Jametz au XVIIe siècle

Blason de Jametz

 

D’après le « Manuel de la Meuse » de Jean-François-Louis Jeantin – 1861

 

Jametz, terre conquise, sous la domination lorraine (de 1589 à 1631)

La capitulation du château livrait Jametz à la Lorraine. Cette conquête lui avait coûté cher : vingt mois d’assauts, deux millions d’espèces, et des flots de sang. Tel était le solde de la victoire !

À tout prix, il importait à la Ligue qu’elle le conservât. Aux termes où les princes lorrains se trouvaient alors avec la France, Jametz était un poste, de premier ordre, contre les projets des envahisseurs des trois Evêchés. Car les Français étaient déjà maîtres du Verdunois. Charles III le comprit, et sa politique y pourvut.

Après la retraite de Shélandre et de sa troupe, le 25 juillet 1589… après la fière sortie de cette garnison héroïque, capitaines et soldats, l’épée ou le poignard à la ceinture, tambours battants et enseignes flottantes… Henry de Lorraine, marquis du Pont à Mousson, fils aîné de Charles, avait enjoint au baron d’Haussonville de mettre les lieux sur un pied respectable.

150 arquebusiers à pied, 20 à cheval, 4 canonniers, et la compagnie Maigret occupèrent le fort, et le sieur de Lesmont fut gouverneur de la place et dépendances du pays.

Dès le lendemain, le culte catholique reprit possession des âmes, en la personne du curé Nicolas Meunier. Puis, appelé du Piémont, un ingénieur militaire vint reconstruire la forteresse.

C’était Mathieu du Pont, dit l’italien dans les comptes de son exercice : les gens du pays le nommèrent le Wale, c’est-à-dire l’étranger.

Pendant que cet émule du célèbre Errard de Bar s’ingéniait à faire du vieux château un fort imprenable, d’autres événements s’accomplissaient dans la principauté.

Henry de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, avait épousé Charlotte de Lamarck, le 15 octobre 1591. Se mettant aussitôt à la tête de quelques intrépides, pendant que l’armée lorraine tenait ses quartiers entre Ivoy-Carignan et la Meuse, le prince de Sedan faisait une pointe dans les Wabvres. Puis, coup sur coup, la nuit même de ses noces, il surprenait Stenay, à la confusion grande de son commandant Claude de Craone… il enlevait Dun, en janvier 1592, à son gouverneur Jean de Mouzay… il assaillait Jametz, au mois de février… on dit même qu’il s’en rendit maître, au moins momentanément.

Cependant, les Lorrains tinrent bon, en 1592, 1593, 1594, 1595.

En 1594, Charles IV y avait placé le baron de l’Etang, comme gouverneur, puis il le remplaça par le sieur de Raigecourt, qui ne tarda pas à en être expulsé. Enfin, les Lorrains n’évacuèrent Jametz que le 15 mars 1596.

Voici les motifs de cette évacuation, qui ne tarda pas à être suivie de leur rentrée. Charlotte de Lamarck meurt sans enfants… grands débats, pour sa succession !

D’une part, son mari se disait légataire ; d’autre part, ses oncles contestaient l’existence du testament. Ceux-ci étaient le comte de Lamarck et le duc de Montpensier. Le légataire ne démord pas. Il est ensaisiné, et, comme tel, il tient bon. Le Béarnais, fin matois s’il en fut, enchanté de cette lutte qui faisait ses affaires, intervient. Et il ordonne que les place et terre de Jametz seront remises èz mains du sieur de Montpensier, en contre échange des places de Dun et d’Astenay (Transaction signée au Louvre le 24 octobre 1594 – Traité de Saint-Germain en Laye du 16 novembre 1594).

Puis, avec quelqu’argent, par rachat du 24 décembre 1596, tout s’arrange entre les intéressés. Ce pacte politique régla, pour un demi-siècle, le sort de Jametz et de ses terriens. Charles versa 100 000 écus au duc de Montpensier, qui en retira ses gens d’armes… le comte de Lamarck fut apaisé par quelqu’autre somme, espèces sonnantes… En fin de compte, Jametz resta aux Lorrains, sauf à s’en débattre, plus tard, avec les Français.

Alors, Claude Charles de Housse, à la tête des troupes lorraines, reprit possession du fort et des ruines qui l’entouraient. Conformément aux ordres de son maître, ce gouverneur activa les fortifications renaissantes, puis il entreprit l’œuvre de repeuplement et celle de réorganisation.

Quelques bourgeois rentrèrent ; ils relevèrent les murs de leurs habitations fumantes. En 1601, déjà 147 familles avaient reconstitué la nouvelle commune. Alors, il fallut lui donner un code de police et des magistrats.

Un bailli, nommé Jean Symon – un procureur général, qui s’appelait Thomas Delchef – un contrôleur, Guillaume Fabvier – un receveur, Jean Jappin de la Tour – un greffier chargé du tabellionnage, Jacques de Hollier. Tels furent les premiers officiers du nouveau bailliage, ayant à ses ordres trois sergents. Deux maîtres de ville, chargés d’asseoir et de lever l’impôt – un procureur syndic et quelques conseillers, à l’élection, telle fut la première municipalité.

Le château, fortifié en 1601 et 1602… un pont, jeté sur le Loison, au vis-à-vis des Amyoths, une nouvelle halle placée au centre du bourg… une église, construite, en 1608, par le maître maçon Guiot Roussel, sur les plans et devis de l’auditeur des comptes Dubois de Nancy… telles furent les premières œuvres du gouvernement.

La famille de Schélandre n’avait pas été impitoyablement proscrite par les vainqueurs. On en a la preuve par les actes d’aveux et reprises :
- du 13 mai 1607, par Judith de Miremont, veuve de François de Schélandre, laquelle dénombre pour la tour de Jametz et ses dépendances, mouvantes de la maison forte dudit lieu
-
du 24 mars 1612, par son fils Jean Martin, dit aussi Thin de Shelandre, poëte assez distingué, qui mourut à Sommazannes, en 1635.

En 1609, le duc Henry réunit la charge de baillif aux fonctions de gouverneur, et Thirion Petit remplaça Thomas Delchef comme procureur d’Etat.

Claude Charles de Housse décède en 1617. Il est remplacé par Gaspard Danglure, maison de Buzancy. Ce gouverneur demeure à poste fixe : il poursuit l’œuvre des fortifications. Il fait abattre la maison-forte du fief dit de la Cour, maison qui nuisait à la défense. Il restaure les appartements de la résidence. Enfin, il meurt, en 1620, laissant quatre mineurs : Henry – Louis – Saladin – Marguerite.

Pour récompense des services de leur père, le duc Henry leur concède le fief de la Cour, avec ses dépendances. C’était le petit domaine qu’il avait racheté des Shélandre, après leur expulsion.

En 1620, le sieur de Raigecourt succéda au gouverneur d’Anglure. Il trouve 132 ménages, mais toute la terre ne rapporte encore au domaine que 80 000 fr. barrois, somme insuffisante pour défrayer la garnison.

Tout est absorbé par les chefs, les soldats ne vivent que de maraude. Les habitants, plongés dans la misère, désertent de nouveau ; leurs foyers restent vides.

En 1636, de 132, le nombre des feux est réduit à 26. Et, quatre années plus tard, on n’en trouvera que 8, tant est désastreux, ce gouvernement militaire. C’est dans cet état que survient l’occupation française, en vertu du traité signé en 1631, par Charles IV, à Liverdun.

Jametz, terre envahie, sous l’occupation française (de 1631 à 1648).

La paix de Liverdun ne pouvait être que précaire, car le traité ne stipulait que le dépôt, aux mains de Louis XIII, de quelques places fortes, telles que Clermont, Varennes, Dun, Jametz, Stenay, pour gages de la fidélité de l’inconstant et avantureux Charles IV. Cette girouette, hélas, tournait au moindre vent.

Le comte de Lamberty avait reçu le commandement général de ces places. Puis, la division du militaire et du civil s’étant faite, chaque ville eut ses magistrats à part. Ceux-ci nommés par le prince lorrain, pour le maintien de ses droits, ceux-là, c’est-à-dire les chefs des troupes, étaient choisis par le roi. Ainsi, Bernard de Raigecourt, sénéchal de l’évêché de Metz et général de l’artillerie lorraine, en quittant Jametz, avait été promu gouverneur de Stenay, à titre honoraire, et Nicolas de la Serre, commandant en second de cette place, sous le comte de Lambertye, avait reçu du roi de France le poste miliiaire de Jametz. De Goupillon était son major de place, un sieur de Viltange était commissionné aux vivres et munitions…

En 1636, François Thiébault de Saint Euruge succéda à de la Serre au gouvernement de Jametz, de Dun, et de Stenay. C’est, sous ce provisoire, de 1632 à 1640, que se compléta la misère et le dépeuplement de Jametz. Il était temps que les conquêtes de Louis XIV y missent fin par la constitution d’un ordre stable, sous l’action immédiate du vainqueur de Rocroy.

En août 1634, un édit du roi avait supprimé le bailliage de Jametz. Il avait ordonné qu’à l’avenir, sa prévôté ressortirait au bailliage de Verdun, sauf recours à Metz, pour les cas d’appellation.

A partir de cette époque, sinon de droit au moins de fait, Jametz cessa d’être lorrain. Son gouverneur était alors le sieur Simon, beau-frère de celui de Stenay, du nom de Thiébault. Ce gouverneur, par acte du 5 juin 1647, céda son bénéfice militaire à Absalon Claude Jean Baptiste d’Aspremont, marquis de Vandy, lequel devint ensuite gouverneur de Montmédy.

Les terres, la seigneurie et le comté de Jametz sous les princes de Condé (de 1649 à 1789).

Le traité de Munster ayant uni les trois Evêchés à la France, toutes questions de domanialité, au sujet des anciennes engagères, soit aux mains des princes de Sedan, soit en celles des comtes de Bar, toutes ces questions, tranchées par l’épée d’abord, se trouvaient alors étouffées par la diplomatie. Ce litige, six fois séculaire, ne pouvait se raviver entre le souverain du domaine épiscopal et son sujet apanage du Clermontois.

La seigneurie de Jametz perdit, dès lors, ses anciennes proportions. Sous les Lamarck… en outre des ville, château, et prévôté de ce nom… en outre des seigneuries de Romagnes, de Cierges et de Proiville, en Argonne… en outre de celle de Dampicourt, près Saint Mard… en outre des fiefs de Thil, de la Cour… et autres, dont ces princes étaient, en 1536, suzerains, sans conteste.

Leur principauté comprenait, à des titres plus ou moins contestables, les droits et domaines qui suivent :
- deux tiers de la seigneurie de Romagnes sous les côtes, partageables avec les ayants cause des anciens sires d’Azenne et de Murault
- le quart de la seigneurie de Remoiville, partageable, pour le second quart, avec les représentants des anciens sires d’Haraucourt et de Louppy, et, pour le surplus, avec le couvent de Juvigny
- le huitième, en la prévôté épiscopale de Mangiennes, partageable avec les ayants droit des anciens sires de Briey et de Sancy
- plus, la seigneurie de Chaumont devant Dampvillers, plus celles des villages de Loyson, de Viller devant Mangiennes, quant aux portions jadis possédées à titre de vouerie
- ensemble des droits de bourgeoisie, à Lérouville, à Buzy, à Pilon, à Billy
- plus encore, le moulin bannal d’Azennes
- plus enfin les menues dixmes de Brandeville et de Ville devant Chaumont.

