La Dame blanche de Bréhéville

Cavalier noir et Dame blanche

D’après « Légendes et contes de Lorraine d’autrefois » 

Le sire de Bréhéville avait une fille belle comme le jour. Elle s’appelait Lucie.

Il la voulait marier à son ami, le baron de Jametz, homme fortuné et de bonnes manières, quoique déjà sur l’âge. La jeune fille, obéissante, se résigna à cette union.

Sur ces entrefaites, au cours d’une chasse, elle s’égara dans la forêt. Elle y rencontra un jeune cavalier de fort bonne mine qui s’offrit à la ramener chez son père. Le chemin sembla court à la jeune fille, tant le chevalier était un homme charmant et plein d’esprit.

A la porte du château, elle l’invita à entrer.

« Impossible, dit le jeune homme. Je suis Robert de Montfaucon. Mon père est brouillé à mort avec le vôtre à propos d’un tournoi qu’ils disputèrent jadis à la cour du duc Ferry ». Lucie, désolée, rentra seule.

Cependant, les deux jeunes gens se revirent en secret et, peu à peu, se laissèrent prendre aux rets de l’amour.

Hélas, le jour approchait où Lucie devait épouser le baron de Jametz. Les amants décidèrent de fuir ensemble.

Au cours d’une nuit lugubre, la jeune fille sortit du château et se rendit à la fontaine. Un galop furieux retentit et un cavalier, tout de fer vêtu, arriva, bride abattue. Lucie sauta en croupe et, rapide comme le vent, le coursier fila dans la nuit.

Mais un serviteur s’était aperçu de la chose. Il courut réveiller son maître. Le châtelain bondit sur son cheval et se lança à la poursuite de sa fille.

La course dura longtemps. Les fugitifs arrivaient dans une grande plaine marécageuse qui ralentit leur allure. Derrière eux, le sire de Bréhéville gagnait du terrain. Il arriva bientôt à la hauteur des fuyards, et leva son épée sur le ravisseur de sa fille.

Lucie, affolée, sans reconnaître son père, saisit la dague de son amant, et la planta dans la poitrine du poursuivant. Puis les deux jeunes gens continuèrent leur course folle.

Alors, dans la nuit noire, des éclairs sortirent de l’armure du cavalier. Des flammes jaillissaient de la visière. Ce n’était pas Robert de Montfaucon, c’était le Diable en personne.

Pleine d’épouvante, Lucie fit le signe de croix, sauta en bas du cheval et tomba morte sur le sol. Alors le spectre grinça horriblement des dents, et disparut dans un tourbillon de flammes.

Depuis, près des ruines du château, à l’heure de minuit, une Dame blanche revient rôder autour de la fontaine. Surgit alors un cavalier noir, qui l’emporte au triple galop dans la nuit.


Archive pour mai, 2011

Le château de Manonville (54)

Blason de ManonvillePlan du château de ManonvilleChâteau de Manonville

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le château de Manonville n’est ni inscrit ni classé aux Monuments Historiques. Il mérite pourtant un détour, et c’est sa description et une partie de son histoire que je vous propose de découvrir.

Un grand merci à Anthony Koenig et son blog pour l’utilisation de la photo illustrant cet article.

Si l’on ne peut visiter ce château, il est en revanche possible d’y séjourner dans l’un des deux gîtes situés dans l’enceinte, ou d’y louer des salles de réception. Pour toute information, site du château de Manonville.

 

Extrait d’un article paru dans les « Mémoires de la Société d’archéologie lorraine » – 1891

 

Le château de Manonville est situé au-dessus de la route de Verdun, à l’extrémité orientale du village. Ses hautes tours dominent au loin la plaine de la Woivre.

Vue depuis la route en arrivant de Nancy, sa masse imposante environnée d’un rempart se détache au-dessus d’épais massif de verdure, dont l’aspect riant forme un contraste heureux avec la teinte sombre et l’âpre sévérité des vieux murs. De ce côté, le château se présente par sa face sud-est, de beaucoup la mieux conservée, très pittoresque avec la grosse tour, à l’angle, et une tourelle élégante et svelte, qui coupe en son milieu la longue ligne de la courtine, le tout fièrement campé sur le rempart, et dominant les fossés d’une grande hauteur.

Il suffit de faire avec quelque attention le tour de l’enceinte, pour se convaincre qu’elle est encore sur ses bases primitives.

Le plus ancien document qui nous soit resté sur ce château ne remonte qu’à 1666. C’est le procès-verbal d’une visite de lieux. Un autre procès-verbal du même genre date de 1719.

L’examen de ces deux documents offre un grand intérêt en ce qu’ils nous font connaître l’existence de parties anciennes détruites depuis lors, et l’état des parties conservées jusqu’à nos jours, d’ailleurs peu différent de ce qu’il est aujourd’hui. Ils nous renseignent aussi sur les ravages causés par la guerre de Trente ans.

Le château de Manonville affecte la forme d’un quadrilatère irrégulier. Quatre corps de bâtiments appartenant à différentes époques et autrefois flanqués de sept tours ou tourelles rondes, dont il ne reste qu’une partie, entourent une vaste cour.

Au milieu de cette cour, s’élevait jadis un pavillon carré ou donjon dont les côtés mesuraient en 1666, trente-six pieds de haut, non compris la toiture, sur trente de large. Il devait être plus élevé autrefois, car le rôle du donjon était de dominer l’ensemble d’un fort. Ce pavillon existait encore, en partie ruiné en 1666, mais en 1719, il n’en est plus question. Il avait donc été démoli entre ces deux dates, comme inutile et sans doute comme trop coûteux à réparer.

Nous allons tâcher d’abord de reconstituer, avec les éléments dont nous disposons, l’ancienne forteresse féodale. Nous parlerons ensuite des bâtiments qui y ont été successivement ajoutés.

Il est assez facile de se rendre compte, au vu du plan ci-joint, de ce qu’était le château fort Un mur d’enceinte formant un quadrilatère dont aucun côté n’est une ligne droite. Chacun d’eux, on le voit, forme une ligne plus ou moins brisée, dont la direction a été évidemment calculée d’après des considérations de défense. Les quatre angles répondent à peu près exactement aux quatre points cardinaux.

