Le droit de pêche à Moyenmoutier (88)

Pêcheur

 

D’après « Le département des Vosges : statistique historique et administrative »
par Charles Charton et Henri Lepage – Année 1845

Les habitants de Moyenmoutier jouissaient autrefois de droits singuliers.

Quand une femme accouchait d’un enfant provenant d’un mariage légitime, le mari pouvait, seul ou accompagné de son voisin, pêcher pendant trois jours dans le Rabodeau et même vendre du poisson pour subvenir à l’entretien de l’accouchée, mais il était obligé, préalablement, d’aller l’offrir au couvent où on le lui payait au prix fixé en pareille occasion, sinon il était libre de le vendre partout ailleurs.

En outre, il avait le droit de se présenter au couvent pour recevoir un pain de trois livres et un pot de vin.


Archive pour mai, 2011

L’évêché de Verdun (3)

 

D’après un article écrit par l’Abbé Gabriel, aumônier du collège de Verdun
Publié dans la « Revue de la Société des études historiques » – Année 1886

Le diplôme impérial de 1156, enfin, énumère quelques terres, abbayes et châteaux-forts, qui font partie du temporel de l’Évêché-Comté de Verdun. Nous ne parlerons que des châteaux-forts.

Valdentiam castrum

Ce château de Valdens, avec quatre ou cinq villages qui dépendaient de cette seigneurie, était situé sur la Moselle à 8 lieues au-dessous de Trêves. Il était inféodé à de puissants seigneurs du pays. Mais l’Évêque de Verdun pouvait y entrer qu’il fût ou non, en guerre « in guerram sive extra guerram ». Et s’il arrive que ledit Évêque ait guerre, il use de la forteresse comme étant sienne et le Comte de Valdens qui est son homme-lige, après avoir mis le château et toutes ses munitions à la disposition de l’Évêque, est tenu de l’aider contre ses ennemis, de tout son pouvoir. L’Évêque pourra aussi tenir sa cour épiscopale dans ce château.

Castrum Deus-Levard

Le château de Dieulouard, sur la Moselle, non loin de Pont-à-Mousson, du côté de Nancy, tout près de l’ancienne ville Gallo-Romaine de Scarponne. Dans certains actes latins, on le nomme aussi Dei custodia, à la garde de Dieu ou bien Dieu le warde, Dieu le garde. Le château et la seigneurie de Dieulouard, dépendance de l’Evêché de Verdun, se trouvaient en pleine Lorraine, et ne pouvaient être que peu utiles à nos Évêques. Aussi, le plus souvent, étaient-ils engagés à des seigneurs lorrains, pour argent, ou secours d’armes fournis à l’Évêché.

Castrum Wentronis-Villa

Le château de Watronville, à l’Est, près de Verdun, sur une hauteur escarpée de la chaîne de montagnes que nous appelons les Côtes, et que la géographie moderne nomme l’Argonne orientale. Cette chaîne sépare la plaine de Woëvre de la vallée de la Meuse. Il est souvent question de la forteresse de Watronville dans notre histoire. Le seigneur de Watronville était Baron-Pair de l’Évêché de Verdun. Il reste quelques pans de murailles de l’ancien château-fort.

Viennam-castrum

A l’extrémité sud des montagnes de l’Argonne, entre Beaulieu et Passavent, s’ouvre une très étroite vallée. Elle court du sud au Nord, comme le massif argonnais, qu’elle coupe en deux dans le sens de sa longueur, et dont elle fait une double chaîne. Sur les deux côtés de la vallée, autrefois célèbre par ses gentilshommes verriers, les flancs de la montagne sont tellement à pic qu’il semble qu’on a de chaque côté une muraille boisée.

Au fond, coule un petit ruisseau autrefois canalisé : c’est la Biesme, qui sort d’étangs cachés sous bois, et qui servaient autrefois de limites entre les terres de France et d’Empire. La longueur de cette vallée est d’à peu près une demi-journée de marche.

A mi-chemin, elle bifurque et jette, sur sa droite, un rameau qui perce l’épaisseur de la montagne du côté de Verdun : c’est le défilé de Clermont. Puis elle va elle-même, en obliquant un peu à gauche, aboutir aux plaines de la Champagne, après avoir à son tour, percé la montagne de ce côté.

C’est au débouché de la vallée de la Biesme, sur la Champagne, que se trouve Vienne-Le-Château. Milon de Vienne parait et signe aux assises tenues à Verdun par Godefroy le Barbu en 1062… Jefride de Vienne signe l’acte de garde de Beaulieu en 1172. Enfin nous avons pour Vienne, les lettres de foi et hommage, de « Jehans de Bar, chevaliers, frère de Henry cuens de Bar, à Monsignour Jake, par la grâce de Dieu, eveske de Verdun », dont il se dit « être devenu hom liges, devant hommes ». Cet acte est de 1294.

Claro-montem castrum

Le rameau long de 4 000 pas, que la vallée de la Biesme jette sur sa droite et dont nous venons de parler, était aussi fermé, à son débouché sur Verdun, par une forteresse importante, plantée au sommet d’une montagne escarpée, et dominant au loin la plaine où coule l’Aire.

C’est Clermont, qui était une bonne position pour les pillars. Clermont fut prise par Thierry, inféodé au comte Renaud le Borgne, de Bar, pour compensation de la suppression de son titre de Voué de l’Evêché, en 1138 ou 1140.

Dunum castrum

Le château de Dun ne parait pas avoir été primitivement du Comté de Verdun. Il était du Comté de Dormois, enclavé dans le Verdunois, « in comitatu Dulcominsi » dit une charte de 1065. Ce fut l’évêque Thierry, qui s’en empara en 1064. Othon III ne l’avait pas mentionnée comme forteresse épiscopale.

Dun, château très fort, avait appartenu d’abord aux comtes de Dormois, dont le village de Doulcon, tout près de Dun, était la petite capitale. Passa à la maison d’Ardenne vers 980. Fut conquis par l’évêque Thierry inféodé aux d’Apremont qui le possédèrent pendant près de 250 ans. Puis, en 1317, possédé par Bar, jusque 1640. Cédé à la France et par la France aux Condé.

Mireuval castrum

Ce château de Mureau, à l’extrémité nord-est du comté de Verdun, était situé sur une montagne très élevée, et ayant à peu près 1 000 pas de long. Sa position le rendait presque inaccessible.

C’était une avant-garde contre les terres luxembourgeoises dont faisait partie la forteresse de Damvillers, qui se trouvait presque à ses pieds, au couchant. Mureau avait été donné à l’évêque Thierry par la grande marchise Mathilde. Il n’était pas non plus fait mention de Mureau dans le diplôme d’Othon III. Le possesseur du fief de Mureau était Baron-Pair de l’Évêché.

Aujourd’hui, le château est complètement démoli, il n’en reste plus le moindre vestige. Il ne reste au bas de la montagne qu’une ferme et une maison de maître qui a conservé son nom. Cette maison, dit-on, a appartenu au fameux Latude qui, entre ses évasions de la Bastille, demeura caché dans les bois voisins, où sa femme, chaque jour, lui apportait sa nourriture.

Hattonis castrum

Le château d’Hattonchâtel était la plus ancienne et l’une des principales forteresses de l’Évêché. Il doit son nom à l’évêque Hatton (de 859 à 870).

Placé sur un promontoire de la même chaîne des Côtes, que le château de Watronville, mais à 25 kilomètres au sud-est, Hattonchâtel domine, de plus haut et plus au loin, les vastes plaines de la Woëvre qui se déroulent à ses pieds, de droite et de gauche. De là, la vue s’étend presque jusqu’à Metz.

Aujourd’hui, le château a disparu. Quelques pans de muraille, cachés dans des constructions modernes, en gardent seuls le souvenir. Mais le beau village qui s’est formé autour du château reste sur sa montagne.

