La chasse infernale de Hugues de Gombervaux

Le château de Gombervaux

 

D’après un texte paru dans “Le pays lorrain” en 1912

Autrefois, il y a bien longtemps de cela, le château de Gombervaux dressait fièrement son donjon flanqué de quatre tours au bord d’un plateau tourné vers le sud et dont la pente abrupte dévalait vers Vaucouleurs.

Le comte Hugues en était seigneur et maître. C’était un homme de haute taille, aux traits rudes, à la mine altière, à la main lourde. Les vilains tremblaient en sa présence pour peu que sa voix vint à s’enfler. Il avait cependant bon cœur, mais cette précieuse qualité était en grande partie gâtée par une impétuosité et une violence naturelles que rien ne pouvait arrêter. Il se laissait alors aller au gré de ses passions et ses colères étaient terribles.

Il chérissait tendrement sa femme, une demoiselle de noble maison qu’il avait épousée depuis peu. Dame Harlette, ainsi se nommait-elle, était toute mignonne. Ses traits étaient fins et délicats, ses yeux bleus étaient profonds et rêveurs et ses cheveux blonds encadraient de leurs boucles soyeuses une figure toujours souriante bien qu’un peu pâle, sous son hennin garni de dentelles. Elle était de petite taille, aussi paraissait-elle une enfant près de son gigantesque époux. On la savait bonne et compatissante aux misères des pauvres gens. Aussi pas une âme qui ne bénit son nom dans les chaumières du voisinage.

Dès que venait le printemps, sur sa haquenée isabelle, elle allait à travers champs, le long des blés verts, l’aumônière à la ceinture, visitant les manants et laissant çà et là avec de douces paroles qui mettaient du baume dans l’âme, quelque menue monnaie.

Elle excellait aussi à fabriquer de ses blanches mains des onguents et autres remèdes souverains pour toutes sortes de blessures et maladies. Sa présence égayait jusqu’aux salles sombres et tristes du manoir qui n’entendaient le plus souvent que les propos grossiers des gens d’armes.

Le comte Hugues avait à son service un intendant nommé Siegfried, que ses compagnons avaient surnommé « Tête de Loup », à cause de sa mâchoire qu’il avait saillante et garnie de dents longues et pointues, ce qui en vérité le faisait assez ressembler à l’animal dont on lui avait donné le nom.

Quand le maître était absent, Siegfried commandait au château. Outre qu’il était laid, c’était bien l’être le plus vil et le plus hypocrite que l’on put voir. Il ne cherchait qu’à satisfaire ses appétits bas et grossiers et ne reculait devant rien pour arriver à ses fins.

Charmé par les grâces de sa maîtresse, il conçut le dessein de la séduire, mais dame Harlette, qui avait son mari en grand respect et grande amitié, repoussa avec colère et mépris les avances de Siegfried. L’intendant tout honteux de sa défaite, redoutant la colère de son seigneur, sollicita son pardon et demanda à ce que le comte ne fut pas instruit de son équipée. La bonne dame lui accorda ce qu’il désirait. Siegfried se retira un sourire de reconnaissance aux lèvres, mais la rage au cœur et il promit de se venger.

Un jour, le comte Hugues de retour au château après une assez longue absence, entra dans une violente colère. On avait trouvé assassiné, le matin même, un homme d’arme qu’il affectionnait tout particulièrement, et qu’il mettait toujours de garde au pont-levis. Sa fureur ne connut plus de bornes quand son intendant survenant lui annonça d’un air hypocrite qu’il avait vu lui-même, à l’aube, un inconnu sortir par la fenêtre de l’appartement de dame Harlette, puis descendre dans la cour à l’aide d’une longue corde fixée à l’appui de la dite fenêtre. D’ailleurs le mur portait encore toutes fraîches des traces d’escalade.

Sans chercher à éclaircir cette étrange aventure, comme une bête fauve, en proie à une fureur inexprimable, il se précipita dans la chambre de dame Harlette, et sans explication, le comte la saisit brutalement, meurtrissant son poignet mignon, et la jeta rudement à terre. Puis, le cœur mordu par le démon de la jalousie, il fouilla les coffres, jeta leur contenu au milieu de la salle, arracha les draperies et brisa quantité de menues et jolies choses.

Tout à coup, il poussa un cri terrible, il venait de découvrir derrière le lit massif une toque de velours grenat ornée d’une plume verte qu’il n’avait jamais vu céans et qui ne pouvait appartenir qu’à un étranger.

Certain maintenant de la culpabilité de sa femme, il ordonna à ses soldats d’enchaîner la pauvre dame, qui toute meurtrie et toute suffoquée de peur devant cette violence qu’elle ne comprenait pas, était demeurée évanouie sur le parquet. Puis une idée atroce lui vint à l’esprit. « Qu’on apporte une tonne garnie de clous », cria t’il.

