Les ruines du château de Lutzelbourg (57)
Classé aux monuments historiques depuis février 1930, les ruines du château sont la propriété de la commune depuis 1977. D’importants travaux de rénovation ont été entrepris pour réhabiliter ce patrimoine. Le résultat est extraordinaire, et l’on n’a qu’une seule envie : parcourir ces ruines.
Je vous propose pour l’instant de découvrir l’histoire du château et du village de Lutzelbourg. Vous pouvez aussi découvrir d’autres photos du château de Lutzelbourg après la rénovation ici.
D’après un article paru dans les « Mémoires de la Société d’archéologie lorraine » – Année 1871
L’origine du château de Lutzelbourg se perd dans l’obscurité du moyen âge. Son nom est formé des mots allemands lützel et burg, qui signifient petit château, et il a été sans doute ainsi nommé à cause de son étendue peu considérable.
Bâti sur la crête rocailleuse d’une montagne dont l’altitude est de 322 mètres, et probablement sur les ruines d’un castel romain, il semblait, comme du temps du peuple-roi, préposé à barrer et à défendre le passage de la vallée de la Zorn. A sa construction, l’art de l’ingénieur avait déployé toutes ses ressources, et ses ruines imposantes attestent encore l’importance qu’il devait avoir dans ces temps, où l’art d’attaquer les places était encore dans son enfance.
Au pied de la montagne au sommet de laquelle s’élevait, haute et fière, la forteresse féodale, se groupèrent bientôt les habitations de modeste apparence, qui devaient donner naissance à un village auquel elle imprima son nom, et dont le voyageur, qui l’approche en remontant la Zorn, admire la situation pittoresque.
L’ensemble du château de Lutzelbourg présentait l’image d’une étoile à cinq rais, dont le centre était occupé par une tour pentagonale, qui servait probablement de donjon. Cette tour, revêtue de pierres diamantées, subsiste encore et forme aujourd’hui la partie la plus intéressante de cette ancienne forteresse. On ne pouvait y accéder que par une porte à plein-cintre, percée au premier étage, et à laquelle on serait tenté de donner le nom de fenêtre. L’escalier qui servait à monter jusqu’à son sommet était placé dans l’épaisseur du mur.
Ses cinq angles se liaient aux fortifications du pourtour de l’enceinte par des bâtiments qui divisaient le château en cinq compartiments parfaitement distincts et presque indépendants les uns des autres. Les cinq lignes de bâtiments qui divergeaient vers le mur d’enceinte, offraient, chacune à leur extrémité, une tour carrée. L’une de ces tours est encore debout, et élève sa tête brunie par les siècles du milieu des ruines qui l’entourent comme un phare sur un promontoire. Directement au-dessous de cette tour, se voit l’entrée d’un tunnel de 439 mètres de longueur, que traverse la double voie ferrée. Le mur d’enceinte était enté sur le roc escarpé, dont il suivait la sinuosité avec une bizarre exactitude.
Le château est dominé par les montagnes environnantes, et l’on y monte péniblement par un chemin rocailleux, disposé en pente assez raide. Du haut du plateau où il s’élève, la vue, quoique trop restreinte, est fort belle. Au pied du rocher s’étend le village de Lutzelbourg, aux blanches maisons, et l’on admire la vallée où la Zorn, aux capricieux méandres, roule ses eaux limpides. L’œil se plaît à suivre la nappe d’eau du canal de la Marne au Rhin, qui se dessine comme une bande d’argent à travers les prairies, et la ligne de fer, que parcourent les convois aux longs panaches de fumée pour se rendre à Paris ou à Strasbourg. Vers l’ouest, une échappée permet de jeter un coup d’œil dans la plaine accidentée du Westrich.
Quoique l’époque certaine de la fondation du château de Lutzelbourg ne soit pas connue, on peut admettre avec certitude qu’il existait déjà vers la fin du XIe siècle.
II était situé dans la Marche de Marmoutier, appartenait dans 1′origine à l’abbaye bénédictine de ce nom, et avait été, selon toute apparence, construit pour lui servir de boulevard, du côté de l’ouest. Mais il lui fut enlevé injustement et par violence, au commencement du XIIe siècle, par le comte Pierre, fils de Frédéric, comte de Moncion, et d’Agnès de Savoie. Ce seigneur adopta le nom du château qu’il avait usurpé et y fixa sa résidence.
L’acte de violence du comte Pierre donna lieu à une grave contestation entre ce seigneur et l’abbaye de Marmoutier. Le comte Pierre soutenait qu’il avait acquis la propriété du château dont il avait adopté le nom, en échange du prieuré de Saint-Quirin, tandis que l’abbaye de Marmoutier prétendait que cet échange n’avait jamais eu lieu, et qu’elle tenait le prieuré de Saint-Quirin de la libéralité de Louis, comte de Dagsbourg, aïeul maternel du pape saint Léon IX.
Quoique l’abbaye de Marmoutier eut le bon droit de son côté, elle ne pût jamais rentrer dans la propriété du château qui lui avait été enlevé, et le comte Pierre en resta l’heureux possesseur. Bien plus, il lui enleva violemment la forêt de Hiltenhausen, située dans le voisinage de ce château.
A 1a mort du comte Pierre, le château de Lutzelbourg advint par héritage à son fils Réginald, qui prit également le titre de comte de Lutzelbourg. Ce jeune seigneur, connu par ses édifiantes prodigalités envers l’Église, répara en partie l’injustice commise par son père, et restitua à l’abbaye, la forêt que celui-ci avait usurpée. Une charte, émise par l’abbé Anselme, qui présidait aux destinées de l’abbaye de Marmoutier de 1146 à 1154, nous donne quelques détails sur le différend qui s’était élevé entre Pierre, comte de Lutzelbourg, et le monastère, et raconte que la forêt que ce seigneur lui avait enlevée, lui avait été restituée par son fils Réginald.
