Lunéville à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle

Blason de Lunéville

 

Continuons, si vous le voulez bien, à découvrir les événements qui se sont déroulés à Lunéville.

D’après la monographie « Essais historique sur la ville de Lunéville » de Guerrier – 1817

Année 1764 : Le 21 Janvier, il vint à Lunéville un Envoyé de Pologne, pour annoncera Stanislas la mort d’Auguste, Roi de Pologne et Électeur de Saxe.

Nicolas Ferri, nain du Roi de Pologne, est mort le 19 mai 1764, âgé de 22 ans et demi. Il était de Plaine, dans la principauté de Salm. A sa naissance, il pesait 12 onces. Il avait un monument aux Minimes.

Année 1766 : Cette année est une des plus fatales à la Lorraine, et surtout à Lunéville.

Stanislas, malgré son grand âge, ne perdait rien de sa gaité, mais son physique s’affaissait. Lorsqu’il apprit la mort du Dauphin, il dit, dans la plus grande affliction : « J’ai perdu deux fois la couronne, je n’en ai pas été affecté. Mais la mort de mon cher Dauphin m’anéantit ». Il repassait alors dans sa mémoire les Têtes couronnées que la mort avait frappées depuis peu, et il se trouvait le plus ancien de tous les monarques à cette époque. Il racontait les grands périls dont la Providence l’avait préservé jusqu’alors. Il y en avait de toutes les sortes, excepté une seule : « Il ne me manquerait, disait-il, que d’être brûlé, pour avoir passé par toutes les épreuves ».

Un deuil succédait à un autre sans interruption. Après celui de l’Empereur François, on prit celui du Duc de Cumberland, et celui du Dauphin.

En allant à la Malgrange, le Roi de Pologne s’arrêta à l’église de Bonsecours, et se plaça sur le caveau. En sortant, il dit à ceux qui l’accompagnaient : « Savez-vous ce qui m’a retenu si longtemps à l’église ? Je pensais que dans peu je serais trois pieds plus bas ».

Le 5 Février, Stanislas s’étant levé vers 6 heures et demie du matin, passa seul une demi-heure à fumer, assis dans son fauteuil. Il se leva pour voir l’heure à la pendule qui était sur sa cheminée. Le feu était ardent : sa robe de chambre, présent de la Reine sa fille, d’une étoffe légère et doublée d’une ouate de soie, flotta et fut attirée par la flamme. Le feu y prit, et la fumée s’éleva. Stanislas crut que c’était celle de la cheminée, et resta un moment tranquille. Mais enfin s’apercevant que le feu gagnait, il appela : on ne vint pas sur-le-champ.

Dès qu’on ouvrit la porte, l’air donna plus d’activité à la flamme, qui s’éleva tout-à-coup jusqu’au-dessus de sa tête. On arrachait ses vêtements en se brûlant les mains, mais le feu était en trop d’endroits pour pouvoir être étouffé par deux personnes. On coucha le Roi à terre, et l’on réussit à éteindre le feu qui le dévorait. Il eut tout le côté et la main gauches brûlés, depuis le genou jusqu’au-dessus de l’œil. La coiffe du bonnet de nuit fut brûlée, jusqu’au ruban qui l’attachait. La camisole de flanelle, qui était immédiatement sur la chair,fut consumée en partie, et tombait en morceaux et en cendres.

Dès que la nouvelle de ce funeste accident fut répandue, la consternation fut générale dans les campagnes comme dans les villes. La douleur fut la même partout. D’instant en instant, on demandait des nouvelles du Roi. Les premiers appareils donnèrent des espérances qui se soutinrent pendant près de douze jours. On se livrait à la joie, on croyait que cet accident n’aurait pas de suites.

L’excellente constitution de Stanislas, sa gaité, qui ne l’abandonnait pas, tout contribuait à entretenir une sécurité trompeuse. Tout le monde reprit ses occupations ordinaires. Le Roi signa même encore des expéditions de chancellerie mais, à compter de ce jour, les pansements devinrent douloureux, surtout à la main gauche. La fièvre vint, les taches noircirent. Cependant les espérances se renouvelèrent et se soutinrent jusqu’au 20. Stanislas tint son assemblée ordinaire avec la même gaité qu’avant son accident, mais le 21, son état empira. Le 22, on avait peu d’espoir, et on le perdit entièrement le lendemain.

Le Prince était dans un assoupissement, d’où on ne le tirait qu’avec des cordiaux violents. Il était dans ce déplorable état, quand on lui présenta un Ambassadeur du Roi de Pologne, Stanislas Poniatowsky, il entendit encore ce qu’on lui disait, mais il ne put articuler sa réponse, et tendit la main à l’Ambassadeur. L’agonie fut longue et douloureuse. Enfin, Stanislas-le-Bienfaisant expira le 23 Février, à quatre heures quelques minutes après midi, âgé de 88 ans, 4 mois, 3 jours.

