La guerre des quatre seigneurs contre la cité de Metz en 1324
Voici un épisode de l’histoire de la ville de Metz, et en même temps, de celle du duché de Lorraine, du duché de Bar et du duché du Luxembourg.
Les appellations anciennes ont été respectées.
D’après les bulletins de la commission royale d’histoire de Bruxelles – Année 1839
et la monographie « Metz, cité épiscopale et impériale » de H. Klipffel – Année 1867
Une ligue se forma contre les Messins entre Jean de Bohême, comte de Luxembourg, Baudoin l’archevêque de Trêves, Ferri le duc de Lorraine et Edouard le comte de Bar, auxquels se joignit plus tard l’evêque de Metz, Henri Dauphin (août et novembre 1324).
Ils promettent d’attaquer la cité de tout leur pouvoir. L’archevêque s’engage à fournir 300 hommes, Jean de Bohême 700, Ferri de Lorraine 500, ainsi que le comte de Bar 500 hommes à cheval, et chacun autant de fantassins qu’il pourra. L’archevêque seul ne sera pas tenu d’amener de la piétaille, chacun s’armera et vivra à ses frais. Les profits seront moitié pour l’archevêque et le roi, et moitié pour le duc et le comte. Ils s’engagent de plus à ne faire d’alliance partielle ni de trêve avec les bourgeois de Metz, que dans des cas prévus et aux conditions énoncées. C’était la jalousie qui armait ces princes contre Metz, car la prospérité de la cité grandissait de jour en jour, malgré les récents malheurs.
« Alors estoit ceste cité de Mets de grant renommée et puissance, et y abordaient et venaient habiter des pays circonvoisins gens cleres, gentilzhommes, bourgeois, marchans, pauvres et riches, et y abondait grosse marchandise pour la franchise et la liberté de la cité et pour les grandes richesses qu’avaient alors ceulx de Mets, ils estoient craints et doubtés et en la hayne et envie de leurs voisins ».
Les seigneurs voisins se trouvaient, en effet, pour la plupart, débiteurs des bourgeois de Metz. Ils espéraient, en leur cherchant querelle, obtenir décharge des sommes empruntées.
Quant au roi Jean de Bohême et à ceux qui se confédérèrent avec lui à Remich contre la cité, les uns et les autres mettaient en oubli les services reçus de cette dernière. Le père du roi de Bohême et de l’archevêque de Trêves, Henri de Luxembourg, avait naguère obtenu des bourgeois de Metz 50 000 livres de petits tournois qui lui servirent à se faire nommer roi des Romains et couronner empereur. Le comte Edouard de Bar, récemment attaqué par l’évêque de Verdun, avait vu les Messins le secourir de leur argent et de leurs troupes. Le duc de Lorraine, enfin, fait prisonnier dans une guerre contre l’empereur Louis de Bavière, avait dû sa liberté à une rançon en partie payée par les Messins. Ainsi rendait-on à ces derniers le mal pour le bien.
Les chroniqueurs messins ont raconté longuement cette guerre de 1324. On sent qu’ils sont fiers, pour leur pays, de sa belle résistance aux injustes prétentions des quatre seigneurs.
La cité était d’ailleurs bien préparée à soutenir l’attaque qui la menaçait. Son gouvernement, vigoureusement organisé, lui inspirait, à bon droit, beaucoup de confiance.
A l’approche de l’orage, elle le renforça encore en remettant la direction suprême de la guerre à un comité de sept seigneurs des Paraiges, qu’on appela les Sept de la guerre. On les investissait des pouvoirs les plus étendus, il leur était seulement interdit d’établir de nouvelles tailles.
Les portes avec les tours des remparts furent mises en état de défense et garnies de pierriers et d’artillerie. Les gens des villages voisins firent entrer dans la ville leurs grains, leurs fourrages, et au dernier moment s’y réfugièrent eux-mêmes avec tout ce qu’ils pouvaient emporter de leur avoir. Le comte de Sarrebruck, le sire de Bitche, le Rhingrave et plusieurs autres capitaines se mirent à la solde de la cité avec environ sept cents hommes à cheval. La milice bourgeoise comptait également huit cents cavaliers sans les piétons, « tous gens de fait » disent les chroniques.
