siècle, contre la côte près du bois, ne parut plus suffisant au commencement du XVIIe siècle. L’abbé Firmin La Trompette, vers 1610, le fit rebâtir entièrement sur des proportions plus vastes et plus riches, à l’endroit où il existe encore. Il dépensa pour cela, la somme énorme de 120 000 livres. L’ancienne église reçut un portail nouveau, ainsi qu’un pavé, et les autels furent refaits d’après des dessins plus élégants. Un de ces autels était sous le vocable de saint Nicolas.
Vers 1743, on commença la reconstruction de l’abbaye. Ce travail important ne fut terminé qu’en 1757. En 1770, on y ajouta un réfectoire d’été, et au-dessus une salle pour la bibliothèque.
L’abbé Thénaudel fit reconstruire l’église abbatiale, achevée en 1770, dans le style de la renaissance.
Benoîte-Vaux, sa chapelle bâtie par les moines, et une petite ferme voisine, dépendaient de l’abbaye de l’Etanche. C’était d’abord un ermitage gardé par un religieux prémontré ou un autre prêtre. L’abbaye de l’Etanche demanda et obtint en 1670, son érection en cure, en gardant le droit de nomination.
Le 23 novembre 1675, union de la cure de Benoîte-Vaux à la mense capitulaire de l’Etanche. Le 21 juillet 1754, la cure de Benoîte-Vaux fut érigée en prieuré indépendant. Vers 1766, l’union parait rétablie entre les deux couvents.
En novembre 1708, Benoîte-Vaux, ayant été pillé par les ennemis, on transporta la statue miraculeuse à l’Etanche, où elle resta plusieurs mois.
Les armes de l’Etanche étaient à peu près les mêmes que celles de Benoîte-Vaux : D’argent, à une Vierge-Mère couronnée, tenant dans sa main dextre une pomme, et sur bras sénestre l’Enfant Jésus aussi couronné, le tout d’or.
L’Etanche, après avoir perdu plus de moitié des biens de sa fondation, devint une des moins riches maisons de l’ordre des Prémontrés.
L’abbaye possédait :
- à l’Etanche : le couvent et ses dépendances, une ferme et trois papeteries
- à Lamorville : le moulin et la papeterie de Bayart
- à Rambluzin : un moulin et quelques prés
- à Hattonchâtel : une maison et des vignes
- sur le territoire de Neuville-en-Verdunois : la métairie de Hautchamp.
Ses autres propriétés, gagnages, terres, prés, étaient situés sur les finages de Deuxnouds, Vigneulles, Creuë, Woël, Dieue, Ambly, Tilly, Woimbley, Lacroix, Thillot, Chaillon, Saint-Maurice, Lamorville, Lavignéville, Hattonville, Rouvrois, Villers-sur-Meuse, Bouquemont, Herbeuville.
En outre, l’abbé et les religieux avaient des droits sur les dîmes de Saint-Maurice, de Thillot, de Woël, d’Avillers, etc…
Tous ces biens et revenus furent confisqués par la révolution. En mai 1790, les commissaires nationaux vinrent à l’Etanche et dressèrent l’inventaire. La vente du mobilier se fit le 24 mai 1791 et produisit la modique somme de 2 041 livres 6 sous.
Le 9 septembre 1791, le district de Saint-Mihiel adjugea pour 32 600 livres, à Lejuste de Commercy, l’abbaye, l’église, les autres bâtiments, ainsi que la ferme qui dépendait du monastère. Tous ces édifices ont été conservés.
L’Etanche, après avoir passé à divers propriétaires, forme actuellement une belle maison de campagne, et ses dépendances sont restées maisons de ferme.