Le comte Réginald de Lutzelbourg termina, en 1143, le cours de sa carrière terrestre, sans laisser de postérité. Etienne de Bar, évêque de Metz, son cousin, hérita du château de Lutzelbourg, et, après en avoir pris possession, il le donna en fief, sous la mouvance de son église, à Hugues, fils de Folmar, comte de Metz.
Après la mort de ce seigneur, Mathieu 1er, duc de Lorraine, fit, à la tête d’une noblesse impatiente de combats, diverses expéditions contre les seigneurs ses voisins. Il s’empara, vers 1151, du château de Lutzelbourg et de plusieurs autres forteresses de l’évêché de Metz, qui devinrent un sujet de sanglants démêlés. L’évêque Etienne de Bar tâcha, avec le secours de l’empereur Frédéric Barberousse, de récupérer les domaines dont il venait d’être dépouillé. Il reprit le château de Lutzelbourg et se rendit aussi maître de plusieurs autres forteresses. Le duc Mathieu, pour se venger des entreprises de l’évêque Etienne, se mit en campagne. Il remporta d’abord quelques avantages, mais il fut obligé de céder au nombre.
Les deux parties convinrent enfin de terminer une guerre, qui ne pouvait être que fort désavantageuse à toutes deux, et se réconcilièrent. L’évêque de Metz fit reconstruire le château de Lutzelbourg, qui avait été fortement endommagé pendant la guerre et ne présentait plus qu’un amas de ruines, puis il le réunit à sa crosse.
En 1154, l’évêque Etienne se ligua avec le duc Mathieu, contre le comte Folmar de Saarwerden. Les alliés marchèrent contre le château de Saarwerden, situé dans le Westrich, sur la Sarre, et en firent le siège. Après s’en être rendus maîtres, ils en rasèrent les fortifications et firent conduire le comte Folmar dans la forteresse de Lutzelbourg, où il fut retenu prisonnier.
Son fils Louis, outré de cet affront, jura d’en tirer vengeance. A peine son père avait-il fermé la paupière, que le comte Louis assembla quelques troupes, alla mettre le siège devant la forteresse où son père avait été retenu en captivité, et s’en empara. Mais l’évêque de Metz, Thierri de Lorraine, attaqua le comte de Saarwerden et le força de rendre la grande tour du château de Lutzelbourg, où il tenait garnison. Il ne le relâcha qu’à condition qu’il renoncerait à toutes ses prétentions sur ce château ! Ceci se passait vers l’an 1175.
Croll le jeune, de Deux-Ponts, suppose qu’il existait des liens de parenté entre le comte Réginald de Lutzelbourg et les comtes de Saarwerden, et que les prétentions que ces derniers avaient élevées sur sa riche succession, avaient occasionné les sanglantes querelles que nous venons de raconter.
Vers la fin du XIIe siècle, on vit paraître comme témoin dans une charte que l’évêque de Strasbourg, Conrad de Hunebourg, émit en faveur de l’abbaye de Neubourg, Hermann de Lucelnburch. Descendait-il du comte Pierre de Lutzelbourg ? Rien ne le prouve, et, selon toute apparence, il était simplement le vassal castrensien de l’évêché de Metz, et il adopta, selon l’usage du temps, le nom du château dont la garde lui était confiée. II fut l’auteur, la tige d’une nouvelle maison de Lutzelbourg, qui a joué, tant en Lorraine qu’en Alsace, un rôle, dont l’importance est attestée par une foule de documents et de monuments diplomatiques. La maison de Lutzelbourg portait d’argent au lion d’azur, la queue fourchue et passée en sautoir.
En 1235, le sire Bourchard de Geroldseck-ès-Vosges tourna ses armes contre le château de Lutzelbourg et s’en empara. L’évêque de Metz, Jean d’Apremont, résolut de reprendre ce manoir. Geoffroi d’Apremont, son neveu, à qui il avait confié le commandement de ses troupes, marcha contre le château, l’assiégea, ne négligea et ne ménagea aucuns moyens pour s’en rendre maître. Des pierres énormes furent lancées contre les tours et les murs et même dans l’intérieur du château, mais la garnison répondit aux projectiles par des projectiles, combattit avec le plus grand courage et opposa une résistance opiniâtre à un ennemi puissant, qui fit des efforts inouïs pour renverser les fortifications de la nature et de l’art. La forteresse restait debout et regardait les assiégeants d’un air menaçant.
Geoffroi d’Apremont venait de recevoir une blessure qui le priva d’un œil. Il redoubla d’efforts, s’empara du château et fit prisonnier le sire de Géroldseck et ses gens. Le vainqueur ne rendit la liberté à ses prisonniers que lorsque le sire de Géroldseck eut contracté l’engagement de lui payer pour leur rançon une grosse somme d’argent, qui fut hypothéquée sur les deux terres de Géroldseck, c’est-à-dire sur celle située en Alsace, près de Saverne, et sur celle située sur la Sarre, au territoire de Niederstinzel, dans le Westrich.
En 1296, Frédéric de Lichtenberg, archidiacre de l’église de Metz et grand-prévôt du chapitre de Strasbourg, avait, de l’autorité du chapitre de Metz, pendant la vacance du siége épiscopal, la garde des châteaux de Lutzelbourg, Turquestein et Castres. Il les restitua, en 1297, aux administrateurs et vice-gérants de Gérard, évêque élu de Metz, et informa les commandants de ces châteaux qu’il les avait rendus aux officiers de l’évêque. Il les pria en même temps d’obéir désormais à ce prélat, de lui rendre compte des revenus et de le servir sans contradiction.
Au XIVe siècle, Bourchard de Fénétrange était devenu le vassal, l’homme d’Adémare de Montil, évêque de Metz, et de son évêché. Par un acte dicté de la veille de Saint-Jean-Baptiste 1344, ce prélat fit donation à Bourchard de cinq cents livres petits tournois pour l’hommage qu’il lui avait rendu, et lui engagea à cet effet son château de Lutzelbourg. Il lui donna tout pouvoir de retirer des mains des comtes de la Petite-Pierre et des seigneurs voués de Wasslenheim (Wasselonne), les engagères qu’il leur avait faites, et lui assura la jouissance tant du château de Lutzelbourg que des domaines ainsi rachetés, jusqu’au remboursement de ladite somme de cinq cents livres et de celles qu’il pourrait avoir employées audit rachat.