Il fut pleuré comme Léopold. La tristesse et la consternation s’emparèrent de tous les états. La désolation fut extrême parmi les habitants de Lunéville, qui, ayant le bonheur de voir journellement le Prince, pouvaient le mieux l’apprécier.

Le corps partit de Lunéville le 3 Mars, à 6 heures du soir, au milieu des larmes et des gémissements de toutes les classes du peuple, qui le suivirent fort loin dans la boue et l’obscurité. Le convoi arriva aux Minimes de Bonsecours à minuit et demi, et le corps fut aussitôt descendu dans le caveau. Les entrailles restèrent à Lunéville.

Pour bien peindre Stanislas, nous ne pouvons mieux faire que d’emprunter les expressions du Comte de Tressan, Grand-Maréchal-des-Logis de sa Maison : « Qui, mieux que Stanislas, a possédé l’art charmant de dire à ceux qui composaient sa Cour, ce qui pouvait leur être flatteur, honorable et personnel. Il simplifia, il perfectionna les instruments de plusieurs arts, et surtout ceux du labourage. Sa belle et fertile imagination lui fit varier sans cesse les moyens d’orner ses palais, de parer, d’animer ses jardins par des eaux jaillissantes. Années heureuses ! Vous coulâtes trop rapidement ! Nous n’osions les compter. Mais l’activité, la santé, la force brillaient sur le front de Stanislas. Les grâces même n’en étaient point effacées ; ses derniers écrits avaient tout le feu de ceux de sa jeunesse : rien ne paraissait menacer une tête si chère, et le jour de sa naissance fut encore un jour de fête pour nous ».

Année 1770 : Pour dédommager Lunéville, qui cessait d’être la résidence de ses Souverains, le gouvernement français mit dans cette ville le Corps de la Gendarmerie, composé, à son arrivée, de 10 compagnies.

Christian VII, Roi de Danemarck, passa à Lunéville le 14 décembre.

Année 1775 : Le 16 mai, Marie Antoinette, fille de François III, dernier Duc de la maison de Lorraine, et de Marie-Thérèse, passa à Lunéville, pour aller épouser Louis XVI, alors Dauphin. Cette alliance consolida l’union de la France et de l’Autriche si lontemps rivales et ennemies.

L’Archiduc Maximilien, frère de Joseph II, Empereur d’Allemagne, et de la Reine de France, épouse de Louis XVI, passa à Lunéville, le 4 mars, sous le nom de Comte de Burgau.

Année 1776 : Le 25 février, deux compagnies de la Gendarmerie furent réformées, et ce Corps fut réduit à huit compagnies. Les deux compagnies supprimées furent incorporées dans les huit restantes.

Année 1777 : Le 13 avril, Lunéville sevit honoré de la présence de l’Empereur d’Allemagne, Joseph II, frère de la Reine de France. La Gendarmerie eut l’honneur de manœuvrer devant ce Prince, qui donna les éloges les plus mérités à la brillante tenue de ce Corps, à la précision avec laquelle se firent les évolutions commandées par M. Diettmann, Officier de l’Etat Major.

Année 1778 : La Vezouze, débordée en même temps que la Meurthe, s’enfla la nuit du 25 Octobre, faillit submerger un quartier des casernes, et renversa des maisons et une partie du Pont des Carmes. On allait en bateau dans la petite rue des Carmes.

Année 1787 : Lunéville eut le bonheur de posséder, cette année, un des frères de l’infortuné Louis XVI, Monsieur, Comte de Provence, aujourd’hui Louis XVIII.

Année 1788 : Des vues d’économie ayant engagé le gouvernement à réformer le corps de la Gendarmerie, les individus qui le composaient, furent licenciés. On leur accorda une pension, et ils furent remplacés par les deux régiments de Carabiniers, qui tinrent garnison à Lunéville jusqu’au commencement de 1815.

Année 1813 : La nuit du dernier jour de décembre, le feu prit à l’aîle gauche du Château et fit des progrès si rapides, qu’on fut obligé d’abattre une partie de cette aîle, pour couper toute communication avec le reste du Château, qui aurait pu devenir la proie des flammes. On ne peut assez louer le zèle des ouvriers chargés de porter les secours, des personnes qui les dirigeaient et d’une grande partie des habitants.

Année 1814 : Les Alliés sont entrés, pour la première fois, à Lunéville, le 15 janvier de cette année.

Nous avons possédé, pendant quelques instants, S. A. R. Monsieur le Duc de Berry, fils de Monsieur, Comte d’Artois, qui vint aussi lui-même en cette ville le 1er novembre, et qui y a passé trois jours.

Année 1815 : Les Alliés sont entrés, pour la seconde fois, à Lunéville, le 26 juin.

Année 1816 : Louis-le-Désiré ne pouvait donner à Lunéville une plus grande marque de sa sollicitude paternelle, qu’en affectant le Château des Ducs de Lorraine pour la demeure de S. A. S. le Prince de Hohenlohe, et de son illustre famille, dont l’origine remonte à Conrad-le-Sage , Duc de Franconie et de Lorraine, né en 949 , et tige de l’antique Maison de Hohenlohe. Ce Prince a mérité cette récompense par son dévouement inaltérable à la cause du Roi, à qui il a rendu les services les plus signalés. Cet attachement pour la Maison des Bourbons est héréditaire dans cette famille, car l’histoire fait mention d’un Prince de Hohenlohe, qui combattit pour notre Henry IV, d’héroïque mémoire.

