Le château de Lunéville (54)
Le « Versailles lorrain »
Le château de Lunéville constitue un des chefs-d’œuvre de l’architecture du XVIIIe siècle, et attire chaque année des milliers de visiteurs. Il a été classé monument historique par des arrêtés successifs de 1901, 1929, 1992, 1998 et appartient au ministère de la défense (appartements princiers), ainsi qu’au conseil général de Meurthe-et-Moselle, à qui la ville de Lunéville a transmis depuis 1999 les bâtiments dont elle était propriétaire (chapelle, communs …).
Dans la soirée du 2 janvier 2003, notre « petit Versailles » a été la proie d’un gigantesque incendie, qui a ravagé toute la partie sud-est du château. Patiemment, les travaux engagés effacent les traces de ce sinistre majeur. C’est le plus grand chantier de restauration patrimonial en Europe ! Et depuis le mois de septembre 2010, la chapelle du château est réouverte au public.
En attendant que tous les travaux de restauration soient terminés, je vous propose une promenade virtuelle dans le château, à l’époque où les ducs Léopold et Stanislas y logeaient. Vous verrez, on s’y croirait presque !
La description de ce joyau est tellement longue qu’elle fera l’objet plusieurs articles.
D’après un article de « La Revue Lorraine Illustrée » – Année 1907
Privé de toute initiative en matière gouvernementale, de plus en plus immobilisé par le geste restrictif des ministres de Louis XV, Stanislas Leszczynski, souverain nominal de Lorraine et de Bar, eut du moins la liberté de disposer à sa convenance des parties du domaine dont jouissaient personnellement ses prédécesseurs. Il lui fut loisible de transformer ou de délaisser leurs châteaux, de les rebâtir ou de les renverser sans retour.
Le nouveau Duc avait renoncé à habiter Nancy. Dans ce qui subsistait du vieux palais de René II et d’Antoine, sous ce toit où planaient tant de souvenirs dynastiques, le Polonais se fùt, de toutes façons, trouvé mal à l’aise. Le 24 juillet 1739, il en accorda à la Ville, titre d’accensement perpétuel, bâtiments et terrains. Le Louvre interrompu de Léopold fut, avec l’Opéra, l’hôtel des Pages, l’hôtel de la Gendarmerie, la fourrière, compris dans cette cession significative. Ce n’est que par exception, en des occasions majeures, que Stanislas séjournera dans sa capitale.
Pas une seule fois, Bar-le-Duc ne vit Stanislas Leszczynski gravir, vers son château aux murailles noircies, les rues escarpées de la cité haute. A Ligny, dans son trais vallon, au bord de l’Ornain, le château des Luxembourg demeura pareillement clos et démeublé, jusqu’à l’arrêt du Conseil des finances du 25 juin 1746 qui en ordonna la démolition. On n’en conserva que le beau parc, converti, après une seconde décision du 5 janvier 1748, en promenade publique.
Mais à Lunéville, Stanislas étendit les jardins. Ils les couvrit de pavillons et d’ornements accessoires.
Avec Chanteheux et Jolivet, payés de ses deniers, il donne à sa demeure principale, deux proches et gracieuses annexes. Einville, non loin de là, gagne en importance et en charme. La Malgrange, dont une boutade de l’Electeur de Bavière avait, en 1715, suspendu l’achèvement, est jetée bas. Au même endroit, Stanislas Leszczynski fait surgir une maison vraiment sienne. Au décès de la Duchesse douairière, encore, le monarque prend avec empressement possession de Commercy, devenu en peu de mois un lieu enchanté.
Le prince errant, qui depuis Poltava en était réduit à des logis d’emprunt, à des hospitalités marchandées, put ainsi endormir ses regrets et déguiser son impuissance, en coulant une douce oisiveté dans d’aimables résidences, où affluèrent les visiteurs et que firent connaître aux cours amies les grands atlas de Héré. Il fut beaucoup parlé alors des châteaux du roi Stanislas.
Ils n’eurent qu’une durée éphémère. La mort de Stanislas Leszczynski est le signal de leur anéantissement ou de leur irrémédiable déchéance. La Malgrange, Chanteheux, Einville, « s’effacent comme de beaux rêves ». Supprimés, les bosquets de Commercy. Mutilés, ceux de Lunéville. Pour les deux palais dont ces jardins étaient la précieuse parure, s’ouvre l’ère des dégradations désolantes et d’un humiliant oubli.