La guerre, en effet, paraissait inévitable. Trois conférences avaient été tenues, mais c’est en vain que les Messins offraient de s’en remettre à l’arbitrage de la diète de l’Empire, du pape ou du roi de France. On ne put s’entendre.
A la journée de Thionville, qui était la seconde, le roi de Bohême avait dit aux Messins : « On prétend que vous avez fait faire ung estendairt que faietes mener sur ung chair par buefz. Si l’amenez à l’assemblée que ferons, je vous dis que j’aurai des buefz la meilleure partie ».
« Sire roy, avait répondu un des envoyés de Metz, ceulx de Mets ont paié les buefz et deffraié et les bouchiers ont aguise leurs cousteaulx pour les garder et tuer. Si vous les vollez avoir, c’est bien raison que vous saichiez avant que leurs cousteaulx sceivent faire ».
Une autre scène, curieuse comme trait de mœurs féodales, s’était passée avant l’ouverture des hostilités. Un patricien de Metz, du paraige de Jurue, Jean de la Court, était vassal du comte de Bar, un des seigneurs ligués. A la dernière conférence de Pont-à-Mousson, s’adressant au comte, en présence d’un grand nombre d’assistants, il l’adjura de dire s’il ne l’avait pas toujours servi comme un fidèle vassal. Le comte ayant attesté qu’il le tenait pour homme d’honneur et sans reproche, Jean de la Court reprenant la parole : « Ce que j’ai dit, monseigneur, je le dis pour tant que je suis votre homme féodal et suis de vostre hostel et ai été de vostre conseil, à vos gaiges et à vos robes. Présentement nous partons d’icy sans rien faire, puelt estre demain serons de guerre ensemble les ungs contre les aultres. Je me veulx départir de vous par honneur. Pour ceste fois vousrends vos gaiges et renonce à vos robes à saines mains en vous remerciant, protestant que veulx demeurer vostre humble vassal, en gardant et sauvant le vostre et le mien et à Dieu vous commande ».
Les tentatives de réconciliation ayant toutes échoué, les troupes du roi de Bohême et du comte de Bar ouvrirent les hostilités par d’effroyables ravages dans la vallée de la Moselle. Un grand nombre de bourgs comme Hauconcourt, Aleizy, Arcancy, Antilly furent livrés aux flammes et leurs habitants cruellement foulés. Renforcés ensuite par l’archevêque de Trêves, les deux seigneurs vinrent jusqu’à Grimont et tentèrent, mais vainement, de s’emparer de Saint-Julien. Tous leurs assauts furent repoussés.
D’un autre côté, les ennemis s’avancèrent par Moulins jusqu’au Genestroy ou gibet de la cité. Mais ils durent se contenter d’y pendre en effigie, les magistrats de la cité, et, après avoir démoli le gibet, ils furent forcés à la retraite.
Les Messins ne se renfermaient pas derrière leurs murailles. Par de fréquentes sorties, ils enlevaient à l’ennemi une partie de son butin et l’empêchaient de menacer la ville de trop près. C’étaient le comte de Sarrebruck, le sire de Bitche et un Messin, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, Jacques Grongnat, qui dirigeaient ordinairement les sorties. Des gens du peuple s’y distinguèrent, comme ce cordonnier qui, avec dix de ses compagnons, repoussa un jour les ennemis de la porte Patar.