La face AG (nord-ouest) mesure environ 55 mètres, la face AC (sud-ouest) 54, la face CF, (sud-est) 45 mètres, et la face EG (nord-est) 50 mètres (en dehors des tours).

Ce quadrilatère, dans notre opinion, se divisait en deux parties :
- la partie principale constituant le château proprement dit BCEF, flanqué de quatre maîtresses tours, plus de la tourelle D à la brisure de la courtine CE,
- la partie ABFG, sorte d’ouvrage avancé, dont le mur était moins élevé. Le côté AG, longue courtine dans laquelle se trouve l’entrée, n’était défendu que par les deux petites tourelles d’angle A et G.

Les substructions d’un mur, dans la direction des deux tours B et F, ont été retrouvées dans la cour. Ce mur, suivant nous, devait séparer les deux parties du château. Nous l’avons figuré en pointillé (ab) sur le plan ci-contre.

La situation que nous avons donnée au donjon est purement hypothétique : était-il en avant ou en arrière du mur ab, plus à droite ou plus à gauche ? Nous ne le savons. Peut-être les deux parties du château étaient-elles, en outre, séparées par un fossé intérieur, destiné à défendre l’accès du fort et du donjon, au cas où l’ouvrage avancé eût été emporté.

Ajoutons qu’au-dessus de la porte d’entrée se trouvait un pavillon carré ou portail coiffé, d’un toit pointu et surmonté d’un panoncel (girouette). Ce portail qui est mentionné dans les états de lieux de 1666 et 1719 n’existe plus. Le mur est de niveau sur toute sa longueur.

Les différentes parties de la forteresse étaient reliées, à peu près à la hauteur du premier étage, par un chemin de ronde étroit et bas pratiqué dans l’épaisseur du mur. Il ne pouvait donner passage qu’à un homme à la fois et encore celui-ci devait-il marcher courbé. Des tronçons de ce chemin ont été retrouvés récemment encore. Nous avons retrouvé les traces d’un deuxième chemin de ronde sur la face sud-est à la hauteur des greniers, il traverse la tourelle D.

Cet ensemble de défenses était complété par un rempart de dix-huit à vingt pieds d’élévation, avec revêtement en maçonnerie et parapet, entourant la forteresse de trois côtés AC, CE et EG, et par un fossé qui faisait le tour du château. Le fossé n’avait pas partout la même largeur. Du côté du sud-est, il mesure encore 32 mètres en moyenne avec la plate-forme de la contrescarpe, du côté du nord-est, il va en se rétrécissant. Au point G, il n’avait plus guère qu’une vingtaine de mètres.

En redescendant le long de la façade d’entrée GA du côté du village, il devait alors devenir très étroit, afin de laisser, entre l’église et lui, la largeur d’un chemin suffisant pour monter au château. L’entrée de celui-ci était certainement défendue par un pont-levis, dont les rainures devaient être pratiquées dans le mur du pavillon qui régnait au-dessus de la porte. Cette partie du fossé a été comblée, il y a bien longtemps, car en 1666 pas plus qu’en 1719, il n’est question de pont-levis.

En 1666 d’ailleurs, après les guerres, le château de Manonville, comme tous ceux de la Lorraine alors, était démantelé, et la route de Verdun qu’on appelait « le grand chemin » passait peut-être déjà dans la partie sud-ouest du fossé. Antérieurement, il n’y avait que le « vieux chemin » qui, s’embranchant sur la route du côté de Domèvre, fait le grand tour derrière les fossés pour redescendre sur celle-ci devant l’entrée du château. L’existence du fossé en cet endroit a été constatée récemment, lors de la construction d’un mur en bordure de la rue, par la présence d’une masse de décombres et de terres rapportées qui avaient évidemment servi à combler le fossé.

Que reste-t-il de l’ancienne forteresse ? Nous allons tâcher de le décrire.

Le mur d’enceinte, « la grosse muraille », comme disent les vieux documents, subsiste à peu près en son entier, plus ou moins écrêté sur les faces sud-est, nord-est et nord-ouest. Son épaisseur n’est pas la même partout, elle varie à la base de quatre à six pieds environ. La face la moins épaisse est celle qui regarde le village. Sur la face AC (sud-ouest), le vieux mur est presque totalement détruit.

On a, au XVIIe siècle, construit entre les deux grosses tours B et C, un grand corps de logis, dont on a évidemment voulu établir le plan perpendiculairement au vieux bâtiment. Pour ce faire, la courtine, figurée en pointillé sur notre plan, a été abattue et le nouveau mur a été construit en retrait sur la tour ouest et au ras de la tour sud. La trace de l’ancien mur est encore parfaitement visible sur la première de ces deux tours, ainsi que l’entrée du chemin de ronde. Le résultat obtenu ainsi n’est pas heureux. La première tour déchaussée ressort en effet d’une façon disgracieuse, alors que sa sœur est engagée dans la maçonnerie.

Des sept tours ou tourelles, les deux grosses tours B et C et la petite tourelle D subsistent en leur entier. Celle-ci est pleine jusqu’à la hauteur des greniers, sa moitié supérieure est en saillie sur l’inférieure. Cette saillie bordée d’un cordon repose sur une série de corbeaux à moulures. Il reste en outre un tronçon de la tour F, dénommée « tour du Basseau » dans les états de lieux, et la tourelle A rasée à la hauteur du mur d’enceinte. Celle-ci est également massive et présente, aux trois quarts de sa hauteur normale, un renflement orné à sa base d’un simple cordon mouluré.

Ce renflement, dont on ne voit plus que la naissance, était sans doute évidé et contenait une logette à laquelle on parvenait par le chemin de ronde. La tourelle G n’existe plus. Au contraire de sa sœur jumelle, elle était creuse, car on voit encore à l’angle G, à l’intérieur du mur, la trace de la porte qui y donnait accès. La maîtresse tour E, à l’angle est, est également détruite. Les tours disparues existaient encore en 1666 et même en 1719, mais sans doute en partie rasées et dans un état de ruine qui a nécessité leur entière démolition. L’un des états de lieux nous apprend que la tour F (tour du Basseau) avait été détruite par le feu.