Nous nous proposons de conduire le lecteur dans chacune de ces habitations royales, de lui en ouvrir les salons, de le guider à travers les parterres d’alentour. Nous lui dirons, ensuite, quelle hâte folle de destruction abolit ces merveilles.
En choisissant Lunéville pour sa résidence ordinaire, Stanislas conformait ses préférences à celles des derniers Ducs. Au cours des hostilités de la Succession d’Espagne, quand, en décembre 1702, les troupes françaises avaient occupé Nancy, c’est un refuge provisoire que Léopold était venu chercher, avec sa famille, sur les rives de la Vezouse.
Délabré et démantelé, le château construit par Henri II, moitié forteresse, moitié maison de plaisance, offrait un bien piteux asile en comparaison du palais de la capitale. Des remparts en ruine et des fossés stagnants l’enserraient d’une triste ceinture. Partout sur les façades, dans les appartements, les misères du règne de Charles IV, les sièges, les sacs, le feu, un long isolement, avaient laissé leurs traces. Moins inhospitalier, l’édifice n’aurait peut-être subi que des réparations hâtives. Son lamentable état décida de sa fortune. Dans les circonstances politiques où il se trouvait et qu’il prévoyait ne devoir que trop se prolonger et se renouveler, comment Léopold n’eût-il pas repris le projet un instant caressé par son bisaïeul, semble-t-il, d’abandonner Nancy pour Lunéville ?
A une époque où il n’était prince en Europe qui ne rêvat de posséder son Versailles, l’orgueil de sa maison, ses prodigalités faciles, tout devait engager le Duc à cette solution séduisante. A côté, puis sur l’emplacement de l’habitation du dix-huitième siècle, à mesure sacrifiée, un nouveau château avait donc commencé à s’élever.
Trois ans plus tard, ce qui en était debout promettait un magnifique ensemble. Et lorsqu’en novembre 1714, après les traités de Rastatt et d’Utrecht, il avait été permis à Léopold de rentrer sans humiliation dans sa capitale évacuée, c’est désormais le palais de Lunéville qui faisait tort au palais de Nancy. Dans ce dernier, la cour ne passera plus guère que les hivers. Chaque année, on le vit abréger ses séjours. Finalement, elle n’y revint plus.
Aussi bien, la demeure que la dynastie de Lorraine laissait à Stanislas justifiait-elle cette prédilection croissante. Rien n’a été négligé pour sa commodité et son agrément. Tour à tour, Léopold, François III, Elisabeth-Charlotte y ont affecté des sommes considérables. Germain Boffrand, l’élève de Mansart, a fourni les plans du château. L’intendant des bâtiments Christophe André et le sculpteur Pierre Bourdier, eux-mêmes entourés d’une pléiade d’artistes distingués, ont secondé à merveille l’éminent architecte.
La conception de Boffrand était à peine réalisée dans son ampleur, que, le 3 janvier 1719, un violent incendie avait dévoré les appartements ducaux. Une aile presque entière, la chapelle, ce qui restait encore englobé de la construction précédente, sont en cendres. Ce sinistre avait été l’occasion d’un prompt relèvement prétexte à une décoration intérieure plus somptueuse. Pour 1723, le désastre était réparé.
Cependant que des sculpteurs comme Jean et François Vallier, Louis Menuet ou Barthelémy Mesny, travaillaient sans relâche la pierre, le bois, le plâtre, fouillant les rampes d’escalier, ciselant les agrafes des claveaux et les consoles des fenêtres, enjolivant les boiseries et déroulant les corniches, Claude Charles, Chamant ou Furon, Charles-Louis Chéron, Jacquard et Provençal, continuaient d’enrichir de leur pinceau, au coloris divers et savant, la succession des salons. Pas un jour, les maîtres du lieu n’avaient cessé de poursuivre son embellissement. En 1735, la grave question de la cession des Duchés déjà s’agite à Vienne, que la salle de spectacle, dont la Régente ordonna la construction, n’est pas débarrassée de ses derniers échafaudages.
La partie centrale du château a été édifiée sur une légère éminence. On accède au couchant par la montée de deux cours successives, au levant, par la pente insensible du parc et le plain-pied d’une spacieuse terrasse. Qu’on s’en approche dans l’un ou l’autre sens, ce qui frappe en ce bâtiment à l’unique étage, coiffé d’une toiture en comble le long de laquelle court une balustrade, c’est l’avant-corps du milieu.
