L’évêché de Verdun (3)
D’après un article écrit par l’Abbé Gabriel, aumônier du collège de Verdun
Publié dans la « Revue de la Société des études historiques » – Année 1886
Le diplôme impérial de 1156, enfin, énumère quelques terres, abbayes et châteaux-forts, qui font partie du temporel de l’Évêché-Comté de Verdun. Nous ne parlerons que des châteaux-forts.
Valdentiam castrum
Ce château de Valdens, avec quatre ou cinq villages qui dépendaient de cette seigneurie, était situé sur la Moselle à 8 lieues au-dessous de Trêves. Il était inféodé à de puissants seigneurs du pays. Mais l’Évêque de Verdun pouvait y entrer qu’il fût ou non, en guerre « in guerram sive extra guerram ». Et s’il arrive que ledit Évêque ait guerre, il use de la forteresse comme étant sienne et le Comte de Valdens qui est son homme-lige, après avoir mis le château et toutes ses munitions à la disposition de l’Évêque, est tenu de l’aider contre ses ennemis, de tout son pouvoir. L’Évêque pourra aussi tenir sa cour épiscopale dans ce château.
Castrum Deus-Levard
Le château de Dieulouard, sur la Moselle, non loin de Pont-à-Mousson, du côté de Nancy, tout près de l’ancienne ville Gallo-Romaine de Scarponne. Dans certains actes latins, on le nomme aussi Dei custodia, à la garde de Dieu ou bien Dieu le warde, Dieu le garde. Le château et la seigneurie de Dieulouard, dépendance de l’Evêché de Verdun, se trouvaient en pleine Lorraine, et ne pouvaient être que peu utiles à nos Évêques. Aussi, le plus souvent, étaient-ils engagés à des seigneurs lorrains, pour argent, ou secours d’armes fournis à l’Évêché.
Castrum Wentronis-Villa
Le château de Watronville, à l’Est, près de Verdun, sur une hauteur escarpée de la chaîne de montagnes que nous appelons les Côtes, et que la géographie moderne nomme l’Argonne orientale. Cette chaîne sépare la plaine de Woëvre de la vallée de la Meuse. Il est souvent question de la forteresse de Watronville dans notre histoire. Le seigneur de Watronville était Baron-Pair de l’Évêché de Verdun. Il reste quelques pans de murailles de l’ancien château-fort.
Viennam-castrum
A l’extrémité sud des montagnes de l’Argonne, entre Beaulieu et Passavent, s’ouvre une très étroite vallée. Elle court du sud au Nord, comme le massif argonnais, qu’elle coupe en deux dans le sens de sa longueur, et dont elle fait une double chaîne. Sur les deux côtés de la vallée, autrefois célèbre par ses gentilshommes verriers, les flancs de la montagne sont tellement à pic qu’il semble qu’on a de chaque côté une muraille boisée.
Au fond, coule un petit ruisseau autrefois canalisé : c’est la Biesme, qui sort d’étangs cachés sous bois, et qui servaient autrefois de limites entre les terres de France et d’Empire. La longueur de cette vallée est d’à peu près une demi-journée de marche.
A mi-chemin, elle bifurque et jette, sur sa droite, un rameau qui perce l’épaisseur de la montagne du côté de Verdun : c’est le défilé de Clermont. Puis elle va elle-même, en obliquant un peu à gauche, aboutir aux plaines de la Champagne, après avoir à son tour, percé la montagne de ce côté.
C’est au débouché de la vallée de la Biesme, sur la Champagne, que se trouve Vienne-Le-Château. Milon de Vienne parait et signe aux assises tenues à Verdun par Godefroy le Barbu en 1062… Jefride de Vienne signe l’acte de garde de Beaulieu en 1172. Enfin nous avons pour Vienne, les lettres de foi et hommage, de « Jehans de Bar, chevaliers, frère de Henry cuens de Bar, à Monsignour Jake, par la grâce de Dieu, eveske de Verdun », dont il se dit « être devenu hom liges, devant hommes ». Cet acte est de 1294.
Claro-montem castrum
Le rameau long de 4 000 pas, que la vallée de la Biesme jette sur sa droite et dont nous venons de parler, était aussi fermé, à son débouché sur Verdun, par une forteresse importante, plantée au sommet d’une montagne escarpée, et dominant au loin la plaine où coule l’Aire.