La toiture des tours est conique. La hauteur des deux maîtresses tours jusqu’à la pointe du toit est de 22 à 23 mètres, leur diamètre extérieur est de 9 et 10 mètres. L’épaisseur des murs à leur base est de 2,60 mètres environ, pour la tour sud (C), et de 2 mètres pour l’autre. Le rez-de-chaussée est voûté. La salle basse de la tour sud (la plus grosse des deux) était, encore aux derniers siècles, la prison du château. Au-dessous, se trouvent certainement des caves culs de basse fosse ou souterrains obstrués depuis longtemps, mais dont l’existence a été constatée par la sonorité des parois, lors de travaux récents dans le sol de la terrasse.

Les différents étages des tours ne prenaient jour que par d’étroites meurtrières longitudinales (archères), ou en forme de croix (arbalétrières), qui permettaient de tirer sur les assaillants sans être vu. La plupart de ces ouvertures ont été conservées. Les ébrasements en sont très larges, leurs encadrements rectangulaires présentent, aux deux angles supérieurs, deux consoles arrondies en saillie sur la paroi. Le dernier étage seul, est éclairé par une série de lucarnes carrées garnies de volets. L’une d’elles, plus grande que les autres, était une porte donnant accès sur les hourds non permanents que l’on montait en cas de siège. On voit encore, au-dessous de la rangée de lucarnes, les pierres saillantes qui servaient de supports à ce genre de défense.

Ces deux grosses tours étaient divisées en cinq étages, rez-de-chaussée compris. Contre la paroi de l’avant-dernier étage, court un escalier étroit et sans rampe, taillé dans l’épaisseur du mur dont il épouse les contours. Par cet escalier, on parvenait à l’étage supérieur et de là sur les hourds. Les étages inférieurs étaient desservis par les chemins de ronde et communiquaient probablement entre eux par de simples échelles que l’on retirait en cas de danger. De la sorte, on pouvait se défendre longtemps dans les tours, dont l’assaillant devait forcer successivement tous les étages, après qu’il avait pénétré dans l’enceinte du fort.

Le troisième étage de la tour B et le quatrième de la tour C servaient certainement d’habitation, car on y voit encore deux massives cheminées de pierre à peine dégrossie. Chacune de ces deux salles est éclairée par deux meurtrières grillées un peu plus larges que les autres. Au dernier étage de la tour C, on peut voir des latrines extérieures surplombant le rempart et établies dans l’angle rentrant formé par la rencontre de la tour et de la courtine.

Le rempart appelé « la Terrasse » subsiste en sa plus grande partie. Du côté nord, le fossé ayant été en partie comblé jusqu’au niveau du terre-plein, la terrasse en cet endroit n’est plus distincte du terrain environnant du côté sud-ouest. Une portion détruite sur la longueur BA a été récemment rétablie. Le rempart devait évidemment s’arrêter aux angles A et G, l’espace compris entre le mur d’enceinte, du côté du village, et l’église s’oppose à l’existence simultanée d’un rempart avec le fossé et le chemin d’accès. Là, le fossé venait jusqu’au pied du mur d’enceinte.

A quelle époque remonte la construction du château fort ? Aucun document ne permet de fixer à cet égard une date certaine. Nous ne craignons pas toutefois d’affirmer que les parties les plus anciennes ne sont pas postérieures au XIIe siècle.

Ces parties sont bâties en petit appareil et simplement en moellons du pays liés d’un ciment d’une extrême dureté. Leur architecture « rude et sauvage », expression pittoresque empruntée à Viollet le Duc, prouve qu’elles datent d’une époque où l’on ne donnait encore rien à l’ornementation dans les constructions militaires. Nulle part, trace d’ogive. En outre, d’après les données de Viollet-le-Duc et de Caumoat sur la matière, trois circonstances militent en faveur de notre opinion sur l’époque de la construction primitive.

Premièrement, le faible diamètre de cinq des tours ou tourelles, qui varie de six mètres à peine à moins de trois mètres. Deuxièmement, la forme carrée du donjon : la forme ronde, suivant de Caumont, ayant été généralement préférée au XIIIe siècle. Troisièmement, d’après Viollet-le-Duc, les tours massives à leur partie inférieure auraient été abandonnées dès le commencement même du XIIe siècle. Nous en avons deux dans ce cas, les tourelles A et D. Ajoutons que les cordons qui terminent les saillies de ces deux tourelles et les corbeaux qui supportent celle de la tourelle D semblent bien appartenir au style roman.

Maintenant, les deux grosses tours B et C (ouest et sud) sont elles exactement de la même époque que le reste de la forteresse ? Ici, on peut émettre un doute.

A la simple inspection du plan, un fait saute aux yeux, c’est la disproportion qui existe entre ces deux tours et les cinq autres. Or, suivant Viollet-le-Duc, les tours d’un grand diamètre n’auraient guère été adoptées qu’à partir du XIIIe siècle ou de la fin du XIIe. Nous devons faire remarquer toutefois que les voûtes du rez-de-chaussée sont de plein cintre. On peut néanmoins se demander si ces tours ne sont pas d’une époque un peu postérieure aux autres et si elles n’ont pas remplacé des tours plus petites. Elles n’ont d’ailleurs pas été construites simultanément, car l’une d’elles, celle de l’ouest B, a sa base en talus, ce qui n’existe pas pour l’autre.

Qui a construit le château ? Ici, l’obscurité est complète. Cependant, si on se rappelle que Vautier de Manonville vivait en l’an de grâce 1240 et qu’il n’était apparemment pas à Manonville premier seigneur de sa maison, on peut attribuer, avec quelque vraisemblance, la construction de l’ancien château fort à la famille du vieux chevalier.

Aux temps féodaux, dans les châteaux de ce genre, la famille du seigneur faisait son habitation dans le pavillon ou donjon central, et peut-être aussi dans les tours principales. Pour la garnison, les magasins, les écuries, des bâtiments plus sommaires et souvent à toiture terrassée, étaient adossés aux murs d’enceinte à l’intérieur.

De l’existence de ces bâtiments, il reste au château de Manonville, une trace assez curieuse. C’est dans la partie sud, entre les tours D et E, où dès le XVIIe siècle, se trouvait déjà la chambre à four. Sur une longueur d’environ 16 mètres, la paroi intérieure du vieux mur est revêtue d’une suite d’arcades, ou plutôt de voussures de 32 centimètres de saillie, reposant deux à deux sur de fortes consoles à moulures et pendentifs, placées à la hauteur de 1,20 mètre au dessus du sol. Cette disposition, de style roman, vient encore à l’appui de notre opinion sur l’époque de la construction du château.