Quatre hautes colonnes dégagées, d’ordre composite, s’élancent de socles massifs. Elles soutiennent au moyen d’un entablement très simple un grand fronton triangulaire, dont le tympan est orné d’un cartouche aux armes accolées de Lorraine et de Bourbon-Orléans, d’aigles essorants, d’attributs guerriers. En guise d’amortissement, ce fronton est couronné d’une horloge. Sur le bleu turquoise du cadran, les heures s’inscrivent en chiffres d’or. Dans la portion inférieure de l’entre-colonnement, trois baies cintrées, d’égale dimension, se découpent. Les six arcades ainsi ouvertes constituent un imposant péristyle, d’où les larges degrés de deux vestibules, bordés de colonnes et de pilastres ioniques, conduisent, à droite et à gauche, aux appartements du rez-de-chaussée.
Au-dessus des portiques, la toiture s’amplifie et s’exhausse en un donjon octogonal, terminé par une plate-forme que ceint une galerie ajourée. On peut voir dans cette disposition une allusion heureuse, non seulement à la demeure disparue d’Henri II, mais à la demeure féodale qu’elle-même remplaça. Vers l’ouest, deux ailes s’avancent, d’abord d’allure identique au corps principal, puis qui s’allègent bientôt en pavillons d’élévation moindre et d’ornementation plus discrète. Près de l’angle rentrant formé à leur naissance, s’offre dans chacune d’elles, sous des arcades jumelles, un escalier monumental qui dessert le premier étage. Une grille en fer forgé déploie d’un pavillon à l’autre sa convexité gracieuse. Elle limite la cour d’honneur.
Fermée d’une grille pareillement contournée, l’avant-cour, plus vaste, s’élargit entre deux corps de logis en léger recul sur les précédents. Ces ailes reposent sur de solides assises qui corrigent la déclivité du sol et dans lesquelles s’enfoncent des écuries voûtées. L’aile de droite est reliée aux bâtiments de la cour d’honneur par une construction basse. Celle de gauche reste détachée. Une porte en ferronnerie, qui donne vue et communication sur la ville, masque l’intervalle.
Trois perrons interrompent l’uniformité des façades longitudinales de ces ailes extérieures. Bien campées sur le tronçon pyramidal de leur base épaisse, érigeant fièrement leurs frontons, répliques de celui du donjon, les étroites façades transversales encadrent la perspective de pierre. Elles regardent la place de la cité par où l’on arrive au palais. Sur cette place de la Cour, aujourd’hui place du Château est une fontaine à vasques. Deux enfants joufflus, accrochés à un dauphin, s’y lutinent.
De cet endroit, comme des deux cours, les logements réservés au souverain ne sont pas visibles. L’architecte les a reportés, telle une calme et auguste retraite, dans le décor plus riant du parc. Ici, la façade centrale y est marquée en ses extrémités que par les faibles saillies de larges avant-corps. Mais à son coin droit, le bâtiment princier vient se présenter diagonalement. L’épaisseur d’une pièce qui prend jour sur la terrasse au nord, et au midi sur la ville, confond en apparence les deux constructions distinctes. La dualité réelle est ainsi déguisée. On a l’illusion d’une aile émise vers les jardins. Une seconde pièce, puis la chapelle surmontée au couchant de deux courtes tours en lanternes, se continuent au flanc de l’aile gauche de la cour d’honneur. Elles complètent l’ingénieuse soudure.
Quant au bâtiment princier, il se décompose en un corps de logis augmenté de deux ailes secondaires, dirigées au midi. Du dehors, il constituerait un carré parfait, si le parterre à fleurs qu’il embrasse de ses trois façades internes, n’était, sur le quatrième côté, aéré et dégagé à la faveur d’un mur à balustre. La Comédie enfin, plus en retrait encore au sud-est, vers la ville, se rapproche, angle à angle, de l’aile gauche du pavillon princier.
Une galerie extérieure, en équerre, assure la communication directe entre les appartements ducaux et la salle de théâtre. L’ensemble a grand air. Il apparaît d’une suprême distinction. Boffrand, ailleurs plus pompeux ou plus brillant, n’a rien produit de plus noble dans l’ordonnance, de plus correct dans les détails. Un constant souci de l’unité de style a guidé l’artiste. Tout a été calculé pour la pureté des lignes et l’accord des rencontres.