C’est Clermont, qui était une bonne position pour les pillars. Clermont fut prise par Thierry, inféodé au comte Renaud le Borgne, de Bar, pour compensation de la suppression de son titre de Voué de l’Evêché, en 1138 ou 1140.
Dunum castrum
Le château de Dun ne parait pas avoir été primitivement du Comté de Verdun. Il était du Comté de Dormois, enclavé dans le Verdunois, « in comitatu Dulcominsi » dit une charte de 1065. Ce fut l’évêque Thierry, qui s’en empara en 1064. Othon III ne l’avait pas mentionnée comme forteresse épiscopale.
Dun, château très fort, avait appartenu d’abord aux comtes de Dormois, dont le village de Doulcon, tout près de Dun, était la petite capitale. Passa à la maison d’Ardenne vers 980. Fut conquis par l’évêque Thierry inféodé aux d’Apremont qui le possédèrent pendant près de 250 ans. Puis, en 1317, possédé par Bar, jusque 1640. Cédé à la France et par la France aux Condé.
Mireuval castrum
Ce château de Mureau, à l’extrémité nord-est du comté de Verdun, était situé sur une montagne très élevée, et ayant à peu près 1 000 pas de long. Sa position le rendait presque inaccessible.
C’était une avant-garde contre les terres luxembourgeoises dont faisait partie la forteresse de Damvillers, qui se trouvait presque à ses pieds, au couchant. Mureau avait été donné à l’évêque Thierry par la grande marchise Mathilde. Il n’était pas non plus fait mention de Mureau dans le diplôme d’Othon III. Le possesseur du fief de Mureau était Baron-Pair de l’Évêché.
Aujourd’hui, le château est complètement démoli, il n’en reste plus le moindre vestige. Il ne reste au bas de la montagne qu’une ferme et une maison de maître qui a conservé son nom. Cette maison, dit-on, a appartenu au fameux Latude qui, entre ses évasions de la Bastille, demeura caché dans les bois voisins, où sa femme, chaque jour, lui apportait sa nourriture.
Hattonis castrum
Le château d’Hattonchâtel était la plus ancienne et l’une des principales forteresses de l’Évêché. Il doit son nom à l’évêque Hatton (de 859 à 870).
Placé sur un promontoire de la même chaîne des Côtes, que le château de Watronville, mais à 25 kilomètres au sud-est, Hattonchâtel domine, de plus haut et plus au loin, les vastes plaines de la Woëvre qui se déroulent à ses pieds, de droite et de gauche. De là, la vue s’étend presque jusqu’à Metz.
Aujourd’hui, le château a disparu. Quelques pans de muraille, cachés dans des constructions modernes, en gardent seuls le souvenir. Mais le beau village qui s’est formé autour du château reste sur sa montagne.
Hattonchâtel resta aux évêques de Verdun jusque 1550, époque où il fut cédé aux Lorrains par Nicolas Psaulme. Fut érigé en marquisat pour un prince de cette famille, et réuni la France en même temps que la Lorraine.
Sampiniacum castrum
Le château de Sampigny, sur la Meuse, aux frontières sud de Verdun, près de la principauté de Commercy. Ce domaine fut donné à l’évêque Saint-Airy, par le roi Childebert Il. Les successeurs de Saint-Airy firent fortifier cette position, parce qu’elle pouvait défendre de ce côté l’entrée des terres de l’Évêché. Elle était dans la vallée, c’est vrai, mais les eaux de la Meuse, qui inondaient ses fossés, en rendaient l’accès difficile.
La forteresse de Sampigny ne consistait pas seulement dans le château. Mais la ville elle-même, car au moyen-âge, on pouvait donner le nom de ville à cette localité, la ville elle-même était entourée de hautes et épaisses murailles, qui ont soutenu plusieurs sièges. Il ne reste absolument rien des anciennes fortifications.
Septiniacum
C’est la ville de Stenay. Jamais nom de ville n’a subi autant de changements. Stenay, du diocèse de Reims, a une histoire intéressante. Cette ville était possédée en alleu par la maison d’Ardenne.
Elle fut encore conquise par l’évêque Thierry-le-Grand, et réunie à l’Évêché par donation impériale, en 1086. Par conséquent, le diplôme de 990 n’en parle pas. La ville et forteresse de Stenay ne resta pas longtemps à Verdun. L’évêque Richard de Grandpré l’engagea à Luxembourg. Rachetée, elle fut cédée par l’évêque Henry de Winchester à Renaud le Borgne du Barrois, elle passa à la Lorraine et de la Lorraine à la-France, en 1640. Elle soutint plusieurs sièges fameux.