Hattonchâtel resta aux évêques de Verdun jusque 1550, époque où il fut cédé aux Lorrains par Nicolas Psaulme. Fut érigé en marquisat pour un prince de cette famille, et réuni la France en même temps que la Lorraine.

Sampiniacum castrum

Le château de Sampigny, sur la Meuse, aux frontières sud de Verdun, près de la principauté de Commercy. Ce domaine fut donné à l’évêque Saint-Airy, par le roi Childebert Il. Les successeurs de Saint-Airy firent fortifier cette position, parce qu’elle pouvait défendre de ce côté l’entrée des terres de l’Évêché. Elle était dans la vallée, c’est vrai, mais les eaux de la Meuse, qui inondaient ses fossés, en rendaient l’accès difficile.

La forteresse de Sampigny ne consistait pas seulement dans le château. Mais la ville elle-même, car au moyen-âge, on pouvait donner le nom de ville à cette localité, la ville elle-même était entourée de hautes et épaisses murailles, qui ont soutenu plusieurs sièges. Il ne reste absolument rien des anciennes fortifications.

Septiniacum

C’est la ville de Stenay. Jamais nom de ville n’a subi autant de changements. Stenay, du diocèse de Reims, a une histoire intéressante. Cette ville était possédée en alleu par la maison d’Ardenne.

Elle fut encore conquise par l’évêque Thierry-le-Grand, et réunie à l’Évêché par donation impériale, en 1086. Par conséquent, le diplôme de 990 n’en parle pas. La ville et forteresse de Stenay ne resta pas longtemps à Verdun. L’évêque Richard de Grandpré l’engagea à Luxembourg. Rachetée, elle fut cédée par l’évêque Henry de Winchester à Renaud le Borgne du Barrois, elle passa à la Lorraine et de la Lorraine à la-France, en 1640. Elle soutint plusieurs sièges fameux.

 

Ce sont là, les principales forteresses qui défendaient le Verdunois au XIe siècle. On remarquera que deux d’entre elles sont hors de ses limites : Valdens et Dieulouard.

A cette époque de guerres continuelles, non seulement de princes à princes, mais encore de petits seigneurs à petits seigneurs, il était peut-être avantageux d’avoir ainsi un pied chez l’ennemi. Dieulouard fut souvent un ennui pour les Lorrains, tout comme Damvillers souvent aussi, fut une gêne pour Verdun. Baleycourt même, dont les bourgeois s’emparèrent en 1419 et qu’ils gardèrent depuis, était une forteresse luxembourgeoise tournée contre Verdun, dont elle n’était éloignée que de 6 kilomètres.

Mais, outre ces châteaux, moyens redoutables d’attaque et de défense, il y avait aussi sans doute un certain nombre de maisons fortes, que s’étaient construites les divers seigneurs, dans les campagnes, afin de se mettre à l’abri d’un coup de main.

Le Diplôme impérial accorde aux Évêques l’autorisation d’élever d’autres châteaux forts, dans l’intérieur de leurs frontières, s’ils le jugent nécessaire à la sécurité de leur territoire.

Dans les années qui suivirent, surtout dans les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, au milieu de guerres continuelles qu’ils eurent à soutenir, soit contre les ducs de Bar, soit contre d’autres seigneurs, soit même contre les citains de Verdun, les Évêques usèrent de ce droit de souverain.

Woimbey, Tilly, Ambly, dans la vallée de Meuse, et Sommedieue dans la montagne, en amont de Verdun. Charny, Cumières, aussi sur les bords du fleuve, en aval. Bonzey, sous les côtes, à l’entrée de la Woëvre, et beaucoup d’autres villages eurent leurs forteresses à grosses tours et à hautes murailles.

 

Telle est l’origine officielle de la principauté séculière possédée pendant des siècles, par les Évêques de Verdun. Tels sont les droits réguliers que leur donnait cette souveraineté sur la Ville et sur le Comté de Verdun, droits qu’ils conservèrent, grandement amoindris, c’est vrai, jusqu’au règne de Louis XIII ou plutôt de Richelieu.

La réunion à la France de 1550 n’était, pour le dire en passant, qu’une occupation militaire de la ville de Verdun, par Henry II, à titre de protecteur.

Cependant, faisons remarquer encore une fois, que les Évêques ne prenaient pas le titre de Comtes. Ils ne sont même pas Comtes de Verdun dans le sens féodal, vrai, absolu du mot, ils en sont Souverains. Mais ils ont « dessoubs eulx un Comte comme leur officier ».

Ils ne prirent le titre de Comte, que quand ils commencèrent à perdre la puissance comtale. Et quand ils n’eurent plus l’autorité de prince, ils se qualifièrent de Princes du St Empire Romain. Ces titres honorifiques de Comtes et de Princes furent, jusqu’en 1790, pour les Evêques, des souvenirs lointains de grandeurs évanouies.

Ni le comte Frédérick, ni son frère Hermann, ne connurent peut-être jamais l’arrangement conclu à leur préjudice, ou au moins au préjudice de leur famille, entre l’empereur Othon III et le nouvel évêque de Verdun, Haymon.

L’évêque Haymon était du reste un esprit aussi conciliant qu’habile, attendant des circonstances et de l’avenir l’occasion de saisir en droit, sans commotions et sans troubles, un pouvoir qu’il possédait déjà en fait.

Il se garda bien de troubler Frédérick dans la jouissance apparente du Comté : seulement il en prit en mains le gouvernement réel. Il donna tous ses soins, soit à réparer les dommages causés à la Cité par les sièges récents qu’elle avait soutenus contre Lother de France, soit à ramener la paix et le calme dans le Verdunois troublé par les agissements des Français, à la suite du traité conclu par Godefroy-le-Captif.

L’Evêque gouvernait au nom du Comte, mais le peuple ne connut bientôt que l’Évêque.

Du reste, redisons-le encore, les deux frères, Frédérick et Hermann, étaient heureux de laisser à Haymon la gestion de la terre. Ils n’usaient de leur pouvoir que pour soulager, autant qu’il était en eux, les misères publiques. Ils n’employaient leurs biens qu’à faire des largesses aux pauvres, aux Églises et aux Abbayes, largesses dont les louent grandement les chroniqueurs de l’époque.

Lion-devant-Dun du XIVe au XVIIIe siècle

Carte Lion-devant-Dun

 

Nous avions quitté l’histoire du petit village de Lion-devant-Dun, au moment où Gauthier de Mérowald, mort, paraît-il, sans postérité, disparaît pour faire place à Henry de Mérowald.

Je vous propose de poursuivre l’aventure… Les appellations anciennes ont été respectées.

D’après le « Manuel de la Meuse » de Jean François Louis Jeantin – 1861

Henry de Mérowald, petit-fils de Philippe de Louppy

Ce personnage a joué un rôle si important dans les événements politiques du règne de Thiébault Ier de Bar, tant sur les barrisiens que sur les luxembourgeois, qu’il est indispensable d’en indiquer ici les causes et d’en montrer les résultats.

L’histoire de Louppy et celle de Lions sont liées, par leurs premiers seigneurs, à l’un des grands événements politiques de la fin du XIIe siècle : la réunion du Barrois et du Luxembourg, sous les lois d’un prince barrisien, Thiébault Ier de Stenay.

L’on a vu qu’en 1189, était arrêté le mariage de Thiébault de Stenay avec la jeune Ermesinde, âgée de 4 ans à peine. Et c’est alors que nous voyons apparaître le premier seigneur connu de Louppy et ses fils.

La charte anténuptiale constate que Thiébault, comme maître du Briacensis, a assigné à sa fiancée le château de Briey et toutes ses dépendances, avec moitié de leurs futurs acquêts. Les témoins de cet acte sont : Baudouin de Bar – Guillaume de Longwy – Gérard d’Othange, sire de Haute rive – Ulric de Florhanges, sire de Billy et d’Argentel – Lieutard de Briey, sire de Jametz – Wery de Walcourt, sire de la Fentsh (Fontois) – Philippe de Louppy, sire de Bazeilles – Hugues Beles de Triangulo.