L’intendant Siegfried devinant les intentions de son maître se chargea de faire exécuter les ordres. Il descendit aux celliers, choisit une tonne vide et résistante, fit enfoncer dans les douves des clous qu’il choisit longs et acérés, de telle sorte que les pointes après avoir traversé le bois ressortissent de l’autre coté, puis cela fait, il fit ôter un des fonds. Satisfait, il fit conduire la tonne au dehors du château, au bord de la pente dévalant vers Vaucouleurs. Des soldats portaient le corps toujours inanimé de dame Harlette. La pauvre femme fut introduite dans l’instrument de son supplice, après quoi, à grand coup de marteau, fond ôté fut replacé.

Le comte Hugues regardait ces opérations d’un air sombre et impatient. Il restait sourd aux supplications de ses hommes d’armes et aux prières des paysans qui accouraient de toutes parts pour implorer le pardon de leur seigneur. C’était grand’pitié de les voir, les pauvres gens, tous à genoux, remplissant l’air de leurs lamentations.

Quand tout fut terminé, le comte fit un signe, la tonne fut amenée au bord de la pente, et l’intendant Siegfried lui-même la poussa d’un vigoureux coup de pied. Elle se mit à dévaler la côte avec une rapidité vertigineuse et un bruit formidable, roulant et rebondissant sur les cailloux, brisant tout sur son passage. Enfin elle vint s’écraser sur des roches situées au bas de la pente et qui s’émiettèrent sous le choc.

La foule des manants, accablée de douleur à la vue de ce supplice atroce, se précipita pour ensevelir au moins décemment les chers restes de leur bienfaitrice, qu’ils devinaient innocente et sans reproche. Quand ils arrivèrent en bas de la descente, ils retrouvèrent la tonne en mille pièces, mais de cadavre point. Seulement ils aperçurent, sortant des débris, une mignonne souris blanche qui trottinait si doucement, si gentiment au milieu d’eux qu’on aurait cru qu’elle s’y trouvait en sûreté. Cependant elle finit par pénétrer dans une fissure du sol, de laquelle on vit bientôt jaillir une source abondante et limpide.

Le comte Hugues rentra en son château, et durant de longs jours, il s’y tint enfermé. Il allait, sombre et muet, par les longs corridors. Souvent, à une heure avancée de la nuit, on entendait encore son pas pesant résonner sur le parquet de la haute salle du donjon. Le comte Hugues ne pouvait dormir.

Comme il avait profondément aimé sa femme – et, Dieu sait ! peut-être l’aimait-il encore ? – sa colère tomba peu à peu pour faire place à une profonde tristesse. Il en vint à se demander s’il n’avait pas agi trop précipitamment, et surtout trop cruellement, et peu à peu le regret de son action se changea en un cuisant remord. Même il finit par éprouver une sourde rancune contre son intendant, lui reprochant de s’être prêté trop complaisamment au supplice de dame Harlette.

Un soir après toute une journée passée ainsi à songer dans son appartement, le comte était monté sur la plate-forme du donjon, afin de rafraîchir se tête brûlante à la brise montant de la vallée, quand il s’aperçut d’une chose qui le fit frissonner d’épouvante. Il lui sembla que son castel s’affaissait peu à peu, comme si une main invisible mais puissante, l’eut entraîné vers quelque gouffre sans fond.

Autrefois, du haut de la maîtresse tour, la vue s’étendait au loin vers la rivière de Meuse, jusqu’à Maxey, jusqu’à Montbras, dont on apercevait distinctement les tourelles aux toits d’ardoises, et voici qu’à présent il voyait à peine Vaucouleurs, dont moins d’une demi-lieue le séparait.

Le comte Hugues pâlit. Il comprit qu’il avait du commettre quelque crime énorme pour que le châtiment survint ainsi, terrible autant que mystérieux.

Déjà, l’histoire de la souris blanche sortie de la tonne, ainsi que celle de la source miraculeuse, l’avaient rempli de trouble et d’étonnement. Et, plus que jamais, le comte regretta son crime, ses cheveux blanchirent et son castel continua de s’enfoncer vers un abîme insondable. Les bords du plateau formaient à présent comme une énorme barrière autour du château, qui paraissait bâti au fond d’une gigantesque cuvette. Du haut du donjon, on ne voyait plus que les pentes raides et arides qui en formaient les bords et un peu de ciel bleu.

Depuis ce jour, un air de tristesse et de mort sembla répandu dans tous les coins du manoir. Les soldats, consternés et remplis d’épouvante, ne chantaient et ne riaient plus. Les paysans, qui avaient perdu leur bienfaitrice et qui croyaient le château maudit ne passaient plus le pont-levis. Seul, l’intendant Siegfried, qui savourait sa vengeance, avait conservé sa bonne humeur.