Toutes ces annexes, si longtemps litigieuses, fruits, ou d’occupations violentes, ou de concessions précaires, s’étaient, d’un trait de plume, incorporées au domaine de France. Et l’orgueilleux Condé eut été, certes, mal venu à les contester au grand roi.

La terre et seigneurie de Jametz ne comprit donc que sa capitale, plus quelques dépendances, tout immédiates, à savoir :
- le fief de Romagne sous les côtes, celui de la Madelaine à Remoiville, celui du Jay
- les censes de : Thil – les Roises – la Forêt – Montaubé et Proiville lez Dun.

La Gruerie de cette remanence ne comprenait pas moins de 1 300 arpents de bois.

En 1650, Jametz eut pour gouverneur le marquis de Sainte Maure : la garnison se souleva, le 14 juillet, contre son chef, et l’incarcéra, paraît-il, pour ses exactions. Il fallut le remplacer par un homme plus pur et de plus d’énergie. Ce remplacement eut lieu en 1655.

Alors Jametz fut mis sous le sieur de Manimont. Celui-ci commandait aussi à Marville déjà occupé par les Français. La prise de possession du prince de Condé devait commencer le 1er janvier 1649, mais sa révolte contre le roi, suspendit les effets de la donation de 1648, jusqu’après l’arrêt d’enregistrement du 13 janvier 1661.

Affranchi, peu à peu, du gouvernement militaire, de 1648 à 1661, le nouvel Etat n’eut encore qu’une organisation provisoire. Son bailliage de 1634 fut maintenu, mais sur le papier seulement. Il resta sans officiers, institués, jusqu’en 1660.

C’est alors qu’il y fut pourvu, par l’investiture donnée au lieutenant général Jean de la Hault, lequel exerça de 1660 à 1683. Ce Baillif fut remplacé par Charles de Gelhay. Celui-ci vit la suppression du bailliage, en 1687. Il n’était plus que le chef d’une prévôté inférieure, à sa mort, arrivée en 1699. En dernier résultat, Jametz fut érigé en Comté, titre purement nominal, et ce comté fut administré, successivement, par des prévôts.

La démolition du château et celle des murs d’enceinte de de la ville, furent opérés en 1672. Les ruines, qui existent encore, au levant, prouvent que ces murs étaient d’une épaisseur impénétrable aux projectiles du temps. Dans le centre s’élevait, en pierres de taille, d’appareil cyclopéen, une tour, en forme de fanal, dressée à une hauteur stupéfiante. Cette tour, la tour Cornato, pendant des siècles, avait fait l’admiration des générations passées.

A suivre …


Archive pour mars, 2011

La légende de l’origine des Vosges

Les Vosges 

D’après un article paru dans les « Mémoires de l’Académie de Stanislas » – Année 1869

Philippe Antoine Chainel est l’auteur d’un poème héroïque, dans lequel il a célébré les beautés du Château-sur-Perle et les merveilles des Vosges. Ce poème a pour titre « La Cinthyperléyade ou l’ordre de Diane ». L’auteur cherche quelle a été l’origine des montagnes des Vosges.

Donnant carrière à son imagination, il s’appuie sur cette fiction que les Titans vaincus en Thessalie par les Dieux, auxquels ils avaient l’intention de ravir l’Olympe, se réfugièrent, non pas à Tartèse près de Cadix, comme le prétend Ovide, mais dans les Vosges.

Après avoir franchi le Rhin, ils résolurent, pour assurer leur défense, d’élever à peu de distance de la rive gauche de ce fleuve, un rempart inexpugnable. Ils accumulèrent, comme ils l’avaient fait en Grèce, montagnes sur montagnes et formèrent ainsi la chaîne des Vosges abrupte du côté du Rhin, en pente à l’ouest, et telle est encore aujourd’hui la conformation que présentent ces montagnes.

Les Dieux les y suivirent, les forcèrent dans leur camp que l’auteur place sur le plateau de Champdray et les repoussèrent dans le bassin de Gérardmer, où ils leur livrèrent bataille. Ils y remportèrent sur ces audacieux rebelles une victoire décisive, et les principaux chefs des Titans, Typhon, Pelor, Hyppolite, Palibotte furent faits prisonniers, ainsi qu’un grand nombre de leurs soldats.

Les Dieux et les Déesses, descendant, après la victoire, la vallée de la Vologne, s’arrêtèrent sur une petite montagne dominant le cours de cette rivière et Vulcain y construisit immédiatement un château connu depuis sous le nom de Château-sur-Perle.

C’est là qu’ils s’assemblèrent pour juger leurs prisonniers. Les quatre chefs des Titans que nous avons nommés, furent condamnés à être enfermés à perpétuité dans des grottes souterraines où, depuis cette époque, ils échauffent par leur souffle brûlant des sources bienfaisantes. Telle est l’origine des eaux thermales de Bains, de Luxeuil, de Bourbonne, de Plombières.

Parmi les prisonniers vulgaires, les uns furent condamnés aux mines et fournirent aux Cyclopes les minerais nécessaires à l’alimentation des forges de Framont, de Rothau et de Saint-Amarin, les autres furent employés aux travaux des salines de Dieuze et de Moyenvic. C’est ainsi que les Dieux introduisirent l’industrie dans les Vosges.

De son côté, Cérès apprit aux habitants à défricher et à cultiver la terre et le dieu Pan à élever des troupeaux.

Mais ce ne furent pas là tous les bienfaits dont les habitants de l’Olympe gratifièrent les Vosges.

C’est à Neptune que ces montagnes sont redevables des belles cascades de Tendon. Eole, après la victoire des Dieux, souleva une affreuse tempête qui vint fondre sur Gérardmer des quatre coins de l’horizon. Le sol y trembla, trois crevasses s’ouvrirent et donnèrent naissance aux lacs de Gérardmer, de Longemer et de Retournemer.

Des enfants furent métamorphosés en Hurlins et les eaux de ces lacs sont encore peuplés de ce petit poisson si estimé des gastronomes vosgiens.

Vénus voulut aussi laisser aux jeunes filles de la Vôge un souvenir de son voyage.

L’auteur nous l’apprend dans les vers suivants :
« Sur la verdure assise à l’ombre d’un bocage,
Venus vit la Vologne, y voulut prendre un bain
L’onde en étoit limpide et presentoit son sein.
Elle entre et, s’ébattant comme fait une anguille,
Elle enfante un foetus couvert d’une coquille.
Par les flots emporté ce germe original
Fut fixé sur la pointe au milieu du canal.
Cependant de Vénus ayant reçu la vie
Au voeu de la nature l’huître étoit asservie
Le long de la rivière aussi vit-on bientôt
De sa progéniture un très-nombreux dépôt.
Mais, dans l’huître en l’ouvrant, le pêcheur y rencontre
Une perle à belle eau, d’une éclatante montre.
Le galant bijoutier en forme des atours
Dont la femme raffole en ville et dans les cours ».

Les poètes et les historiens de l’ancienne Lorraine ont célébré, parmi les merveilles de la Vôge, les perles de la Vologne. Cette petite rivière est même représentée dans le frontispice de la Pompe funèbre de Charles III, duc de Lorraine, sous la figure d’une nymphe portant au cou un collier et à la main des masses de perles enfilées. Au-dessous de cet emblème, on lit Vologna margaritifera suas margaritas ostentat.

Le château de Chanteheux (54)

Le château de ChanteheuxJeton de Chanteheux frappé en 1748Le salon de Chanteheux

 

Si vous le voulez bien, continuons la visite des châteaux des ducs de Lorraine et arrêtons-nous un instant au château de Chanteheux.

Il ne reste évidemment plus rien de cette magnifique résidence, puisqu’aussitôt après la mort de Stanislas, elle fut démolie, comme tant d’autres résidences du Roi bienfaisant.

Mais je vous propose une petite promenade dans le temps, et vous verrez une fois encore, qu’il est réellement dommage, qu’un tel édifice ait été ruiné.

D’après un article de « La Revue Lorraine Illustrée » – Année 1907

Léopold avait-il prévu la création des Bas Bosquets ? Cette extension en largeur des jardins de Lunéville rentrait-elle dans le dessein initial ? Rien ne nous renseigne sur ce point. Il est certain, par contre, que le Duc entendait donner à son parc une profondeur beaucoup plus considérable.

La limite en eût été reculée jusque sur le ban de Chanteheux. Dans cette intention, le prince avait même acheté cette communauté et à ses habitants diverses parcelles de terre. Mais des embarras financiers avaient sans cesse retardé, et une mort inopinée empêché la réalisation d’un projet, auquel ne s’arrêtèrent ni Francois III, ni Élisabeth-Charlotte.

Depuis le parapet, doublé extérieurement d’un fossé qui protégeait à l’orient les Bosquets, Stanislas contempla donc encore, à son arrivée, entre la Vezouse à gauche, le château du prince Charles et la chaussée d’Allemagne à droite, la nudité d’une vaste plaine.

Du côté de la rivière, dans le prolongement du terrain que nous avons vu accenser à Héré en février 1740, c’était la suite des « meix de Rianois », sur lesquels, à deux reprises, avaient été conquis les Bosquets. Pour conserver le poisson destiné à la table ducale, des réservoirs y avaient été pratiqués. Une palissade entourait ce groupe de viviers. Devant les Bosquets mêmes, et à mesure que l’on s’écartait de la berge pour se rapprocher de la chaussée, le sol imprégné d’eau faisait place à une arène stérile.

Derrière cette véritable lande, existaient des prairies, ensuite des terres arables possédées par des particuliers de Lunéville, puis des sablières, enfin les cultures, les piquis, les boqueteaux du village agricole de Chanteheux, agglomération de quelque quarante ménages, visible à l’horizon. Continuation de l’allée médiane des Bosquets, une interminable avenue, à quatre rangs de tilleuls, rayait seule l’uniforme surface. Deux bandes adjacentes, plantées de vignes et de charmilles, donnaient ce ruban verdoyant une largeur constante de quatre-vingt-six mètres.

Commencée en 1710, améliorée en 1725, trait d’union significatif que Léopold n’avait pas su refuser au mari de sa favorite, cette voie laissait Chanteheux sur la gauche pour aller aboutir, près de trois kilomètres plus loin, au château de Craon, aujourd’hui Croismare.

Une sorte de mélancolique grandeur se dégageait d’un tel tableau. Stanislas y fut moins sensible que choqué du soudain contraste de parterres luxuriants et de terrains vagues. A son tour, Leszczynski souhaita l’agrandissement du parc dans cette direction. Son rêve va dépasser le rêve, où s’est complu son prédécesseur.

Par contrat du 17 février 1740, le baron Stanislas-Constantin de Meszeck acquérait de Pierre-Paul-Maximilien, comte du Hautoy de Gussainville, ancien maréchal de Lorraine et Barrois, au prix de 37 000 livres, monnaie du Duché, la seigneurie de Chanteheux, consistant en « haute, moyenne et basse justice, maisons, colombier, cens, rentes, terres, prés et autres héritages, rivière, et en tous droits y attribués ».