Ce sont les ailes de l’avant-cour qui s’écartent comme pour accueillir, et dont la masse pesante n’a rien qui choque ou qui contrarie le regard. Ce sont les ailes de la cour d’honneur qui perdent de leur importance à mesure qu’elles se développent. Elles conservent ainsi sa valeur relative au corps principal. C’est, au coeur de l’édifice, le donjon qui brise, de si propice manière, la rigidité du faite, l’altière colonnade qui proclame la majesté du lieu et prépare à l’étiquette du seuil, les triples baies qui, sous le péristyle, laissent passer à flots la lumière, enlevant toute lourdeur à la façade de fond, lui prêtant je ne sais quelle sévère élégance. Il n’est pas jusqu’au pavillon ducal qui n’emprunte plus de grâce sereine et d’agrément hautain à des dehors si réguliers et si sobres, qu’à une ornementation plus riche ou à un appareil plus chargé.
Et l’œuvre de Boffrand mérite d’autant mieux l’estime, que le maître qui professait que l’attention de l’architecte doit se porter tout particulièrement sur le choix d’un bel emplacement, s’est, à Lunéville, trouvé dans la nécessité de construire sur un terrain des moins favorables.
On se heurtait à l’inégalité des pentes, aux caprices du relief. Au midi, où les maisons de la ville l’encaissent, il était impossible de procurer au château un dégagement suffisant. Au nord, il fallait compter avec les vestiges des primitifs remparts et un bras vaseux de la Vezouse, qui mesuraient l’espace, exigeaient des substructions énormes. Ce n’est qu’à force d’habileté, de science, que les difficultés ont été vaincues.
Les jardins ou plutôt, selon le terme adopté dès l’origine, les Bosquets, n’avaient pas exigé moins d’argent, d’efforts, de talent.
L’ancien château ne possédait qu’un médiocre parterre. Pour donner au nouveau parc sa superficie grandiose, ses créateurs durent surmonter des obstacles considérables. Nivellements à opérer, fossés à combler, héritages à acquérir, des maisons à raser, un monastère à déplacer, rien n’avait arrêté Léopold. De 1711 à 1718, Yves des Hours, l’émule de Le Nôtre, avait dirigé la tâche colossale, et peu à peu, on avait vu, sous la magie de ses cordeaux, se préciser et s’étendre un parc au solennel tracé.
Les restes des fortifications ont servi à appuyer la grande terrasse. Les eaux paresseuses qui s’attardaient en un lit changeant ou débordaient leurs berges incertaines, coulent assagies entre les bords d’un canal, que dominent les talus gazonnés de trois allées en gradins. Puis Léopold s’était décidé à doubler les Bosquets, en les continuant au levant. D’autres terres, d’autres prés, d’autres chènevières sont achetés, égalisés, confondus.
Vers 1724, le futur dessinateur du parc de Schœnbrunn, alors presque un adolescent, Louis Gervais, revenu d’étudier à Meudon et à Vienne sous de Gost et sous Zinner, reprend le plan du vieux des Hours. Il prolonge, juxtapose, et par d’intelligentes retouches, aboutit à la plus harmonieuse fusion. Mieux servi en superficie que des Hours, disciple d’une école plus moderne, Gervais, sans se départir des règles essentielles du grand art, sans manquer au culte de la ligne, saura donner plus d’imprévu et de charme à ses combinaisons. Sa géométrie, plus souple, lui réserve plus de ressources. De la raideur guindée des parterres en broderie ou de l’uniformité des ras boulingrins, on va passer, dans ces jardins agrandis, au rayonnement des étoiles, à la surprise oblique des quinconces, à la sinuosité caressante des berceaux.
Les Bosquets eurent dès lors, presque exactement, les dimensions auxquelles, après les augmentations éphémères du règne de Stanislas, ils devaient retomber et qu’ils conservent de nos jours. Mais dans quelle splendeur, peut-être un peu neuve pour le complet triomphe des frondaisons, ce parc superbe s’offrait-il au roi de Pologne, avec le miroitement de ses nappes limpides, le bruit de ses gerbes irisées, son peuple de statues.