Qu’était cette longue galerie qui s’étendait sans doute jusqu’à la tour de l’angle E à l’est ? Le souvenir en est perdu depuis des siècles.

Plus tard, les moeurs s’adoucissant, les besoins d’un confortable, inconnu jusqu’alors, se firent sentir. Les gentilshommes et les châtelaines ne se contentèrent plus des rudes demeures de leurs pères. On adossa aux murs du château des corps de logis spacieux, et le sombre donjon ne servit plus que de refuge en cas de siège.

A Manonville, le corps de logis le plus ancien est celui du fond de la cour, il est adossé au mur d’enceinte sud-est CE. En 1666, on l’appelait déjà le « vieux bâtiment ». Il en est question dès 1618. On ne peut toutefois lui assigner d’époque certaine, la façade en ayant été remise en harmonie, au XVIIe siècle, avec celle du « nouveau bâtiment » BC. Sa seule partie caractéristique est la tourelle à pans H, dans laquelle se trouve un escalier à vis, mais cette tourelle, dont les ouvertures ont été dénaturées, comme celles de la façade, peut tout aussi bien appartenir au XVe qu’au XVIe siècle.

Nous attribuerions volontiers la construction du vieux bâtiment aux premiers seigneurs de la maison de Beauvau, Jean III mort en 1468 ou Pierre II son fils (1468-1521). Les Beauvau, riches et puissants, accoutumés au luxe des cours du Roi de France et dit roi René, devaient mal s’accommoder de la sauvage résidence des anciens seigneurs. Il est donc croyable qu’à leur arrivée à Manonville, ils s’empressèrent de se construire une demeure mieux en rapport avec leurs habitudes.

Il est facile de voir, par les traces qui subsistent et la coupure de la corniche, que la tourelle H était noyée en partie dans l’angle rentrant, formé par le vieux bâtiment et un bâtiment en retour détruit aujourd’hui. La trace d’une porte faisant face à la cour semble indiquer qu’il y avait là une galerie reliant le corps de logis avec le pavillon central.

Au rez-de-chaussée du vieux bâtiment, se trouvait la « sallette » (petite salle) où Simon de Pouilly fit en 1618 la cérémonie de sa prise de possession. L’état des lieux de 1666 ne laisse aucun doute sur son emplacement : c’est aujourd’hui la salle à manger. La sallette communiquait, par un couloir, avec la prison du château sise au rez-de-chaussée de la grosse tour C. Au XVIIe siècle, l’admodiateur en avait fait sa cuisine.

L’aile nord, adossée au mur d’enceinte FE, n’offre aucun caractère ; elle est relativement moderne, nous n’en parlerons pas. Qu’existait-il auparavant à cet endroit ? Les états de lieux sont très obscurs sur ce point. Il semble, en tous cas, qu’en 1719 il n’y eût encore là que peu de chose de bâti contre le mur d’enceinte.

Entre les tours B et C, façade sud-ouest, se trouve le « haut ou nouveau bâtiment ». Là, la courtine a été démolie. Mais elle a été remplacée par un mur encore fort épais, ce qui prouve qu’à l’époque de la construction de ce bâtiment, toute considération de défense n’était pas écartée.

Nous pensons pourvoir en attribuer la construction à Simon de Pouilly. Des déductions nous ont amené à conclure que ce corps de logis a dû être construit dans le premier quart du XVIIe siècle, et terminé, dans les aménagements intérieurs du premier étage, au commencement du XVIIIe seulement.

Depuis 1666, le rez-de-chaussée n’a pas changé d’aspect : c’est là que se trouvent le salon avec les belles tapisseries, héritage de François Barrois, la salle de billard avec sa cheminée Louis XIV en pierre sculptée et l’escalier principal.

Au premier étage, se trouvait la nouvelle salle des plaids annaux, dont on a fait plusieurs pièces. L’ancienne salle était un bâtiment séparé, construit à la place où se trouve aujourd’hui un hallier, mais, croyons-nous, plus en retrait et faisant saillie sur la terrasse. Ce bâtiment, qui était en ruines en 1719, a été démoli peu après. Il avait trois fenêtres sur la cour et neuf sur la terrasse. Le nouveau ou haut bâtiment n’a d’autre caractère que ses combles élevés comprenant deux étages de greniers et ses grandes fenêtres à moulures auxquelles il manque le croisillon.

Le quatrième côté est formé des écuries et des granges. Ces bâtiments n’ont rien de remarquable, mais ils étaient en 1666 absolument tels qu’on les voit aujourd’hui et fort détériorés. Ils servaient aux admodiateurs du domaine de bâtiments d’exploitation.

Ces constructions vulgaires, qui donnent à la cour l’aspect d’une cour de ferme, ont remplacé celles de l’ancienne basse-cour sise à quelque distance du château « entre la maison du curé, le chemin du village et l’usuaire Michel », disent les vieux titres. On peut s’étonner que la basse-cour dépendant d’un château-fort, si importante au point de vue de l’alimentation en cas de siège, se soit trouvée hors de l’enceinte. Mais il faut se rappeler que, de l’existence de deux portes constatée au XVIIe siècle, nous avons conclu que le village avait été fortifié. Le château devait lui-même, suivant l’usage, être pourvu d’une première enceinte contenant le bayle extérieur.

Ce bayle ou baille comprenait peut-être la grande-maison et la partie haute du village église, halle, four banal, basse-cour et pressoir. Le vieux chemin passant derrière les fossés est certainement la limite de cette enceinte au nord et à l’est. Ce qui le confirme, c’est que tous les terrains compris entre ce chemin et le fossé appartenaient naguère encore au château. La limite ouest pourrait bien avoir été le chemin de Pierrefort, actuellement rue de la Fontaine.

Les bâtiments de la basse-cour subsistaient encore en 1613, mais ils ont été ruinés au XVIIe siècle, sans doute pendant la guerre de Trente Ans, sauf le colombier, grosse tour ronde démolie seulement depuis quelques années. Cette basse-cour a été au XVIIIe siècle, transformée en un jardin potager qu’on appelle encore « le Colombier ».