Philippe de Louppy, parent de Gérard d’Othange, maison Clarambault de Hauterive, près d’Andenne, Philippe était, paraît il, un de ces cadets namurois, qui avait suivi Godefroid de Namur, lorsque, par son mariage avec Ermenson Ière, héritière du Luxembourg, en 1136, il avait réuni les deux comtés sur sa tête.

A la suite des Walcourt alliés à la maison de Chiny, les Clarambault d’Hauterive s’étaient établis, en franc-fiefs, sur les versants de Metz, et ils se trouvaient coindivisionnaires dans les terres novales des bassins de l’Othain, de la Tinthe, et du Loison.

On trouve tous ces Namurois, à la suite des comtes de Chiny, Louis III et Albert, réunis autour de l’évêque Adalbéron de Verdun, quand il s’agit d’établir et de doter l’abbaye de Châtillon. Alors, Philippe est sire de Bazeilles (Charte de 1163).

Quelques années après, on le trouve sire de Louppy. C’est dans la charte de 1173-1181, sous l’épiscopat d’Arnoux de Chiny, que, pour la première fois, Philippe prend cette qualification.

Ce personnage est assisté : de Gobert d’Apremont, sire de Dun, gendre du comte Louis III de Chiny – Gilbert de Werysse, sire de Cons avec Gilon de Cons - Hugues et Thiéry de Mucey – Rambauld de Chauvancy et de Gemmas - Ponce de Failly.

A tous les actes de cette entreprise, (réunion Bar – Luxembourg), en tête des plus braves, avaient figuré Philippe de Louppy, fils de Clarambauld de Xorbey, dit Alta Ripa dans la charte de 1217, par laquelle il reçut, plus tard, Habay, terre de Saint Hubert, sur la haute Semois, des mains de Waleram d’Arlon.

Et, sous Philippe, avaient milité ses fils Frédéric de Vernonbour, Arnould de Louppy, Simon de Murault, Denier de Sassey, et les petits-fils de Philippe, c’est-à-dire, Nicolas d’Othanges, sire de Hans les Marville et de Bazeilles, issu de Frédéric, et Henry de Mérowald, avec Gérard d’Haraucourt, issus d’Arnoux de Louppy.

Tous étaient l’âme ou la main du comte Thiébault. Nos quatre grand-chevaux de Lorraine ont gagné leurs éperons à cette époque-là.

Or, comme châtelain de Laferté, Henry de Mérowald était avoué des moines de Saint Hubert, pour leur prieuré de Chauvancy. Par les événements de la guerre, il s’empara de l’avouerie de Mirouart qui, pendant tout un siècle, resta dans les mains des seigneurs de Mérowald et de Lions.

Après la paix de 1199, Henry de Mérowald revint dans le Walon et dans les basses Wabvres. Là, il partageait l’avouerie de Juvigny avec son père et son frère Gérard de Remoiville, sire d’Haraucourt. Il était le fléau des vassaux de la sainte maison, comme il l’était de ceux de Saint Hubert. La charte de petit Verneuil, malheureuse commune (1204), est là pour le démontrer.

A la mort d’Ermesinde, en 1246, et alors que des démêlés sanglants s’élevèrent entre son beau-fils Henry II de Bar, et son fils (du second lit) Henry II de Luxembourg, pour la possession de Marville et de Louppy, Henry de Mérowald suivit le parti du comte barisien.

L’âge n’avait pas adouci ses mœurs féroces, et toutes ses convoitises rapaces tendaient au dépouillement des moniales de Juvigny.

A Jametz, était une chapelle dite de Sainte Marie du Mont. Aulmonée, depuis plusieurs siècles, par un archidiacre de Trêves, Rodolphe, à l’autel de Sainte Scholastique, elle était assez largement dotée. Ce vieil oratoire était la mère-église de la bourgade de Jametz.

Soutenu par son père, Arnould de Louppy, sire du Mont Saint Martin, secondé par son frère Gérard d’Haraucourt, sire de Remoiville, Henry de Mérowald s’était ensaisinné des dixmes de cette église. Après arbitrage de son ancien compagnon d’armes Henry de Houffalise, alors homme de fief de la châtellenie de Marville, et du prieur de Saint Nicolas, doyen de la chrétienté, il ne fallut pas moins que la haute autorité du comte Thibault II de Bar pour l’en faire déguerpir.

Ce turbulent seigneur avait eu un fils et deux filles. Le fils, Thiéry de Mirouart, en Ardenne, mourut sans enfants, en 1288. Isabelle, sa sœur aînée, avait épousé Jacob de Cons. Elle apporta ce château dans les mains de son mari, avec les hommages et tout ce qui était tenu, à ce titre, de la pairie de Bouillon. Marie, la plus jeune, fut mariée à Godefroid de Beaufort, seigneur de Perwez.

Alors Mérowald et Lions passèrent à Jehan de Louppy, dont il faut dire un mot.

Jehan de Louppy, sire de Merowald et de Mirebeau

Jehan de Louppy était fils de Nicolas, sire de Hans et Bazeilles (Charte de 1287). En 1285, Jehan de Merowald assiste aux tournois, donnés par Louis V de Chiny, dans sa cour plénière, à Chauvancy le château.

En 1288, Jehan de Louppy recueille les fiefs masculins de son cousin Thiéry de Mirouart. Avec Geoffrois III de Dun, son suzerain médiat, avec Gérard de Louppy son oncle, avec la plupart des autres fiefés des basses Wabvres, il concourt aux délibérations internationales pour le règlement des limites germaniques et françaises, au sujet de la mouvance des abbayes de Montfaucon et de Beaulieu en Argonne, terres que le roi Philippe de France revendiquait à l’encontre du comte de Bar Thibault II.

Les barons qui attestèrent en cette circonstance, furent : Simon, sire de Commercy – Geoffrois III de Dun, sire d’Aspremont – Henri, sire de Blâmont – Thomas, princier de Verdun - Philippe, châtelain de Bar - Jean, sire de Cons, gendre d’Henry de Mirouart - Philippe et Endes, seigneurs de Sorcy – Gérard d’Haraucourt, sire de Louppy.

On a vu les motifs qui ont entraîné partie des barons des basses Wabvres à se mouvoir, au temps du roi Jehan de Bohême, dans l’orbite du Luxembourg. A la suite du traité de 1318, entre ce monarque d’une part, Henry d’Apremont, évêque de Verdun, et Gobert V de Dun d’autre part, Jehan de Louppy-Mirowauld fut de ce nombre. Aussi, par sa charte du 13 mars 1326, le roi-comte de Luxembourg donne à noble homme, son cher et féal Jehan, seigneur de Mirabel et de Marach, chevalier, et à ses hoirs, en fief, hommage, justice, et juridiction, la ville de Maresh et dépendances, c’est-à-dire Mersch, dans le pays de Luxembourg.

Alors cette branche de Louppy disparaît des basses Wabvres et Mirowald passe aux du Castelet.

Les barons du Castelet de Lions, sous le Barrois mouvant.

Renauld de Lions et Colart de Chaumont

La querelle d’Henry III avec la France, amena l’abandon de l’indépendance ancienne des suzerains du Barrois.

La défaite de Barrisiens à l’affaire de Frouard en novembre 1309 – leur échauffourée à l’affaire de Ligny, en mars 1368 – la ruine de la maison de Dun-Apremont, en 1377 - et plus tard, la défaite lorraine à Bultgnéville, en 1431, défaite si glorieusement réparée, en 1477, par la déconfiture bourguignonne à l’étang Saint Jean …

Ces quatre sinistres causèrent : le désastre du baronnage des basses Wabvres - l’extinction de plusieurs de ses anciennes familles - la transplantation d’un certain nombre d’autres sous les Vosges et l’établissement de quelques cadets près de la capitale du Barrois.