L’évêque Adémare se réserva la faculté de rembourser lesdites sommes quand bon lui semblerait, et imposa au sire de Fénétrange la condition d’employer cette somme de cinq cents livres, après en avoir été payé, en acquêts qu’il tiendrait à toujours en foi et hommage de l’évêché de Metz.
L’embarras financier dans lequel se trouvait l’évêque Adémare, le força de recourir à la bourse de son vassal, le sire Bourchard de Fénétrange. Il lui emprunta, par acte du jeudi avant la fête de la Toussaint 1350, une somme de cinq cents livres petits tournois, et consentit que ce seigneur et ses descendants retinssent en leurs mains le château de Lucelbourg jusqu’au remboursement desdites deux sommes de cinq cents livres, faisant ensemble celle de mille livres.
Trente ans après, Bourchard de Fénétrange, qui ne possédait plus que la moitié de cet engagement, conclut, le dimanche Judica de l’année 1381 avec l’évêque Thierry Bayer de Boppart, une paix castrense (Burgfriede) qui porte en substance : l’évêque Thierry promet de laisser jouir Bourchard de Fénétrange et ses successeurs, de la moitié du château de Lutzelbourg, que ce seigneur tient en engagement de l’évêché de Metz, sans que ledit évêque ni ses successeurs puissent leur y apporter aucun trouble ou empêchement, tant et aussi longtemps que le rachat n’en aura pas été fait. Les deux parties prennent l’engagement de conserver ladite place à forces communes, de la défendre envers et contre tous en cas d’attaque et de la récupérer en cas de prise par leurs ennemis.
Peu après, l’évêque Thierry racheta l’engagère de Lutzelbourg, d’Olry de Fénétrange.
Le château de Lulzelbourg fut tourmenté d’une série non interrompue d’engagements qui jettent une grande confusion dans son histoire.
L’évêque de Metz Thierry Bayer de Boppart, fut forcé, par l’embarras de ses finances, à engager une partie du château de Lutzelbourg à l’évêché de Strasbourg, moyennant une somme de douze cents florins. L’évêque de Strasbourg, Frédéric de Blankenheim, donna en engagement, par acte du 1eravril 1385, le quart de ce château à son vice-dôme, Rodolphe dc Hohenstein, moyennant un prêt de sept cents florins.
L’évêque de Metz Raoul de Coucy, quelque peu remis à flot, remboursa à l’évêque de Strasbourg, Frédéric de Blankenheim, la somme de douze cents florins, qui formait le prix de son engagère, et les lettres d’engagement furent cassées et annulées, par un acte du lundi après la Nativité de Notre-Seigneur 1391. Toutefois, il ne parait pas que ce rachat ait été complet, car l’évêque Frédéric de Strasbourg retenait toujours une partie de ce château, et son successeur, Guillaume de Diest, se plaisait à y résider pendant la belle saison.
Le château de Lutzelbourg était devenu un ganerbiat (nom d’une antique et puissante association contre les brigands des temps féodaux, qui se forma en Allemagne, pendant le moyen âge, à l’époque où il n’y avait d’autre droit que la force, et qui subsista, mais bien dégénérée, jusqu’au milieu du XVIe siècle) et, en 1394, le 7 janvier, une paix castrense fut signée entre les comparsonniers Rodolphe de Hohenstein, Bechtold Münch de Wilsperg, Egenolphe de Lutzelbourg et Lutze de Lampertheim. Dieterich de Hohenstein, fils de Rodolphe, prit, dans le cours de la même année, l’engagement de se conformer à la teneur du susdit traité.
Le même engagement fut encore pris par Lutze et Hessemann de Lampertheim en 1398, par Henri Eckbrecht de Durigheim (Durkheim) en 1399, et le vendredi avant la mi-carême 1400, par l’évêque de Strasbourg, Guillaume de Diest, et par Gérard Dunne (Dauhn) de Linange, prévôt de Saverne.
Cette paix fut renouvelée, la veille de la Saint-Jacques 1404, entre Guillaume de Diest, évêque de Strasbourg, Henri Eckbrecht de Durnigheim (Durkheim), Jean de Heringen (Hérange), Berthold Krantz de Geispolsheim, Lutze et Hessemann de Lampertheim, Bernard et Jean de Lutzelbourg, et Martin Munch de Wilsperg.
La veille de la Saint-Michel de la même année, l’évêque Guillaume de Strasbourg s’entendit avec tous les ganerbes au sujet de la cotisation que chacun d’eux devait fournir aux frais de réparation et d’entretien du château. On convint d’avoir un édile ou directeur des bâtiments commun, lequel serait chargé tant de la garde du château que de l’administration des possessions communes.
Toutes les plaintes pour l’inexécution ou la violation de la paix castrense, toutes les contestations que l’un des ganerbes pourrait avoir à former contre l’autre, devaient être soumises à l’arbitrage d’Eberlin de Greifenstein le vieux.
Jean de Hérange et Berthold Krantz de Geipolsheim s’engagèrent, par un acte du 14 novembre 1404, à ne point s’opposer au rachat du château, dès que l’évêque Guillaume de Diest voudrait l’effectuer. Ce Berthold Krantz possédait aussi une hypothèque de cent florins sur la maison que les nobles d’Oberkirch possédaient à Lutzelbourg.