Cette marque de reconnaissance de Louis XVIII pour S. A. S. est constatée par une ordonnance du Roi, datée du 9 juin de cette année, et dont voici la teneur :

S. M. voulant donner un gage de sa reconnaissance aux Princes de la Maison de Hohenlohe-Waldenbourg Bartenstein et Schillings-Furst, et surtout aux Princes Louis-Aloys de Hohenlohe-Bartenstein et Charles-Ernest-Justin de Hohenlohe-Bartenstein-Jaxberg, qui, depuis 1792, montrèrent le plus parfait dévouement à S. M., et levèrent deux régiments, qu’ils placèrent sous les ordres de S. A. le Prince de Condé , a rendu , le 9 Juin, l’ordonnance suivante :
Art. 1er : Le Prince Louis-Aloys de Hohenlohe-Bartenstein est nommé Chevalier-Commandeur de nos Ordres de St-Michel et du St-Esprit.
Art. 2 : Ce Prince prendra rang dans nos armées en qualité de Lieutenant-Général, à dater du 28 Février 1816. Il sera employé, cette année, comme Inspecteur d’infanterie.
Art 3 : Une partie du Château de Lunéville, à l’exclusion de la partie qui sert au casernement de nos troupes, sera affectée au logement dudit Prince et de sa famille, sa vie durant.
Art 4 : Notre Légion étrangère prendra incessamment le nom de Légion de Hohenlohe. Le Prince Louis-Aloys de Hohenlohe-Bartenstein en est nommé Colonel supérieur. Le Comte de Witgenstein, son Colonel actuel, en conservera le commandement sous les ordres de ce Prince.

En conséquence de cette ordonnance, S. A. S. madame la Princesse de Hohenlohe, madame la Comtesse de Salm sa sœur, accompagnées de leur digne Aumônier, également distingué par les qualités du cœur et par celles de l’esprit, arrivèrent à Lunéville. Et après les réparations nécessaires faites au Château, S. A. S. madame la Princesse et madame la Comtesse sont venues, le 28 Octobre, prendre possession du Château des Ducs de Lorraine, honoré, dans le siècle dernier, par les vertus de Stanislas, et que le digne petit-fils de cet excellent monarque a donné pour résidence aux Princes d’une maison qui s’est distinguée par son attachement à la cause de nos Bois.

Ce jour a été un jour de fête pour Lunéville. Quarante dames attendaient S. A. S. madame la Princesse et madame la Comtesse dans le salon du Château. Une de ces dames a porté la parole au nom de toutes, et en célébrant les vertus de madame la Princesse et de madame la Comtesse, et particulièrement l’extrême bienfaisance qu’elles ont fait éclater envers les malheureux et les pauvres, elle a exprimé les sentiments de respect et de dévouement dont tous les habitants de Lunéville sont pénétrés pour elles. A onze heures, le corps municipal est venu complimenter S. A. S. et le soir, la garde nationale a hissé, sur le donjon, au son d’une musique militaire, le drapeau blanc, également cher aux habitants de la ville et à ceux du Château.

Le 20 décembre suivant, S. A. S. le Prince de Hohenlohe est venu rejoindre son illustre famille au Château, où il a été reçu avec les mêmes marques de respect, par les autorités civiles et militaires, par M. le curé, M. le 1er vicaire, et plusieurs des principaux habitants de Lunéville.

Lunéville a souffert, dans le cours de cette année, de l’intempérie de la saison, qui s’est fait sentir dans presque toute l’Europe, ce qui, joint à d’autres circonstances, a tellement augmenté le prix des denrées de première nécessité, que le bled s’est vendu jusqu’à 58 francs le resal, la livre de pain bis 32 centimes, et le resal de pommes-de-terre plus cher que le bled dans les années d’abondance, c’est-à-dire, 20 fr.

Pour venir au secours des indigents, les habitants de Lunéville, qui se sont toujours distingués par leur bienfaisance, ont saisi cette occasion pour l’exercer. M. le curé, M. le 1er vicaire, qu’on peut appeler, à juste titre les pères des pauvres, et plusieurs fonctionnaires publics ont formé un comité de bienfaisance, dont le Prince de Hohenlohe est le président honoraire, et ont proposé une souscription volontaire, à laquelle a contribué la très grande majorité des habitants, et qui a produit un fonds assez considérable. Au moyen de ces secours, on a rassemblé un grand nombre de pauvres dans le local dit le Coton, où ils sont vêtus et nourris, et où l’on fait travailler ceux qui ne sont pas tout-à-fait impotents. Ceux qui ne peuvent y être admis, reçoivent des secours à domicile.