Un jour n’y tenant plus, étant plus que jamais en proie aux reproches de sa conscience, il voulut à tout prix éclaircir les faits qui avaient été cause de la morte de dame Harlette. Il fit venir l’intendant, ainsi que plusieurs soldats, écouta les uns et les autres et ne tarda pas à s’apercevoir que Siegfried lui cachait la vérité. Il eut un soupçon, et le misérable, pressé par le comte, ne tarda pas à avouer que c’était lui-même qui s’était introduit dans l’appartement de dame Harlette, y avait caché la toque compromettante, puis en était sorti par une fenêtre, tuant le soldat de garde qui était accouru au bruit.

Le comte Hugues n’en écouta pas d’avantage, il saisit sa lourde épée et d’un seul coup trancha la tête de l’intendant, qui s’était jeté à genoux pour implorer son pardon. Au même instant, un énorme loup que nul n’avait vu entrer, sortit en bondissant, et traversant comme une flèche le pont-levis, au milieu des soldats ahuris, gagna la forêt toute proche en poussant de longs hurlements.

A partir de ce jour, le comte fut plus triste que jamais. Bien qu’il fut à la fleur de l’âge, ses cheveux blanchirent et son corps se voûta comme celui d’un vieillard. Il songeait sans cesse à dame Harlette, qui lui fut si bonne, si fidèle et qu’il fit si cruellement périr. Son amour pour sa femme se raviva sous le poids du remord, il fit bâtir une chapelle à l’endroit où se brisa la tonne maudite, et tous les jours, il y vint prier. L’appartement de sa femme demeura clos, lui seul y pénétrait. Il le fit remettre dans l’état où il se trouvait du vivant de dame Harlette, et il se prit à y passer la plus grande partie de ses journées.

Cependant le manoir s’enfonçait toujours, d’une façon lente, mais continue. Quand on arrivait sur le plateau, le sommet du donjon permettait seul de soupçonner l’existence du castel qui se dressait autrefois si orgueilleusement.

Le comte, auparavant si fier du manoir de ses pères, en était fort chagrin. Souvent la nuit, quand il ne pouvait reposer, il montait sur la plate-forme du donjon, et de sentir toute proche la fin de son beau castel, de grosses larmes glissaient sur ses rudes moustaches.

Maudissant sa triste destinée, le comte Hugues passait ainsi la majeur partie de ses nuits à se promener au haut de la maîtresse tour, et chaque fois, lorsque minuit sonnait, il apercevait sur le bord du fossé, en face de lui, deux points lumineux qui brillaient dans l’obscurité comme deux charbons ardents. Si la lune masquée par un nuage se montrait soudain, il voyait assis sur son arrière-train un grand loup d’une taille peu commune et qui ressemblait fort à celui qui s’était échappé du château le jour de la mort de l’intendant.

La présence de la bête fauve, toujours à cette même heure de le nuit, lui fut d’abord indifférente, rien de pouvant le distraire de ses pensées, mais la persistance de la bête, son air de défi, finirent par l’intriguer, puis pas l’exaspérer, à tel point qu’il se résolut à lui donner la chasse.

A minuit, alors qu’il faisait grande lune, il sortit du château, monté sur son meilleur coursier, à la tête de ses plus habiles compagnons, armés d’épieux et d’arbalètes, escortés de grands chiens lévriers, rapides comme le vent et féroces comme des loups. La petite troupe gravit la pente, de l’autre coté de la douve, déboucha sur le plateau et se trouva face à face avec la bête.

C’était un loup de taille gigantesque et de terrible aspect : ses yeux brillaient comme des escarboucles. Ses dents aiguës et blanches avaient bien un pouce. Ses oreilles, longues et un peu recourbées vers l’arrière, ressemblaient à deux cornes. Ses pattes, hautes et musclées, étaient garnies de griffes d’une longueur démesurée. En outre, il avait sous la mâchoire une étrange petite barbiche qui flottait à la brise nocturne. Tous étaient braves chasseurs, mais il n’en fut pas un qui ne sentit frissonner à la vue de cette bête extraordinaire. A l’approche des cavaliers, elle se leva doucement et, sans se presser, partit au petit trop dans la direction de la forêt.

Alors la chasse commença : sous la morsure des éperons, les chevaux, à bride abattue, volèrent sur les traces de l’animal, précédés par la meute des lévriers qui bondissaient autour de la bête féroce. Ce fut une étrange chevauchée.

Comme une trombe, bêtes et cavaliers s’engouffrèrent dans la forêt. Les arbres et les buissons paraissaient s’effacer devant eux pour leur livrer passage. Des forêts inconnues, des champs, des landes, puis des forêts encore défilèrent, traversés à folle allure, sans que la poursuite parut se ralentir. Les chevaux ne semblaient éprouver aucune fatigue, bien qu’il fussent couvert d’écume, et les cavaliers courbés sur l’encolure, l’épieu à la main, demeuraient muets et farouches. A quelques toises en avant, la bête, jamais lasse, entourée des lévriers qu’elle maintenait à distance, bondissait droit devant elle.

C’était comme un ouragan qui courait à travers la forêt endormie. Parfois une flèche lancée par l’un des chasseurs partait dans un long sifflement, mais sa pointe acérée n’avait pas de prise sur l’animal, le trait tombait à terre et la bête repartait de plus belle.