Les lettres en forme de dénombrement, que Bernard de Lutzelbourg et son frère Jean remirent, le jeudi avant la Saint-Luc 1405, à Raoul de Coucy, évêque de Metz, portent qu’ils tiennent en fief de cet évêché, le château de Lutzelbourg, la maison située dans ledit château, entre la tour dite de Fénétrange et le puits, avec la meule adossée à la grosse tour, la tour près de la porte d’entrée, les jardins et les prairies situées autour du château, le village de Willer (Niederviller) et la mairie de ce lieu, à laquelle ressortissent les sujets de Bernard de Lutzelbourg, qui demeurent à Birchide (Bourscheid) le ban et le village de Schoenberg (Schoenbourg), le ban et le village de Gundwiller, (Guntzviller) ceux de Craffetzal (Craufthal) et d’Esperg (Eschbourg), avec les mairies desdits lieux, Prowiller (Brouviller) avec la mairie de ce lieu et celle dc Grenesniwiller (Kræmsviller), qui en est une dépendance. Le village de Kraemswiller ou Kramswiller ne subsiste plus. Il fut ruiné on ne sait à quelle époque et ses matériaux servirent à reconstruire celui de Drouviller.
Les guerres que l’évêque de Metz Raoul de Coucy eut à soutenir, le forcèrent d’engager en 1409, selon Dom Calmet, ou en 1402, selon Meurice, le quart du château et de la châtellenie de Lutzelbourg à Charles II, duc de Lorraine, pour la somme de huit cents florins du Rhin.
En 1410, l’évêque de Metz, Raoul de Coucy assura à Guillaume de Diest, évêque de Strasbourg, la jouissance viagère du quart du château de Lutzelbourg. Dans le cours de la même année, Jean de Lutzelbourg donna à l’évêque Guillaume de Strasbourg quittance de la somme de cent soixante florins, que ce prélat lui devait en compensation des pertes qu’il avait essuyées à son service, et pour laquelle il avait reçu en engagement le quart que l’évêché de Strasbourg possédait dans le château de Lutzelbourg.
L’evêque de Strasbourg Guillaume de Diest prit, le jour de l’Assomption de Notre-Dame 1421, l’engagement de rendre dans un certain temps à Conrad Bayer de Boppart, évèque de Metz, la moitié du château de Lutzelbourg et de lui remettre ès mains franchement et quittement les lettres d’engagement que l’évêque Thierry de Metz avait souscrites au profit de l’évêque Fredéric de Strasbourg. L’évêque Guillaume renouvela cet engagement, par acte du mardi après l’Annonciation de Notre-Dame 1434.
Egenolphe de Lutzelbourg donna, le mardi après la Division des Apôtres de l’an 1460, son dénombrement à la cour féodale de l’évêché de Metz, séant à Vic, pour le château de Lutzelbourg et les villages qui en dépendaient. Dans la même année 1460, Philippe Kraph de Sarrebourg reconnut tenir en fief de Georges de Bade, évêque de Metz, une maison au château de Lutzelbourg, le droit de haute conduite à Sarrebourg, quatre livres de rente à Varlsperswiller (Vasperswiller) et quatre livres de rente au Vivier (Voyer) et à Elwresweiler (Abreschwiller).
En 1469, Henri Blicker de Rothenbourg fit ses reprises de Georges de Bade, évêque de Metz, pour une maison de fief située en son château de Lutzelbourg, et lui promit l’obéissance qu’un fidèle vassal et sujet doit à son seigneur.
Wernher de Lutzelbourg fit ses reprises de l’évêque Georges de Metz pour le château de Lutzelbourg, avec sa tour et ses dépendances jusqu’à la tour dite de Fénétrange, le puits près de la grosse tour, le Steinburg de la porterie par où l’on entre, avec les villages et mairies en dépendant, et promit par acte du jeudi après la Saint-Valentin 1483, « de procurer le profit et d’empêcher le dommage dudit sieur évesque, ainsi qu’un fidèle vassal est tenu de faire envers son seigneur, à cause de son fief ».
Un noble alsacien, Michel de Blumeneck, fit, par acte du jeudi après la Saint-Michel de l’an 1495, ses reprises pour et au nom de Claire Wucher, sa femme, de l’évêque de Metz, Henri de Lorraine, pour une maison située au château de Lutzelbourg, la moitié d’un moulin, trois resaux de froment et trois resaux d’avoine de rente sur les grosses dîmes dudit Lutzelbourg, avec les menues dîmes, consistant en dix schillings et demi, monnaie de Strasbourg.
Au commencement du XVIe siècle, on comptait, parmi les ganerbes du château de Lutzelbourg qui prêtaient foi et hommage à l’évêque de Metz, sous condition de paix castrense, le célèbre Franz de Sickingen.
Après la mort de ce vaillant guerrier, qui fut frappé des éclats d’une poutre en défendant la brèche de son château de Landstuhl, le 7 mai 1525, le landgrave de Hesse, Philippe-le-Magnanime, l’électeur palatin, Louis-le-Pacifique, et l’électeur de Trèves, Richard Greifenklau de Wolfrat, se dirigèrent sur l’Alsace et marchèrent contre les châteaux de leur ennemi, où flottaient depuis trop longtemps les bannières de chevaliers pillards. Ils s’emparèrent successivement des châteaux de Hohenbourg, Dahnstein et Drachenfels, et les livrèrent aux flammes.
Ils remontèrent ensuite le pays et campèrent, le 18 mai, sous les murs de Pfaffenhofen, où ils passèrent dans le repos la journée du lendemain, qui était un dimanche. Le comte Philippe de Hanau satisfit à tous leurs besoins et leur envoya un renfort de troupes. Le lundi 20, ils marchèrent sur Saverne, passèrent sous les murs de cette ville et parurent inopinément à la vue du château de Lutzelbourg, qu’ils avaient résolu de détruire, parce qu’il avait servi plusieurs fois de refuge à Franz de Sickingen et à ses amis dans leurs courses aventureuses.
Un trompette vint sommer la garnison de se rendre. Celle-ci, intimidée et craignant que sa conduite passée n’appelât la vengeance, ne tenta pas la moindre résistance et capitula. Le château fut aussitôt livré aux flammes, puis les tours, les murs et ce que le feu n’avait pas consumé, furent démantelés et détruits.
Deux tours seules échappèrent à la destruction, grâce à la solidité et à l’épaisseur de leurs murailles. Les murs de la grande tour ont 2m 30 d’épaisseur, ceux de l’autre lour n’ont qu’une épaisseur de 2m 10. Elles sont encore debout et peuvent braver longtemps encore l’action de la vétusté.