Le 10 mars suivant, le grand maréchal de la cour devenait également propriétaire d’un gagnage de trente-quatre hectares, situé sur le ban de la même localité et comprenant maisons de maitre et de fermier, jardins, prairies, labours et chènevières. Le sieur Fiacre Leguiader dit Launay, traiteur des cadets gentilshommes, et Barbe Taraillon, sa femme, le lui cédaient pour 24 000 livres. Mais, dans deux autres actes, datés aussi du 10 mars, Meszeck, afin, déclarait-il, de donner « des marques de son amitié » au duc et la duchesse Ossolinski, leur assurait la complète jouissance, à son décès, de cette seigneurie et de ces biens-fonds, ainsi que des effets mobiliers qui pourraient alors s’y trouver. Le dernier usufruitier disparu, le tout appartiendrait à l’hôpital Saint-Jacques de Lunéville.

Le revenu en serait employé à l’augmentation des lits et au soulagement des malades pauvres, notamment des calculeux qu’y attirait, chaque semestre, l’habileté du chirurgien Rivard et de ses élèves. Il était enfin stipulé que si le roi de Pologne survivait ses trois compatriotes, la dévolution à l’hôpital serait retardée en sa faveur.

Ces arrangements assez compliqués cachaient de secrètes intentions. Meszeck avait servi de prête-nom. L’acquéreur n’était autre que Leszczynski. Non que le prince désirait combler son grand maréchal, homme de goûts modestes, âgé de quatre-vingt-trois ans. Par delà le vieillard, la libéralité dont l’aveu gênait Stanislas, visait ses cousins Ossolinski, la cousine surtout et l’amante.

De plus, ce n’était pas uniquement en vue d’une fondation charitable précédée d’une largesse intéressée, que Leszczynski s’était empressé de saisir une double occasion de traiter. Un motif semble avoir décidé le monarque à profiter d’offres faites par des vendeurs simultanément obérés. Cette idée maitresse transparait dans une clause accessoire des contrats de donation : « Au cas que, dans la suite, le souverain régnant voulant augmenter les Bosquets et les jardins de Lunéville, et qu’il trouvât que Chanteheux lui convint pour cet effet, il lui sera loisible de disposer en toute propriété de la seigneurie et du gagnage, après en avoir versé les sommes représentatives entre les mains du receveur de l’hôpital Saint-Jacques, qui les affectera par remploi aux intentions prescrites ».

Léopold s’était assuré des terrains confinant aux Bosquets. L’extrémité de l’immense parc qu’a tracé l’imagination de Stanislas, est maintenant fixée. Dans le projet du Duc défunt, les Bosquets eussent été exactement doublés en longueur. Selon celui du roi de Pologne, ils seront, plus que triplés.

Leszczynski ne saurait se flatter d’être ce souverain qui, après l’acquisition des lots intermédiaires et de progressives transformations, joindra, sans discontinuité, en une succession de pelouses et de corbeilles, Lunéville et Chanteheux. Il lui plait de préparer l’avenir. Le Dauphin, un arrière-petit-fils, applaudira un jour à la prévoyance de l’aïeul. Le roi de Pologne comptait trop sans sa mobilité impatiente. Il acceptait des années. Les semaines lui pesèrent. Un mois à peine s’était écoulé, que le prince était las d’attendre. L’été même de 1740, il se décide à commencer par chaque bout les changements désirables.

Au fond, il veut voir s’élever le Trianon du Versailles lorrain. Sur l’axe de l’avenue courant vers Craon, Emmanuel Héré est chargé d’édifier et d’entourer de parterres ce palais.

Et tandis que, face au donjon de Lunéville, s’érige et lui répond le Salon de Chanteheux, de grands travaux sont entrepris dans le voisinage immédiat du parc de Gervais. Sur le terrain des réservoirs et dans une prairie contiguë, laissés à cens perpétuel au duc Ossolinski par arrêt du Conseil du 26 août 1741, une maison de campagne avec de nombreuses dépendances est bâtie, des jardins sont dessinés, une série de bassins creusée, le tout aux frais de Stanislas.

Ce fut, baigné par la Vezouse, un aimable domaine de quatre hectares, auxquels tant de nouveaux accensements, accordés en 1745 et au début de 1750, que des acquisitions personnelles du bénéficiaire, ajoutèrent pour l’exploitation d’une « marcairie » dix-huit hectares de prés.

Le 23 avril 1750, Leszczynski abandonnera à son cousin, pour lui et ses héritiers, la propriété de l’ensemble. Mais, à la mort du grand maitre, le roi ayant révoqué sa donation, la Ménagerie de M. le Duc, tel était le nom par lequel les habitants de Lunéville, pour la distinguer de l’ancienne Ménagerie de Madame la Duchesse, avaient de bonne heure désigné ce domaine, réunie à la couronne, constitua une simple annexe des jardins du chteau. Les pêcheurs continuèrent d’en peupler les viviers. Le lavoir de la cour y fut établi. Les lessiveuses et des pourvoyeurs en sous-ordre y eurent leur logement. Stanislas y fit monter une serre à ananas et aménager une seconde melonnière. Il y entretint aussi un garancier. Quant à la marcairie, affermée désormais pour le compte du monarque, le nommé Jacob en versait, à la fin du règne, 800 livres de canon.

Cependant, à la suite des Bosquets, de la terre végétale avait peu à peu recouvert la friche sablonneuse. Mais cette expérience, en sol si mal propice, Stanislas s’était vite convaincu de ce que, par rapport à ses ressources, son projet comportait d’ambitieuse exagération. Une fois encore, et sagement, il avait donc changé d’avis.

Le château de Chanteheux resterait au loin isolé dans la plaine. Les quinze hectares amendés du premier plan devinrent deux garennes fermées, où les lapins ne tardèrent pas à pulluler en « quantité prodigieuse ». Stanislas Leszczynski s’y livrera à de fréquentes hécatombes. Il y abattra son dernier gibier. Puis, quand il lui fallut renoncer à tenir un fusil, le prince commanda la transformation de ces enclos en des potagers, où ses jardiniers s’adonnèrent à la culture sur couches des primeurs, voire à celle des ananas en serre hollandaise.

Mieux eût valu conserver à ces lieux leur aspect naturel, d’une pittoresque désolation. Trop élevés, inégaux, les murs des Garennes coupaient la perspective, imposaient leur maussade couloir. L’avenue reprenait ensuite. D’espace en espace s’y creusaient, comme autant de refuges, des salles de charmille.

Enfin, l’allée s’évase, des tapis de gazon s’étalent. Et voici que, dans l’intervalle de deux tours rondes à lanterne, en recul de constructions basses, un fier pavillon profile sur le ciel la superposition de ses étages décroissants.

On est au château de Chanteheux, moitié ferme, moitié palais. Ferme pimpante, palais somptueux. Ces tours rouges sont des colombiers. Ces ailes couronnées de galeries, où, sur le ton chaud de la brique, tranche la blancheur des parements, renferment à gauche les offices et les communs, à droite des étables et des granges. Des grilles d’angle circulaires relient les bâtiments latéraux à l’édifice central, le Salon proprement dit.

Ce Salon est de plan carré. Chacune de ses quatre façades, identiques, mesure au premier étage deux fenêtres de moins qu’au rez-de-chaussée, le second étage est de même en retrait de deux fenêtres sur le premier. Une double terrasse règne ainsi autour de la masse progressivement allégée et qui se termine en plate-forme. Au sommet, des horloges monumentales tiennent lieu de frontons.

Par une combinaison que ne renieraient pas nos modernes architectes, les cheminées se dissimulent dans des vases et des pots à feu. Avec sa triple ceinture de balustres, d’urnes et de groupes, les fresques, qui le couvrent, les soixante-seize baies en plein cintre qui l’ajourent, ce pavillon, aux curieux effets de silhouette, est d’une rare élégance. La légèreté des attaches de ferronnerie qui contribuent à délimiter la cour d’entrée dont lui-même constitue le fond, l’isole plus qu’elle ne l’embrasse, et la gaieté cossue du cadre rustique relève encore sa grâce précieuse.

A l’opposite de cette cour, la façade orientale du Salon donnait sur une terrasse agrémentée de berceaux. On en descendait à un jardin fleuri, presque entièrement occupé par une grande pièce d’eau d’où surgissait, parmi les statues et les gerbes, l’aiguille d’un obélisque. Plus loin, l’avenue interrompue recommençait se dérouler vers Craon.

Au midi et au nord, deux parterres en broderie amusaient le regard. De l’un, on allait de plain-pied à une avenue transversale rejoignant la route de Blâmont. Le second parterre dominait de plusieurs marches un quinconce conduisant, dans la direction du village, à un vaste potager. La plupart de ces jardins, ce qui en augmentait le charme, n’étaient pas entourés de murs, mais séparés des champs environnants par des haies vives, habilement taillées, et par des canaux poissonneux.

De quelque côté que l’on abordât le pavillon, cour, terrasse ou parterres, une porte, sous un péristyle flanqué de colonnes ioniques, offrait l’hospitalité de ses battants vitrés. On entrait alors dans une pièce sans autres fenêtres. Sa forme étrange était d’une croix grecque aux angles remplis par des pans coupés. Seize colonnes d’un stuc semblable à du marbre, chacune de cannelures différentes, et de multiples pilastres recevaient les retombées d’une voûte à pendentifs entièrement peinte et fouillée. Le pavé était d’une « espèce de faïence ». Aux quatre pans, se faisaient face, des groupes d’enfants chasseurs ou pêcheurs, dont les corps de marbre blanc ruisselaient sous l’eau de dix jets fluant en voiles dans des vasques de pierre. Les lustres et les meubles étaient de bois sculpté et doré, les tentures, de siamoise.

C’est au milieu de cette salle que Stanislas fit dresser, dès 1752, une réduction en bronze de la statue de Louis XV, par Guibal et Cymé, fondue en 1755 pour la place Royale de Nancy. La lumière n’arrivant qu’atténuée par l’épaisseur des péristyles et tamisée par des stores, il régnait ici une demi-obscurité mystérieuse. Les fontaines répandaient leur perpétuelle fraicheur. En été, on avait l’illusion d’une grotte magique : on goûtait une sensation d’Alhambra.

Si l’on empruntait la spire du bel escalier dont la rampe, forgée par Jean Lamour, déroulait dans une cage enrichie de fresques le tumulte de ses volutes d’or, après la pénombre calculée d’en bas, c’était soudain l’éblouissement. On se trouvait dans une salle conçue sur le même type cruciforme que la précédente, mais dont, au centre, le plafond à l’italienne exhaussait sa calotte de toute la capacité du second étage, et que vingt-quatre fenêtres inondaient de lumière.

On marchait sur un dallage de marbre et de stuc figurant une jonchée de fleurs. Chaque morceau de cette mosaïque représentait une corolle, rose ou renoncule, et par sa teinte comme par ses contours, pas une de ces corolles n’était semblable à l’autre. Les lambris et les portes se glaçaient de stuc blanc, d’un poli parfait, où, dans le cadre arrondi des rocailles, étaient peintes « des choses merveilleuses pour le goût et la variété des idées ».

Jaillissant de socles de stuc gris, des fûts veinés et jaspés portaient sur les acanthes de leurs chapiteaux l’entablement d’une tribune octogone qui soulignait de son balcon ouvragé le changement extérieur d’étage. La symétrie des encoignures affrontait en diagonale quatre cheminées surmontées de glaces et de trumeaux. Au-dessus de la galerie, les statues des Éléments reposaient dans des niches console. Partout, sur les chambranles, les frises, les voussures, ce n’était qu’ornements, emblèmes, attributs, où l’or prodigué l’emportait.