Cette dénomination le distingue du « Grand-jardin », ainsi appelé dans les vieux titres, lequel se trouve situé au sud-ouest, de l’autre côté de la route (c’est-à-dire, autrefois, au-delà du fossé). Le chemin qui y conduisait s’appelait la rue du Grand-Jardin (Archives du château de Manonville – dénombrement de 1613).

Au tiers de la façade nord-ouest (AG) qui regarde l’église, se trouve la porte d’entrée, mais ce n’est pas la porte primitive. Lors de la construction des bâtiments ruraux dont nous venons de parler, alors que le château n’était plus guère qu’une maison de ferme, la porte a été très certainement élargie et rehaussée pour permettre le passage des hautes voitures de fourrage.

La preuve en est, qu’elle se trouve surmontée d’un arc bâtard en anse de panier, identique à ceux des granges et écuries, et par conséquent de la même époque. La porte primitive devait être de plein cintre, plus étroite et plus basse que la porte actuelle. Nous avons vu qu’elle était surmontée d’un pavillon ou portail. De plus, le porche était certainement voûté.

On a peu utilisé les tours dans les temps modernes cependant, au premier étage de la grosse tour C, Georges-François-Gabriel Barrois, baron de Manonville, a fait aménager un joli salon Louis XV à boiseries sculptées qui sert de chapelle depuis 1830. L’intérieur de l’autre tour B est ruiné.

Nous aurions bien voulu avoir à raconter ou au moins à mentionner quelque siège, quelqu’attaque à main armée, se rattachant à l’histoire générale du pays, mais aucune relation, aucun témoignage précis ne nous sont restés de faits de ce genre.

M. Olry, dans son Répertoire archéologique de l’arrondissement de Toul, raconte que le château de Manonville « subit plusieurs attaques auxquelles il résista quelquefois, mais qu’à l’époque du siège de Metz, en 1552, il fut pris par un corps d’avant-garde de l’armée de Charles-Quint ». C’est s’avancer beaucoup.

Il n’est pas impossible, sans doute, que le château de Manonville ait été occupé en 1552 par quelqu’un des partis qui tenaient la campagne, mais il l’aurait été plutôt par les Français, et mieux encore par le margrave de Brandebourg, que par les troupes de Charles-Quint. Les Français, lors de la reprise de Pont-à-Mousson, sillonnèrent la région, et La Vieuville mit des troupes à Rozières-en-Haye.

Quant au margrave, homme brutal et sans autre loi que son intérêt, il flotta un certain temps entre les deux partis avant de se déclarer définitivement pour l’empereur. Entre temps, il commit d’affreux ravages aux environs de Toul et de Pont-à-Mousson. Manonville put avoir à en souffrir, mais il n’y a là, croyons-nous, que de vagues traditions.

Il est toutefois un fait indéniable, c’est que le château de Manonville a énormément souffert de la guerre de Trente ans. L’état de désolation et de ruine dans lequel on l’a trouvé en 1666, et l’état de lieux de ladite année ne laisse subsister aucun doute à cet égard.

« La muraille du pavillon (donjon détruit depuis lors), de trente six pieds de haut sur trente de large, à réparer complètement. Dans la tour ouest, un trou de huit pieds de large sur dix de haut ; dans la grosse tour, un trou de six pieds carrés. Escaliers ruinés, notamment celui de la cave. La muraille au-dessus de la sallette à réparer sur vingt huit pieds de long et huit de large ; celle de la chambre à four, sur trente-deux pieds de haut et vingt quatre de large. La parapelle (le rempart) à reprendre sur deux cents pieds de long et quatre de haut, etc. Cheminées en ruines planchers, portes et fenêtres arrachés, poutres à remplacer. Le feu avait été mis dans une des tours, etc. ».

A-t-il subi un siège en règle ? Il est de fait que les détériorations, les trous énormes, constatés en 1666 dans les murs épais des courtines et des tours et dans la parapelle du rempart, sont tels qu’on ne peut guère les attribuer qu’aux effets de l’artillerie.

Nous ne serons toutefois pas aussi affirmatif que M. Olry, d’après lequel les Suédois auraient pénétré dans le château par une brèche de trente-trois pieds. Il n’y a rien de cela nulle part ; il est dit dans l’état de lieux de 1666 que la muraille de la chambre à four est à réparer sur trente-trois pieds de haut et vintg-quatre de large. Cela ne peut suffire à motiver une interprétation aussi précise.

Quoi qu’il en soit, il est certain qu’à cette époque, les gens de guerre ont dû séjourner au château longtemps, à différentes reprises et le saccager. Détail caractéristique, au premier étage du haut bâtiment, la nouvelle salle des plaids annaux qui n’avait encore que les quatre murs, sans portes ni fenêtres, avait sans doute servi de chambrée aux soldats, car la cheminée, quoique neuve, en était calcinée et prête à tomber.

De tout temps, on l’a dit, les vainqueurs ont fait grand feu avec le bois des vaincus. Richelieu, là comme ailleurs, compléta sans doute l’œuvre des gens de guerre, en faisant démanteler le château, raser une partie des tours, combler une partie des fossés, passer la route dans une autre. Il est à remarquer que c’est le côté nord-est dont l’accès était le plus facile, qui est le plus ruiné.

Après ces dévastations vint, au commencement du XVIIIe siècle, l’œuvre réparatrice de François Barrois et de son fils le chambellan. Ceux-ci, évidemment obligés de faire la part du feu, conservèrent seulement ce qui pouvait être utilement restauré, aménagèrent les bâtiments et donnèrent au château l’aspect que nous lui voyons.

Les Barrois firent le nécessaire, mais guère plus, les dépenses auxquelles ils se livrèrent au château de Kœur, situé aux portes de Saint-Mihiel, durent se faire aux dépens de celui de Manonville.

Est-ce un mal ? Peut-être, non. Le luxe ici n’eût point été de saison. L’aspect un peu morne et la simplicité, non dépourvue de grandeur, des vieux corps de logis s’harmonisent mieux avec les rudes constructions de l’époque féodale, que ne l’eussent fait les balustrades et les pilastres du temps de Louis XIV et de Louis XV.

Ce que l’on peut regretter, ce sont les parties détruites, dont la disparition a amoindri l’aspect de la vieille forteresse. Néanmoins il faut reconnaître que, somme toute, parmi les châteaux lorrains du Moyen-âge, celui de Manonville est encore un des mieux conservés. Ce n’est malheureusement pas beaucoup dire.