Et la chasse continua, furieuse, acharnée, sans que rien ne vint l’arrêter. Elle était si rapide qu’on ne pouvait rien distinguer, sinon une grande rumeur, quelque chose comme un grondement de tonnerre accompagné d’un tourbillon de poussière, puis une plainte vague qui se mourait dans les profondeurs des bois, puis plus rien, sinon un dernier souffle d’air qui faisait frissonner les feuilles. A ce moment, les oiseaux se taisaient, les bêtes sauvages se terraient dans leur repaires ; malheur à qui se trouvait sur le passage de la chasse infernale : on n’en retrouvait miette.

Combien de temps dura cette étrange chevauchée ? Nul ne le saurait dire. Après avoir été, croit-on, jusqu’aux confins de la forêt d’Ardennes, elle se poursuivit en Allemagne, puis, redescendant la vallée du Rhin et les sombres massifs des Vosges, elle revint vers les marches de la Lorraine et de Champagne. Et, après bien des jours et des nuits d’une course enragée, la troupe du comte Hugues déboucha un certain soir, au crépuscule, dans les bois de Gombervaux, toujours chassant devant elle la bête mystérieuse et infatigable.

Le comte arriva près de son manoir qu’il n’avait vu depuis de longues années. Il l’aperçut tout blanc au clair de lune, mais déjà à demi ruiné, au fond d’une combe étroite et solitaire. Ce fut pour lui grande douleur de voir son castel en cet état. Puis il passa près de la fontaine miraculeuse et, au souvenir de sa dame bien-aimée qu’il avait fait trépasser injustement de si méchante façon , il sentit son cœur mollir et de grosses larmes de repentir coulèrent le long de ses joues amaigries. Il descendit de cheval, se baigna le visage d’eau transparente, puis pria bien dévotement sur les marches de la chapelle qu’il avait autrefois fait édifier.

Mais comme le comte remontait à cheval et rejoignait à toute vitesse la chasse qu’on entendait au loin gronder à travers bois, il ne vit pas la porte de la chapelle s’ouvrir toute grande pour livrer passage à une forme indécise, dont le visage et le corps étaient couverts de voiles blancs, mais dont les longs cheveux blonds flottaient épars sur les épaules.

Cette mystérieuse apparition tenait, d’une main, un épieu à la pointe longue et acérée, et de l’autre, elle conduisait un destrier revêtu de housses blanches, sur lequel elle sauta légèrement. Comme s’il avait eu des ailes, en quelques minutes d’une course rapide et silencieuse, le coursier mystérieux amena son maître aux cotés du comte qui avait repris sa place en tête de la troupe des chasseurs. Hugues ne s’aperçut pas de la présence d’un nouveau compagnon, tout occupé qu’il était à placer une nouvelle flèche dans son arbalète. Il banda la corde et le trait partit en sifflant.

Mais cette fois, la bête, touchée, s’arrêta net en poussant un hurlement terrible et, faisant face aux chasseurs et aux chiens, d’un bond énorme elle se précipita sur le comte et lui planta ses crocs dans la gorge. Alors la forme blanche leva l’épieu qu’elle avait en main et en toucha l’animal qui tomba raide mort.

Quant au comte, il était tombé lourdement à terre, près de la bête, pendant que les chasseurs restaient immobiles sur leurs chevaux. On vit alors le mystérieux personnage écarter les voiles qui cachaient son visage, et tous reconnurent dame Harlette.

Elle descendit de cheval, souleva avec précaution la tête du comte, dont les yeux grands ouverts exprimaient en même temps l’effroi et l’amour, puis, doucement, bien doucement, la bonne dame, se penchant sur lui déposa à plusieurs reprises sur son front pali le baiser du pardon. Puis, les yeux du comte se fermèrent pour toujours et il rendit l’âme à Dieu, en poussant un grand soupir. Quant aux homme d’armes, fidèles compagnons de leur maître, ils avaient vieilli, sans soute, durant cette chasse interminable, car, tout d’un coup, homme, chevaux et lévriers s’écroulèrent pêle-mêle, avec un affreux bruit d’os froissés et de ferrailles heurtés.

Jean-Louis, le bûcheron, témoin de cette scène horrible, l’a raconté ainsi depuis à maints compagnons du pays de Void. Quand à noble dame Harlette – Jean-Louis l’a bien vu aussi – elle est remontée sur son destrier et, ayant en croupe le corps du comte Hugues de Gombervaux, son mari, elle disparut ans le brouillard opaque qui s’était formé en quelques instants.

Depuis ce jour, nul n’a plus jamais entendu parler d’eux : la chasse du comte Hugues était terminée. Et depuis ce jour aussi, le château de Gombervaux a cessé de s’enfoncer vers l’abîme : le pardon était venu effacer la faute, sous le forme d’un baiser.