Les Arts, les Sciences, les travaux et les loisirs des champs, le cycle des Saisons avaient servi de thèmes au ciseau et au pinceau. Treize lustres argentés et trente-deux girandoles de verre de Bohême pendaient du plafond ou s’écartaient des pilastres, pour, la nuit venue, aviver l’éclat du décor. Les montants des sièges étaient laqués de vert pâle. Sur le damas bleu des Indes qui garnissait ces sofas, ces fauteuils et ces banquettes, sur les lourdes portières relevées par des croissants ciselés, s’appliquaient des galons d’argent.

Entre les bras de la croix dessinée au cœur de l’édifice par les deux pièces que nous venons de décrire, l’ingéniosité de l’architecte avait ménagé d’une part la rampe d’honneur, et, aux trois autres angles, de petits appartements avec entresol, desservis par des escaliers distincts.

Derrière les pans coupés, se dispersaient ainsi au premier étage les « cabinets bleus », surchargés d’enjolivements. Là, le roi de Pologne avait sa chambre de repos, un atelier de peinture et son oratoire.

Quand la cour était à Chanteheux, où Stanislas aimait de donner ses fêtes, on mangeait d’ordinaire dans la salle fraîche du rez-de-chaussée. Le salon supérieur, destiné aux divertissements et aux concerts, s’ouvrait pour les festins de gala. Parfois encore, à l’heure du jeu et de la musique, les invités se répandaient sur les terrasses.

Sans rien de grandiose, le panorama dont on jouissait depuis leurs balustrades, était étendu et varié. L’oeil y distinguait tour à tour les prairies de la Vezouse, Lunéville et ses Bosquets, le cours de la Meurthe et l’abbaye de Beaupré, le chemin de l’Alsace, la ligne bleuâtre des Vosges, les jardins et le château de Craon, des villages, des étangs, des bois.

« Chanteheux est sans contestation le salon le plus beau, le plus riche et le mieux orné qui soit en Europe », s’écrie un voyageur. « C’est le vrai palais des fées. Nous n’avons en France aucun monument de ce goût-là. Ce serait même tenter l’impossible que de vouloir en donner une véritable idée à quelqu’un qui ne l’aurait pas vu. Il réunit tout ce que les connaisseurs et gens curieux de nouveautés peuvent désirer ».

« Rien de plus superbe, ni de plus singulier », reprend le jésuite Feller qui trouve Chanteheux bâti « avec une richesse de dessin et d’ornements tout à fait rare ». Blasé sur de bien autres splendeurs, le duc de Luynes ne laisse pas que d’approuver « Ce n’est qu’un salon un peu plus petit que celui de Marly, mais beaucoup plus orné. Beaucoup de dorures, et en total un coup d’œil magnifique, agréable et singulier ».

Promené dans ce palais en 1744, Louis XV lui-même, le dédaigneux Louis XV aurait déclaré à son hâte « Mon père, il n’y a qu’un Chanteheux dans le monde ».

Pourquoi après un tel éloge, et sorti d’une telle bouche, Stanislas n’eût-il pas considéré la construction du château comme l’une des gloires de son règne ? Quand il fait, quatre années plus tard, frapper « pour son service », à la Monnaie de Nancy, plusieurs bourses de jetons, Leszczynski n’a pas oublié le mot flatteur de son gendre. A l’avers de ces pièces figurent les armes de Sa Majesté Polonaise ; au revers se voit le Salon et se lit le nom de Chanteheux.

L’admiration du roi de France était toutefois platonique. Déjà, lorsque Nicole gravait les coins de son jeton, Stanislas avait éprouvé à ce sujet une assez vive déception. Le baron de Meszeck s’était éteint le 10 juin 1747, Ossolinski s’était empressé de poursuivre au bailliage de Lunéville, l’insinuation de la donation d’usufruit spécifiée en sa faveur. Le grand maitre et sa femme allaient à leur tour jouir des droits seigneuriaux et toucher le rendement des terres de Chanteheux. Ils se garderaient certes d’émettre, du vivant de leur royal cousin, aucune prétention sur le Salon, devenu accessoire du fonds.

Mais que Leszczynski disparût avant eux et qu’ensuite, l’hôpital Saint-Jacques entré en possession de ces biens, le « souverain régnant » tardât à en opérer le rachat facultatif, quel sort attendait les bâtiments de plaisance et les jardins, dont l’entretien onéreux absorberait la plus claire partie des revenus des deux fermes ?

Leur destruction, tout au moins leur abandon, dans l’intérêt même de la fondation, n’était que trop à redouter. Stanislas s’était ouvert de ces inquiétudes à Versailles. Le 10 juillet 1747, M. de La Galaizière en écrivait au contrôleur général des finances Machault. Le roi de Pologne souhaite ardemment que Chanteheux, encore qu’il n’ait pu effectuer une fusion plus complète, ne soit jamais désuni du palais de Lunéville, et que les meubles qu’il y a placés continuent d’en orner le Salon. En conséquence, il demande pour sa tranquillité à son gendre de prendre dès maintenant l’engagement de remettre à l’hôpital de Lunéville, lors de la mort du dernier usufruitier, les 61 000 livres du double retrait prévu par les contrats de 1740. La réponse avait été négative. Louis XV refusait cette satisfaction à son beau-père.

Leszczynski se voyait dupe de ses propres calculs. Pour réaliser son voeu, une ressource restait à Stanislas. Faire malgré lui, le roi de France propriétaire de Chanteheux. Les Ossolinski morts, il exigera donc, en vertu d’une disposition spéciale rédigée avant 1758, puis par articles formels de son testament, qu’une somme de 37 000 livres de Lorraine, prélevée sur sa succession, soit à son décès versée à l’hôpital Saint-Jacques, en échange de la seigneurie.

Comme le Salon et ses parterres s’étendaient exclusivement sur les terres acquises du comte de Hautoy, le prince pensait avoir paré tout risque. Il ne doutait pas que le rachat de l’ancien gagnage Launay, quoique laissé sous silence, ne s’ensuivit, au reste, presque forcément.

La Ligue sur les bords de Meuse

Le combat de Stenay d'après HogenbergMariage du duc de Bouillon d'après Hogenberg

Je vous propose une promenade dans la Meuse, et plus particulièrement dans le nord meusien à la fin du XVIe siècle.

Cet article est un peu difficile à lire, en raison de nombreuses phrases en ancien français, mais si vous êtes intéressés par cette période, vous ferez bien un petit effort !

 

D’après un article paru dans la revue « Société des naturalistes et archéologues du nord de la Meuse »
Année 1900

Vers la fin du XVIe siècle, les guerres de la Ligue eurent pour conséquence des événements importants à la frontière de la Lorraine, de la Champagne et du duché de Bouillon.

L’enfant que le roi de France Henri II avait enlevé à sa mère, pour le faire élever près de lui, était devenu un homme. Il avait épousé la princesse Claude, fille d’Henri II, et il régnait en Lorraine sous le nom de Charles III.

En 1591, il était un des principaux adhérents de la Ligue. Dans sa lutte contre Henri IV, le duc de Mayenne occupait Verdun et il avait rassemblé une armée autour de cette ville.

Le Pape avait envoyé 1 200 chevaux et 2 000 fantassins d’origine italienne, sous le commandement de son neveu, le duc de Monte-Marciano. Chemin faisant, cette troupe avait rallié 4 000 Suisses des cantons catholiques qui se rendaient également à Verdun. De son côté, le duc Charles III y était venu en personne avec toutes les forces qu’il avait pu rassembler.

Les armées réunies du duc de Mayenne et du duc de Lorraine occupaient les deux rives de la Meuse jusqu’au dessous de Stenay, avec les places fortes de Verdun, de Montfaucon, de Dun, de Villefranche et de Stenay. Au nord, s’étendait le duché de Bouillon, avec l’importante place de Sedan, dont l’héritière, Christine de la Marck, était le point de mire de nombreux prétendants.

Quoique son frère, Guillaume-Robert de la Marck, lui eût légué son duché à la condition qu’elle épouserait un protestant, le duc de Lorraine « souhaitait ce mariage pour son fils, afin de joindre à ses Etats Sedan et Jamets, places fortes par leur assiète ». Ce prince ayant fait la guerre à Charlotte de la Marck après la mort de son frère, il ne voulait lui donner la paix qu’à cette condition. Charles III avait pris Villefranche le 8 octobre 1590. Il s’était également emparé de la ville de Jametz le 15 décembre 1588, et, après un long siège, le château de Jametz s’était rendu le 24 juillet 1589.

Le politique prévoyant qu’était Henri IV ne devait pas laisser se réaliser ces menaçantes combinaisons. Le testament de Guillaume-Robert de la Marck plaçait sa jeune héritière sous la protection du Béarnais. Elle ne pouvait se marier sans le consentement du roi de Navarre, du prince de Condé et du duc de Montpensier. Henri IV témoignait à la princesse, âgée de treize ans seulement à la mort de son frère, la plus tendre sollicitude

« Croyez, ma cousine, lui écrivait-il en mars 1588, que je porte aultant d’affection à la conservation de vostre personne et de vos places que des miennes propres. Votre bien affectionné cousin et meilleur amy, Henry ».

C’est ce qu’il écrivait également à Mme de Laval, veuve de Guy de Coligny, qui s’était réfugiée à Sedan à la mort de son mari : « Je suis délibéré de n’abandonner point Sedan et ce qui est dedans que je tiens par trop cher ».

La réunion des armées du duc de Mayenne et du duc de Lorraine à Verdun était fort inquiétante pour la duchesse de Bouillon. Le 23 septembre 1591, Henri IV arriva à Sedan, où il passa trois jours. La grave question du mariage y fut traitée et résolue de la manière la plus imprévue.

A ce moment, revenait d’Allemagne Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne (père du grand Turenne). Il avait obtenu du duc de Saxe un secours estimé par Dom Calmet à 16 000 hommes, partie reîtres et partie lansquenets, quatre pièces de gros canons et quatre pièces de campagne. Les chiffres de Mézeray diffèrent de ceux de dom Calmet qui sont sans doute exagérés. « Il y avait, dit-il, onze mille hommes d’infanterie et cinq cens Reîtres, ces levées faites aux dépens de la Reine d’Angleterre et des villes libres d’Allemagne, par la faveur de Georges, marquis de Brandebourg, de Casimir Prince Palatin, et de quelques autres Princes, et par la négociation du vicomte de Turenne ».

« Ce seigneur, dit de Thou, qui avait autrefois commandé les armées des Protestants, joignait beaucoup d’esprit et de valeur à une très haute naissance ».

Appelé par Henri IV, il arriva le 24 septembre à Sedan, laissant en arrière les troupes qu’il amenait. « Il alla trouver le roi au ieu de paulme où il iouoit auquel il asseura que sô armée estrangere estoit à une journée prex ».

Henri IV quitta le jeu de paume pour affaire plus sérieuse. Il avait résolu de marier la duchesse de Bouillon à ce gentilhomme entreprenant qui lui rendait, en lui amenant des renforts, un service signalé.

La plupart des grandes villes, Paris, Rouen étaient encore au pouvoir des Ligueurs. Il fallait laisser à la duchesse de Bouillon un protecteur capable de la défendre, ainsi que la place de Sedan. Il lui présenta Henri de la Tour d’Auvergne. La duchesse y consentit « de bon cœur », dit Agrippa d’Aubigné qui ajoute « Bien qu’elle fût recherchée de plusieurs princes, tous ceux-là la marchandoyent comme l’oiseau la proye, et meditoyent la ruine de ce que cettui-ci vouloit défendre à bon escient ».