L’enceinte fortifiée de la Petite-Ville à Epinal

Blason Epinal 

Après avoir visité la rive droite de la Moselle ou la Grande-Ville d’Epinal, je vous propose de visiter la rive gauche de la Moselle, la Petite-Ville ou Rualménil au moyen-âge.

D’après un article extrait des Annales de la Société d’Emulation des Vosges – Année 1904 

A l’autre extrémité du Grand-Pont, mettant en communication la grande et la petite ville, il y avait du côté de celle-ci (rive gauche de la Moselle) une porte. De cette dernière, la muraille longeait le canal du Moulin, qui se trouvait à l’extrémité de la rue actuelle des casernes. Aujourd’hui que le canal est disparu et comblé, c’est la rue du Quartier qui en occupe l’emplacement.

A partir de la rue des casernes, l’enceinte abandonnait le canal pour s’infléchir à l’ouest, puis vers le sud, parallèlement, mais à une certaine distance du canal des Grands-Moulins, passant derrière les maisons du côté ouest de la rue des Minimes (du Derrière autrefois). A l’extrémité de celle-ci, et à sa jonction avec la rue du Boudiou, se trouvait la Porte du Petit-Pont, ou de l’ouest, ou du Boudiou.

De là, l’enceinte qui s’était rapprochée du canal, se dirigeait au sud-ouest, longeant le côté est de la rue de l’Ancien-Hospice, laissant à droite, hors de l’enceinte, l’ancien hôpital (aujourd’hui le musée et la bibliothèque), puis allant vers l’est, elle aboutissait à la Porte Aubert, d’où longeant la Moselle, elle retrouvait le Grand-Pont.

En 1747, l’enceinte de la Petite-Ville était presque entière. Il n’en manquait qu’un bout en amont du Grand-Pont, représentant le cinquième de la muraille longeant le côté gauche de la Moselle. Le surplus était littéralement noyé dans les maisons : on en avait non seulement bâti dans l’intérieur de l’enceinte, mais aussi à l’extérieur, rétrécissant d’autant plus le cours de la Moselle. C’est ce quartier qui donne à cette rive de la Moselle, un aspect si pittoresque.

Il en était de même pour le reste de l’enceinte de la Petite-Ville, et l’on peut dire que pour celle-ci, le pillage de la muraille fut encore plus grand que pour la Grande-Ville. On relève soixante ouvertures faites, afin de faire communiquer les constructions entre elles, ou avec les jardins établis dans les fossés, à la place du chemin de ronde. Cette muraille de la Petite-Ville était protégée par la Moselle, entre le Grand-Pont et la Porte Aubert. C’était le canal de la rive gauche qui servait de fossé à la partie de l’enceinte allant du Grand-Pont à l’extrémité de la rue des casernes, ou si l’on préfère, au moulin de la Petite-Ville.

De la Porte Aubert, en amont, partait une prise d’eau qui remplissait le fossé, protégeant toute la partie sud-ouest, ouest et nord de l’enceinte. Cette dérivation venait rejoindre le canal du moulin de la Petite-Ville, juste en dessous de ce dernier. Il en résultait que la Petite-Ville ne s’étendait pas jusqu’au canal des Grands-Moulins, et qu’entre ce dernier et le fossé, il y avait un espace vide, occupé aujourd’hui par le côté ouest de la rue de l’Ancien-Hospice, par la rue entière des Petites Boucheries et par le quart ouest de la rue Leopold-Bourg.

A hauteur de la Porte du Petit-Pont, l’espace compris entre le fossé et le canal des Grands-Moulins, se réduisait à quelques mètres. Sur le fossé et la bande de terre, se trouvait la porte, entièrement en saillie sur l’enceinte.

Cette porte était la principale entrée de la ville. Là, aboutissaient les chemins de Nancy, de Mirecourt, de France et de Franche-Comté. Elle était composée de deux tours superposées de hauteurs égales, mais de dimensions différentes. Une toiture recouvrait la tour supérieure. Enfin, au sommet, un campanile dans lequel fut placée une horloge, qui, fort inexacte, trompant les bourgeois, fut baptisée du nom de Boudiou : menteuse.
Ce nom de Boudiou finit par devenir celui de la porte, ainsi que celui de la rue qui y aboutissait. La Porte du Boudiou ne fut démolie qu’en 1840. Un pont, le Petit-Pont, sur le canal des Grands-Moulins, la reliait à l’autre rive.

Quant à la Porte Aubert, c’était plutôt une poterne, mettant les bourgeois en communication avec les jardins environnants. Elle était surmontée d’une haute tour, couverte par une toiture pointue.

Voici quelques noms de tours relevés dans les archives d’Epinal :
Tour Montbeliard (grande ville) au trou du collège, dans le voisinage de la Tour de la Monnaie. Elle fut comme celle-ci ruinée par les eaux.
Tour Malperthuis (grande ville) sur la Moselle. Une poterne percée au pied permettait de communiquer avec la Moselle. Cette tour était placée à l’extrémité de la rue Malpertuis.
Tour Brenel, Burnel, Breney (petite ville), placée à la Porte de la Petite-Ville, sur le Grand-Pont.
Tour Abay (petite ville) : serait-ce la Tour Aubert ?
Tour derrière le Gaucheu (petite ville), près du moulin, à côté de la rue des casernes.

D’autres tours portaient les noms de : Hoberdon, Jehan Gourman, Poytabar, Jean-Pierre, Oblat, Maistre-Pasquier, Baulloux.

A visiter, un splendide site présentant la maquette de la ville d’Epinal en 1626  d’après le tableau de Nicolas Bellot.

L’enceinte fortifiée de la Grande-Ville à Epinal

Tour du musée du chapitre remparts EpinalBlason EpinalTour Jacques remparts Epinal

Si les ruines du château d’Epinal représentent un lieu de promenade très fréquenté, il n’en est pas de même pour les remparts de l’ancienne enceinte fortifiée de la ville. Ils méritent pourtant un détour, car ils sont les vestiges de l’immense muraille qui protégeait la ville d’Epinal au moyen-âge.

Je vous propose de remonter le temps et de visiter la rive droite de la Moselle, il y a plusieurs siècles.