Archive pour 15 mai, 2011

La chasse infernale de Hugues de Gombervaux

Le château de Gombervaux

 

D’après un texte paru dans “Le pays lorrain” en 1912

Autrefois, il y a bien longtemps de cela, le château de Gombervaux dressait fièrement son donjon flanqué de quatre tours au bord d’un plateau tourné vers le sud et dont la pente abrupte dévalait vers Vaucouleurs.

Le comte Hugues en était seigneur et maître. C’était un homme de haute taille, aux traits rudes, à la mine altière, à la main lourde. Les vilains tremblaient en sa présence pour peu que sa voix vint à s’enfler. Il avait cependant bon cœur, mais cette précieuse qualité était en grande partie gâtée par une impétuosité et une violence naturelles que rien ne pouvait arrêter. Il se laissait alors aller au gré de ses passions et ses colères étaient terribles.

Il chérissait tendrement sa femme, une demoiselle de noble maison qu’il avait épousée depuis peu. Dame Harlette, ainsi se nommait-elle, était toute mignonne. Ses traits étaient fins et délicats, ses yeux bleus étaient profonds et rêveurs et ses cheveux blonds encadraient de leurs boucles soyeuses une figure toujours souriante bien qu’un peu pâle, sous son hennin garni de dentelles. Elle était de petite taille, aussi paraissait-elle une enfant près de son gigantesque époux. On la savait bonne et compatissante aux misères des pauvres gens. Aussi pas une âme qui ne bénit son nom dans les chaumières du voisinage.

Dès que venait le printemps, sur sa haquenée isabelle, elle allait à travers champs, le long des blés verts, l’aumônière à la ceinture, visitant les manants et laissant çà et là avec de douces paroles qui mettaient du baume dans l’âme, quelque menue monnaie.

Elle excellait aussi à fabriquer de ses blanches mains des onguents et autres remèdes souverains pour toutes sortes de blessures et maladies. Sa présence égayait jusqu’aux salles sombres et tristes du manoir qui n’entendaient le plus souvent que les propos grossiers des gens d’armes.

Le comte Hugues avait à son service un intendant nommé Siegfried, que ses compagnons avaient surnommé « Tête de Loup », à cause de sa mâchoire qu’il avait saillante et garnie de dents longues et pointues, ce qui en vérité le faisait assez ressembler à l’animal dont on lui avait donné le nom.

Quand le maître était absent, Siegfried commandait au château. Outre qu’il était laid, c’était bien l’être le plus vil et le plus hypocrite que l’on put voir. Il ne cherchait qu’à satisfaire ses appétits bas et grossiers et ne reculait devant rien pour arriver à ses fins.

Charmé par les grâces de sa maîtresse, il conçut le dessein de la séduire, mais dame Harlette, qui avait son mari en grand respect et grande amitié, repoussa avec colère et mépris les avances de Siegfried. L’intendant tout honteux de sa défaite, redoutant la colère de son seigneur, sollicita son pardon et demanda à ce que le comte ne fut pas instruit de son équipée. La bonne dame lui accorda ce qu’il désirait. Siegfried se retira un sourire de reconnaissance aux lèvres, mais la rage au cœur et il promit de se venger.

Un jour, le comte Hugues de retour au château après une assez longue absence, entra dans une violente colère. On avait trouvé assassiné, le matin même, un homme d’arme qu’il affectionnait tout particulièrement, et qu’il mettait toujours de garde au pont-levis. Sa fureur ne connut plus de bornes quand son intendant survenant lui annonça d’un air hypocrite qu’il avait vu lui-même, à l’aube, un inconnu sortir par la fenêtre de l’appartement de dame Harlette, puis descendre dans la cour à l’aide d’une longue corde fixée à l’appui de la dite fenêtre. D’ailleurs le mur portait encore toutes fraîches des traces d’escalade.

Sans chercher à éclaircir cette étrange aventure, comme une bête fauve, en proie à une fureur inexprimable, il se précipita dans la chambre de dame Harlette, et sans explication, le comte la saisit brutalement, meurtrissant son poignet mignon, et la jeta rudement à terre. Puis, le cœur mordu par le démon de la jalousie, il fouilla les coffres, jeta leur contenu au milieu de la salle, arracha les draperies et brisa quantité de menues et jolies choses.

Tout à coup, il poussa un cri terrible, il venait de découvrir derrière le lit massif une toque de velours grenat ornée d’une plume verte qu’il n’avait jamais vu céans et qui ne pouvait appartenir qu’à un étranger.

Certain maintenant de la culpabilité de sa femme, il ordonna à ses soldats d’enchaîner la pauvre dame, qui toute meurtrie et toute suffoquée de peur devant cette violence qu’elle ne comprenait pas, était demeurée évanouie sur le parquet. Puis une idée atroce lui vint à l’esprit. « Qu’on apporte une tonne garnie de clous », cria t’il.