Cette importante négociation terminée, Henri IV alla recevoir à Vendy, sur les bords de l’Aisne, les Reîtres et les Lansquenets qui étaient arrivés d’Allemagne par Forbach, Saint-Avold, Mars-la-Tour et Conflans. La rencontre des deux armées eut lieu avec grande solennité le 29 septembre, jour de la Saint-Michel, enseignes déployées et au bruit des décharges d’artillerie. Cet événement est représenté dans une gravure allemande du temps, où l’on voit l’armée d’Henri IV arrivant au camp de ses auxiliaires allemands.

Avec cet important renfort, Henri IV n’avait plus rien à craindre de l’armée de Verdun. « Je pars présentement, écrivait-il le 30 septembre d’Attigny, avec partie de mon armée pour aller voir la leur, laquelle est logée à dix lieues de moi ».

C’est alors que commença l’incroyable chevauchée de trois jours, racontée par Henri IV lui-même dans une longue lettre au duc de Nivernais.

Ceux qui connaissent le pays que traverse la Meuse entre Verdun et Dun se rendront compte de la prodigieuse activité du « diable à quatre », dont la seule approche faisait rentrer l’armée de Mayenne et du duc de Lorraine derrière les fortifications de Verdun.

« Mon cousin, écrivait-il le 3 octobre 1591 au retour de cette étonnante équipée, je suis arrivé en ce lieu de Grandpré, revenu de mon voyage, encore qu’il n’ayt pas réussi comme je l’eusse bien désiré, il n’est pas toutefois du tout inutile, et il n’a pas tenu à bonne diligence qu’il ne soit faict quelque chose de mieux, car, dès lundy (30 septembre), en passant près de ce lieu, et adverty que les troupes du duc de Lorraine estoient logées aux environs de Montfaucon, je m’y acheminay au grand trot, et arrivant à demye lieue prés, sur le commencement de la nuict, je sus qu’elles en estoient délogées sur le midy, et que toute l’armée des ducs s’estoit resserrée d’enroy dans Verdun.

Ce qui n’avoit peu loger dans la ville et aux faulxbourgs s’estoit campé le long de la contr’escarpe, de sorte que pour ne harasser point les miens davantage de ce qu’ils estoient, de douze ou quatorze lieues, je logeais à Renonville (Rémonville), près ledict Montfaucon, en délibération de veoir le lendemain les ennemis, et charger infanterie ou cavalerie, tout ce que je trouverois ».

La première journée d’Attigny à Montfaucon était forte. La seconde fut plus extraordinaire encore.

« Et pour cest effect, continue Henri IV, je montay à cheval sur les dix heures du matin, et marchay avec toute mon armée jusques à une lieue et demye de Verdun.

Là nous découvrismes cent cinquante chevaulx, de ceux de Vitry et autres qui estoient dans Montfaucon et qui en sortirent en sourdine, lorsqu’ils virent arriver mes trouppes. Le Sr de Givry envoya le capitaine Fournier devant, avec vingt chevaulx, et le soustint avec trente, les suivirent au galop jusqu’à demye-lieue dudict Verdun, et, voyant que l’alarme estoit en leur camp, il fut advisé qu’il estoit plus à propos d’aller vers Mouza, où l’on me dit que Amblise estoit avec huit cens chevaulx de ceulx des ducs de Lorraine et de Mayenne, pour entreprendre quelque chose sur le logis du Chesne, en espérant de les combattre si nous les trouvions, ou pour le moins lever ledict logis.

Par les chemins nous trouvasmes quatorze ou quinze Albanoys qui conduisaient des charrettes de vivandiers, chargées de vivres, que nous prismes avec trois prisonniers des dits Albanoys et sceumes d’eulx que ledict Amblise, ayant l’alarme de nous, avoit tenu des vedettes par les collines, et sitost qu’elles virent mes premières trouppes, il s’estoit retiré par dedans les bois, mais que, si je leur voulois couper chemin vers Douvilliers (Damvillers), je les pourrois trouver.

Cest advis me fit advancer avec quatre cens chevaulx et passer un grand bois fort fascheux, faisant suivre le reste de l’armée, et feus jusques à la portée du canon de Douvilliers, sans faire aucune rencontre, de sorte que en quatre heures je me trouvay hors de mon Royaume en divers pays, une fois en Lorraine, et l’aultre en Luxembourg (*), où il n’y avait pas faulte de vivres ny de butin, si j’eusse voulu rompre pour si peu de chose.

Quoy voyant et qu’il estoit déjà tard, mes trouppes fort lassées de deux grandes journées, je me résolus de loger à Sivry-sur-Meuse ».

(*) Depuis la conquête des Trois Evêchés par Henri II, Verdun faisait partie du royaume de France. Au-delà du territoire de Verdun, on rencontrait le duché de Lorraine. Damvillers, rendu à l’Espagne par le traité de Cateau-Cambrésis, dépendait de nouveau du duché de Luxembourg.

Ainsi, pendant cette seconde journée du 1er octobre, Henri IV était allé de Montfaucon à Verdun, de Verdun à Damvillers, puis il était revenu sur ses pas jusqu’à Sivry-sur-Meuse. Il est vrai qu’il avait fait cette pointe sur Damvillers à la tête de 400 chevaux seulement.

Las d’une promenade militaire à grande allure, où l’ennemi s’esquivait toujours, le Béarnais se rapprocha encore une fois de Verdun.

« Et, pour ne m’en retourner pas sans veoir les ennemys de plus près, hier, dès l’aube du jour, je montay à cheval et me rendis avecq tout ce que j’avois emmené quant et moy, à une bonne lieue dudict Verdun, en esperance d’y présenter la bataille. Mais comme la proposition est aux hommes et la disposition en la main de Dieu, la pluye fut si grande et travailla tellement, par l’espace de trois grandes heures, mon armée déjà harassée d’aultres pluyes et de deux grandes journées passées avec beaucoup d’incommoditez, sans apparences que tel orage se deust modérer, mais plus tost continuer toute la journée, que je feus contrainct d’envoyer loger toutes mes trouppes en leurs quartiers, et avec deux cens chevaulx, entre lesquels mes cousins le duc de Montpensier et le prince d’Enhalt estoient avec vingt ou vingt-cinq Allemans, j’allay à demye lieue de Verdun recongnoistre la contenance des ennemys ».

Henri IV s’approcha tellement avec cette poignée d’hommes qu’il fut aperçu de la place. Une escarmouche de cavalerie s’ensuivit. Il la raconte avec sa verve habituelle.

Il est curieux de constater combien son récit est différent de celui de dom Calmet. « Le duc Charles, dit l’auteur lorrain, à la tête de ses troupes et des troupes auxiliaires italiennes, napolitaines et suisses, sortit de la ville et rangea son armée en bataille, espérant que le roi Henri IV ne refuserai pas le combat ».

Le combat, c’est ce que le Béarnais cherchait passionnément depuis trois jours sans pouvoir en rencontrer l’occasion. Cependant, en constatant le petit nombre de ses compagnons, un parti de cavalerie sortit de Verdun pour l’attaquer.

Le gouverneur lorrain de Verdun était le comte d’Haussonville, son fils prit part à cette sortie.

« Le jeune baron d’Haussonville, dit encore dom Calmet, fils du gouverneur, étant sorti des barrières pour aller reconnaître la contenance des ennemis, fut blessé aux deux jambes par les ennemis qui tiroient dans les jambes de son cheval pour l’abattre, mais il eut le bonheur de rentrer dans la ville, à la faveur d’une sortie que fit Michel de Salin, commandant de la place, à la tête de sa compagnie de Chevau-Légers. Salin se mêla si adroitement parmi les ennemis qu’il n’en fut jamais reconnu et qu’il rentra sur le soir sans aucun danger ».

Cet étrange récit est des plus suspects. Dom Calmet s’est beaucoup inspiré des Mémoires manuscrits du jésuite de Salin, frère du commandant lorrain de la place de Verdun.

Ce jésuite ne semble préoccupé que de glorifier jusqu’à l’hyperbole les faits d’armes, vrais ou imaginaires, de son frère. Dans l’histoire du siège de Sainte-Menehould, dom Calmet raconte, d’après le P. de Salin, que le duc Charles III « s’étant un peu trop avancé, les gens le prièrent de ne pas hasarder sa personne et de modérer son courage ». Il répondit : « J’avais les deux Salin avec moi » voulant marquer qu’il ne craignait rien ayant à ses côtés des officiers d’une telle valeur.

Du récit de la sortie de Verdun, il semble résulter que le jeune d’HaussonviIle et Michel de Salin ont porté la peine de leur témérité, qu’ils ont pris la fuite et qu’ils sont rentrés dans la place comme ils ont pu.

Ce combat assez meurtrier ne laissa pas à Henri IV, bon juge en matière de courage, une haute idée de la valeur de ses adversaires, car sa lettre ajoute :

« La meilleure cavalerie qui soit en leur armée, c’est celle qui estoit venue à ce combat, duquel ils ont laissé beaucoup plus d’honneur aux nostres et d’envie de bien faire à nos estrangers qui les ont veus qu’ils n’en ont rapporté de projet et de réputation. J’en fais garder les casaques pour vous les montrer. Ce qui me confirme encores plus en ceste opinion, c’est que, en tant de logis que mes trouppes ont tenus fort escartez, trois jours durant, assez près d’eulx, ils n’ont jamais eu la hardiesse de nous donner une seule alarme ».

L’armée royale revint à Grandpré par Montfaucon, dont elle s’empara. Henri IV ajoute en post-scriptum : « Mon cousin, je ne veux oublier à vous dire que le cappitaine Bataille qui estoit dans le fort de Montfaucon et qui tira fort sur nous quand nous passasmes auprès, est parti d’effroy, et a quitté la place sitost qu’il a sceu mon retour. Je y ay mis le cappitaine Flamanville avecq trente chevaulx, en attendant que j’aye advisé avecq vous ce qui s’en devra faire ».

Les troupes italiennes envoyées par le Pape à l’armée de Mayenne s’avisèrent de poursuivre Henri IV. Mal leur en prit.

« Elles furent, dit dom Calmet, entièrement défaites au-delà de Sainte-Menehould par les troupes du Roi ».

En s’éloignant définitivement, Henri IV envoya un trompette au comte d’Haussonville, lui recommandant, avec sa bonhomie ironique, « de lui conserver Verdun ». Il continua sa route en s’emparant, le 6 octobre, de la forteresse d’Hautmont. « Sa Majesté voulut lui-mesme pointer le canon et fit dôner au mitan du portail. Ce coup fut si heureux que le Capitaine, le Lieutenant et l’Enseigne en furent tuez, ce qui bailla une telle espouvante aux assiegez qu’ils monstrerent un chapeau sur la muraille pour signal qu’ils vouloient parlementer ».

Cependant Henri IV ne perdait pas de vue le mariage de la duchesse de Bouillon. Le 11 octobre, il était de retour à Sedan. Il s’y trouvait encore le 14 et le 15. Il assistait le 15 au contrat de mariage de l’héritière du duché de Bouillon avec le vicomte de Turenne.

Agrippa d’Aubigné dit que « le contrat fut passé le 15 octobre 1591 et accompli le 19 novembre après aux conditions qu’il porterait le nom de Bouillon ». Magnifique récompense accordée par Henri IV à Henri de la Tour d’Auvergne pour ses éminents services.