L’hospitalité que le château de Lutzelbourg avait donnée à Franz de Sickingen et à ses amis fut la cause de sa ruine, et l’électeur palatin, qui le convoitait depuis longtemps, le réunit à son comté de la Petite-Pierre, avec les villages de Hazelbourg, Hultenhausen, Wilsberg et Mittelbronn.
Lorsque, deux ans après, le comte de Hanau alla visiter le duc Antoine de Lorraine dans son camp devant Saverne, pendant sa fameuse expédition contre les Rustauds d’Alsace, le prince lorrain se montra fort irrité contre lui et lui fit d’amères reproches de sa coopération à la destruction du château de Lutzelbourg, qui était un fief messin, appartenant son frère le cardinal de Lorraine et « où le capitaine Hans Brubac et ses compaignons étaient enclos ».
Cependant, les évêques de Metz ne renoncèrent pas aux droits qu’ils avaient sur ce château et ses dépendances et continuèrent à en donner à leurs vassaux une investiture de nulle valeur. En 1552, Henri Hass de Laufen, qui en avait été investi par l’électeur palatin, fut sommé par le cardinal de Lenoncourt, évêque de Metz, de lui prêter foi et hommage comme à son seigneur féodal. Mais, comme il tenait ce fief de la maison palatine, il écrivit au prélat messin, sous la date du 1eravril de ladite année, une lettre où il s’excusa de n’en pouvoir faire la reprise sans en donner avis au prince palalin, au préjudice duquel il ne voudrait attenter aucune chose, assurant toutefois le cardinal qu’il ne voulait pas contrevenir à la sommation qui lui avait été faite pour la reprise de ce fief, que si lui, évêque de Metz rentrait dans la possession du domaine direct de Lutzelbourg, il lui ferait aisément ses foi et hommage avec l’obéissance requise.
Le comté de la Petite-Pierre tomba, à la mort de l’électeur palatin qui décéda sans postérité le 12 février 1559, à la branche palitine de Deux-Ponts, qui était divisée en deux rameaux : Deux-Ponts et Veldenz, suivant le pacte sucessoire conclu entre les phinces de la maison palatine le 2 novembre 1553.
Par un traité fait à Augsbourg en l’année 1566, Wolfgang, duc de Deux-Ponts et son cousin Georges-Jean, prince de Veldenz, se partagèrent l’opulent héritage que leur avait laissé leur parent, l’électeur Othon-Henri. Georges-Jean eut en partage, le comté de la Petite-Pierre avec la seigneurie de Lutzelbourg, la moitié de la seigneurie de Gutenberg et Alsenz. Son cousin Wolfgang lui donna encore la souveraineté des comités de Veldenz et de Lautereck, que son père, Robert- le-Boiteux, n’avait possédés qu’à titre d’apanage ; ce qui lui donna voix et séance à la diète de l’Empire.
Le comte Georges-Jean, dès qu’il fut maître du comté de la Petite-Pierre, résolut d’élever au rang d’une ville, le village d’Einarzhausen, dont le château commandait le long et difficile défilé de Saverne, et, avant même d’en avoir obtenu l’autorisation de l’empereur Maximilien II, il l’entoura d’ouvrages de fortifications et lui donna le nom de Phalsbourg (ville palatine), qui désigne encore son ancien maitre et fondateur. Il acquit de Jean de Braubach, moyennant deux écrits florins, sa part de l’ancien château de Lutzelbourg, et construisit dans le village de ce nom une papeterie sur la Zorn, au bas de la fontaine, près de la maison de péage une maison pour un armurier, et en dehors du village, un moulin à poudre.
II rétablit, en 1568, le village de Hazelbourg, qui, depuis longtemps, était tombé en ruines, et dont il ne subsistait plus qu’une seule ferme, que tenait en fief Philippe Wambold d’Umstatt.
Maintenant, il nous reste à rechercher quel était l’état social des descendants de ceux qui étaient venus s’établir au pied de la forteresse de Lulzelbourg, dans l’espoir d’y trouver sécurité et protection.
Cet état était celui qui était alors commun à tous les hommes des classes inférieures : le servage de la glèbe. Toutes les personnes de l’un et de l’autre sexe qui voyaient le jour au village de Lutzelbourg, étaient considérées comme une adhérence du sol. Elles ne jouissaient pas de la faculté de changer librement de demeure et ne pouvaient sortir de la seigneurie qu’avec la permission du seigneur et qu’en se soumettant à lui payer le droit d’émigration connu sous le nom d’abzeeg, dont il fixait lui-même arbitrairement la quotité selon la fortune de l’émigrant.
Celui-ci avait la faculté de se faire remplacer en sa servitude par un autre sujet, qui était tenu de remplir toutes les obligations imposées au remplacé. En quelque lieu que l’émigrant se retirât, il était tenu de payer, sa vie durant, son cens au seigneur.
L’habitant de Lutzelbourg était tenu de payer au seigneur un droit de capitation, appelé leibbet, et l’impôt du feu ou de cheminée, qui consistait dans une poule livrable à la Saint-Martin ; il était assujetti à des corvées illimitées. Celui qui avait un attelage était astreint à faire des transports ou voiturages au profit du seigneur. Si un étranger héritait d’un bien quelconque à Lutzelbourg, il était tenu d’en payer un droit mortuaire, dont le montant était arbitrairement fixé par le seigneur.
Tous les droits de péage qui se percevaient dans cette localité appartenaient au seigneur seul. Celui-ci faisait percevoir un impôt indirect sur le vin vendu par les aubergistes ; le droit de cet impôt consistait, dans l’origine, en quatre pots de vin dus sur chaque mesure vendue. Les aubergistes s’en acquittaient suivant la taxe faite par les officiers seigneuriaux, la contenance de la mesure était évaluée à trente pots. Deux nouveaux pots furent, dans la suite, ajoutés aux quatre. Ainsi l’umgelt était un lourd impôt de six pots par mesure de trente pots, ou de vingt pour cent du prix de la vente des vins en détail.