L’intendant Siegfried devinant les intentions de son maître se chargea de faire exécuter les ordres. Il descendit aux celliers, choisit une tonne vide et résistante, fit enfoncer dans les douves des clous qu’il choisit longs et acérés, de telle sorte que les pointes après avoir traversé le bois ressortissent de l’autre coté, puis cela fait, il fit ôter un des fonds. Satisfait, il fit conduire la tonne au dehors du château, au bord de la pente dévalant vers Vaucouleurs. Des soldats portaient le corps toujours inanimé de dame Harlette. La pauvre femme fut introduite dans l’instrument de son supplice, après quoi, à grand coup de marteau, fond ôté fut replacé.

Le comte Hugues regardait ces opérations d’un air sombre et impatient. Il restait sourd aux supplications de ses hommes d’armes et aux prières des paysans qui accouraient de toutes parts pour implorer le pardon de leur seigneur. C’était grand’pitié de les voir, les pauvres gens, tous à genoux, remplissant l’air de leurs lamentations.

Quand tout fut terminé, le comte fit un signe, la tonne fut amenée au bord de la pente, et l’intendant Siegfried lui-même la poussa d’un vigoureux coup de pied. Elle se mit à dévaler la côte avec une rapidité vertigineuse et un bruit formidable, roulant et rebondissant sur les cailloux, brisant tout sur son passage. Enfin elle vint s’écraser sur des roches situées au bas de la pente et qui s’émiettèrent sous le choc.

La foule des manants, accablée de douleur à la vue de ce supplice atroce, se précipita pour ensevelir au moins décemment les chers restes de leur bienfaitrice, qu’ils devinaient innocente et sans reproche. Quand ils arrivèrent en bas de la descente, ils retrouvèrent la tonne en mille pièces, mais de cadavre point. Seulement ils aperçurent, sortant des débris, une mignonne souris blanche qui trottinait si doucement, si gentiment au milieu d’eux qu’on aurait cru qu’elle s’y trouvait en sûreté. Cependant elle finit par pénétrer dans une fissure du sol, de laquelle on vit bientôt jaillir une source abondante et limpide.

Le comte Hugues rentra en son château, et durant de longs jours, il s’y tint enfermé. Il allait, sombre et muet, par les longs corridors. Souvent, à une heure avancée de la nuit, on entendait encore son pas pesant résonner sur le parquet de la haute salle du donjon. Le comte Hugues ne pouvait dormir.

Comme il avait profondément aimé sa femme – et, Dieu sait ! peut-être l’aimait-il encore ? – sa colère tomba peu à peu pour faire place à une profonde tristesse. Il en vint à se demander s’il n’avait pas agi trop précipitamment, et surtout trop cruellement, et peu à peu le regret de son action se changea en un cuisant remord. Même il finit par éprouver une sourde rancune contre son intendant, lui reprochant de s’être prêté trop complaisamment au supplice de dame Harlette.

Un soir après toute une journée passée ainsi à songer dans son appartement, le comte était monté sur la plate-forme du donjon, afin de rafraîchir se tête brûlante à la brise montant de la vallée, quand il s’aperçut d’une chose qui le fit frissonner d’épouvante. Il lui sembla que son castel s’affaissait peu à peu, comme si une main invisible mais puissante, l’eut entraîné vers quelque gouffre sans fond.

Autrefois, du haut de la maîtresse tour, la vue s’étendait au loin vers la rivière de Meuse, jusqu’à Maxey, jusqu’à Montbras, dont on apercevait distinctement les tourelles aux toits d’ardoises, et voici qu’à présent il voyait à peine Vaucouleurs, dont moins d’une demi-lieue le séparait.

Le comte Hugues pâlit. Il comprit qu’il avait du commettre quelque crime énorme pour que le châtiment survint ainsi, terrible autant que mystérieux.

Déjà, l’histoire de la souris blanche sortie de la tonne, ainsi que celle de la source miraculeuse, l’avaient rempli de trouble et d’étonnement. Et, plus que jamais, le comte regretta son crime, ses cheveux blanchirent et son castel continua de s’enfoncer vers un abîme insondable. Les bords du plateau formaient à présent comme une énorme barrière autour du château, qui paraissait bâti au fond d’une gigantesque cuvette. Du haut du donjon, on ne voyait plus que les pentes raides et arides qui en formaient les bords et un peu de ciel bleu.

Depuis ce jour, un air de tristesse et de mort sembla répandu dans tous les coins du manoir. Les soldats, consternés et remplis d’épouvante, ne chantaient et ne riaient plus. Les paysans, qui avaient perdu leur bienfaitrice et qui croyaient le château maudit ne passaient plus le pont-levis. Seul, l’intendant Siegfried, qui savourait sa vengeance, avait conservé sa bonne humeur.

