La forteresse de Châtel-sur-Moselle (88)
Bâti sur un promontoire calcaire au bord de la Moselle et isolé du plateau par des fossés de 57 mètres de largeur, le château dominait la ville et son enceinte flanquée de 12 tours et dotée de deux porteries.
Autour d’un gros donjon carré, le château primitif des XIe et XIIe siècles fut agrandit au début du XIIIe. Il connut au XVe siècle une extension considérable et une précoce adaptation à l’artillerie. La longueur cumulée de ses deux enceintes, flanquées de 21 tours, atteignait 1,4 km. Un réseau de galeries réunissait les ouvrages de défense et faisait communiquer le château avec le bas de la ville et avec la rive de la Moselle.
Cette forteresse, considérée comme l’un des plus grands châteaux-forts du Moyen-âge, a malheureusement subi le même triste sort que pratiquement tous les autres châteaux de la Lorraine : le démantèlement et la ruine.
Depuis mai 1972, une association oeuvre au dégagement et à la consolidation des tours et murailles. Près de 130 chantiers ont été exécutés et plus de 135 000 tonnes de déblais ont été enlevés.
Je vous propose un petit historique et une description de cette splendide forteresse, inscrite aux monuments historiques depuis 1988, et vous encourage à venir la découvrir par vous-mêmes.
D’après les « Annales de la Société d’émulation du département des Vosges » – Années 1861 et 1904
Châtel est devenu lorrain en 1543. Il l’était pourtant à l’avènement du premier duc héréditaire Gérard d’Alsace. A la mort de ce dernier, son second fils, appelé Gérard comme lui, mécontent de sa part de succession, finit par obtenir le comté de Vaudémont, qui lui constitua une principauté indépendante de son frère Thierry duc de Lorraine.
Châtel, qui probablement faisait partie de l’apanage de Gérard, joint au nouveau comté de Vaudémont, cessa d’être lorrain.
Il devint le centre des domaines que possédaient dans la région, les comtes de Vaudémont. Il restera sous la domination des seigneurs de Vaudémont jusqu’en 1377. A cette époque, Alix de Vaudémont, mariée à un bourguignon Thiebault de Neufchâtel, lui apporta la seigneurie de Châtel qui resta (toujours indépendante des ducs de Lorraine) dans cette famille jusqu’en 1543.
Châtel est placé sur la rive droite de la Moselle. Au sommet d’une grande courbe décite par la vallée, il la commande et la domine en amont et en aval. La Moselle coulait au pied du château et des murailles de la ville.
Le fond de la vallée resta longtemps soumis aux caprices de la rivière, dont le régime torrentiel promenait les eaux d’une rive à l’autre, laissant après chaque crue, de grands amas de sable qu’une autre crue enlevait. Il est certain que la Moselle, ou une de ses branches, coulait autrefois du côté de Nomexy, les coteaux taillés en falaise, de ce côté, en sont une preuve incontestable.
A cette époque, l’emplacement du village était occupé par la rivière. Pour maintenir les eaux du côté de Châtel, les habitants durent plus d’une fois, faire un passage à l’eau, barrée par des bancs de sable et cailloux après un débordement. Cet état de la vallée ne rendait pas les relations faciles entre les deux rives, aussi le premier sur la rivière date seulement de 1730.
On entrait au château par une porte, véritable petite forteresse, formée d’un bâtiment central flanqué de quatre tours. Cette porte était protégée par une muraille formant une avant-cour devant elle. On arrivait à cette porte par la rue des Capucins. Le fossé franchi par un pont-levis, on entrait dans un long couloir voûté, fermé dans son milieu par une forte grille en fer. A chaque extrémité, existait une solide porte de bois.
Le couloir franchi, se voyait une première cour, à droite, le donjon, véritablement architectural, de forme carrée, à trois hauts étages, couronné de deux beffrois aux lanternes élégantes appuyées sur les quatre tourelles qui encadrent l’horloge. A gauche, le corps de garde. Derrière celui-ci et le donjon, une seconde tour. Au fond, le château proprement dit. La salle d’étude et la grande salle de récréation du séminaire occupent l’emplacement de cette portion de la forteresse.
Sur chacune des faces, devant et derrière, un fossé avec pont-levis. A l’extrémité nord-ouest du château, la chapelle castrale, à l’autre, la tour de l’Etuve.
Au-delà de ces constructions, une troisième cour, du Colombier. Des souterrains, dont une portion subsite encore, mettaient en communication le château proprement dit avec les principaux ouvrages de la défense.
De fortes et énormes murailles entouraient les diverses constructions composant le château. On peut se faire idée de ce qu’étaient ces murs, par celui qui se voit le long de la Moselle, sous le séminaire.
La ville, petite, enserrée dans ses murailles, avait deux portes : la Porte d’en bas, à l’extrémité du pont sur la Moselle ; la Porte d’en haut ou de Rancourt. Toutes deux étaitent pourvues de tours et de travaux de défense très importants.
De la Porte d’en bas, la muraille remontait la Moselle, jusqu’à la jonstion avec celle du château (à la tour de la Fontaine). A ce point, entrait dans la ville, le canal du moulin, passant en arrière de la muraille, si bien qu’en dehors de celle-ci et séparée par une bande terrain, se trouvai la Moselle et à l’intérieur le canal du moulin.
La muraille de la Porte d’en haut, s’élevant sur la pente du coteau, allait se souder au château. Dans toute cette portion de l’enceinte, il ne pouvait y avoir d’eau dans les fossés. Ceux-ci, dans cette portion, étaient convetis en faussebraye, c’est-à-dire revêtus de briques et de maçonnerie. Ce qui permettait de faire des bords à pic.