 

D’après un article de la société d’émulation des Vosges – Publication 1904

Vers 1139, l’évêque de Metz, Etienne de Bar, avait reconquis le château (la tour) d’Epinal sur un seigneur qui avait usurpé la vouerie du monastère. A cette date, il semble qu’Epinal était pourvu d’une enceinte, faite de palissades et de fossés.

Le temporel de Metz possédait de vastes domaines enclavés et indépendants dans la Lorraine. De là, de perpétuels conflits, des guerres sans fin, comme on les faisait alors, c’est-à-dire en pillant les sujets de l’ennemi, en ravageant leur terres, brûlant leurs habitations. Les évêques, très éloignés d’Epinal, furent forcément obligés de créer pour leurs sujets, des lieux de refuge. Epinal fut un de ceux là.

Jean de Bayon raconte (chronique de Moyenmoutier) qu’en l’an 1089, le duc lorrain Thierry II mit le siège devant Epinal, mais y renonça, voulant épargner le sang de la multitude qui s’y était réfugiée et se retira à son château d’Arches.
Ce passage est caractéristique : il est clair que la multitude des sujets de l’évêque n’aurait pu trouver place au château, qui n’était qu’une tour, et que ce ne pouvait être que dans la ville, protégée par des palissades et des fossés, comme on le faisait alors, qu’elle avait pu se réfugier.

Au XIIIe siècle, l’évêque de Metz Jacques de Lorraine (1236-1260), entreprit d’entourer Epinal d’une véritable muraille et en fit une place forte de premier ordre. En même temps, il dotait Rambervillers d’une pareille enceinte, ce qui montre que les deux chefs-lieux des possessions de l’évêché de Metz, avaient, dans cette région des Vosges, pris une grande importance.

C’est l’enceinte construite par Jacques de Lorraine, que nous retrouvons sur le tableau de Nicolas Bellot.

La ville était formée de deux groupes séparés par la Moselle :
- sur la rive droite, Epinal proprement dit ou la Grande-Ville,
-
sur la rive gauche Rualménil ou la Petite-Ville.

Chaque ville avait son enceinte, formant autant d’unités de défense. Un pont, le Grand-Pont, les reliait. En amont de ce pont, se trouvait un barrage de la Moselle, d’où partaient, à droite et à gauche, deux dérivations des eaux ou canaux, faisant mouvoir chacune un moulin.

De Rualménil, après avoir franchi la Moselle, le Grand-Pont traversait ensuite le canal qui n’en était séparé à cet endroit, que par le barrage, et l’on se trouvait devant la Porte du Pont ou du Grand-Pont.

C’était l’entrée principale de la Grande-Ville : elle avait la forme d’une tour allongée, de même hauteur que la muraille, seule sa toiture dépassait. A côté, et pour la protéger, une autre tour, la tour Rolland, ruinée dès 1617. En 1673, une prison bourgeoise fut établie dans le bâtiment. On y trouvait un logement pour le portier, et en haut, un logement pour le guetteur.

De la Porte du Pont, longeant le canal qui servait de fossé, la muraille se dirigeait vers la Porte du Moulin, parallèlement à la rue Jeanne d’Arc, coupant la rue Lormont et aboutissant place du Vieux-Moulin. La muraille laissait ainsi un espace entouré par le canal et la Moselle, que l’on appelait le Gravot du Tripot, occupé aujourd’hui par le quai de Juillet, le square, le monument commémoratif, l’imprimerie Fricotel, la place Guilgot.

Il y avait (d’après le tableau de Bellot) quatre tours entre les portes du Pont et du Moulin, le canal servant de fossé. La porte du Moulin était une haute tour carrée, couverte d’une toiture. Près de la porte et accolé à la muraille, se trouvait le moulin ou moulin du Tripot, parce qu’il occupait l’emplacement d’un ancien jeu de paumes. Le meunier avait été autorisé à percer la muraille, afin de pouvoir communiquer avec une construction en dedans de la muraille. On y établit en même temps un battant-foulon à draps (1617), les boucheries et tueries (abattoirs) étaient aussi près de la porte du Moulin sur la rive droite du canal (1613).

De la Porte du Moulin, l’enceinte s’infléchissait vers l’est, abandonnant le canal qui allait rejoindre la Moselle, se dirigeait en ligne droite jusqu’au château où elle se soudait avec le donjon. Elle suivait une direction parallèle à la rue Entre-les-deux-Portes (en dehors de l’enceinte).

En face de la jonction des rues Haute et de la Maix (1), se trouvait la Porte de la Fontaine Saint-Goëry, formée par une haute tour carrée, de dimensions supérieures à celle de la Porte du Moulin. Sur la porte, se voyaient les images de Saint-Goëry et de ses filles, Sainte Précie et Sainte Victorine.

A cette porte, aboutissait le populeux faubourg de la fontaine (puis de Saint Michel) et la route de Lunéville à Rambervillers. Les jours de marché surtout, l’affluence très grande était fort génée par l’étroitesse de la porte et de la rue de la Maix, par où passaient les voitures de grains pour aller au Poids et ensuite au marché qui se tient sur la place devant les religieuses de la Congrégation (2).
Plusieurs maisons faisaient saillie sur la rue et étaient si basses « qu’un cavalier ne pouvait y passer sans se heurter contre ces saillies ». On démolit ces maisons et la porte fut élargie (1731).

La Porte d’Ambrail était une tour ordinaire, sans toiture. Là, commençait le fossé rempli d’eau par le ruisseau d’Ambrail. La pente obligea, pour retenir les eaux et maintenir pleins les fossés, de créer de petites digues tranversales. De la porte d’Ambrail, la muraille suivait le côté nord de la rue des forts. A l’extrémité de celle-ci, à la jonction avec la rue d’Arches, se trouvait la Porte d’Arches. Celle-ci, flanquée de deux tours minces, élancées, était la seule qui eût un certain cachet.

De cette porte, partait la Grande-Voie (rue de la préfecture), dont le nom caractéristique et très ancien, rappelle que là passait la voie romaine de Bâle à Metz. A partir de la porte d’Arches, le fossé profond, large, formait un véritable étang : l’étang de la porte d’Arches (3).

Une chaussée permettait d’élever le niveau de l’eau : « ouverture d’une porte à la chaussée de l’étang de la porte d’Arches pour découler les eaux à la Moselle » (Archives Epinal 1673). Entre les deux portes d’Ambrail et d’Arches, il y avait six tours.