Le contrat portait qu’il avait été dressé « en présence et de l’advis et consentement du Roy », du duc de Montpensier, oncle et tuteur de la petite duchesse, et de son cousin germain, Messire de Luxembourg, comte de Brienne et de Ligny.

L’armée royale s’emparait d’Aubenton le 20 octobre. Le même jour, Henri IV reparaissait à Sedan, où il signait l’acte donnant à Turenne le commandement de l’armée royale opposée au duc de Lorraine. Il s’y trouvait encore le lendemain, puis il prenait la route de Vervins qui tombait en son pouvoir le 29 octobre.

La date du contrat de mariage de la duchesse de Bouillon, passé en présence du roi le 15 octobre, et la date de son mariage, célébré le 19 novembre, sont certaines.

Il n’en est pas de même de celle d’un autre événement dont se sont occupés les chroniqueurs et qui aurait eu lieu, suivant les uns, la nuit même de ces noces, et, suivant les autres, la veille du jour auquel elles avaient été fixées. Agrippa d’Aubigné, Mézeray, Baluze, auteur d’une histoire généalogique de la maison d’Auvergne publiée en 1708, racontent le fait à peu près dans les mêmes termes et ne diffèrent que sur la date.

Laissé seul à la tête de l’armée royale sur les bords de la Meuse, avec la perspective de l’union princière qui devait lui donner rang parmi les maisons souveraines, Henri de la Tour d’Auvergne voulut mériter par une action d’éclat ses hautes destinées.

« Au lieu de vous conter les nopces, raconte Agrippa d’Aubigné, j’aime mieux vous dire qu’à la minuict de leur consommation, le duc de Bouillon, qui estoit hier vicomte de Turenne, averti que la garnison de Stenai estoit accrue pour une entreprise sur Sedan, quitta le lict et les délices pour, à une heure que les ennemis n’eussent jamais attendue, aller surprendre Stenai avec fort peu de résistence.

C’est une ville qui avait cousté au roi Henri second deux cents mille escus à fortifier, et depuis négligée par les ducs de Lorraine. La guerre avait donné envie de la remettre en estat sur le point de quoi on estoit, quand le duc de Bouillon prit envie de continuer l’ouvrage mesme pour ce que Jamets, après un long siège, s’estant rendu par capitulation, le seigneur de Sedan estoit la souris d’un pertuis.

Pour donc lui affranchir les coudes se fit l’entreprise de Stenai, sans autre finesse que de faire porter quatre eschelles posées à quatre heures du matin, quoique les guides se fussent perdus un temps. Trois estans montés, la sentinelle les attaqua avec une hallebarde et les mit en peine. Une ronde y accourt, accompagnée de deux, ceux-là tuez. Huict montent, trouvent le corps de garde qui venoit à eux et le desfont. Dix-huit hommes ralliez surviennent, et sont rompus par dix qui avoient monté. Et lors les compagnies vindrent avec haches abattre le pont au duc qui empescha les ralliemens ».

Françoise Mauretour, femme de Nicolas Blanchart, bourgeois de Stenay, s’illustra par une résistance désespérée. Elle s’arma comme un soldat et combattit avec les troupes de la garnison qui s’efforçaient de repousser les assaillants. Presque tous ceux qui refusèrent de mettre bas les armes, furent tués.

L’escalade de Stenay, la nuit même des noces, touche à la légende. Il parait bien difficile que, de minuit à quatre heures du matin, une troupe emmenant une voiture chargée d’échelles ait pu franchir la distance qui sépare Sedan de Stenay (35 kilomètres), « les guides s’étant perdus un temps ».

Mézeray apporte à ce récit une variante qui le rend moins in vraisemblable. D’accord avec d’autres chroniqueurs, il parle, non de la nuit des noces, mais du jour de devant les noces.

Il est vrai que Baluze, plus d’un siècle après, s’en tient à la légende, qu’il estime plus glorieuse pour la maison d’Auvergne dont il écrit le panégyrique : « Le propre jour de ses nopces avec l’héritière de Sedan, dit-il, et non la veille de son mariage, comme M. de Mezeray l’a escrit, au lieu de s’abandonner aux réjouissances d’une si grande feste, préférant le service du Roy à toutes les douceurs que luy pouvoit promettre cette première nuict avec sa nouvelle espouse, bien loin de se donner entièrement à ces premiers plaisirs du mariage, comme si la satisfaction d’estre victorieux des ennemis de l’Estat estoit quelque chose de plus considérable, il quitta le lict et la compagnie de son espouse et s’en fut cette mesme nuict surprendre et réduire la ville de Stenay en l’obéissance du Roy ».

Un document peu connu donne une troisième date qui est peut-être la vraie celle du 27 octobre 1591. C’est une gravure allemande de Hogenberg, représentant Henri de la Tour d’Auvergne à cheval, quittant sa résidence d’Esdan (Sedan), où des cuisiniers et des marmitons préparent le festin des noces. Dans la plaine, on aperçoit une colonne de gens de guerre escortant des voitures chargées d’échelles, et, à l’horizon, Stenay escaladé.

Avec cette date du 27 octobre, tout s’explique. Le contrat de mariage avait été signé le 15, et la cérémonie avait été fixée à la date la plus prochaine dans ce même mois d’octobre, le mois des vendanges, Weinmonat. La fête devait avoir lieu le lendemain 28, on était dans toute la fièvre des préparatifs, lorsqu’arrive de Stenay la nouvelle, qu’il s’y fait une concentration de chefs lorrains menaçante pour Sedan.

Henri de la Tour d’Auvergne, convaincu qu’à pareil jour aucune précaution n’est prise contre lui, se décide à en profiter. Il part et il prend Stenay par escalade dans la nuit du 27 au 28 octobre, la veille du jour fixé pour ses noces. C’est Mézeray qui a raison contre d’Aubigné. L’expédition retarde le mariage, soit qu’il ait fallu quelques jours pour mettre cette importante conquête à l’abri d’un retour offensif, soit que la jeune duchesse de Bouillon ait voulu faire attendre à son tour son trop belliqueux époux. Le mariage n’est célébré que le mois suivant 19 novembre.

Henri IV, informé de cette importante conquête, s’empressa de donner le commandement de « sa ville de Stenay » au Sr de Cornay, gouverneur de Sainte-Menehould.

Depuis le commencement du siècle, le roi de France, l’Empereur et le duc de Lorraine se disputaient Stenay. C’était pour les Français, la clé du Luxembourg, et pour l’invasion de la France, la clé de la Champagne.

François Ier en avait obtenu la cession du duc Antoine, cession contre laquelle Charles-Quint et sa sœur, la reine Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, avaient vivement protesté. En 1553, pendant qu’Henri II s’emparait de Metz et conduisait son armée jusqu’au Rhin, une armée levée par Marie de Hongrie s’était emparée de Stenay, d’où elle avait fait une incursion jusqu’à Grandpré, saccageant tout sur son passage. Au retour d’Henri II, elle avait abandonné Stenay en l’incendiant. Henri II, rentré en possession de cette place que François Ier considérait comme indispensable à « la seureté des frontières du royaume de France », y avait fait de grands travaux de fortification, mais le traité de Cateau-Cambrésis l’avait obligé à la rendre au duc de Lorraine.

Le duc Charles III apprit la perte de Stenay avec le plus vif déplaisir. Il était alors à Coiffy, près de Langres. Il résolut de la reprendre de vive force. Il s’y rendit de sa personne et la ville fut investie le 25 novembre, ce qui est une preuve de plus que l’escalade du duc de Bouillon n’avait pu avoir lieu dans la nuit du 19 au 20. Comment, en si peu de temps, le duc de Lorraine aurait-il pu être averti à une pareille distance et conduire devant Stenay une armée de siège pourvue d’artillerie ?

La ville était défendue par Ténot, capitaine des gardes du duc de Bouillon, officier d’une grande valeur, qui devait périr l’année suivante lors de la prise de la forteresse de Dun. Stenay paraissait être à toute extrémité. L’assaut allait être donné, lorsqu’une vigoureuse sortie mit en fuite la garde des tranchées. Les canons furent encloués, la mine démolie et les mineurs tués. « Le duc de Lorraine, dit Agrippa d’Aubigné, laissant aux ennemis son manteau et son espée, et y perdoit son fils, mais il se sauva, faute d’être connu ».

Cette sortie est représentée par une des curieuses gravures allemandes de la collection d’Hogenberg. D’après la gravure, qui est signée Ynenbach, le fait se serait passé le 13 décembre 1591. On y voit Astenay entouré par la Meuse. Devant la ville, quatre canons sont en batterie. Des cavaliers sortent de Stenay et mettent en fuite les assiégeants, tandis que quelques-uns d’entre eux détruisent les ouvrages et enclouent les canons.

Le duc de Bouillon se préparait alors à amener des renforts à Henri IV qui rencontrait de sérieuses difficultés dans sa campagne de Normandie. Il profita de la réunion « des gens qu’il avait amassés » dans ce but pour compléter l’œuvre de Ténot. S’étant rendu à Stenay, il obligea le duc de Lorraine à lever le siège le 17 décembre 1591.

Dom Calmet met cette retraite sur le compte de « l’incommodité de la saison ». « Le grand veneur de Lorraine, dit-il, Louis-Jean de Lenoncourt, y fut tué d’un coup de canon aux côtés du duc Charles ». « En même temps, ajoute-t-il, par représailles, Charles III assiège et prend Villefranche ». Il commet une incroyable erreur : Villefranche était, depuis le 8 octobre 1590, au pouvoir des Lorrains.

Le nouveau duc de Bouillon rejoignit Henri IV devant Rouen. En avril 1592, il était à l’armée royale forcée de battre en retraite. « Le Roi, dit de Thou, chargea Henri de la Tour, duc de Bouillon, à qui il venoit de donner le baton de maréchal, de fermer la marche de l’armée avec 800 chevaux pour soutenir l’effort de l’ennemi, s’il venoit à faire une sortie dans le temps qu’on décamperoit de Darnétal. Le maréchal s’acquitta de sa commission avec beaucoup de soin et de bonheur ».

Le duc Charles III avait profité de l’absence de ce redoutable adversaire. Le Grand Maréchal de Lorraine, Africain d’Anglure, prince d’Amblise, « ayant tiré des forces des garnisons de Verdun, Clermont, Dun, Villefranche, et autres lieux circonvoisins en Champagne », avait mis le siège devant Beaumont, petite forteresse dépendant du duché de Bouillon.

Le maréchal de Bouillon venait de rentrer dans son duché, reconduisant jusqu’aux frontières, les Reîtres et les Lansquenets qu’il avait amenés à Henri IV. L’agression des Lorrains le piqua au vif. Il réunit une petite troupe empruntée aux garnisons de Stenay, Sedan, Donchery, et le 14 octobre 1592, il alla attaquer les assiégeants dans leurs lignes.

L’armée lorraine fut battue à plate couture, son chef d’Amblise périt dans la mêlée, ayant reçu, dit Baluze, « une arquebuzade dans la visière, qui lui transperça la teste ». Le maréchal de Bouillon fut lui-même blessé de deux coups d’épée, l’un au visage sous l’œil droit, l’autre au petit ventre. Mais il n’était pas homme à s’arrêter pour si peu. « Le chef des royaux, dit Agrippa d’Aubigné, qui estoit en pourpoint, eut deux coups d’espées au corps, de l’un desquels ayant mauvaise opinion, résolu d’achever, il s’arma et prit commodité de pousser un mouchoir sous la cuirasse pour arrester le sang ».