Des travaux importants, effectués dans la forêt de Mondon, y ont amené la réserve des étangs de la Fourasse, et Vauringe, le « sorcier du Duc », est parvenu, grâce une machine hydraulique de son invention, à dresser cinq jets liquides jusqu’à soixante pieds de hauteur. Toute une mythologie disperse dans la verdure ses blancheurs de marbre, reflète dans les bassins ses enlacements de métal. Groupes et fontaines de plomb fondu de Jacob-Sigisbert Adam, puissantes allégories de Nicolas Renard, divinités un peu frêles mais si charmantes de Guibal, se font cortège ou se répondent.
« On ne croyait presque pas avoir changé de lieu, quand on passait de Versailles à Lunéville », écrit Voltaire en 1738, dans le Siècle de Louis XIV. L’éloge doit s’entendre ici de la cour de Léopold, « formée sur le modèle de celle de France ». Mais les mœurs polies, les fêtes fastueuses, les générosités inlassables du Duc, le goût des lettres, l’éclat d’une jeunesse d’élite accourue pour s’instruire à l’Académie lorraine et briller dans les salons, n’étaient pas seuls à rapprocher les deux résidences princières.
De ses yeux, Arouet avait pu s’en rendre compte, quand il était venu à Lunéville en mai 1735. Avant même d’avoir contemplé la richesse des lambris et les gloires du parc, nul visiteur, en effet, ne franchissait les grilles du château, sans songer à la cour de marbre et à la cour d’honneur du palais préféré de Louis XIV, sans noter la position identique de la chapelle, dont l’intérieur, avec ses étages ionique et corinthien, ses claires verrières cintrées, sa galerie circulaire, renforçait l’analogie.
La ville, au début du siècle encore modeste bourgade, mais qui avait subi sous Léopold d’appréciables transformations, dont la population, comptant 2 699 habitants en 1708, sans les gens du Duc, devait atteindre environ 12 000 âmes en 1753, n’échappait pas, les contemporains l’affirment, à cette similitude.
Bien que ne possédant, en dehors du château, aucun monument remarquable, sinon trois autres constructions de Boffrand (l’hôtel de Craon, adossé au mur méridional des Bosquets – au sud-est de ceux-ci, la coquette maison du prince Charles-Alexandre, oubliée dans un parc dont le triangle allongé rappelait un clavecin – la nouvelle église paroissiale, aussi, commencée en 1730 et achevée en 1747 avec les tours adornées de Héré), elle plaisait par la régularité de plusieurs de ses rues et l’animation qu’y entretenait la présence du souverain.
Un voyageur qui traverse Lunéville en 1741, déclare la localité « fort gracieuse. Les maisons sont bien bâties, la plupart en bois de charpente et peu en moellons ; elles n’ont qu’un étage et sont plates dessus. Le château est en petit dans le goût de celui de Versailles ». Un Bourguignon qui s’y arrête en 1753, la trouve « au moins aussi bien bâtie et même mieux que Versailles ». Il vante ses voies « larges et bien percées ».
Au dire encore du savant jésuite Feller, de passage en 1765, Lunéville est une « fort jolie ville. Le palais du roi Stanislas qu’on y voit est magnifique. Oui, vraiment, c’est Versailles en petit ».
Si cette comparaison ne pouvait que flatter Leszczynski, le style du château correspondait peu à son esthétique spéciale. Mais comment toucher sans dommage à cette architecture, pour lui trop classique et trop froide ? Le prince eut la discrétion de ne pas s’y essayer à de fâcheuses surcharges.
Lorsque, au-dessus des portiques, l’aigle sarmate et le cavalier lithuanien eurent succédé à l’écu de France au lambel, et, sur les frontons des ailes, aux alérions, tout se borna à des remaniements intérieurs.
Aussitôt après l’inoubliable scène du 6 mars 1737, où les princesses en larmes s’arrachaient à l’affection de leurs sujets et s’éloignaient à jamais du palais de Léopold, les ouvriers de François III avaient continué le déménagement, un instant interrompu pour le mariage de la reine de Sardaigne, et, de leur côté, les ouvriers de Stanislas s’étaient empressés de tout préparer afin d’accueillir le maitre étranger.
On s’agitait à la fois, dans la hâte et la confusion, pour la maison de Lorraine et pour le Polonais. Dans la vulgarité de ces détails, le règne finissant et le règne commençant se superposaient.