De la Porte d’Arches, l’enceinte décrivant un léger arc de cercle, allait aboutir sur la Moselle, à l’angle de l’ancien collège, et de là, suivant le cours de la Moselle, elle allait rejoindre la Porte du Pont. Le nombre de tours est de sept.

Le pourtour de l’enceinte de la grande ville (château exclu) est de 1350 mètres, avec le château de 1600 mètres environ. Il y avait trente-cinq tours, dont cinq appartenaient aux portes.

Dès la fin du XVIIème siècle et au XVIIIème siècle surtout, les fortifications de la grande ville, devenues inutiles et n’étant plus entretenues, furent littéralement mises au pillage par les habitants : on appuyait contre elles des maisons, on les éventrait pour y ouvrir des fenêtres, des portes, on les démolissait pour en utiliser les matériaux. Puis, on s’empara des chemins de ronde, des fossés pour en faire des jardins, y élever des constructions, si bien que certaines portions des murailles sont littéralement noyées dans les maisons.

L’entretien des murailles et du Château était entièrement à la charge de la ville qui se considérait comme la propriétaire. Après la prise de la ville par les Français en 1670, ceux-ci en ordonnèrent la démolition. La démolition ne fut que partielle. Ce qui resta ne fut plus entretenu et abandonné. La ville, continuant à se comporter comme si elle en était propriétaire, en disposa et acensa aux bourgeois murailles, chemins de ronde, fossés.

Mais en 1725, sur la réclamation du fermier du domaine, ces cens perçus par la municipalité, le furent par l’état. Plus tard (1747), le domaine contesta aux bourgeois, la propriété des murailles ; il y eut donc procès. Dans les mémoires et plaidoiries, on relève que le collège avait rebâti son église avec les débris des murailles qui l’entouraient des deux côtés, que la ville elle-même, ayant à réparer les vannes des canaux, se servit des pierres provenant de la démolition des Portes de la Fontaine, des Moulins, d’Ambrail, …

Lors du procès intenté en 1747, un plan des usurpations faites par l’habitant fut dressé : on y constate qu’à cette époque, la presque totalité de l’enceinte de la Grande-Ville existait encore. Seules les portes du Grand-Pont, du Moulin, d’Ambrail, étaient détruites. De chaque côté de ces portes, on avait démoli un pan de muraille (au Grand-pont surtout). Au collège, il y avait deux vides, et le mur allant de la porte de la Fontaine au bas du château n’existait plus qu’à moitié et était totalement disparu vers la porte d’Ambrail.

Entre la porte du Moulin et celle de la Fontaine, l’enceinte était noyée dans des maisons formant le côté sud de la rue Entre-les-Deux-Portes. Il est relevé pour la Grande-Ville, quarante ouvertures dans les murailles, mettant en communication les maisons avec les fossés devenus des jardins.

(1) Maix, Meix dérivent du latin mansus et aussi du celtic maes, ferme, grange. On le trouve dans le midi, sous la forme mas. Les copistes, toujours fantaisistes ou ignorants, l’ont écrit sous les formes meix, maix, may.
Ce nom vient d’une grange dite de la may, située « au grant bor d’Espinal » achetée par la ville au XVIème siècle à un bourgeois.
On a fait aussi venir ce nom du mot mare, prononcé en vieux langage , et que les scribes ont pu écrire maix, meix ou may. Tout près de cette rue, se trouve la source de Saint-Goëry, très abondante, qui à l’origine a pu former une mare ou mé. La grange aurait pris le nom de Grange de la Mare ou de la , maix ou may. Cette dernière explication est aussi vraisemblable que la première : on retrouve dans les vieux textes ce nom de meix ou maix, désignant d’anciennes pièces d’eau.

(2) Le palais de justice occupe l’ancien couvent de la Congrégation. C’était donc sur la place du palais de justice, que se tenait le marché aux grains. De la Porte de la Fontaine, on suivait pour y arriver, la rue de la Maix, puis celle des Halles, et à gauche, on aboutissait à la place.

(3) Tous les fossés alimentés par les eaux très claires de la Moselle, des ruisseaux d’Ambrail et de Saint Michel, étaient très poissonneux. On y faisait de grandes pêches et souvent, on y jetait des alevins : 1520, pêche des fossés de Rualménil et de la porte d’Arches – 1522, 1591, pêche du fossé du Grand-Moulin – 1553, achat de 800 alevins pour mettre dans le fossé du Grand-moulin – 1506, 800 grands alevins mis à la porte d’Arches.
Les populations dépendant du baillage d’Epinal étaient tenues de curer les fossés.

N’hésitez pas à visiter ce site, présentant la maquette de la ville d’Epinal en 1626  d’après le tableau de Nicolas Bellot.

Les photos de la tour Jacques et de la tour du musée du chapitre sont publiées avec l’aimable autorisation de monsieur Olivier Petit qui présente bien d’autres superbes photos sur son blog.

Les moines de l’étang de Lindre

Moines de l'etang de Lindre

D’après « Légendes et contes lorrains d’autrefois »

Un soir d’automne, un bûcheron, la cognée sur l’épaule, regagnait son logis en longeant la rive de l’étang de Lindre.

Il fit une halte un instant devant une rustique croix de boix. C’est alors qu’il entendit un étrange chœur, psalmodiant l’air du Dies irae.

Il se retourna : la brume, déchirée en longs voiles, flottait sur les eaux sombres. Les voix se rapprochaient, et la silhouette d’un moine émergea de l’étang. Un deuxième moine apparut, suivi d’un troisième, d’un quatrième et de plusieurs autres.

L’homme, terrorisé, ne bougeait mie.

La longue file des moines passa, capuchon baissé sur le visage, psalmodiant toujours le funèbre cantique, dans lequel le témoin crut comprendre ces paroles : « Nous sommes les moines de l’étang… ». Et puis les fantômes s’effacèrent dans le noir de la forêt.

Le bûcheron rentra chez lui. Ruminant la chose, il pensa avoir rêvé, si bien que le lendemain soir, il résolut de retourner sur le lieu de sa vision.

La cognée sur l’épaule, il partit dans la nuit tombante. Mais nul ne le revit.

Plus tard, bien plus tard, des pêcheurs ramenèrent dans leur filet, le cadavre du malheureux, vêtu d’une bure de moine.

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