De ce nombre furent les du Castelet-Tricaschaux, et la branche puînée des anciens Loupeïns.

Affaire de Frouard – 1309

Edouard Ier, de 1302 à 1337, n’eut pas un règne plus paisible que celui de son père : engagé dans les différends de son grand-oncle Renaud, évêque de Metz, avec Thiébault II, duc de Lorraine, il subit un échec, le 6 novembre 1309, devant Frouard. Et pendant que ses troupes périssaient dans la Moselle, le jeune prince et son entourage tombaient aux mains de l’ennemi. Ils y restèrent captifs jusqu’en 1314.

Cette affaire fut la première cause de la décadence du baronnage de Louppy. Son chef Raoul, avec Jean de Deuilly du Chaufour, son allié, furent repoussés de toute rançon. Quant au comte de Bar, heureux fut-il d’être admis à payer 90 000 livres, pour sa liberté personnelle, et pour celle de ses autres chevaliers. 

C’est alors qu’en 1326, Jehan de Mirowauld s’établit dans le Luxembourg, et que Renaud du Castelet, époux de Jeanne du Chaufour, aliéna sa portion de Lions à Colart de Chaumont, en Porceanais, auteur des du Saulcy de Jametz.

Ce démembrement de la baronnie de Mirowald reçut la sanction de Gobert VI de Dun-Apremont, époux de Marie de Bar, sœur du fameux brigand Pierre de Pierrefort, alors que les bandes d’incendiaires mettaient à feu et à sang le Verdunois, les Woepvres, et le pays Messin.

Les destinées de Lions, sous Colart de Chaumont, sous le duc Robert, sous les derniers princes de Bar, et, plus tard, sous les princes de Sedan, sont les mêmes que celles de Dun et Jametz.

Que devinrent-elles sous la Lorraine réunie au Barrois ?

L’inféodation des terrages de Lions

Affaire de Ligny – 1368

Le guet-apent de Ligny avait été funeste à ses auteurs. C’étaient, malheureusement, les Barrisiens piteusement tombés dans l’embuscade, pris eux-mêmes au piège qu’ils avaient tendus aux Messins.

Voici quels en furent les résultats :

Leur duc Robert, désarçonné, obligé de se rendre, sur les corps sanglants d’une vingtaine de ses gens immolés – le jeune comte de Salm (seigneur propriétaire de Brandeville, et d’une partie de Louppy, de Juvigny et de Remoiville), étendu sans vie près du corps du sire d’Antipray, de celui de Bultgnéville, et de ceux de Jean de Sorbey et de Jehan de la Tour devant Virton.

Soixante chevaliers, tous de haut parage, faits prisonniers avec leur prince, dont, entre autres : Robert des Armoises, de Delut - Perin d’Avoncourt, de Deuilly - Willaume de Beaurepaire - Hue de Billy - Geoffrois de Saint Baulsey, de Laferté - Thiéry de Bellefontaine - Gérard de Buxay - Gilles de Bour, ou de la Fontaine - Willaime de Bellonfort - Jehan de Chardogne, cadet de Louppy - Jean de Chastelet, de Lions - Simonin de Creuve - Ferry de Dun - Jacques d’Espinal, de Cons - Jehan Henriquet de Staules - Jacomet de Laferté, sire de Louppy - Wary de Fléville-Cornay - Durandart de la Grange - Lambelet d’Yvoi - Jean de Mars la Tour - Pierre de Moncel - Henry de Magnienville - Godmann de Marley - Gérard de Mercy – Perceval de Nettancourt - les deux Henry de Rochefort - Louis de Sancy - Ferry de Ville-ez-mont (Ville-aus-berg) - Jean et Collignon de Villers - Husson de la Val, de Bazeilles - Godefroid de Wyse, etc.

Quarante chevaliers, échappés du guêpier, par l’entrain de leurs bons ronsins de bataille, dont : José d’Apremont - Pierson d’Amelle - Henry de Boulanges - Jean de Clermont - Vellin de Chaumont - Henry de Creuve - Gilquin de Goméry, sire de Sompthonne - Finck de Housse et son suivant Jeantin l’archer - Jehan de Hadonchatel - Bastin de Sorbey, sire de Louppy - Thirion du Saulcey - Baudouin de la Tour - Erard et Jehan de Watronville pour ne citer que les plus rapprochés des basses Wabvres et du Walon.

On voit, par cette liste, quelle atteinte profonde cette échauffourée, motivée d’abord sur un simple duel, porta à la noblesse chino-barrisienne…

On comprend quelles plaies de bourse durent s’élargir, dans tant de familles, qui ne vivaient que d’extorsions sur leurs pauvres serfs, ou de courses sur les terres de l’église et de leurs voisins.Le trésor public et les ressources particulières étaient donc épuisés, depuis un siècle, quand l’affaire de Bultgnéville envoya René II captif dans la tour dite de Bar, au château de Dijon, en 1431. De là, l’échange forcé de Jametz contre Cassel.

De là, les premières inféodations lorraines des terrages de Lions.

Après la fusion des d’Orey -Mouzay dans la famille des Lardenois de Ville et Dohan, plusieurs branches féminines des de Mouzay restèrent nanties de portions des domaines de leurs ancêtres, à savoir : d’Inor et Pouilly… à Lions et Murvaux.

Ce furent notamment : les Bertignon-Mouzay – les d’Escamelle de Lions – les Bathailly-Saint Vincent de Murvaux. (Lettres patentes du duc Charles III de Lorraine, du premier mars 1691, après la prise de Jametz.) Le manoir seigneurial de Lions fut attribué, en 1633, aux d’Escamelle, qui eurent le Pavillon et ses dépendances, et aux de Saint Vincent, qui eurent les bâtiments accessoires. Les deux censes-fièfes furent partagées entre eux.

Gilles d’Escamelle, écuyer, seigneur de Berlise, Belmar, Quincy, Pouilly et Inor, époux de Marie Marguerite d’Escamelle. Cette famille disparaît de Lions dans le cours du XVIIIe siècle, par la mort du mari et de la femme, inhumés dans l’église, en 1731 et 1732.

Jean de Gentils (n° 1), chevalier seigneur de Tailly, Viviers, Artaize, Smuid, et Jean de Gentils (n° 2), seigneur des dixmes inféodées de Montigny et de Doulcom, en partie, avaient épousé, successivement, Marie Anne de Vion, dame, en partie, des terrages des Lions. De ces unions étaient nés : Louis – Jean, mort en bas âge – Nicolas, mort en bas-âge et François.

Louis de Gentils, chevalier, seigneur de Viviers, Artaize et Smuid, avait épousé Jeanne Magdelaine de Mecquenem de Mezaudel, et mourut, à Lions, le 20 janvier 1763. De ce mariage naquirent : Charles – Jean François – Simon – Charles Gaspard François – Marie Magdelaine Marguerite et Louis François.

Marie Magdelaine de Gentils, ci-dessus, devint femme de Jean Baptiste Aimé de Failly, seigneur de Villemontry. Puis les de Gentils disparaissent de Lions pour y faire place à la famille de Saint-Cyr et de Saint Pierre d’Honnoré du Luxembourg. En 1769, Joseph Léonard, chevalier de Saint Cyr, officier au régiment de Penthièvre, et sa femme Thérèse de Saint Pierre, habitaient au château de Lions.

 

La porte du Boudiou à Epinal

Epinal porte du BoudiouBlason EpinalEpinal porte du Boudiou

 

Il était une fois… la porte du Boudiou à Epinal.

D’après un article paru dans le « Pays lorrain » – Année 1904

En ce temps-là, on l’appelait la Porte du Petit-Pont. A l’une des extrémités de la rue du même nom, du côté de la Moselle, s’élevait une pyramide de pierre surmontée d’une statue de déesse. A l’autre extrémité, du côté du faubourg, se dressait la tour de la Porte. C’était une haute tour carrée et couverte en tuiles de diverses couleurs.