Ce sont là, les principales forteresses qui défendaient le Verdunois au XIe siècle. On remarquera que deux d’entre elles sont hors de ses limites : Valdens et Dieulouard.
A cette époque de guerres continuelles, non seulement de princes à princes, mais encore de petits seigneurs à petits seigneurs, il était peut-être avantageux d’avoir ainsi un pied chez l’ennemi. Dieulouard fut souvent un ennui pour les Lorrains, tout comme Damvillers souvent aussi, fut une gêne pour Verdun. Baleycourt même, dont les bourgeois s’emparèrent en 1419 et qu’ils gardèrent depuis, était une forteresse luxembourgeoise tournée contre Verdun, dont elle n’était éloignée que de 6 kilomètres.
Mais, outre ces châteaux, moyens redoutables d’attaque et de défense, il y avait aussi sans doute un certain nombre de maisons fortes, que s’étaient construites les divers seigneurs, dans les campagnes, afin de se mettre à l’abri d’un coup de main.
Le Diplôme impérial accorde aux Évêques l’autorisation d’élever d’autres châteaux forts, dans l’intérieur de leurs frontières, s’ils le jugent nécessaire à la sécurité de leur territoire.
Dans les années qui suivirent, surtout dans les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, au milieu de guerres continuelles qu’ils eurent à soutenir, soit contre les ducs de Bar, soit contre d’autres seigneurs, soit même contre les citains de Verdun, les Évêques usèrent de ce droit de souverain.
Woimbey, Tilly, Ambly, dans la vallée de Meuse, et Sommedieue dans la montagne, en amont de Verdun. Charny, Cumières, aussi sur les bords du fleuve, en aval. Bonzey, sous les côtes, à l’entrée de la Woëvre, et beaucoup d’autres villages eurent leurs forteresses à grosses tours et à hautes murailles.
Telle est l’origine officielle de la principauté séculière possédée pendant des siècles, par les Évêques de Verdun. Tels sont les droits réguliers que leur donnait cette souveraineté sur la Ville et sur le Comté de Verdun, droits qu’ils conservèrent, grandement amoindris, c’est vrai, jusqu’au règne de Louis XIII ou plutôt de Richelieu.
La réunion à la France de 1550 n’était, pour le dire en passant, qu’une occupation militaire de la ville de Verdun, par Henry II, à titre de protecteur.
Cependant, faisons remarquer encore une fois, que les Évêques ne prenaient pas le titre de Comtes. Ils ne sont même pas Comtes de Verdun dans le sens féodal, vrai, absolu du mot, ils en sont Souverains. Mais ils ont « dessoubs eulx un Comte comme leur officier ».
Ils ne prirent le titre de Comte, que quand ils commencèrent à perdre la puissance comtale. Et quand ils n’eurent plus l’autorité de prince, ils se qualifièrent de Princes du St Empire Romain. Ces titres honorifiques de Comtes et de Princes furent, jusqu’en 1790, pour les Evêques, des souvenirs lointains de grandeurs évanouies.
Ni le comte Frédérick, ni son frère Hermann, ne connurent peut-être jamais l’arrangement conclu à leur préjudice, ou au moins au préjudice de leur famille, entre l’empereur Othon III et le nouvel évêque de Verdun, Haymon.
L’évêque Haymon était du reste un esprit aussi conciliant qu’habile, attendant des circonstances et de l’avenir l’occasion de saisir en droit, sans commotions et sans troubles, un pouvoir qu’il possédait déjà en fait.
Il se garda bien de troubler Frédérick dans la jouissance apparente du Comté : seulement il en prit en mains le gouvernement réel. Il donna tous ses soins, soit à réparer les dommages causés à la Cité par les sièges récents qu’elle avait soutenus contre Lother de France, soit à ramener la paix et le calme dans le Verdunois troublé par les agissements des Français, à la suite du traité conclu par Godefroy-le-Captif.
L’Evêque gouvernait au nom du Comte, mais le peuple ne connut bientôt que l’Évêque.
Du reste, redisons-le encore, les deux frères, Frédérick et Hermann, étaient heureux de laisser à Haymon la gestion de la terre. Ils n’usaient de leur pouvoir que pour soulager, autant qu’il était en eux, les misères publiques. Ils n’employaient leurs biens qu’à faire des largesses aux pauvres, aux Églises et aux Abbayes, largesses dont les louent grandement les chroniqueurs de l’époque.