Le 19 décembre, après avoir fait célébrer une messe, les membres du Comité de Bienfaisance, accompagnés de madame la Princesse de Hohenlohe et de madame la Comtesse de Salm, dont le bienfaisance est au dessus de tous les éloges, se sont rendus au Coton, pour y installer les pauvres, auxquels on a donné un dîner abondant, et qui ont été servis par madame la Princesse et madame la Comtesse. Le zèle de toutes ces personnes charitables a été dignement secondé par la respectable Sœur qui est à la tête de la Maison des Orphelins.

Puisse le plus heureux succès couronner tant de soins et de travaux, dont le but est de diminuer la misère et de détruire la mendicité !

Un des établissements les plus utiles dont Lunéville ait à se louer, et qui date de cette année, est celui d’une compagnie de Pompiers, composée de 74 hommes, non compris 3 officiers.

Ce Corps se distingue par le bon esprit qui anime tous les individus qui le composent, par sa conduite décente dans ses réunions, par sa célérité à se rendre là où le danger l’appelle, enfin par les services qu’il a déjà rendus, et qui sont un sûr garant de ceux qu’il rendra encore chaque fois que l’occasion s’en présentera.

Chaque pompier met en masse 20 centimes par semaine, ce qui forme un fonds, qui procurera des secours à ceux auxquels il arriverait quelque accident qui les mettrait hors d’état de travailler, ainsi qu’à leurs veuves et à leurs enfants.


Archive pour février, 2011

L’industrie et les arts en Lorraine

Blason de la Lorraine

Le savoir-faire de la Lorraine d’hier et d’aujourd’hui

« L’industrie est très variée dans la partie de la France que nous habitons. Nous possédons des usines et des manufactures de tout genre.

Ainsi, on fabrique :
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les toiles de coton, les toiles imprimées dans les Vosges,
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les toiles communes de chanvre et de lin dans la Meurthe,
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la dentelle à Saint-Mihiel et Mirecourt,
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le cuir à Metz, Nancy, Sierck, Blâmont et Lorquin,
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les glaces à Saint-Quirin et Cirey,
- le cristal à Baccarat et Saint-Louis,
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la faïence à Lunéville et Longwy-Bas,
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la porcelaine à Niderville et Sarreguemines,
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le velours à Metz,
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les objets en fer, en fonte, en fer blanc, à Hayange, Moyeuvre, Framont, etc.
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le papier à Abrescheviller, Cirey, Champigneulles, Docelle et Ars,
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le papier peint à Nancy et Metz,
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le drap à Nancy, Metz, Moutier près Briey, etc.

A Sarreguemines, on fait de jolies tabatières, à Mirecourt, des instruments de musique. On recherche les chandelles de Nancy, la flanelle et le molleton de Metz. On fond des caractères d’imprimerie à Nancy. Il y a beaucoup de lithographies à Metz et à Nancy. On fait à Phalsbourg de l’excellente eau de noyau, et de l’eau-de-vie de cerises et de coetches dans plusieurs parties des Vosges.Les broderies de la Moselle et de la Meurthe occupent plus de cent mille ouvrières ».

Vous n’avez pas la berlue, et je n’ai pas non plus perdu l’esprit en insérant ces quelques phrases dans cet article.

Il s’agit d’un extrait de « L’éducation lorraine élémentaire » de 1835, où chaque instituteur lisait ou faisait lire à ses élèves, ce texte concernant l’industrie en Lorraine.

Quand on voit ce qui s’y fabriquait au XIXe siècle, et ce qui subsiste aujourd’hui, on a envie de pleurer.

Seul un musée retrace parfois l’histoire de l’activité d’autrefois. Dans d’autres localités, rien ne rappelle les anciennes industries.

Alors, profitons-en pour découvrir ou redécouvrir, que nos ancêtres lorrains avaient du courage, de la volonté, et de l’or dans les mains. Nous voyagerons ainsi à travers l’industrie lorraine d’hier et celle d’aujourd’hui.

Le savoir-faire lorrain existe encore au XXIe siècle, alors pourquoi ne pas le mettre à l’honneur ? Si je vous dis « Cristal », « Imagerie », un nom de ville vous vient-il à l’esprit ? Sans doute, mais il y en a bien d’autres…

Le Graoully

Procession du Graoully

 

D’après un article paru dans la « Revue des traditions populaires » – Année 1900

On se rappelle encore la bizarre figure représentant un dragon ailé, qui sous le nom de Graoully, était promenée solennellement aux processions des Rogations. Elle était portée par le maire de Woippy, à qui chaque boulanger ou pâtissier devait le tribut d’un petit pain ou d’un gâteau qu’il fichait dans un dard sortant de la gueule du monstre.

Cet usage remonte aux temps les plus éloignés et s’est conservé jusqu’en 1786, où il fut aboli définitivement par l’évêque de Montmorency-Laval.

On a épuisé toutes les conjectures sur son origine. Les uns ont voulu y voir un reste des cérémonies du paganisme, d’autres, l’emblême de la destruction des faux dieux. Ces explications, qui paraissent naturelles, n’ont pas satisfait les légendaires, par cela même, peut-être, qu’elles ne répugnent pas à la raison.