L’église de Lutzelbourg était, dans le principe, filiale de l’église de Mittelbronn, et le curé de cette paroisse exerçait, tant au château qu’au village de Lutzelbourg, les fonctions curiales et y possédait tous les droits qui compétaient au curé. La moitié de la grosse dîme et des menues dîmes lui appartenait, et l’autre moitié en était réservée au seigneur. Ils prélevaient ensemble, pour dime sur les oignons, seize schillings, et le seigneur touchait seul pour dîme sur les foins douze schillings. Les habitants avaient le droit de nommer le sacristain, qui percevait, pour ses gages, les dimes de Dannelbourg, dont les habitants fréquentaient l’église de Lutzelbourg et enterraient leurs morts au cimetière qui y était attenant. De toute ancienneté, le château était exempt de toutes charges et de tout péage.
La commune de Lutzelbourg était administrée, sous la haute surveillance des officiers palatins, par un conseil municipal appelé gericht. Les fonctions de ce conseil étaient complexes : il était chargé à la fois de l’administration de la justice et de celle des affaires communales ; il était composé d’un prévôt (schutheiss) qui en était le président, d’un maire, appelé heimeyer, et de deux échevins comme assesseurs. Le prévôt était le représentant, l’homme du seigneur et le gardien local de ses droits, le heimeyer était l’homme d’affaires de la communauté. La nomination du prévôt, du maire, des échevins, voire de l’appariteur de la commune, appartenait au seigneur.
Les habitants de Lutzelbourg n’avaient pas la satisfaction de jouir de quelques franchises municipales et restèrent toujours dans leur ancienne dépendance envers le seigneur. Leur gericht n’osait se réunir que s’il était appelé, et traiter que des choses qui lui étaient proposées obligé d’obéir à l’impulsion qui lui venait d’en haut, il devait se courber devant des décisions auxquelles il n’aurait peut-être point adhéré. Toutes les amendes prononcées par le gericht local se percevaient au profit du seigneur.
La législation qui régissait la commune de Lutzelbourg était la coutume du comté de la Petite-Pierre, que le comte palatin Georges Jean, prince de Veldenz, fit consigner par écrit, vers 1570, comme un ensemble et un code.
Cette coutume, appelée Lutzelsteiner Landesordnung, présente une grande concordance avec le grand statuaire du Palatinat, et a pour base le droit romain.
Les habitants de Lutzelbourg, quoiqu’ils fussent établis dans une contrée montagneuse et peu fertile, et qu’ils cultivassent leurs maigres champs de leurs propres mains, ne pouvaient guère se réjouir des concessions qu’ils avaient obtenues de leurs seigneurs. Ils n’avaient droit ni au bois d’affouage, ni au bois de marnage et ne jouissaient dans les forêts seigneuriales que de la grasse pâture, contre une redevance qui était fixée par le gericht local, de concert avec les agents forestiers.
Selon une vague tradition, ils y auraient eu des droits plus étendus, mais ils en auraient été dépouillés par abus de la puissance féodale. Ils étaient aussi assujettis à l’odieux droit de banalité, qui les forçait à moudre leurs grains au moulin seigneurial.
Le comte Georges-Jean de Veldenz imposa même la banalité aux boulangers d’Einarzhausen (plus tard Phalsbourg). Il faisait gérer le moulin pour son propre compte, sous la surveillance de son receveur (schaffner), et entretenait une basse-cour fournie de volailles de toute espèce.
Il accordait au meunier qu’il prenait à son service, le logement au moulin et, pour ses gages annuels, cent florins et six aunettes de drap pour un habit d’hiver. Le meunier avait encore le droit de tenir dix poules et d’engraisser deux porcs, et la seigneurie lui fournissait l’huile nécessaire à l’éclairage du moulin. La femme du meunier recevait également tous les ans, six aunettes de drap pour une jupe, sous la condition de prendre soin de la basse-cour.
Ce moulin ayant été incendié en 1568 par les troupes du duc d’Aumale qui bordaient les frontières de l’Alsace, le comte de Veldenz le fit immédiatement reconstruire. Ce moulin, qui avait trois paires de meules, fut, peu de temps après, loué moyennant un canon de cent resaux de méteil et deux porcs gras, à livrer au château de Phalsbourg, et, en 1580, le meunier fut autorisé à s’arranger avec les boulangers de cette ville qui voudraient s’affranchir de la banalité.
La commune de Lutzelbourg était pauvre et dénuée de ressources et se vit, en 1557, dans la triste nécessité d’emprunter une misérable somme de cent florins pour pouvoir faire face à ses besoins. A cet effet, le prévôt de la commune, Ulrich Belsem, André Beek, heimeyer, Jean Muller et Christophe Schneider, gens de justice dudit lieu, cédèrent, du consentement du receveur du comté de la Petite-Pierre, à la léproserie de Saverne, une rente annuelle de cinq florins, monnaie de Strasbourg, le florin valant dix schillings et demi, ou quinze batz et trois kreuzers. Les représentants de la commune promirent de porter cette rente tous les ans à Saverne, le jour de la Sainte-Catherine, et de la payer exactement au receveur de ladite léproserie. Cette cession fut faite pour, et moyennant la somme de cent florins, que les autorités de Lutzelbourg reçurent comptant dudit receveur et qu’elles promirent d’employer pour le plus grand avantage de leur village, en se réservant toutefois la faculté de la rembourser en une seule fois quand bon leur semblerait.
Pour la sûreté du service exact de cette rente et du remboursement de son capital, les représentants de Lutzelbourg hypothéquèrent conventionnellement le village, son territoire, ses communaux, bois, terres, eaux, cours d’eau, pâturages, champs, prés, jardins, et même leurs biens propres. Cet acte fut scellé du grand sceau de la ville de Saverne, parce que les représentants de Lulzelbourg se trouvaient dans l’impossibilité de faire usage du sigille de leur commune, le mardi avant la sainte Catherine 1557. Il constate que le gericht de Lutzelbourg avait son sigille propre, mais toutes nos recherches pour en découvrir une empreinte ont été infructueuses.