Une gravure d’Hogenberg représente également ce combat avec légendes explicatives.

Pendant que des batteries de siège font feu sur la ville, l’armée lorraine, ayant au centre 2 500 fantassins, 700 cavaliers à l’aile droite et 300 cavaliers à l’aile gauche, est attaquée par l’armée royale, commandée par le maréchal duc de Bouillon et composée seulement de 600 fantassins et de 400 cavaliers. A la tête de l’armée lorraine, d’Amblise est renversé de cheval. Puis un long convoi se dirige vers Hesdain (Sedan). Il se compose de 500 prisonniers, de 8 cornettes et de 15 drapeaux pris aux Lorrains. Dans ce convoi figure le cercueil d’Africain d’Ambise, suivi de son principal lieutenant qui est conduit prisonnier à Sedan.

Stenay pris, Beaumont délivré, Dun se trouvait bien menacé. Cette conquête tentait d’autant plus l’entreprenant duc de Bouillon, qu’il était par sa femme, l’héritier des prétentions que Robert II de la Marck avait soutenues les armes à la main contre le duc René II.

Il fit habilement reconnaître la place et, quelques semaines après le combat de Beaumont, il s’en empara par un coup d’audace couronné de succès.

Dun avait alors une garnison importante. Quatre compagnies gardaient la ville-basse et communiquaient par la Porte aux Chevaux avec deux compagnies de cavalerie, et une compagnie d’infanterie qui défendaient la ville-haute.

Celle-ci ne pouvait être abordée, que par la porte de Milly dont les fortifications étaient des plus sérieuses. Entre les deux tours qui flanquaient cette porte, l’assaillant rencontrait dans un espace très resserré, deux portes et un double système de herses qu’il fallait forcer, puis une troisième porte coupant la rue qui conduisait au donjon.

Le maréchal de Bouillon réunit une petite troupe de 260 hommes aguerris, commandés par des chefs énergiques, et, dans la nuit du 6 au 7 décembre 1592, sans artillerie, muni seulement de quelques pétards, il conduisit lui-même l’expédition.

Ce fait d’armes est raconté dans les Mémoires de la Ligue, publiés à Amsterdam en 1758, dans un Bref Discours, sans nom d’auteur, de ce qui est advenu en la prise de la ville de Dun sur le duc de Lorraine par le duc de Bouillon au commencement de décembre 1592. Cette relation est certainement beaucoup plus ancienne et contemporaine du fait lui-même, car elle a visiblement inspiré le récit que font de cet événement de Thou et Agrippa d’Aubigné.

« Le duc de Bouillon, dit ce Bref discours, fit reconnaître la ville de Dun sur la rivière de Meuse, à huit lieues de Sedan, par un des siens, homme avisé et de valeur, nommé Noël Richer, lequel lui ayant rapporté la facilité qu’il avoit eue d’aborder la porte de la ville haute et basse, lui fit penser aux autres moïens de passer outre et entreprendre de l’emporter ; aïant aussi eu avis d’ailleurs qu’il n’y avoit que trois portes et un rateau entre la seconde et la troisième, qui lui faisoit juger que par la proximité desdites portes le pétard emporteroit les deux, et qu’avec des treteaux le rateau serait empêché de tomber jusqu’au bas, de sorte que par dessous il y auroit passage.

Ces considérations proposées et discourues par mondit seigneur en lui-même, il se résolut de l’exécuter entre le dimanche et le lundi 6 et 7 décembre. Et pour ce faire, il part de Sedan sur les trois heures après-midi dudit dimanche, assisté de Monsieur des Autels, suivi des sieurs de Morgni, Vaudoré et Fontaine, et du sieur de Vandi et de Remilli avec sa compagnie de cavalerie ; aïant donné aux autres troupes de ses susdites garnisons de Sedan et Stenay le rendez-vous à sept heures du soir du même jour au village d’Inault, une lieue près de Stenay, lesquelles troupes étoient lors logées en trois villages près de Douzi, à trois lieues ou environ de Sedan.

Revenant (après la prise du château de Charmoi près Stenai) de faire une course en Lorraine et sur le Verdunois, se trouvèrent audit rendez-vous, et ayant marché jusqu’à un quart de lieue près la ville, mondit seigneur fit mettre pied à terre à tous ceux qu’il avoit choisis et élus pour donner les premiers à l’exécution ».

Dans Agrippa d’Aubigné, l’indication des lieux et des distances est un peu différente. « Le duc de Bouillon, qui, ayant au commencement de décembre fait prendre Charmoi, donna rendez-vous de ses troupes à Ainaut ; six jours après marche à un quart de lieue de Dun, là met pied à terre… ».

Il n’existe ni Inault ni Ainaut, aux environs de Dun ni de Stenay. Il s’agit sans doute d’Inor, à une lieue au nord de Stenay, lieu de concentration très bien choisi pour des troupes venant de Sedan ou de Douzy. On n’y risquait aucune surprise, Stenay étant au pouvoir du duc de Bouillon.

A Stenay, on prit le capitaine Ténot, son lieutenant Deguyot, et quelques arquebusiers, puis l’expédition s’approcha sans bruit de la forteresse de Dun. A un quart de lieue, les cavaliers mirent pied à terre, on continua à avancer lentement en silence et en prenant les plus grandes précautions. D’Inor à Dun, la distance est de 18 kilomètres, il était facile de la franchir de 7 heures du soir à 3 heures du matin.

Le duc de Bouillon avait tout réglé dans les moindres détails. « Lors, dit le Bref discours, il mit l’ordre qu’il voulut y être observé. C’est que le susdit Noël Richer prendroit le premier pétard, le sieur Ténot, capitaine de ses gardes, le second, du Sault le tiers, Bétu le quart, et La Chambre le cinquième. Deguyot, lieutenant de Ténot, porteroit les mèches, du Sault, capitaine d’une compagnie de gens de pied à Stenai, et Boursies avoient un tréteau. Après eux marchoient dix hommes armés et dix arquebusiers, de la garde de mondit seigneur, commandés par le sieur de Marri, lieutenant du sieur d’Estivaux, gouverneur de Sedan, puis quarante hommes armés de la troupe de mondit seigneur, et de celle du sieur Fournier, commandés par le sieur de Caumont, cousin de mondit seigneur, et du sieur de Vandi, avec deux cents arquebusiers tant des gardes de mondit seigneur que de la garnison de Stenai ».

En tout, 260 hommes, ayant à leur tête les meilleurs officiers du duc de Bouillon, bien connus de lui et dévoués à sa personne. Sans bruit, par la nuit noire, évitant tout ce qui pouvait donner l’alarme, la petite troupe s’avançait.

Elle avait quitté la route qui suit le cours de la Meuse, et elle s’approchait avec une extrême prudence de la porte de Milly, seul point par où il fut possible d’aborder du côté du Nord ou de l’Est, l’enceinte fortifiée de la ville-haute de Dun, que la Meuse rendait inaccessible du côté de l’Ouest.

« Au petit Fauxbourg qui est devant la porte (Ce faubourg, dit faubourg de Saint-Gilles, était groupé autour de l’antique prieuré de ce nom fondé en 1094), il y avoit depuis quelques jours quatre soldats qui y faisoient garde, l’un desquels apercevant Richer et Deguyot (Richer portait le premier pétard et Deguyot les mèches) qui marchoient, leur tire une arquebusade en leur demandant « Qui va là ? ». Ce qui ne les arrêta pas, ains passèrent outre.

Mais incontinent, étant encore éloignés de la muraille de cinquante pas, la sentinelle leur demanda « Qui va là ? ». Et les voïant marcher sans mot dire, leur tira, et encore deux autres après.

En même temps, Noël Richer leur dit qu’ils avoient tort, qu’il était un pauvre homme marchand que les Huguenots avoient dévalisé. Le Gouverneur, nommé Mouza (Claude de Mouzay, capitaine de Dun-le-Chastel), là venu à cette allarme, s’enquiert ; lui marche toujours, de sorte que les citadins reconnoissoient qu’il approchoit et lui crient qu’il s’arrête.

Lui se voïant à six pas de la porte, leur dit que Monsieur de Bouillon vouloit dîner là-dedans, et alors force arquebusades, au son desquelles il pose son pétard qui fit grand bruit et fort bien son effet à la première porte. Il pose l’autre à la seconde, qui fit encore bien, mais soudain ils abattirent le râteau en herse, et d’une pierre portent Richer par terre. Le capitaine Ténot prend le troisième pétard des mains de du Sault, et le fit jouer contre le rateau qui fit fort peu. Il reprend le quatrième que portoit Bétu, lequel posé fit un trou où un homme en se courbant fort près de terre pouvoit passer.

Les arquebusades cependant n’étoient épargnées par les assaillis, et les coups de pierre, jettés incessamment et des deux tours étant aux deux côtés de la porte, ne manquoient à ces premiers joueurs. Par ce trou environ soixante hommes entrent, nonobstant la vive résistance des assaillis, et donnent jusqu’au milieu de la ville. Lors les ennemis firent encore tomber une autre forme de rateau, qui ota presque le moyen de plus y entrer. Toutefois Dieu voulut qu’une des pièces n’acheva de tomber, et par ce moïen, laissa un petit passage, mais si dangereux que de vingt qui s’y hasardèrent, les quinze furent blessés ».

La troupe du duc de Bouillon se trouvait ainsi divisée en deux parties : une moitié environ avait fini par pénétrer dans l’intérieur de la ville, l’autre moitié restait dehors sans pouvoir secourir les premiers assaillants. Ceux-ci, parfaitement renseignés sur l’état des lieux, avaient couru fermer la poterne, dite Porte aux Chevaux, de sorte que la garnison de la ville-haute ne pouvait recevoir aucun secours des quatre compagnies qui défendaient la ville-basse.

Le duc de Bouillon entendait le bruit de la lutte nocturne engagée par cette poignée d’hommes avec les défenseurs de Dun. Anxieux, il se rapprochait des murailles, mais il ne pouvait les franchir.

« Ainsi, continue l’auteur du Bref discours, les assaillants se trouvèrent fort peu dedans, et au contraire les ennemis ralliés en divers lieux en grand nombre, y aïant dans la place deux compagnies de Cavalerie et une d’Infanterie, outre quatre autres qui étoient dedans la ville-basse, que ne purent secourir la ville-haute, leur aïant la poterne, ou petite fausse porte qui descend en bas, été fermée par ceux qui étoient jà entrés, lesquels se purent trouver environ six vingt dans la ville, où le combat dura depuis les trois heures jusqu’à sept du matin sans que mondit seigneur qui étoit dehors put savoir des nouvelles de ceux de dedans, sinon par les ennemis qui étoient sur la porte, où il faisoit toujours faire de l’effort et y entrer file à file, quoiqu’ils criassent que tous les notres étoient perdus.

Mondit seigneur faisoit cependant sonder par toute la muraille où l’ennemi se trouvoit, et les autres ne répondoient. Les combats furent si divers et la chose si douteuse que Monsieur de Caumont, après avoir été blessé dedans, et retiré en un logis avec trois ou quatre, les ennemis les prirent et les gardèrent plus d’une heure.

