Les feux de la saint Jean à Metz
Il était une fois … une horreur !!!
Cette coutume, si horrible soit-elle, a malheureusement existé, et fait partie de l’histoire de notre région.
D’après un article paru dans « Le Pays Lorrain » – Année 1909
La coutume d’allumer un feu public la veille de la Nativité de saint Jean-Baptiste fut observée à Metz jusqu’à vers la fin du XVIIIe siècle.
Un immense bûcher était dressé par ordre des magistrats de la ville, sur la place de l’Esplanade, à cent pas de l’hôtel de la « Haute-Pierre », demeure du gouverneur des Trois Evêchés, aujourd’hui le Palais de la justice. C’était un usage immémorial et qui n’avait jamais souffert aucune interruption. Il s’accomplissait avec une certaine solennité.
Devant la Haute-Pierre se réunissaient les gardes et les suisses du gouverneur, puis ils formaient la haie, tambours et trompettes en tête. A sept heures et demi du soir, le Maitre-Echevin, en costume officiel se rendait à l’hôtel du gouverneur, précédé des sergents et des messagers de la ville, sous l’escorte de six hallebardiers.
En raison de son titre de colonel de la milice, il était accompagné du major et de l’aide-major de cette troupe bourgeoise. Arrivé à la Haute-Pierre, le Maitre-Echevin prenait la gauche du gouverneur et ces deux autorités se dirigeaient à la tête de leur cortege civil et militaire vers le bûcher où les précédait le maitre des messagers de la ville tenant à la main deux flambeaux allumés. Le canon grondait sur les remparts de la citadelle regardant la ville, les tambours battaient aux champs, les trompettes faisaient retentir les airs de leurs plus joyeuses fanfares.
Pendant ce temps, les représentants, de la ville faisaient trois fois le tour du bûcher. Au temps d’arrêt, le major de la place remettait un des flambeaux au gouverneur, tandis que le maitre-échevin recevait l’autre des mains d’un officier de la ville. Puis le bûcher embrasé, ils se retiraient avec leur cortège, laissant à la foule le plaisir de traverser les flammes en courant et de s’amuser des cris et contorsions de six malheureux chats que, chaque année, on avait bien soin de placer dans une cage au-dessus des fagots.
Cette bizarre et cruelle cérémonie était considérée comme très sérieuse et ces feux de joie étaient d’une assez grande importance, comme on peut en juger par les états de dépenses. Nous savons par un mémoire de P. jaunez, charpentier de la ville en 1745, que depuis très longtemps la dépense du feu de la Saint Jean était fixée à la somme invariable de 40 livres. Elle comprenait 200 fagots à 15 livres, la cage coûtait 12 sols et les chats 2 francs 10 sols.
Voici un extrait d’une pièce du temps, assez curieuse, contenant les « très humbles et très respectueuses remonstrances des chats de la ville de Metz à Messieurs les Conseillers, Echevins et Magistrats de la même ville, au sujet des feux de la Saint-Jean » :
Les députés de la gent miaulique
Très humblement présentent leur supplique
A vous Messieurs les graves Magistrats
Qui des Messins régissés les états,
Disant en bref que, dans la ville antique
Des habitants de Médiomatrique
Depuis longtemps un usage cruel
Donne à leur gent un spectacle annuel,
Où, dans un feu de figure conique,
Plusieurs d’entre eux avec pompe et musique
Sont consumés impitoiablement,
Ne sachant pas ni pour quoi ni comment
De leur supplice, on a fait une fête,
Pourquoi les chats mieux qu’aucune autre bête
Ont mérité le ridicule honneur
D’être traité avec tant de rigueur,
Nous supplions votre haute clémence
De vouloir bien nous dire quelle offense
Ont pu commettre autrefois nos aïeux
Pour voir ainsi dans un tourment affreux
Périr leur race, innocentes victimes
A qui jamais on n’imputa de crimes
Sinon celui d’être par fois gourmands,
Traitres un peu, souvent mauvais plaisans,
Mais qui d’ailleurs rendons de grands services
Réjouissons par tous nos exercices,
Croquons les loirs, les souris et les rats,
Qui sans nos soins Messieurs les Magistrats
Feroient chés vous un ravage effroyable,
Devoreroient votre linge de table
Tous vos effets et les provisions
Qu’on fait chés vous pour vos collations.
Si nous voulions déploïer tous nos titres
Nous vous dirions que, dans mille chapitres
Vous trouverés que les chats autrefois
Furent des dieux adorés des Gaulois,
Bien différens en cela de leurs pères
Leurs petits-fils ne nous révèrent guère,
Car par un trait digne de l’Indoustan,
Dans un feu clair, à l’honneur de saint Jean
Vous nous grillés sans nous dire la cause,
Qui chaque année au bûcher nous expose,
Nous estimons qu’au siècle des Merris
L’art insensé de votre Médicis
Qui captive l’esprit sot du vulgaire
Nous prépare ce bel anniversaire,
En nous faisant présider au sabat
Où le faquin comme le Magistrat
Ainsi que ceux qui vous parlent en chaire
Trop peu sorciers pour juger du contraire,
Ont prétendu qu’amis de Lucifer
Nous adorions ce grand diable d’enfer.
Hélas, Messieurs, nous n’adorons personne,
Et parmi nous, ni patron, ni patronne
Ne veut le schisme et la division
Ce qui sembloit de la combustion
Devoir toujours préserver notre espèce.
Chés nous reclus, ni moine, ni moinesse
N’ont excité de troubles dans l’état
Nul financier vivant avec éclat
N’a ruiné de familles nombreuses
Et nul auteur dans ses quintes fâcheuses
N’a maltraité de propos insutans
Ses bienfaiteurs, ses amis, ses parents.
Malgré cette supplique et les sarcasmes des écrivains messins, le brûlement des chats fut continué jusqu’en 1773. A cette époque, Mme d’Armentières, épouse du commandant en chef dans les Trois-Evêchés, émue des tortures inutiles imposées aux pauvres chats, demanda grâce pour ces malheureuses bêtes.
Dom Tabouillot et Dom Jean-François, auteurs, de l’histoire de Metz (1769-1790), ont fait à ce sujet les réflexions les plus judicieuses : « Si quelque homme d’esprit, disent-ils, avait à faire l’histoire des sottises humaines, il n’oublierait certainement ni les feux publics ni les chats brûlés à Metz. Est-il possible que des cérémonies si bizarres soient venues jusqu’à nos jours, que la police les tolère, et que des hommes en place y assistent en corps, et cela avec un air de gravité ? Faire un grand feu pendant la plus grande chaleur de l’été, n’est-ce pas une action que rien ne peut justifier ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser les chats tranquilles, et donner à quelques pauvres familles, le bois qui se consume en pure perte ? ».