Un jour n’y tenant plus, étant plus que jamais en proie aux reproches de sa conscience, il voulut à tout prix éclaircir les faits qui avaient été cause de la morte de dame Harlette. Il fit venir l’intendant, ainsi que plusieurs soldats, écouta les uns et les autres et ne tarda pas à s’apercevoir que Siegfried lui cachait la vérité. Il eut un soupçon, et le misérable, pressé par le comte, ne tarda pas à avouer que c’était lui-même qui s’était introduit dans l’appartement de dame Harlette, y avait caché la toque compromettante, puis en était sorti par une fenêtre, tuant le soldat de garde qui était accouru au bruit.

Le comte Hugues n’en écouta pas d’avantage, il saisit sa lourde épée et d’un seul coup trancha la tête de l’intendant, qui s’était jeté à genoux pour implorer son pardon. Au même instant, un énorme loup que nul n’avait vu entrer, sortit en bondissant, et traversant comme une flèche le pont-levis, au milieu des soldats ahuris, gagna la forêt toute proche en poussant de longs hurlements.

A partir de ce jour, le comte fut plus triste que jamais. Bien qu’il fut à la fleur de l’âge, ses cheveux blanchirent et son corps se voûta comme celui d’un vieillard. Il songeait sans cesse à dame Harlette, qui lui fut si bonne, si fidèle et qu’il fit si cruellement périr. Son amour pour sa femme se raviva sous le poids du remord, il fit bâtir une chapelle à l’endroit où se brisa la tonne maudite, et tous les jours, il y vint prier. L’appartement de sa femme demeura clos, lui seul y pénétrait. Il le fit remettre dans l’état où il se trouvait du vivant de dame Harlette, et il se prit à y passer la plus grande partie de ses journées.

Cependant le manoir s’enfonçait toujours, d’une façon lente, mais continue. Quand on arrivait sur le plateau, le sommet du donjon permettait seul de soupçonner l’existence du castel qui se dressait autrefois si orgueilleusement.

Le comte, auparavant si fier du manoir de ses pères, en était fort chagrin. Souvent la nuit, quand il ne pouvait reposer, il montait sur la plate-forme du donjon, et de sentir toute proche la fin de son beau castel, de grosses larmes glissaient sur ses rudes moustaches.

Maudissant sa triste destinée, le comte Hugues passait ainsi la majeur partie de ses nuits à se promener au haut de la maîtresse tour, et chaque fois, lorsque minuit sonnait, il apercevait sur le bord du fossé, en face de lui, deux points lumineux qui brillaient dans l’obscurité comme deux charbons ardents. Si la lune masquée par un nuage se montrait soudain, il voyait assis sur son arrière-train un grand loup d’une taille peu commune et qui ressemblait fort à celui qui s’était échappé du château le jour de la mort de l’intendant.

La présence de la bête fauve, toujours à cette même heure de le nuit, lui fut d’abord indifférente, rien de pouvant le distraire de ses pensées, mais la persistance de la bête, son air de défi, finirent par l’intriguer, puis pas l’exaspérer, à tel point qu’il se résolut à lui donner la chasse.

A minuit, alors qu’il faisait grande lune, il sortit du château, monté sur son meilleur coursier, à la tête de ses plus habiles compagnons, armés d’épieux et d’arbalètes, escortés de grands chiens lévriers, rapides comme le vent et féroces comme des loups. La petite troupe gravit la pente, de l’autre coté de la douve, déboucha sur le plateau et se trouva face à face avec la bête.

C’était un loup de taille gigantesque et de terrible aspect : ses yeux brillaient comme des escarboucles. Ses dents aiguës et blanches avaient bien un pouce. Ses oreilles, longues et un peu recourbées vers l’arrière, ressemblaient à deux cornes. Ses pattes, hautes et musclées, étaient garnies de griffes d’une longueur démesurée. En outre, il avait sous la mâchoire une étrange petite barbiche qui flottait à la brise nocturne. Tous étaient braves chasseurs, mais il n’en fut pas un qui ne sentit frissonner à la vue de cette bête extraordinaire. A l’approche des cavaliers, elle se leva doucement et, sans se presser, partit au petit trop dans la direction de la forêt.

Alors la chasse commença : sous la morsure des éperons, les chevaux, à bride abattue, volèrent sur les traces de l’animal, précédés par la meute des lévriers qui bondissaient autour de la bête féroce. Ce fut une étrange chevauchée.

Comme une trombe, bêtes et cavaliers s’engouffrèrent dans la forêt. Les arbres et les buissons paraissaient s’effacer devant eux pour leur livrer passage. Des forêts inconnues, des champs, des landes, puis des forêts encore défilèrent, traversés à folle allure, sans que la poursuite parut se ralentir. Les chevaux ne semblaient éprouver aucune fatigue, bien qu’il fussent couvert d’écume, et les cavaliers courbés sur l’encolure, l’épieu à la main, demeuraient muets et farouches. A quelques toises en avant, la bête, jamais lasse, entourée des lévriers qu’elle maintenait à distance, bondissait droit devant elle.