Son toit à deux étages, comme un toit de pagode, était coiffé d’un campanile. Le rude édifice reposait sur deux arches latérales qui enjambaient le petit canal du Moulin de la ville. Et, de la sorte, la face antérieure de la tour avait ses fondations dans l’étroite bande de terrain serrée entre le canal du Moulin et le canal parallèle qui existe encore.

Le pont-levis s’abaissait à l’intérieur de la tour, sur le petit canal, tandis que le Petit-Pont, de fameuse mémoire, était fixe et franchissait le canal des Grands-Moulins, reliant Rualménil, dit aussi le Grand-Rualménil, au Petit-Rualménil, aujourd’hui faubourg des Bons-Enfants.

Comme les tours des autres Portes de la ville, la tour du Petit-Pont était fortifiée. Elle contenait un corps de garde, une prison bourgeoise, une façon de réduit pour l’artillerie et le logement du portier. Elle était munie d’arquebuses à croc et, des chambres hautes, comme on disait, un guetteur surveillait les abords de l’enceinte. En sonnant du cor d’ivoire ou en mettant en branle la cloche du campanile, il signalait à la garnison du château l’approche des ennemis et des troupes suspectes.

En plus, comme d’un attribut de paix, la tour du Petit-Pont était pourvue d’une horloge à double cadran. Un cadran regardait Rualménil, l’autre le Petit-Rualménil. Les Spinaliens, enclins pour l’ordinaire à la simplicité, se faisaient gloire de parer leur horloge avec quelque élégance.

Au XVIIe siècle, Maître Nicolas Bellot fut chargé de ce soin délicat. Les bourgeois ne pouvaient mieux choisir. Bellot était un peintre de mérite, et la vue cavalière d’Epinal que nous avons de lui, ne laisse point d’être fort estimable.

En vérité, l’on s’étonne qu’un artiste, et de cette qualité, ait entrepris cette humble tache et ne l’ait point jugée indigne de son talent. Une pareille modestie est singulière. Heureux temps où l’orgueil, cette plante vénéneuse, n’habitait pas le coeur des hommes !

Donc, Nicolas Bellot exécuta l’ouvrage commandé avec autant de conscience que d’habileté. Les officiers municipaux louèrent sa dextérité et son adresse. Et pour ses peines et vacations, comme ils dirent, ils lui comptèrent cent-quarante beaux francs en monnaie de Lorraine.

C’est que Nicolas Bellot avait accompli des merveilles. Il avait peint la « montre du Grand Rualménil » et l’avait enrichie d’azur et d’or, « n’y ayant rien épargné pour résister à l’injure du temps ». Les lettres du cadran extérieur ou du Petit Rualménil avaient été dorées pareillement et entourées d’un cercle d’or. Ainsi l’horloge de Rualménil était resplendissante.

Mais, comme la beauté ne fait pas la vertu, les plus belles horloges ne sont pas les plus exactes. Tout ornée qu’elle était, l’horloge de Rualménil avançait ou retardait, mais ne marquait jamais l’heure véritable. En quoi elle ne se distinguait point des autres horloges publiques. Le peuple d’Epinal, philosophe et malin, s’en était vengé en l’appelant « le Boudiou », d’un mot patois qui signifie menteur.

Et la Porte de Rualménil devint de la sorte, à une époque qui n’est point connue, la Porte du Boudiou. C’est sous ce nom, ou mieux ce sobriquet, qu’elle a vécu dans le souvenir des Spinaliens.

Par leur position, la Porte et la tour de Rualménil formaient l’entrée principale de la ville et la clef de son enceinte. La Porte s’ouvrait sur le Petit Rualménil qui était, à vrai dire, le carrefour des grandes voies de Lorraine, des routes de Nancy, de Mirecourt, de Plombières et de la Franche-Comté.

Au sud, du côté de l’amont, on entrait dans la ville par la Porte d’Arches. Au nord et vers l’aval, la ville avait une double issue par la Porte du Moulin et par la Porte plus forte de la Fontaine, où aboutissait la route de Rambervillers. A l’Est, l’enceinte n’avait point d’ouverture et le château, comme une boucle inviolable, fermait de ce côté la ceinture de murailles qui étreignait la ville. Enfin, à l’Ouest, s’élevaient, baignées par la Moselle, les deux tours massives de la Porte du Grand-Pont.

Là, était l’entrée véritable de la grande ville, d’Epinal ou du grand Bourg comme on disait. Mais on n’arrivait au Grand Bourg qu’en passant la Moselle sur le grand pont et d’abord en traversant Rualménil. En façon que la Porte du Petit-Pont était, pour tout dire, la Porte d’Épinal.

Ainsi s’expliquent l’importance singulière de la Porte du Boudiou et sa glorieuse fortune.

En vérité, les ennemis d’Épinal dédaignaient pour l’ordinaire le poste avancé de Rualménil. Ils conduisaient leurs troupes et leurs canons sur la rive droite de la Moselle. Et, des collines prochaines, ils attaquaient de préférence la ville même et le Château, centre de la résistance. C’est pourquoi l’histoire de la tour est plutôt pacifique.

Mais le Petit-Pont, le petit pont de bois à l’apparence modeste, aux frêles proportions, fut souvent le témoin, si j’ose dire, de grandes choses et d’événements mémorables. Je songe avec admiration aux princes magnifiques et aux nobles cortèges qu’il a vus défiler.

Il a vu en l’année 1422, l’armée lorraine et son chef le duc Charles Il éconduits par les bourgeois, qui ne firent cas des ordres de leur seigneur Conrad, évêque de Metz, et n’ouvrirent point leurs Portes.

Il a vu, en 1444, le roy de France Charles II faire dans la cité, qu’il unissait à sa couronne, une entrée solennelle. Dès lors, l’écu de France, aux trois fleurs de lys d’or sur champ d’azur, fleurit sur le mur extérieur de la tour.

Il a vu les envoyés du Maréchal de Bourgogne, Thiébaut de Neufchatel, pressant les Spinaliens de leur faire ouverture, ordonnant et priant à demi, et les bourgeois, obstinés et narquois, souriant du haut de la courtine et tenant leurs portes closes.

Il a vu, en 1465, le gentil prince Nicolas venant au milieu des acclamations et de la joie du peuple recevoir la foi et l’hommage de la ville qui s’était, avec allégresse, donnée à son père le duc Antoine. Et de ce temps, les armes de Lorraine, accostées de la Tour d’argent sur champ écarlate, remplacèrent l’écu royal et éclatèrent en la face de la tour.

Il a vu les bons Ducs de Lorraine et les belles Duchesses, Henri II et Catherine de Bourbon, Charles IV et Béatrix de Cusance visitant leur ville fidèle quand ils se rendaient, chaque année, à Plombières. Les gouverneurs et les conseillers dans leurs plus beaux atours, les arquebusiers en armes, les ménestrels, les bourgeois déférents et heureux les attendaient à la Porte et les accueillaient avec cérémonie. Et les Ducs menaient, par les rues parées de guirlandes et de pavois, leur cortège triomphal.

Hélas, le Petit-Pont a vu Charles IV poursuivi et traqué se jeter dans la ville comme un fugitif, comme un gibier aux abois. Puis, à quelque temps de là, les soldats de Créqui sont venus sur la colline voisine où s’élevait le couvent des Capucins. Ses canons ont bombardé la ville et le Château et brisé leur résistance. Ainsi le Petit-Pont, comme le reste de la ville, est devenu français.

Ce long passé d’histoire donnait à l’antique Porte du Boudiou le droit de vivre. Un jour, l’horloge, qui marquait la fuite des heures, sonna la mort de la Tour. La Némésis des dieux, jalouse de sa fortune, la guettait dans l’ombre.