Le gericht de Lutzelbourg perdit ses attributions judiciaires sous le gouvernement du comte palatin Georges-Jean de Veldenz. Ce prince créa et institua, par un décret du 4 février 1572, une prévôté bailliagère à Phalsbourg, ville qu’il venait de fonder. Cette prévôté se composait d’un prévôt, d’un lieutenant prévôt, d’un receveur et de six échevins ou gens de justice, et était chargée de connaître de toutes les affaires civiles et criminelles dans toute l’étendue de l’ancienne seigneurie de Lutzelbourg.
Mais, quand il s’agissait d’un crime pouvant entrainer la peine capitale, on adjoignait à cette cour de justice six échevins pris parmi ceux des villages, afin que le nombre des échevins fût toujours de douze.
La cour criminelle devait être présidée par le prévôt qui « tiendra le bâton et le rompra au jugement ». La partie qui se croyait lésée par la justice prévôtale pouvait en appeler au conseil de la Régence de la Petite-Pierre.
Le comte Georges-Jean de Veldenz introduisit le luthéranisme et le calvinisme à Phalsbourg et affecta à l’entretien des ministres de ces deux cultes, les revenus des églises de la seigneurie.
L’établissement de la ville de Phalsbourg et les nombreuses constructions que le comte Georges-Jean de Veldenz entreprit, le firent surnommer l’Ingénieur par ses contemporains, mais ils embarrassèrent ses finances, et il se vit dans la pénible nécessité de vendre, en 1570, aux sieurs Chrétien de Savigny, seigneur de Rosne, et Jean de Beauvau, seigneur de Pange, le huitième du village de Lutzelbourg.
A cette époque, l’idée d’un canal de communication de la Zorn avec la Sarre préoccupait déjà les esprits. Le besoin en était surtout ressenti dans l’intérêt de l’exploitation des belles forêts de la vallée de la Zorn. En 1573, le comte palatin Georges-Jean de Veldenz avait projeté le plan de la réunion de ces deux rivières, il résolut de de les rendre navigables au moyen d’un canal de jonction dont l’exécution devait amener un système de navigation et de flottage qui répandrait de nombreux germes de prospérité sur le bassin de la Zorn. Il réussit à faire assembler, à ce sujet, en 1574, les états d’Alsace, mais il fallut reculer non seulement devant la pénurie d’argent, mais encore devant les difficultés de l’exécution. Ce projet, gigantesque surtout pour l’époque, fut le précurseur d’un avenir qui ne devait s’accomplir que près de trois siècles plus tard, et l’honneur d’avoir conçu une telle idée restera éternellement au comte palatin Georges-Jean de Veldenz.
A peine la ville de Phalsbourg était-elle construite, que le prince Georges-Jean de Veldenz songea, en 1577, à rétablir le château de Lutzelbourg. Les dépenses de ce projet furent estimées à la somme de sept mille florins. Mais, ayant calculé que les intérêts de cette somme s’élèveraient annuellement à 350 florins, qu’à ces intérêts il faudrait joindre le traitement du gouverneur du château avec 150 florins, et la solde du portier et des soldats qui y tiendraient garnison avec 420 florins, de sorte qu’il faudrait prélever annuellement sur ses revenus ordinaires la somme de 900 florins, non compris ce que lui coûterait l’achat de quelques pièces d’artillerie, il renonça, par des considérations de prudente réserve dans l’intérêt de ses finances, au projet de reconstruire ce château.
Malgré cette renonciation, l’état de ses finances devenait de jour en jour plus embarrassant, et, en 1582, il se vit forcé de vendre aux sieurs Chrétien de Savigny et Jean de Bauvau, moyennant la somme de douze mille florins, le village de Lutzelbourg, la vieille ville et le château de Hazelbourg, en se réservant la faculté de les racheter pendant quinze années, et le droit d’ouverture tant au château de Lutzelbourg que dans la vieille ville de Hazelbourg. Cet engagement n’eut qu’une durée éphémère.
Pour sortir de la détresse où l’avait jeté sa passion immodérée de constructions dispendieuses, le comte Georges-Jean chercha, en 1578, à vendre le comté de la Petite-Pierre et la seigneurie de Lulzelbourg à la couronne de France. La correspondance qu’il engagea au sujet de ce projet d’aliénation avec l’évêque Jean de Manderscheid, évêque de Strasbourg, son seigneur direct, se continuait très active entre les deux princes. Mais ce malencontreux projet rencontra chez le prélat alsacien et les conseillers de sa régence une si vive opposition, que le prince de Veldenz fut obligé d’y renoncer.
Le château de Lutzelbourg, avec les villages qui en dépendaient, fut compris dans la cession que le comte palatin Georges-Jean de Veldenz fit, en 1583, à Charles III, duc de Lorraine, de la ville de Phalsbourg, moyennant la somme de quatre cent mille florins, et l’un des premiers soins de ce prince fut de faire disparaître dans la commune de Lutzelbourg, toute trace de la doctrine de Luther, qui y avait pénétré sous le règne du comte palatin Georges-Jean de Veldenz.
L’ancienne seigneurie de Lulzelbourg fut comprise dans la principauté éphémère de Phalsbourg, que le duc Henri de Lorraine fit ériger en 1624, peu de temps avant sa mort, en faveur de Louis de Guise, baron d’Ancerville. Elle subit toutes les horreurs de la guerre de Trente-Ans : les invasions continuelles avaient épuisé le pays et mis les habitants aux abois, la contagion désolait en même temps toute la contrée et réduisit la population à un nombre minime.
A la mort de la princesse Henriette de Phalsbourg, le 19 novembre 1660, Phalsbourg et les villages qui en dépendaient échurent, par droit d’hérédité, à son frère, Charles IV, duc de Lorraine, qui ne les posséda que quelques semaines. Ce prince, pour obtenir son rétablissement sur le trône, fut forcé de céder à Louis XIV, pour former le chemin que le roi s’était réservé pour le passage de ses troupes en Alsace, Moyenvic, Sarrebourg et Phalsbourg, et tous les villages situés le long de cette route à travers la Lorraine, notamment ceux de Héming, Niederviller, Courtzerode et Garrebourg. Ce traité, qui fut signé à Vincennes le 28 février 1661, portait que la France ne devait avoir qu’une demi-lieue de large en souveraineté. Il fit naître un grand nombre de difficultés, qui ne se terminèrent qu’à la mort de Louis XIV.