En 1670, Châtel fut assiégé et pris par le maréchal de Créquy. La démolition du château et de la ville fut ordonnée.
Les fortifications de cette petite ville étaient solidement établies, puisque après la reddition de la place, il ne fallut pas moins de six semaines aux Français pour faire sauter, au moyen d’une immense quantité de poudre, les tours et les remparts de sa forteresse. Ceci de manière à en empêcher le prompt rétablissement pour le cas d’une nouvelle rentrée du duc de Lorraine dans ses États. Mais cette coûteuse précaution était inutile, car le malheureux Charles IV ne devait plus revoir les rives de la Moselle.
26 402 livres de poudre furent employées à faire sauter tours, boulevards, murailles :
« Estat de consommation de poudre qui a este employée pour les mines et fourneaux de Chastel, lorsqu’on a démoly la ville et le chasteau, avec les noms de chacune des tours, et la date de chacun jour, à commencer du vingt quatrième décembre 1670 jusqu’à parfaite démolition :
- Pour la tour du Parterre tirante à la tour Bruslée, laquelle saulta le jour de Noël vingt cinquième décembre, quatre mille quarante livres
- Pour la tour du Moyne saultée le jour de la saint Jean l’évangéliste, vingt-septième décembre, mille quatre cent quarante livres
- Pour la tour des Rasoirs saultée le mesme jour, mil huit cent soixante livres
- Pour la grande tour du milieu du château, saultée le deuxième janvier, mille deux cent trente livres
- Pour le boullevard où estoit le corps de garde de la porte d’en haut de la ville, huit cent trente livres
- Pour la tour quarrée nommée la tour du Guet, et jadis la tour au passage en la mesme porte d’en haut, qui saulta avec ledit boullevard le deuxiesme janvier, mille huit cent quarante livres
- Pour la tour des Sorciers, saultée le quatriesme janvier, sept cent quarante livres
- Pour la tour de la Grosse-Folie, saultée la veille des roys le cinquième janvier, huit cent soixante livres
- Pour la Petite-Folie, saultée le mesme jour, huit cent quarante livres
- Pour la tour de la porte du Pont, suyvante des Sorciers, saultée le septième janvier, quatre cent vingt-quatre livres
- Pour la courtine du parterre du chasteau, saultée l’unziesmc janvier, mil quatre cent trente livres
- Pour la courtine d’entre la tour des Princes et celle des Razoirs, saultée le mesme jour, mille quatre cent trente livres
- Pour la tour des Mouchettes, saultée le douzième janvier, mille vingt-quatre livres
- Pour la tour du Trésor, saultée le même jour, huit cent trente livres
- Pour la tour des Princes, saultée le mesme jour, cinq cent vingt-une livres
- Pour la tour du Foin, saultée le quatorzième janvier, huit cent vingt-cinq livres
- Et pour les Saucisses, cinquante livres
- Pour un petit fourneau à la tour des Princes, septante cinq livres
- Le 18e janvier 1671 délivré à Monsieur Saccis pour la courtine de la porte de campagne qui saulta le mesme jour, huit cent vingt-quatre livres
- Le 19e janvier, pour un fourneau dans l’une des tours de la porterie du chasteau, cent soixante-deux livres
- Pour un autre fourneau dans une autre tour de la même porterie, quatre cent livres
- Pour une autre tour au pont levis audit chasteau et un fourneau, cent septante quatre livres
Lesquelles trois tours, et porteries ont saulté le dix-neuf janvier.
- Pour la tour de la Cloche, saultée le vingt-unième janvier, mil trente-neuf livres
- Pour la courtine devant la porte du chasteau, saultée le vingt-troisième janvier, six cent vingt-six livres
- Pour la tour sur l’eau, tenante à la ville entre la tour de la porte d’en bas et celle au-devant de la fontaine, saultée le vingt-cinquième janvier, quatre cent vingt-quatre livres
- Pour la tour au devant de la fontaine tenante aux murailles de ladite ville, saultée le vingt-cinquième janvier, quatre cent vingt-quatre livres
- Pour la tour de Campagne, en un fourneau, saultée le trentième janvier, quatre cent quarante livres
- Pour un autre fourneau à la même tour, quatre cent dix-huit livres
- Pour la tour de la porte d’en bas tenante icelle aux murailles de ladite ville, saultée le cinquième février, quatre cent dix-huit livres
- Pour la platte forme de la porte de Campagne dudit chasteau, sept cent quarante livres
- Pour les estançons et boettes pour les sappes, vingt-quatre livres
Somme totale de la poudre employée aux articles cy-devant pour la démolition de la ville et chasteau de Chastel, se monte sauf erreur de compte et calcul, à vingt-six mille quatre cent deux livres.
Pour copie tirée des vrays originaux, à la description desquels ledit Menissier souscript certifie avoir été employé les an et jour spécifiez cy-devant, tesmoin son seing manuel cy mis.
Fait à Chastel cejourd’huy 25 mars 1708, signé Menissier, avec paraphe ».
Toutefois, il est une chose dont la force ne put dépouiller la petite ville de Châtel devenue simple bourgade champêtre, c’est le souvenir des luttes glorieuses qu’elle soutint, pendant quarante ans (sièges de la part des Français, en 1636, 1641 et en 1651, et de la part des Lorrains en 1637 et en 1650) pour l’indépendance de la patrie, et dont les derniers actes sont la capitulation de 1670 et la démolition de son château.
Mais comme cela arrive toujours en pareil cas, ce fut un démantèlement et non une destruction. Les deux portes de la ville furent conservées. Les murailles devinrent la propriété des bourgeois qui y appuyèrent des constructions, les ouvrirent pour faire des fenêtres, des portes.