En l’année 1840, elle inspira au Conseil de la ville une résolution fatale. A la vérité, les conseils municipaux ne sont pas toujours formés d’artistes et de poètes. Le Conseil de 1840 était rempli de barbarie. Le 21 du mois d’octobre, il prit cette délibération à jamais détestable.

La tour, chargée d’années et caduque, menaçait ruine. Les hommes pieux, amis des souvenirs et qui d’ailleurs inclinent aux moyens raisonnables, l’eussent consolidée, sans plus. Et la tour aurait continué de vivre.

Les édiles de 1840 en décidèrent autrement. « Considérant, dirent-ils, que l’inconvénient qui résultera pour les habitants de la Petite Ville d’être privés d’horloge pendant quelque temps ne saurait balancer les conséquences désastreuses qui pourraient résulter de l’écroulement de la tour… ».

On ne saurait mieux penser ni mieux dire. Sans doute le peuple de Rualménil préférait régler sa vie sur le soleil, plutôt que de s’ensevelir sous les pierres et les décombres. Il faut avouer que ces conseillers concevaient
des idées d’une belle simplicité et qu’ils les exprimaient avec force.

Sur quoi, le Conseil décida que la vieille tour serait démolie sans retard. Et dans le fait, elle fut détruite au bout de peu de jours. Ce fut un crime contre la tradition.

Au temps de Hadès, les âmes des conseillers eussent erré, après leur mort, sur les bords du Styx, le long des berges brumeuses, parmi les asphodèles et les arbres stériles. Et c’eut été leur châtiment éternel de se lamenter dans la triste nuit.

Et cependant il s’en fallut de cela que l’acte irréparable ne fût point consommé et que la Porte du Boudiou demeurât entourée de nos égards pieux.

Dans le courant de l’année 1840, le comte de Montalivet, ancien ministre de Louis-Philippe, passa par Epinal, se rendant à Plombières, où il allait prendre les eaux. Il gîta en l’hôtel de l’ancienne Poste qui était situé en face de la Porte du Boudiou. Il ne laissa point de remarquer celle-ci, car il avait le goût des choses de l’art et de l’histoire. Il l’a bien montré en créant le musée de Versailles et en enrichissant les collections du Louvre.

Il examina la tour avec le soin et la joie d’un connaisseur qui tâte avec amour le grain d’une belle statue, d’un poète qui respire une fleur du passé. Il résolut au-dedans de soi de prendre, dès son retour à Paris, les mesures d’usage pour assurer la conservation de la porte historique. Quand il repassa par Epinal, la Porte n’était plus.

M. de Montalivet en eut beaucoup de dépit. Il s’en plaignit amèrement au Préfet.

C’est l’avantage de la hiérarchie, que tout fonctionnaire peut déverser sur un subordonné, le flux des reproches qu’il reçoit d’en haut. Ce système de cascade administrative est profitable. Il disperse les responsabilités au point de les anéantir. C’est de plus un précieux onguent pour panser les blessures de la vanité humaine.

C’est pourquoi le préfet manda le chef de division responsable, et lui transmit le blâme du ministre. Il l’accusa avec aigreur, de ne lui avoir point soumis la délibération du Conseil municipal. Nul doute qu’il ne l’eût point approuvée.

Ce chef de division était un ancien soldat de l’Empire. Il avait combattu dans vingt batailles rangées. Il avait entendu siffler les balles et gronder le canon. Il avait vu l’Empereur.

La réprimande d’un préfet ne pouvait l’émouvoir. Il ne se troubla point. Et, gardant la même sérénité que quand il essuyait sans broncher le feu des Kaiserlicks, il répondit simplement, avec une franchise et une rondeur militaires : « M. le Préfet, la délibération du Conseil vous a été soumise comme les autres. Et vous l’avez signée, comme les autres ».

Le Préfet ne répliqua point à ces paroles pleines de vérité et de philosophie. Hélas la vieille tour était détruite et détruite pour toujours. Car la mort des choses, comme la mort des êtres, est éternelle.

La chasse infernale de Hugues de Gombervaux

Le château de Gombervaux

 

D’après un texte paru dans “Le pays lorrain” en 1912

Autrefois, il y a bien longtemps de cela, le château de Gombervaux dressait fièrement son donjon flanqué de quatre tours au bord d’un plateau tourné vers le sud et dont la pente abrupte dévalait vers Vaucouleurs.

Le comte Hugues en était seigneur et maître. C’était un homme de haute taille, aux traits rudes, à la mine altière, à la main lourde. Les vilains tremblaient en sa présence pour peu que sa voix vint à s’enfler. Il avait cependant bon cœur, mais cette précieuse qualité était en grande partie gâtée par une impétuosité et une violence naturelles que rien ne pouvait arrêter. Il se laissait alors aller au gré de ses passions et ses colères étaient terribles.

Il chérissait tendrement sa femme, une demoiselle de noble maison qu’il avait épousée depuis peu. Dame Harlette, ainsi se nommait-elle, était toute mignonne. Ses traits étaient fins et délicats, ses yeux bleus étaient profonds et rêveurs et ses cheveux blonds encadraient de leurs boucles soyeuses une figure toujours souriante bien qu’un peu pâle, sous son hennin garni de dentelles. Elle était de petite taille, aussi paraissait-elle une enfant près de son gigantesque époux. On la savait bonne et compatissante aux misères des pauvres gens. Aussi pas une âme qui ne bénit son nom dans les chaumières du voisinage.

Dès que venait le printemps, sur sa haquenée isabelle, elle allait à travers champs, le long des blés verts, l’aumônière à la ceinture, visitant les manants et laissant çà et là avec de douces paroles qui mettaient du baume dans l’âme, quelque menue monnaie.

Elle excellait aussi à fabriquer de ses blanches mains des onguents et autres remèdes souverains pour toutes sortes de blessures et maladies. Sa présence égayait jusqu’aux salles sombres et tristes du manoir qui n’entendaient le plus souvent que les propos grossiers des gens d’armes.

Le comte Hugues avait à son service un intendant nommé Siegfried, que ses compagnons avaient surnommé « Tête de Loup », à cause de sa mâchoire qu’il avait saillante et garnie de dents longues et pointues, ce qui en vérité le faisait assez ressembler à l’animal dont on lui avait donné le nom.

Quand le maître était absent, Siegfried commandait au château. Outre qu’il était laid, c’était bien l’être le plus vil et le plus hypocrite que l’on put voir. Il ne cherchait qu’à satisfaire ses appétits bas et grossiers et ne reculait devant rien pour arriver à ses fins.

Charmé par les grâces de sa maîtresse, il conçut le dessein de la séduire, mais dame Harlette, qui avait son mari en grand respect et grande amitié, repoussa avec colère et mépris les avances de Siegfried. L’intendant tout honteux de sa défaite, redoutant la colère de son seigneur, sollicita son pardon et demanda à ce que le comte ne fut pas instruit de son équipée. La bonne dame lui accorda ce qu’il désirait. Siegfried se retira un sourire de reconnaissance aux lèvres, mais la rage au cœur et il promit de se venger.

Un jour, le comte Hugues de retour au château après une assez longue absence, entra dans une violente colère. On avait trouvé assassiné, le matin même, un homme d’arme qu’il affectionnait tout particulièrement, et qu’il mettait toujours de garde au pont-levis. Sa fureur ne connut plus de bornes quand son intendant survenant lui annonça d’un air hypocrite qu’il avait vu lui-même, à l’aube, un inconnu sortir par la fenêtre de l’appartement de dame Harlette, puis descendre dans la cour à l’aide d’une longue corde fixée à l’appui de la dite fenêtre. D’ailleurs le mur portait encore toutes fraîches des traces d’escalade.