C’était comme un ouragan qui courait à travers la forêt endormie. Parfois une flèche lancée par l’un des chasseurs partait dans un long sifflement, mais sa pointe acérée n’avait pas de prise sur l’animal, le trait tombait à terre et la bête repartait de plus belle.

Et la chasse continua, furieuse, acharnée, sans que rien ne vint l’arrêter. Elle était si rapide qu’on ne pouvait rien distinguer, sinon une grande rumeur, quelque chose comme un grondement de tonnerre accompagné d’un tourbillon de poussière, puis une plainte vague qui se mourait dans les profondeurs des bois, puis plus rien, sinon un dernier souffle d’air qui faisait frissonner les feuilles. A ce moment, les oiseaux se taisaient, les bêtes sauvages se terraient dans leur repaires ; malheur à qui se trouvait sur le passage de la chasse infernale : on n’en retrouvait miette.

Combien de temps dura cette étrange chevauchée ? Nul ne le saurait dire. Après avoir été, croit-on, jusqu’aux confins de la forêt d’Ardennes, elle se poursuivit en Allemagne, puis, redescendant la vallée du Rhin et les sombres massifs des Vosges, elle revint vers les marches de la Lorraine et de Champagne. Et, après bien des jours et des nuits d’une course enragée, la troupe du comte Hugues déboucha un certain soir, au crépuscule, dans les bois de Gombervaux, toujours chassant devant elle la bête mystérieuse et infatigable.

Le comte arriva près de son manoir qu’il n’avait vu depuis de longues années. Il l’aperçut tout blanc au clair de lune, mais déjà à demi ruiné, au fond d’une combe étroite et solitaire. Ce fut pour lui grande douleur de voir son castel en cet état. Puis il passa près de la fontaine miraculeuse et, au souvenir de sa dame bien-aimée qu’il avait fait trépasser injustement de si méchante façon , il sentit son cœur mollir et de grosses larmes de repentir coulèrent le long de ses joues amaigries. Il descendit de cheval, se baigna le visage d’eau transparente, puis pria bien dévotement sur les marches de la chapelle qu’il avait autrefois fait édifier.

Mais comme le comte remontait à cheval et rejoignait à toute vitesse la chasse qu’on entendait au loin gronder à travers bois, il ne vit pas la porte de la chapelle s’ouvrir toute grande pour livrer passage à une forme indécise, dont le visage et le corps étaient couverts de voiles blancs, mais dont les longs cheveux blonds flottaient épars sur les épaules.

Cette mystérieuse apparition tenait, d’une main, un épieu à la pointe longue et acérée, et de l’autre, elle conduisait un destrier revêtu de housses blanches, sur lequel elle sauta légèrement. Comme s’il avait eu des ailes, en quelques minutes d’une course rapide et silencieuse, le coursier mystérieux amena son maître aux cotés du comte qui avait repris sa place en tête de la troupe des chasseurs. Hugues ne s’aperçut pas de la présence d’un nouveau compagnon, tout occupé qu’il était à placer une nouvelle flèche dans son arbalète. Il banda la corde et le trait partit en sifflant.

Mais cette fois, la bête, touchée, s’arrêta net en poussant un hurlement terrible et, faisant face aux chasseurs et aux chiens, d’un bond énorme elle se précipita sur le comte et lui planta ses crocs dans la gorge. Alors la forme blanche leva l’épieu qu’elle avait en main et en toucha l’animal qui tomba raide mort.

Quant au comte, il était tombé lourdement à terre, près de la bête, pendant que les chasseurs restaient immobiles sur leurs chevaux. On vit alors le mystérieux personnage écarter les voiles qui cachaient son visage, et tous reconnurent dame Harlette.

Elle descendit de cheval, souleva avec précaution la tête du comte, dont les yeux grands ouverts exprimaient en même temps l’effroi et l’amour, puis, doucement, bien doucement, la bonne dame, se penchant sur lui déposa à plusieurs reprises sur son front pali le baiser du pardon. Puis, les yeux du comte se fermèrent pour toujours et il rendit l’âme à Dieu, en poussant un grand soupir. Quant aux homme d’armes, fidèles compagnons de leur maître, ils avaient vieilli, sans soute, durant cette chasse interminable, car, tout d’un coup, homme, chevaux et lévriers s’écroulèrent pêle-mêle, avec un affreux bruit d’os froissés et de ferrailles heurtés.

Jean-Louis, le bûcheron, témoin de cette scène horrible, l’a raconté ainsi depuis à maints compagnons du pays de Void. Quand à noble dame Harlette – Jean-Louis l’a bien vu aussi – elle est remontée sur son destrier et, ayant en croupe le corps du comte Hugues de Gombervaux, son mari, elle disparut ans le brouillard opaque qui s’était formé en quelques instants.

Depuis ce jour, nul n’a plus jamais entendu parler d’eux : la chasse du comte Hugues était terminée. Et depuis ce jour aussi, le château de Gombervaux a cessé de s’enfoncer vers l’abîme : le pardon était venu effacer la faute, sous le forme d’un baiser.

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