Ils ont préféré donner au Graoully une origine merveilleuse et voici comment ils la racontent.

Saint Clément, premier évêque, étant venu à Metz par ordre de saint Pierre pour y prêcher le christianisme, trouva cette ville envahie par une infinité de serpents ailés, dont le souffle empoisonné infestait tellement l’air, que l’on n’osait plus s’en approcher. Ils avaient leur retraite dans les ruines de l’ancien amphithéâtre au bord de la Seille, près du lieu même que le saint missionnaire avait choisi pour y établir son oratoire. Clément offrit au peuple de le délivrer de ce fléau, mais à condition qu’il abandonnerait le culte des faux dieux.

Cette proposition fut acceptée avec empressement et le saint s’approcha pour combattre les monstres. Ils sortirent en foule pour le dévorer. Mais les ayant arrêtés par un signe de croix, il saisit le plus gros d’entre eux, le lia avec son étole, le conduisit au bord de la rivière et lui ordonna de la passer au plutôt, et de se retirer avec ses compagnons dans un lieu désert, en leur défendant de nuire désormais aux hommes et aux animaux. Le reptile obéit et les autres serpents le suivirent.

Après un tel prodige, les Messins se hâtèrent de se convertir et ils instituèrent en mémoire de cet événement la procession du Graoully. Le Duchat (notes sur Rabelais) pense que Graoully peut venir de l’allemand Greulich, affreux, effroyable et par corruption du mot de Gargouille, usité pour désigner des figures du même genre.

Ajoutons que l’on montre encore dans une sacristie de la cathédrale de Metz, le Graoully de 1786.

Après la procession, les enfants de choeur fouettaient le Graoully dans la cour de l’abbaye de Saint-Arnould, qui était la dernière station faite par la procession.

Le château de Tichémont à Giraumont (54)

Blason GiraumontChâteau deTichémont GiraumontChâteau de Tichémont GiraumontCarte château de Tichémont à Giraumont 

 

Le château de Tichémont à Giraumont est une propriété privée, possédant l’un des plus vastes jardins en terrasses de Lorraine. Vous pourrez découvrir dans le parc, un potager et une orangerie.

Ouvert en juin les samedis et les dimanches – Ouvert de juillet à septembre, tous les jours sauf le lundi.
Visites guidées à 14h30 et 16h30.

Je vous propose de découvrir l’histoire de cette demeure, ainsi que celle des seigneurs de Tichémont. Les appellations anciennes ont été respectées.

D’après les « Mémoires de la société d’archéologie et d’histoire de la Moselle » – Année 1864

 

Le château de Tichémont avec ses dépendances offre la figure d’un grand carré long, occupant au fond d’un vallon, tout l’intervalle compris entre les deux bras d’un ruisseau qui se jette dans l’Orne, un demi-kilomètre plus loin.

Sur trois côtés de ce quadrilatère, un grand et deux petits, règne une double enceinte qu’on appelle encore aujourd’hui les fausses braies, sorte de boulevard d’une largeur constante de huit mètres environ. Cette fortification vient butter contre un gros donjon voûté au rez-de-chaussée et qui sert de porche donnant accès dans la cour du château. Le pont actuel, qui le précède, a remplacé un pont-levis.

On remarque encore sur la droite les traces d’une poterne et de mâchicoulis. Au-dessus de l’arc ogival qui forme la porte on aperçoit une ouverture qui permettait de faire le guet du côté de l’entrée principale. La quatrième face de ce parallélogramme est formée par des bâtiments de dépendances, et enfin par le château qui occupe l’angle nord-est. Il est précédé d’une cour, dont le sol domine la basse-cour et un jardin qui sont tous deux compris dans la même enceinte.

Le château, de construction moderne, ne se recommande à l’archéologue que par une tour carrée assez élevée qui est flanquée, au dehors, d’une tourelle en style renaissance. Sur la face nord, au-dessus d’une porte, on lit la date de 1568, répétée au-dessus de la fenêtre.

La cour se trouvait coupée, à une époque récente, par un large canal qui traversait l’enceinte en son milieu et qui était probablement destiné à séparer les habitations des deux seigneurs qui se sont partagé cette terre à la fin du XVIe siècle et durant le siècle suivant. Ce canal n’a entièrement disparu que de nos jours.

L’histoire de cette localité est celle de ses seigneurs, qui ont tous occupés un rang élevé dans la hiérarchie féodale.

La première mention où apparaisse le nom de Tichémont, nous est fournie par un acte de 1055, tiré du Cartulaire de Gorze, et portant donation par Henri, abbé de Gorze, de terres qu’il concède à Martin de Tichémont, à condition que ses enfants resteront attachés à cette abbaye, et qu’ils épouseront des femmes qui en dépendent.

Cette charte vient nous confirmer dans l’opinion que Dom Calmet insérait dans sa Notice de Lorraine, à savoir qu’il y a eu anciennement des seigneurs du nom de Tichémont.