La France prétendait que la commune de Lutzelbourg se trouvait comprise dans cette cession, et ses habitants se virent forcés de rendre hommage à Louis XIV et de lui prêter serment de fidélité.
Lorsque ce prince joignit à ses conquêtes militaires celles de ses tribunaux, le prétendu seigneur de Lutzelbourg fut assigné dans la personne de Jean Paul, maire dudit lieu, devant la Chambre royale établie à Metz, pour faire les recherches des terres ou fiefs qui avaient pu dépendre des Trois-Evêchés, et pour les réunir à la couronne de France. L’arrêt que rendit cette Chambre, le 29 juin 1680, par défaut contre le prétendu seigneur de Lutzelbourg, ordonna que l’évêque de Metz rentrerait en la possession et jouissance du château de Lutzelbourg et de ses appartenances. Il fit défense aux possesseurs de ces lieux, à leurs officiers, vassaux et sujets, de reconnaître un autre souverain que le roi de France et une autre justice supérieure que celle du Parlement de Metz, et déclara le château de Lutzelbourg et les domaines énoncés dans les anciens engagements, arrière-fiefs de France.
La paix de Ryswick, qui fut conclue en 1697, restitua ses états à Léopold 1er, duc de Lorraine. La seigneurie de Lutzelbourg fut revendiquée par la Lorraine comme devant être comprise dans cette restitution, mais ce ne fut que le 21 janvier 1718, qu’un arrangement relatif aux limites et aux droits des possessions respectives de la France et de la Lorraine, fut conclu entre les deux pays, et mit fin aux difficultés et aux contestations qui subsistaient entre eux, en étendant les bornes de la route militaire qui conduisait en Alsace.
Par ce traité, il fut arrêté que Lutzelbourg demeurerait à la France. Le duc Léopold renonça également à tous ses droits sur Hultenhausen, Hazelhourg et les villages qui dépendaient autrefois de la principauté de Phalsbourg, moyennant un équivalent que lui donna la France.
Lutzelbourg faisait partie, avant la Révolution, de la prévôté royale et bailliagère de Phalsbourg, ressortissant au Parlement de Metz, et avait titre de paroisse dépendant du diocèse de Strasbourg et du chapitre rural de Beubur ou Saverne, et ayant pour annexe le village de Hultenhausen. La collation en appartenait au roi.
Lutzelbourg fait, depuis la Révolution, partie du département de la Meurthe et du canton de Phalsbourg.
Lors de la nouvelle division du territoire, les communes de l’ancien Westrich, et notamment Phalsbourg, Lixheim et Garrebourg, protestèrent contre leur réunion au département de la Meurthe et sollicitèrent la réunion au département du Bas-Rhin, de toutes les communes situées en deçà de la Sarre, depuis Saint-Quirin jusqu’à Bouquenom. Le vœu réciproque de ces communes était fondé sur des convenances locales qui méritaient l’attention du Corps législatif : « Elles sont, disaient-elles, éloignées de près de vingt lieues du chef-lieu du département de la Meurthe, tandis qu’elles ne sont qu’à dix lieues de Strasbourg. Toutes leurs relations commerciales sont dirigées vers le Bas-Rhin et elles n’en ont aucune avec le département de la Meurthe. Les lois qui, dans ce département, ne sont publiées qu’en français, restent ignorées de leurs concitoyens, qui, pour la majorité, n’entendent que l’allemand ». Le district de Haguenau et le département du Bas-Rhin appuyèrent vainement le vœu de ces communes.
Le territoire sur lequel fut construit le village de Lutzelbourg appartenait primitivement à deux provinces différentes : celui qui est situé sur la rive droite de la Zorn dépendait anciennement de la Marche de Marmoutier, et faisait par conséquent partie de l’Alsace, comme le prouve authentiquement la charte de l’abbé Anselme, tandis que le territoire de l’autre coté de cette rivière faisait jadis partie de la province du Westrich, dont un fragment, celui qui confinait à la Lorraine, fut appelé communément Lorraine allemande.
Le château lui-même, quoiqu’il fût situé sur la rive droite de la Zorn, fut généralement attribué au Westrich, à partir de l’époque où les évêques de Metz plantèrent leur bannière féodale sur ses tours. La montagne et le plateau que couronnent ses ruines sont devenus depuis longtemps des propriétés privées et ont été divisées en un grand nombre de parcelles que la culture a envahies. Sur le plateau comme sur les flancs jadis boisés de la montagne qui porte encore le nom de Schlossberg (montagne du Château), la main de l’homme a créé des vergers ou des champs, qui, à force de soins et d’engrais, produisent du seigle, de la luzerne et des pommes de terre.
Le domaine de l’État a vendu, le 20 septembre 1827, pour la somme de 150 francs, à Jean Seltier de Lunéville, les ruines du château, contenant 56 ares.
Des fouilles pratiquées, il y a quelques années, sur l’emplacement des ruines du château de Lutzelbourg, ont eu pour résultat la découverte d’un grand nombre de pointes de flèche, d’éperons, de fers de cheval et de clous de diverses formes et de diverses grandeurs. On y a aussi découvert des clés en fer travaillé de diverses formes, des fers à repasser, différents ustensiles plus ou moins oxydés, des fragments de carreaux de poële en terre cuite, décorés de lions, de chimères, de guirlandes, de feuilles ou d’autres ornements en relief, et un sceau sur lequel est gravé l’écusson de Hennite d’Urbeis, représentant une herse triangulaire, avec la légende en caractères gothiques : S. Hennite DE URBEIS. Une empreinte de ce sigille et plusieurs des objets ci-dessus mentionnés ont été donnés au Musée d’antiquités de Saverne.