Autant en advint d’un autre côté à Bétu et du Sault, auxquels le gouverneur Mouza, voïant les choses tournées à son désavantage, se rendit prisonnier, et environ une demie heure après la pointe du jour, suivant ce que mondit seigneur avoit ordonné de faire sonder la muraille, le sieur de Loppes, auquel il en avoit donné ce commandement, aïant trouvé que ceux du dedans travailloient à ouvrir la poterne dont a été parlé, qui descend à la ville-basse, et voïant qu’elle ne pouvoit être ouverte de quelque temps, se fit apporter une échelle où lui et quelques-uns montèrent, et après, la porte ouverte, donna passage à ceux qui le suivirent, lesquels firent retirer les ennemis dedans une forte tour proche de la dernière porte ».

Il y avait, en effet, au centre de la ville-haute un donjon, résidence du Gouverneur. D’après un croquis qui existe au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, le donjon de Dun, alors nommé maison du Roy, se composait, en 1634, d’anciens bâtiments flanqués d’une grosse tour, une cour les séparait d’un vaste jardin en quinconce. Le donjon, la tour et le jardin touchaient à la partie nord de l’enceinte faisant face à Stenay. A cette époque, la Porte aux Chevaux avait reçu le nom de Porte de France. Le donjon de Dun fut détruit, sur l’ordre de Louis XIII, en 1642.

L’escalade de la Porte aux Chevaux et l’entrée de ce renfort rendirent la défense très difficile. Un combat désespéré fut encore livré, car, dit le Bref discours, « au même temps que les nôtres entroient, les sieurs de Falquetiers, maitre d’hotel de mondit seigneur, et de Tenot furent tués d’une même mousquetade, aïant Tenot par son courage surmonté ce qu’il y avoit de plus difficile ».

C’est ce même Tenot qui avait, un an auparavant, si vaillamment défendu Stenay contre le retour offensif du duc de Lorraine.

« Là fut aussi tué le capitaine Camus, le sieur de Caumont fort blessé d’une pertuisane, et Equancourt d’un coup de pierre, Marri, Deguyot, Bétu, du Sault, et plusieurs autres aussi blessés. Mais il ne se peut omettre que Tenot faisoit extrêmement bien, renouvellant de courage, ainsi que le péril croissoit. Ont aussi fort servi les sieurs de la Ferrière et La Tour qui y entroient, ainsi que quelques-uns des blessés sortoient, quoiqu’il y eut un extrême danger. Enfin sur le midi, deux qui s’étoient retirés dans ladite tour se rendirent prisonniers de guerre, de sorte que la ville-haute fut réduite à l’obéissance du Roi. Ceux qui étoient en bas, étonnés de tel effet, y mirent le feu, et saisis d’effroi s’enfuirent ».

« Le duc, ajoute de Thou, y mit une nombreuse garnison, répara le dommage causé par l’incendie et revint en triomphe à Sedan ».

En bon huguenot, sous prétexte d’assurer la sûreté de la ville, le duc de Bouillon fit détruire ce qui restait de l’antique monastère de Saint-Gilles, situé hors de la porte de Milly, dont la fondation par Wathier de Dun remontait au 7 janvier 1094. L’année précédente, lors de la prise de Stenay, ses troupes avaient détruit dans cette ville la châsse de saint Dagobert, vénérée dans le pays.

Cette conquête si rapide avait frappé l’imagination populaire, il courut des bruits de trahison. Ces bruits ont trouvé un écho, deux siècles plus tard, dans les Mémoires manuscrits d’un habitant de Stenay, Jean-Grégoire Denain. Les manuscrits qu’il a laissés renferment la copie d’un grand nombre de documents très précieux pour l’histoire de Stenay et de toute la région.

« Turenne, disent ces Mémoires, chercha à se rendre maître de Dun au moyen de quelque intelligence qu’il y pratiquait, principalement avec un nommé de Cranne qu’il avait gagné par argent, peut-être le même que celui qui en 1585 était capitaine ou prevot de Stenay, ou son fils, ou son parent.

Ce de Cranne commandait dans la ville haute, et dans la basse, il y avait un second commandant appelé le capitaine Claude, bon Lorrain, avec 100 hommes d’armes.

Le 7 décembre de la même année, jour convenu avec de Cranne, Turenne arriva à Stenay, et le soir, à la tête de 2 000 hommes, il s’avança sans bruit jusqu’à la porte de Dun-haut qu’il fit sauter avec le pétard et fit entrer une partie de son monde dans la ville. Plusieurs soldats et bourgeois qui ne trempaient pas dans la trahison coururent en armes à cette porte, et la fermèrent malgré les Français déjà entrés et qu’ils firent prisonniers, lorsqu’un nommé Loppes ayant planté des échelles près du guichet se jeta dans la place avec un détachement.

Nouveau combat avec la garnison qui, épuisée de fatigue, se rendit pendant que Cranne, pour compléter sa perfidie, sortait avec sa compagnie par la Porte aux Chevaux pour gagner la ville basse.

Ce traitre descendu, rencontrant le capitaine Claude qui montait à son secours, lui dit pour l’arrêter qu’il n’était plus temps et que les Français étaient maîtres de la ville haute. Sur cette annonce, Claude se retrancha dans l’île où il se défendit quelque temps, mais il en fut chassé non sans peine et après avoir pillé et mis le feu aux maisons.

Turenne, après avoir réparé le dommage et mis une garnison nombreuse dans Dun qu’il était bien aise de réunir à Stenay à cause de leurs voisinage et position, revint en cette ville d’où il se rendit à Sedan avec son nouveau laurier ».

Ce récit, fait longtemps après l’événement, est moins vraisemblable que celui du Bref discours. Denain commet d’ailleurs de très lourdes erreurs. Non seulement il évalue à 2 000 hommes la troupe du duc de Bouillon qui ne comprenait que 260 cavaliers et fantassins, mais il donne à la prise de Dun la même date qu’à la prise de Stenay. Pour lui, les deux expéditions auraient été faites en même temps.

« Un autre corps de troupe envoyé par le maréchal de Turenne, dit-il, en même temps de son arrivée devant Stenay, pour attaquer Dun, eut également le bonheur de surprendre cette ville. Ainsi, dans une même nuit, il eut la gloire de procurer à Henri IV deux places fortes et de cueillir deux lauriers à présenter à la future qu’il épousa le lendemain ».

Or, il est absolument certain que la prise de Stenay a eu lieu en octobre ou novembre 1591, et la prise de Dun le 7 décembre 1592.

Ces guerres déplorables touchaient à leur terme. Quelques semaines après, une première trêve était signée entre les représentants d’Henri IV et ceux du duc de Lorraine. La trêve fut renouvelée à plusieurs reprises jusqu’au traité de Folembray de décembre 1595. Charles III rendit Villefranche à Henri IV et il rentra en possession de Dun et de Stenay.

« Le 17 du mois de mars 1596, dit le manuscrit de Denain, jour pris pour les restitutions réciproques, les garnisons française et lorraine évacuèrent Stenay et Dun, et Villefranche, à 8 heures du matin, et prirent possession de chacune de ces villes qui devaient retourner à leur souverain respectif ». Le duc de Bouillon avait donc conservé Dun et Stenay jusqu’à la paix.

Il en résulte que le récit de dom Calmet, d’après lequel le duc Charles III aurait repris de vive force Stenay et Dun, est apocryphe. Là encore, l’historien lorrain paraît s’être inspiré du manuscrit du P. de Salin et de la manie de ce dernier attribuant à tous propos à ses frères des exploits imaginaires.

« L’année suivante, dit dom Calmet qui avait donné au paragraphe précédent la date de 1592, Stenay fut de nouveau assiégée par le duc Charles et par le prince Henry, son fils, en personne. De la Cour, colonel du régiment d’Esne, frère puîné du maréchal de Salin, qui était au même siège, fit dans cette occasion une action de valeur qui mérite d’être relevée. Il entreprit de se loger en plein jour, et à travers le feu qu’on faisait sur lui de la place, dans le ravelin qui était devant la porte de la ville. Il marcha le premier à la tête de son régiment, s’y logea, y coucha et conserva ce poste, ce qui fut cause que les assiégés, désespérant de pouvoir tenir plus longtemps, capitulèrent et rendirent la place. Charles prit en même temps la ville de Dun qui avait été surprise deux ans auparavant par le duc de Bouillon ».

De tout cela, rien n’est vrai, sinon le fait d’un second siège de Stenay, infructueux comme le précédent. Il se placerait à peu près à l’époque du siège de Beaumont par d’Amblise.

Denain dit à deux reprises dans son Histoire de Stenay et dans les notices rédigées par lui comme appendice : « Charles III vint faire une seconde fois le siège de Stenay qu’il fut encore forcé de lever », « Charles tenta deux fois inutilement de reprendre Stenay ».

Cela prouve une fois de plus, combien il est difficile d’écrire l’histoire, même en s’inspirant des autorités les plus respectables.

Château-sur-Perle

Carte Château sur Perles

 

D’après un article paru dans les « Mémoires de l’Académie de Stanislas » – Année 1869

Il existait autrefois un manoir féodal, situé sur une petite montagne, à proximité de la Vologne, entre Docelles et Cheniménil. Il était connu sous le nom de Château-sur-Perle, dénomination qui doit sans aucun doute son origine au produit des mollusques de cette rivière.

Ce château fit longtemps partie des domaines de la maison de Lénoncourt, mais à la mort de Charlotte, Dame Surette du chapitre de Remiremont, la dernière héritière de cette lignée, il fut vendu à un curé de Docelles du nom de Parisot.

Son dernier possesseur fut Philippe Antoine de Chainel qui l’avait acheté des héritiers de cet ecclésiastique en 1755. Il l’a restauré, a créé de beaux jardins sur les flancs de la colline où il a été construit, et y menait la vie d’un riche seigneur. Cependant sa noblesse lui fut contestée par un maire de Docelles.

Il est certain cependant qu’il appartenait à la noblesse lorraine. Le premier de ses ancêtres, qui reçut des lettres de noblesse, fut Thielman Chenel ou Chesnel, prévôt de Vaudémont. Elles lui furent accordées par Charles, duc de Lorraine, le 22 mars 1588, et son blason porte de gueules à l’écrevisse mise en pal.

La branche aînée de sa descendance quitta la France pour cause de religion, mais la branche cadette resta en Lorraine et l’un des membres de cette branche, Toussaint Chesnel, officier de la gruerie de Bruyères, reçut du Duc Léopold des lettres confirmatives de noblesse, le 10 août 1706.

Enfin, Philippe Antoine Chainel, son petit fils, fut investi par Stanislas, le 10 juin 1757, de la seigneurie de Cheniménil et de Château-sur-Perle et, le 14 septembre 1759, du fief de Turkheim, par de Saint-Simon, évêque de Metz. Il avait épousé Jeanne Marguerite de Montzey et il est mort à Bruyères en 1791. Il ne reste plus de sa descendance que sa petite fille qui a épousé Monsieur H. Laprevotte de Mirecourt. Ses enfants émigrèrent pendant la révolution.

Château-sur-Perle fut ruiné, puis vendu avec les terres considérables qui en dépendaient. Le tout fut adjugé le 26 fructidor an III à des cultivateurs de Cheniménil et de Laneuveville pour la somme de 415 000 livres.

Sur la carte des Naudin, vous pourrez découvrir Château-sur-perle, entre Chenimeny (Cheniménil) et Ladoncelle (Docelles) ici : Carte 48 – Zone C48 / Z02-02

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