Il en donne, en effet, pour preuve que Essignon dit Walle de Thichemont, écuyer, vendit par acte daté du jour de l’Annonciation 1362, à Franque de Huisse et à Marie sa femme « septante sols tournois » qu’il prenait tous les ans sur le tonneu de Briey et qu’il avait acquis de Jean de Naives, chevalier. Cette terre passa ensuite dans la maison des Armoises.

Richard des Armoises II du nom, fils de Richard Ier, était pensionnaire de la ville de Verdun, en 1385. Il est nommé chevalier en 1391 et maréchal du Barrois en 1397.

En 1407 et 1408, il est nommé seigneur de Richemont (ou Tichémont) et chevalier. Il joignit ses forces à celles du duc de Bar et du prévôt de la Chaussée, qui ayant à leur tête le marquis de Pont-à-Mousson, marchèrent la nuit contre la ville de Metz espérant la surprendre. Mais la division s’étant mise parmi eux, ils manquèrent leur coup et revinrent à Pont-à-Mousson.

Le duc de Bar, en considération des services de Richier des Armoises, l’institua, en 1407, son châtelain et garde de son château de Conflans, avec cinquante francs d’or par an.

En 1416, Richard des Armoises, chevalier, était gouverneur du duché de Bar, sous le cardinal de ce nom.

Le 6 février 1423, Robert des Armoises, sire de Tichémont, chevalier (peut-être fils de Richard II), confesse et avoue tenir en foi, fief et hommage-lige de M. le duc de Bar, comte de Guise, « le chastel, forteresse et maison-forte de Tichémont, l’étang, moulin et appartenances en ressort et souveraineté et en sa prévôté de Briey, juvables et rendables à grande et petite force, priant F. Vauthier, abbé de Saint-Pierremont, de sceller avec lui. Scellé de deux sceaux en cire verte ».

Robert des Armoises ayant fait passer la terre de Norroy en mains étrangères sans la participation de René, duc de Bar, ce dernier la confisqua et la donna à Jean d’Autel, seigneur d’Apremont, à charge de la reprendre de lui.

Sous la date du 8 septembre 1435, l’Inventaire des Titres de Lorraine de du Fourni rapporte des « lettres en papier, de Geoffroy d’Aspremont, seigneur de Han, que comme le duc d’Anjou, de Lorraine et de Bar, lui ait mis en main la forteresse, terre et appartenance de Tischemont apartenante à M. Robert des Armoises, chevalier et luy en ait baillé le gouvernement de l’administration, suivant certains moyens et conditions déclarées ès lettres dudit Duc, du 8 septembre 1435, y transcrites ; laquelle terre avoit été saisie sur ledit des Armoises pour cause de désobéissance ; à la charge dudit d’Aspremont d’employer les levées qu’il en fera à l’entretien de ceux qu’il y ordonnera et que pendant qu’il en aura le gouvernement, il n’y mettra, recevra ou favorisera en ladite place ledit des Armoises ny aucuns de ses serviteurs ou aydans si ce n’est de l’exprès commandement du duc ou des gens de son conseil et sera tenu de la rendre réellement et de fait toutes les fois qu’il en sera requis sans contredit ou refus ; ce que ledit Geoffroy par serment et par la foy de son corps promet et sur son honneur. Scellé en placard de cire rouge aux armes dudit Aspremont ».

Philibert des Armoises et Jeanne de La Force, sa femme, vendent, vers 1459, la terre de Richemont à Didier de Landres et à Jeanne de Puligny sa femme.

Le 30 avril 1472, Didier de Landres, Ier du nom, chevalier, seigneur haut voué de Landres et seigneur d’Avillers, de Murville, etc., confesse tenir en « foy et hommage du roy de Sicile, duc de Bar, à cause de son château de Briey, le chastel et forteresse de Tichemont appartenances et dépendances promet d’en faire les services tels qu’il appartient. Scellé en cire vermeille de ses armes. Trois paux ». Il mourut à Tichémont, le 15 novembre 1483.

Son fils, Perrin de Landres, écuyer, seigneur de Tichémont, né en 1461, épousa Walburge de Haussonville, fille de Balthazard de Haussonville et d’Anne d’Anglure.

En 1489, « le sieur de Bassonpierre et Perrin de Landre demandoient plusieurs hommes et femmes menant en la cité, lesquelx ilz disoient estre à eux serfs de condicions ; et pourtant que la cité ne les vouloit point delivrer, ilz usoient de grant menaisses ».