Sans chercher à éclaircir cette étrange aventure, comme une bête fauve, en proie à une fureur inexprimable, il se précipita dans la chambre de dame Harlette, et sans explication, le comte la saisit brutalement, meurtrissant son poignet mignon, et la jeta rudement à terre. Puis, le cœur mordu par le démon de la jalousie, il fouilla les coffres, jeta leur contenu au milieu de la salle, arracha les draperies et brisa quantité de menues et jolies choses.

Tout à coup, il poussa un cri terrible, il venait de découvrir derrière le lit massif une toque de velours grenat ornée d’une plume verte qu’il n’avait jamais vu céans et qui ne pouvait appartenir qu’à un étranger.

Certain maintenant de la culpabilité de sa femme, il ordonna à ses soldats d’enchaîner la pauvre dame, qui toute meurtrie et toute suffoquée de peur devant cette violence qu’elle ne comprenait pas, était demeurée évanouie sur le parquet. Puis une idée atroce lui vint à l’esprit. « Qu’on apporte une tonne garnie de clous », cria t’il.

L’intendant Siegfried devinant les intentions de son maître se chargea de faire exécuter les ordres. Il descendit aux celliers, choisit une tonne vide et résistante, fit enfoncer dans les douves des clous qu’il choisit longs et acérés, de telle sorte que les pointes après avoir traversé le bois ressortissent de l’autre coté, puis cela fait, il fit ôter un des fonds. Satisfait, il fit conduire la tonne au dehors du château, au bord de la pente dévalant vers Vaucouleurs. Des soldats portaient le corps toujours inanimé de dame Harlette. La pauvre femme fut introduite dans l’instrument de son supplice, après quoi, à grand coup de marteau, fond ôté fut replacé.

Le comte Hugues regardait ces opérations d’un air sombre et impatient. Il restait sourd aux supplications de ses hommes d’armes et aux prières des paysans qui accouraient de toutes parts pour implorer le pardon de leur seigneur. C’était grand’pitié de les voir, les pauvres gens, tous à genoux, remplissant l’air de leurs lamentations.

Quand tout fut terminé, le comte fit un signe, la tonne fut amenée au bord de la pente, et l’intendant Siegfried lui-même la poussa d’un vigoureux coup de pied. Elle se mit à dévaler la côte avec une rapidité vertigineuse et un bruit formidable, roulant et rebondissant sur les cailloux, brisant tout sur son passage. Enfin elle vint s’écraser sur des roches situées au bas de la pente et qui s’émiettèrent sous le choc.

La foule des manants, accablée de douleur à la vue de ce supplice atroce, se précipita pour ensevelir au moins décemment les chers restes de leur bienfaitrice, qu’ils devinaient innocente et sans reproche. Quand ils arrivèrent en bas de la descente, ils retrouvèrent la tonne en mille pièces, mais de cadavre point. Seulement ils aperçurent, sortant des débris, une mignonne souris blanche qui trottinait si doucement, si gentiment au milieu d’eux qu’on aurait cru qu’elle s’y trouvait en sûreté. Cependant elle finit par pénétrer dans une fissure du sol, de laquelle on vit bientôt jaillir une source abondante et limpide.

Le comte Hugues rentra en son château, et durant de longs jours, il s’y tint enfermé. Il allait, sombre et muet, par les longs corridors. Souvent, à une heure avancée de la nuit, on entendait encore son pas pesant résonner sur le parquet de la haute salle du donjon. Le comte Hugues ne pouvait dormir.

Comme il avait profondément aimé sa femme – et, Dieu sait ! peut-être l’aimait-il encore ? – sa colère tomba peu à peu pour faire place à une profonde tristesse. Il en vint à se demander s’il n’avait pas agi trop précipitamment, et surtout trop cruellement, et peu à peu le regret de son action se changea en un cuisant remord. Même il finit par éprouver une sourde rancune contre son intendant, lui reprochant de s’être prêté trop complaisamment au supplice de dame Harlette.

Un soir après toute une journée passée ainsi à songer dans son appartement, le comte était monté sur la plate-forme du donjon, afin de rafraîchir se tête brûlante à la brise montant de la vallée, quand il s’aperçut d’une chose qui le fit frissonner d’épouvante. Il lui sembla que son castel s’affaissait peu à peu, comme si une main invisible mais puissante, l’eut entraîné vers quelque gouffre sans fond.

Autrefois, du haut de la maîtresse tour, la vue s’étendait au loin vers la rivière de Meuse, jusqu’à Maxey, jusqu’à Montbras, dont on apercevait distinctement les tourelles aux toits d’ardoises, et voici qu’à présent il voyait à peine Vaucouleurs, dont moins d’une demi-lieue le séparait.

Le comte Hugues pâlit. Il comprit qu’il avait du commettre quelque crime énorme pour que le châtiment survint ainsi, terrible autant que mystérieux.

Déjà, l’histoire de la souris blanche sortie de la tonne, ainsi que celle de la source miraculeuse, l’avaient rempli de trouble et d’étonnement. Et, plus que jamais, le comte regretta son crime, ses cheveux blanchirent et son castel continua de s’enfoncer vers un abîme insondable. Les bords du plateau formaient à présent comme une énorme barrière autour du château, qui paraissait bâti au fond d’une gigantesque cuvette. Du haut du donjon, on ne voyait plus que les pentes raides et arides qui en formaient les bords et un peu de ciel bleu.

Depuis ce jour, un air de tristesse et de mort sembla répandu dans tous les coins du manoir. Les soldats, consternés et remplis d’épouvante, ne chantaient et ne riaient plus. Les paysans, qui avaient perdu leur bienfaitrice et qui croyaient le château maudit ne passaient plus le pont-levis. Seul, l’intendant Siegfried, qui savourait sa vengeance, avait conservé sa bonne humeur.

Un jour n’y tenant plus, étant plus que jamais en proie aux reproches de sa conscience, il voulut à tout prix éclaircir les faits qui avaient été cause de la morte de dame Harlette. Il fit venir l’intendant, ainsi que plusieurs soldats, écouta les uns et les autres et ne tarda pas à s’apercevoir que Siegfried lui cachait la vérité. Il eut un soupçon, et le misérable, pressé par le comte, ne tarda pas à avouer que c’était lui-même qui s’était introduit dans l’appartement de dame Harlette, y avait caché la toque compromettante, puis en était sorti par une fenêtre, tuant le soldat de garde qui était accouru au bruit.

Le comte Hugues n’en écouta pas d’avantage, il saisit sa lourde épée et d’un seul coup trancha la tête de l’intendant, qui s’était jeté à genoux pour implorer son pardon. Au même instant, un énorme loup que nul n’avait vu entrer, sortit en bondissant, et traversant comme une flèche le pont-levis, au milieu des soldats ahuris, gagna la forêt toute proche en poussant de longs hurlements.

A partir de ce jour, le comte fut plus triste que jamais. Bien qu’il fut à la fleur de l’âge, ses cheveux blanchirent et son corps se voûta comme celui d’un vieillard. Il songeait sans cesse à dame Harlette, qui lui fut si bonne, si fidèle et qu’il fit si cruellement périr. Son amour pour sa femme se raviva sous le poids du remord, il fit bâtir une chapelle à l’endroit où se brisa la tonne maudite, et tous les jours, il y vint prier. L’appartement de sa femme demeura clos, lui seul y pénétrait. Il le fit remettre dans l’état où il se trouvait du vivant de dame Harlette, et il se prit à y passer la plus grande partie de ses journées.

Cependant le manoir s’enfonçait toujours, d’une façon lente, mais continue. Quand on arrivait sur le plateau, le sommet du donjon permettait seul de soupçonner l’existence du castel qui se dressait autrefois si orgueilleusement.

Le comte, auparavant si fier du manoir de ses pères, en était fort chagrin. Souvent la nuit, quand il ne pouvait reposer, il montait sur la plate-forme du donjon, et de sentir toute proche la fin de son beau castel, de grosses larmes glissaient sur ses rudes moustaches.