L’artillerie joua dans cette guerre un grand rôle du côté des Messins. Ils purent même, comme diversion, attaquer la forte place de Sampigny, près de Saint-Mihiel, sans néanmoins réussir à l’emporter, une trahison ayant fait, après onze semaines de siège, échouer l’entreprise. Les seigneurs ligués retirèrent leurs troupes de devant Metz au mois d’octobre 1324, et les Sept de la guerre, pour ne pas être pris au dépourvu par une nouvelle attaque, se hatèrent de réparer les dommages causés aux fortifications de la ville, et de les compléter en faisant détruire les jardins et manoirs, depuis le ruit des Pucelles en la vigne jusqu’à la porte Chambière. Les biens de la cité ou de l’hôpital devaient servir à indemniser les possesseurs pour ce patriotique sacrifice. L’ennemi ne vint plus, comme précédemment, insulter les murs mêmes de la ville, mais les ravages réciproques des quatre seigneurs sur les terres des Messins et des Messins sur le Barrois, la Lorraine et le Luxembourg devaient continuer longtemps encore.Cependant, l’évêque Henri Dauphin avait abandonné ses confédérés pour se rapprocher des Messins qui lui promettaient la suppression des prudhommes et renonçaient sur les gens d’église à une juridiction toujours contestée par les évêques (traité du 51 mars 1325). Mais après avoir reçu des bourgeois 15 000 livres de petits tournois, au lieu de s’employer à ménager une réconciliation entre eux et leurs ennemis, il alla à Avignon résigner son évêché entre les mains du pape Jean XXII, puis dans le Dauphiné et ne tarda pas à périr dans un combat contre le duc de Savoie.
Henri Dauphin était le frère du dauphin du Viennois Humbert II, qui se trouvant sans héritier abandonnera un jour le Dauphiné à la couronne de France. Le successeur d’Henri Dauphin, Louis de Poitiers, pendant son court épiscopat (1325-1328) comprit mieux ses devoirs de pasteur de l’Église messine. Il ne tint pas à lui que la paix ne fût rendue à la cité.
Par ses instances, une journée se tint entre les quatre seigneurs et les Messins au Pont-à-Mousson. Mais l’exagération des demandes des princes ligués devait nécessairement les faire rejeter : ils réclamaient en effet une indemnité de guerre de 100 000 livres messines, et prétendaient exiger des Messins la suppression des amans (écrits sur parchemins), comme d’un office contre droit et coutume et con ne fait en nulz lieux du monde.
Les courses recommencèrent ainsi de part et d’autre, et continuèrent pendant toute l’année 1325.
Cependant, la lassitude gagnait les seigneurs confédérés, lorsqu’un coup frappé par les Messins sur les terres du comte de Bar, et un stratagème employé à propos, hâtèrent la conclusion de la paix.
L’honneur de la dernière chevauchée revint au vaillant Jean de la Court. A la veille de se rendre au Pont-à-Mousson pour y conférer de nouveau avec les adversaires de la cité, il réunit sur la cité de Froymont, 1 400 hommes tant cavaliers que fantassins, et bientôt les flammes s’élevèrent de toutes parts des villages incendiés du Barrois.
Le comte de Bar accourut sur les murs du pont et montrant ces fumières au roi de Bohème et à l’archevêque de Trêves : « Advisez, leur dit-il, quant vous serez en Bohème et vous, archevesque, quant vous serez sur le Rin, en queil point ceulx de Mets me gouverneront, quant en vostre présence, véez ce qu’ilz font. Pourtant j’ay besoing de la paix et fault que paix se faisse de ceste guerre : car je vous en prie et requiers, je ne le polroie plus endurer ».
Jean de la Court et les envoyés de Metz ne tardèrent pas à arriver, et les médiateurs les ayant trouvés à table, se récrièrent de les voir manger des harengs frais qu’ils avaient apportés dans leurs bagages, tandis qu’eux-mêmes ne s’en pouvaient procurer. « Vous euydez tenir les chemins et le pays cloz pour nous, mais nous les tenons cloz pour vous », leur dirent les Messins enchantés du succès de leur ruse, et ils leur firent présent d’une centaine de harengs pour les porter aux princes. De quoi ceux-ci émerveillés et marris en même temps de l’inutilité de leurs efforts contre Metz, s’empressèrent de consentir à la paix.
Les conditions toutefois en furent assez onéreuses pour Metz. La cité ne réclamait rien pour les dommages que l’agression des quatre seigneurs lui avait causés, ses habitants ne devaient plus désormais acquérir de fiefs dans les domaines de ces derniers sans leur agrément, et pour ceux qu’ils tenaient déjà, ils promettaient de remplir exactement les devoirs féodaux. On s’engageait des deux parts à ne point donner asile aux malfaiteurs, à se les livrer réciproquement et à protéger les marchands.
Les différends qui pouvaient survenir, devaient être jugés selon la coutume d’Estault (3 mars 1326).