Nous trouvons dans un acte, du 16 juillet 1499, passé devant Nicolas de Bresselet dit Naze, prévôt d’Étain, garde scel du tabellionnage de la prévosté dudit Estain, la remise faite par noble escuyer Perrin de Landres et damoiselle Waubourg, sa femme, à noble escuyer François de Custine et à demoiselle Yde Deviset, sa femme « du droit, action et poursuite et raison que feu messire Didier de Landres en son vivant chevalier sr dudit Landres avoit povoit et prétendoit avoir à rencontre de Phillebert des Hermoises, escuier à cause de l’achet de la fort maison de Thechiemont circonstances et dépendances tant en rentes revenues que aultrement que ledit Phillibert avoit fait à un appelle Thomasse de Cappe jadis capitaine de certains nombre de gendarmes soulz la compaignie de monseigneur le duc Charles de Bourgogne lequel seigneur de Landres disoit l’avoir gaingnies, et recouverte en temps d’ostilité et reprins par fait d’armes sur ses ennemis dont par aultres foix proces débat et question en a este meu lesdis seiur Phillebert et ledit messire Didier de Landres ». Signé à l’original : « Lescuyer et Debar clers jurez au tabellionnage d’Etain ».

Il n’est pas douteux que les fers de lance qu’on trouva, vers 1845, quand on creusa une pièce d’eau près du château, ne proviennent de la lutte à laquelle il est fait allusion ici.

On rencontre encore au nom du même seigneur un contrat de donation fait, le 4 octobre 1507 par noble homme Me Thomas de Failli, procureur fondé de noble homme Georges de Failly et dame Ydion, sa femme, à noble écuyer Perrin de Landres, seigneur deTichémont et dudit Landres en partie et par noble damoiselle Walbourg de Hassonville, sa femme, de la part appartenante aux donataires dans le moulin de Labri et une chenevière située audit lieu.

Le 11 novembre 1534, nous voyons un dénombrement donné à S. A. par Perrin de Landres seigneur de Tichémont, de Landres et Avillers, en partie de tout ce que messire Claude Baudoche, chevalier, seigneur de Molin, tient en arrière-fief de lui en la ville, ban et finage de Hatrize. Ce titre est scellé du sceau dudit Perrin de Landres et de celui de messire Philippe de Norroy, chevalier, son cousin.

Le 26 septembre 1535, institution d’un chapelain pourvu de la chapelle érigée en l’église paroissiale de Hatrize sur la présentation faite par noble et généreux seigneur Perrin de Landres, de Briey, seigneur de Tichémont, etc., et dame Wulburge de Haussonville, fondateurs et patrons.

Cette chapelle, qui sert de sacristie depuis 1841, occupe le côté droit de l’avant-chœur de l’église de Hatrize.
Sa superficie de 25,9 m est couverte par une voûte brisée, partagée par des nervures dont les clefs de voûtes représentent :
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au milieu, les armoiries des de Landres : d’or ou d’argent à trois pals de gueulle
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autour du point central : d’or à la croix de gueulle qui est Watronville, aïeule de Perrin de Landres
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puis d’or à la croix de gueulle frettée d’argent qui sont les armes de sa femme Walburge de Haussonville
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et enfin de gueulle à trois pals de vair au chef d’or, chargée d’une merlette de sable qui est Chatillon de la branche du second fils du connétable de Chatillon, comte de Porcean, écartelé au 2 et 3, d’or semé de grillets d’argent, soutenus d’un croissant de gueulles qui est Anglure mère de Walburge.

Cette chapelle est éclairée par une large fenêtre formée par un grand arc ogival qui en contient trois autres plus petits. L’ornementation accuse le style flamboyant de l’époque. Ce fut dans cette chapelle, placée sous le vocable de la Conception de Notre-Dame, que Perrin de Landre fut inhumé cette même année (1535). Sa femme, qui lui survécut d’un an, fut enterrée à Sainte-Marie de Metz.

Leur fils Warin de Landres, chevalier, seigneur en partie dudit lieu, seigneur des maison, place et territoire de Tichémont, né en 1502, obtint à la date du 30 mai 1541, du duc Anthoine « droit, authorité et haute justice en ladite maison, fief, ban et appartenances d’icelle avec puissance d’y instituer maire et gens de justice qui aient authorité de recevoir et donner tous actes de haute justice, connoissent de tous ces cas et qu’ils puissent dresser et ériger sept carcans, fourches et gibet à deux piliers ou jambages de bois en un lieu dudit ban qui, par le procureur général du duché de Bar et officiers de Briey, sera trouvé convenable, d’avoir prison pour tenir prisonniers et malfaiteurs et leur faire et parfaire leurs procès réservant à luy et à son bailli de Saint-Mihiel commis de député de ses hauts jours le ressort et connaissance de ses appellations et réformations comme du passé ».

Warin de Landres, seigneur de Tichémont et de Landres, donna, le 26 septembre 1539, un ascensement à un habitant de Hatrize ce qui tend à prouver qu’il hérita des biens que son père avait à Hatrize. Il eut aussi la seigneurie de Jarny par sentence obtenue contre François de Choiseul et mourut, en 1548, laissant quatre fils : François – Valentin Ier – Claude – Nicolas.

François de Landres, frère aîné de Valentin Ier, qui est qualifié seigneur de Tichémont dans un dénombrement sans date pour la moitié du moulin de Labry, céda la moitié de Tichémont qui lui était advenue par héritage à African de Haussonville.