Maudissant sa triste destinée, le comte Hugues passait ainsi la majeur partie de ses nuits à se promener au haut de la maîtresse tour, et chaque fois, lorsque minuit sonnait, il apercevait sur le bord du fossé, en face de lui, deux points lumineux qui brillaient dans l’obscurité comme deux charbons ardents. Si la lune masquée par un nuage se montrait soudain, il voyait assis sur son arrière-train un grand loup d’une taille peu commune et qui ressemblait fort à celui qui s’était échappé du château le jour de la mort de l’intendant.

La présence de la bête fauve, toujours à cette même heure de le nuit, lui fut d’abord indifférente, rien de pouvant le distraire de ses pensées, mais la persistance de la bête, son air de défi, finirent par l’intriguer, puis pas l’exaspérer, à tel point qu’il se résolut à lui donner la chasse.

A minuit, alors qu’il faisait grande lune, il sortit du château, monté sur son meilleur coursier, à la tête de ses plus habiles compagnons, armés d’épieux et d’arbalètes, escortés de grands chiens lévriers, rapides comme le vent et féroces comme des loups. La petite troupe gravit la pente, de l’autre coté de la douve, déboucha sur le plateau et se trouva face à face avec la bête.

C’était un loup de taille gigantesque et de terrible aspect : ses yeux brillaient comme des escarboucles. Ses dents aiguës et blanches avaient bien un pouce. Ses oreilles, longues et un peu recourbées vers l’arrière, ressemblaient à deux cornes. Ses pattes, hautes et musclées, étaient garnies de griffes d’une longueur démesurée. En outre, il avait sous la mâchoire une étrange petite barbiche qui flottait à la brise nocturne. Tous étaient braves chasseurs, mais il n’en fut pas un qui ne sentit frissonner à la vue de cette bête extraordinaire. A l’approche des cavaliers, elle se leva doucement et, sans se presser, partit au petit trop dans la direction de la forêt.

Alors la chasse commença : sous la morsure des éperons, les chevaux, à bride abattue, volèrent sur les traces de l’animal, précédés par la meute des lévriers qui bondissaient autour de la bête féroce. Ce fut une étrange chevauchée.

Comme une trombe, bêtes et cavaliers s’engouffrèrent dans la forêt. Les arbres et les buissons paraissaient s’effacer devant eux pour leur livrer passage. Des forêts inconnues, des champs, des landes, puis des forêts encore défilèrent, traversés à folle allure, sans que la poursuite parut se ralentir. Les chevaux ne semblaient éprouver aucune fatigue, bien qu’il fussent couvert d’écume, et les cavaliers courbés sur l’encolure, l’épieu à la main, demeuraient muets et farouches. A quelques toises en avant, la bête, jamais lasse, entourée des lévriers qu’elle maintenait à distance, bondissait droit devant elle.

C’était comme un ouragan qui courait à travers la forêt endormie. Parfois une flèche lancée par l’un des chasseurs partait dans un long sifflement, mais sa pointe acérée n’avait pas de prise sur l’animal, le trait tombait à terre et la bête repartait de plus belle.

Et la chasse continua, furieuse, acharnée, sans que rien ne vint l’arrêter. Elle était si rapide qu’on ne pouvait rien distinguer, sinon une grande rumeur, quelque chose comme un grondement de tonnerre accompagné d’un tourbillon de poussière, puis une plainte vague qui se mourait dans les profondeurs des bois, puis plus rien, sinon un dernier souffle d’air qui faisait frissonner les feuilles. A ce moment, les oiseaux se taisaient, les bêtes sauvages se terraient dans leur repaires ; malheur à qui se trouvait sur le passage de la chasse infernale : on n’en retrouvait miette.

Combien de temps dura cette étrange chevauchée ? Nul ne le saurait dire. Après avoir été, croit-on, jusqu’aux confins de la forêt d’Ardennes, elle se poursuivit en Allemagne, puis, redescendant la vallée du Rhin et les sombres massifs des Vosges, elle revint vers les marches de la Lorraine et de Champagne. Et, après bien des jours et des nuits d’une course enragée, la troupe du comte Hugues déboucha un certain soir, au crépuscule, dans les bois de Gombervaux, toujours chassant devant elle la bête mystérieuse et infatigable.

Le comte arriva près de son manoir qu’il n’avait vu depuis de longues années. Il l’aperçut tout blanc au clair de lune, mais déjà à demi ruiné, au fond d’une combe étroite et solitaire. Ce fut pour lui grande douleur de voir son castel en cet état. Puis il passa près de la fontaine miraculeuse et, au souvenir de sa dame bien-aimée qu’il avait fait trépasser injustement de si méchante façon , il sentit son cœur mollir et de grosses larmes de repentir coulèrent le long de ses joues amaigries. Il descendit de cheval, se baigna le visage d’eau transparente, puis pria bien dévotement sur les marches de la chapelle qu’il avait autrefois fait édifier.

Mais comme le comte remontait à cheval et rejoignait à toute vitesse la chasse qu’on entendait au loin gronder à travers bois, il ne vit pas la porte de la chapelle s’ouvrir toute grande pour livrer passage à une forme indécise, dont le visage et le corps étaient couverts de voiles blancs, mais dont les longs cheveux blonds flottaient épars sur les épaules.

Cette mystérieuse apparition tenait, d’une main, un épieu à la pointe longue et acérée, et de l’autre, elle conduisait un destrier revêtu de housses blanches, sur lequel elle sauta légèrement. Comme s’il avait eu des ailes, en quelques minutes d’une course rapide et silencieuse, le coursier mystérieux amena son maître aux cotés du comte qui avait repris sa place en tête de la troupe des chasseurs. Hugues ne s’aperçut pas de la présence d’un nouveau compagnon, tout occupé qu’il était à placer une nouvelle flèche dans son arbalète. Il banda la corde et le trait partit en sifflant.

Mais cette fois, la bête, touchée, s’arrêta net en poussant un hurlement terrible et, faisant face aux chasseurs et aux chiens, d’un bond énorme elle se précipita sur le comte et lui planta ses crocs dans la gorge. Alors la forme blanche leva l’épieu qu’elle avait en main et en toucha l’animal qui tomba raide mort.

Quant au comte, il était tombé lourdement à terre, près de la bête, pendant que les chasseurs restaient immobiles sur leurs chevaux. On vit alors le mystérieux personnage écarter les voiles qui cachaient son visage, et tous reconnurent dame Harlette.

Elle descendit de cheval, souleva avec précaution la tête du comte, dont les yeux grands ouverts exprimaient en même temps l’effroi et l’amour, puis, doucement, bien doucement, la bonne dame, se penchant sur lui déposa à plusieurs reprises sur son front pali le baiser du pardon. Puis, les yeux du comte se fermèrent pour toujours et il rendit l’âme à Dieu, en poussant un grand soupir. Quant aux homme d’armes, fidèles compagnons de leur maître, ils avaient vieilli, sans soute, durant cette chasse interminable, car, tout d’un coup, homme, chevaux et lévriers s’écroulèrent pêle-mêle, avec un affreux bruit d’os froissés et de ferrailles heurtés.

Jean-Louis, le bûcheron, témoin de cette scène horrible, l’a raconté ainsi depuis à maints compagnons du pays de Void. Quand à noble dame Harlette – Jean-Louis l’a bien vu aussi – elle est remontée sur son destrier et, ayant en croupe le corps du comte Hugues de Gombervaux, son mari, elle disparut ans le brouillard opaque qui s’était formé en quelques instants.

Depuis ce jour, nul n’a plus jamais entendu parler d’eux : la chasse du comte Hugues était terminée. Et depuis ce jour aussi, le château de Gombervaux a cessé de s’enfoncer vers l’abîme : le pardon était venu effacer la faute, sous le forme d’un baiser.

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