La date récente du château, son excellent entretien, écartaient l’obligation de réparations coûteuses dans le bâtiment central, les ailes, les communs. François III, qui dépouilla jusqu’à la nudité ses demeures de leurs trésors, à Lunéville abandonnait par exception à son successeur, avec les orangers des Bosquets, quelques glaces et quelques trumeaux.
Mais les vides laissés sur maints panneaux par ces opulents gobelins, par ces suites remarquables sorties des ateliers de Nancy, de la Malgrange ou de Lunéville, les Batailles du duc Charles V ou les Douze Mois de l’annéede Mitté, qu’on admire maintenant à la Hofburg de Vienne et au Hradschin de Prague, par ces portraits d’ancêtres depuis Matthieu Ier jusqu’à Charles IV, qui, restés à Florence en 1745, se voient aux Uffizi, restitutions fantaisistes ou sincères chefs-d’oeuvre comme cette Marguerite de Lorrainede Van Dyck dans la salle du Baroccio, mais les sculptures arrachées et les encadrements veufs exigeaient qu’on restaurat les salons de réception. Du moins n’y toucha-t-on guère aux boiseries et aux corniches. Les chiffres entrelacés de Léopold et d’Élisabeth-Charlotte s’y lisent toujours. Ainsi que sous les voûtes du donjon, autour des vestibules, le long des escaliers, les trophées turcs, étendards à queue de cheval, carquois, yatagans, continuent d’y redire les exploits de Charles V à Saint-Gothard, la valeureuse conduite de son fils à la journée de Temesvar.
Pendant que l’on procédait à ces besognes, les bagages de Stanislas, envoyés de Paris en septembre précédent et demeurés, au cours de laborieuses négociations diplomatiques, en détresse sur la frontière champenoise, à Saint-Dizier, avaient pu s’avancer.
A mesure que les pièces étaient prêtes, on ouvrait les caisses et l’on disposait les meubles. Mais à son arrivée, le 3 avril, Leszczynski n’avait pas approuvé la distribution de ses appartements. Il avait tenu à en régler les commodités, à prescrire l’exécution de subits caprices. Ce sont ces pièces, destinées à Stanislas et à Catherine Opalinska, que, dans les derniers jours de mai, un familier du château, le cardinal de Rohan, eut peine à reconnaître « par les nouvelles dispositions qu’on y avait faites et par les ornements qu’on y avait ajoutés ».
Descendu provisoirement à l’hôtel de Craon, le Duc-roi suivait avec une impatiente fierté ces transformations. Le mot d’ordre était donné pour que le public, hier instruit de ses malheurs, ne fût pas moins informé aujourd’hui de la beauté de son logis. On avait su que des commandes complémentaires avaient été transmises à Paris, que l’on s’occupait au Vieux-Louvre à des assortiments recherchés, que Louis XV faisait don à son beau-père de trente-six pans de tapisseries, que le personnel des Gobelins remplaçait, sur les bordures, les fleurs de lys par le mufle de sable. Après avoir occupé le monde de ses tribulations, il ne déplaisait pas à Stanislas de s’imaginer qu’il le passionnait du nombre de ses sièges et du choix de ses tentures.
Enfin, le 12 juillet, au retour d’un voyage à Saverne, le prince était rentré directement au château et y avait couché pour la première fois. La reine sa femme l’avait précédé de la veille. M. de La Galaizière, installé au debut dans la maison du prince Charles, l’y attendait depuis plusieurs semaines. Chacun s’était alors empressé de lui venir faire sa cour, et un murmure de flatteuse surprise avait agréablement chatouillé l’orgueil du propriétaire.
« On a été plus de quatre mois à mettre ce château en état de recevoir Leurs Majestés », mandait le 18 juillet aux gazettes un correspondant officieux, « et quelque superbe qu’il fût auparavant, on ne laisse pas que d’y admirer les divers changements qui ont été faits, et surtout le bon goût et la magnificence des meubles ».
Longtemps encore Stanislas s’ingéniera à parer ces appartements, y exercer le talent de ses artistes habituels. Il y entassera avec joie les objets les plus disparates, des souvenirs, des présents, et c’est aux visiteurs qui les traversèrent entre 1755 et 1760, qu’ils apparurent dans la pleine abondance de leur luxe un peu violent.
A suivre …