Valentin Ier qui eut l’autre moitié la céda, le 15 octobre 1570, à ses deux frères Claude et Nicolas. Ce dernier abandonna, le 30 du même mois, sa part à son frère Claude, de sorte que ce fut celui-ci qui, de la famille des Landres, resta seul seigneur de Tichémont.

Aussi, à la date du 14 janvier 1573, voit-on un dénombrement donné par Claude de Landres dict de Briey, seigneur de Landres, Avillers, Tichémont, Haulcourt, etc., en partie de plusieurs fiefs partageables par moitié contre honoré messire Didier de Landres, chevalier, sieur desdits lieux, en partie capitaine et prévôt de Briey, son beau-père. Signé dudit Claude de Landres, scellé de son scel armorié de ses armes et de celui de Warin de Saint-Beaussant, sieur d’Immonville.

Le nom de sa femme, Marguerite de Landres, nous est donné par un acte du 30 mai 1588, portant acquêt de divers biens situés à Hatrize, et celui de sa mère, Blanche de Barbanson, intitulée douairière de Tichémont dans un contrat d’acquêt du 1er juillet 1589.

Nicolas de Landres qui avait été un instant seigneur de Tichémont, et qui mourut en 1583, demanda que son corps fût transporté à Hatrize dans la chapelle que ses ancêtres avaient fondée dans l’église paroissiale.

Quant à Claude de Landres, qui possédait Tichémont et en partie Hatrize, il mourut en 1592 laissant pour fils, Didier de Landres, deuxième du nom, marié, le 5 juin 1587, à Judith du Hautoy.

Le 5 mai 1597, nous voyons le dénombrement donné par Didier de Landres, seigneur de Tichémont, dudit Landres, Mont, Murville, Bauzet, Haitrise en partie, écuyer d’escuries de Monseigneur de Vaudémont, de tout ce qu’il possède au village de Haitrise, etc. Signé et scellé des sceaux dudit Didier de Landres et de messire François du Hautoy, chevalier, seigneur de Nubecourt, Bullainville, Bauzet, etc., chambellan de S. A.

Didier de Landres ne cessa de faire des acquisitions ou des échanges de terres à Hatrize depuis le 1er mars 1597 jusqu’au 28 février 1635.

Le 12 octobre 1602, il obtint du bailliage de Saint-Mihiel une sentence afin de forcer les habitants de Hatrize à lui faire les corvées qui lui étaient dues. Et le 11 août 1603, il fit un partage de bois qui se trouvaient indivis entre lui et Jacqueline de Saint-Blaise, femme de Pierre de Gournay.

Le 5 juin 1619, Didier de Landres dit de Briey, seigneur de Tichémont et d’Hatrize, conseiller, chambellan de S. A., capitaine et prévost de Briey donne, tant en sa qualité d’exécuteur testamentaire du testament de feue Barbe de Hault, que comme collateur et propriétaire de la chapelle de la Conception Notre-Dame érigée en l’église de Hatrize, quittance de 150 francs par François de Hault, faisant moitié de celle de 300, légués à cette chapelle par sa sœur. Laquelle somme était due à la testatrice par feu Jean de Hault, écuyer, demeurant audit Hatrize, son père, ledit paiement fait par ledit François de Hault comme héritier seul et universel dudit Jean de Hault, son père. L’autre moitié desdits 300 fr. demeurant à la charge des héritiers de feue demoiselle Claude de Blaville, vivante femme dudit Jean de Hault, mère de ladite Barbe et belle-mère dudit François de Hault.

Didier de Landres, dit de Briey, est encore qualifié seigneur de Tichémont, dudit Landres, Mont, Murville, conseiller d’estat de S. A., capitaine et prevost dudit Briey, garde du scel du tabellionage dudit lieu dans un acte, du 28 novembre 1620, portant acquisition pour François de Baigecourt, seigneur d’Amnéville, d’une maison sise audit lieu.

La maison Des Salles nous apprend qu’Anne Dorothée de Landres, héritière unique « de tous les biens délaissées par deffunt illustre seigneur monsieur de Tichemont (Didier de Landres) », épousa en premières noces Claude, fils d’Ahraham du Hautoy seigneur de Récicourt.

Le 23 avril 1664, leur fils François du Hautoy, seigneur en partie de Landres, Mont, Murville, Tichémont, les cinq villes, Joppécourt, Hatrize, donna son dénombrement au duc de Lorraine, notamment pour cette dernière seigneurie.

Le 21 février I695, il acquit de Paul de Gournay, le tiers dans la seigneurie de Hatrize qui appartenait à la seconde femme de ce dernier. François du Hautoy obtint encore, le 9 novembre 1692, un traité qui mettait fin aux difficultés qu’il avait éprouvées près des habitants de Hatrize qui se refusaient à faire des corvées.

Le 8 octobre 1682, d’après le dénombrement que ce dernier avait donné à la chambre royale établie près le Parlement de Metz pour la moitié de la seigneurie de Tichémont, deux tiers de celle de Hatrize, pour le fief de Froidevaux et pour la vouerie du Jarnisy, il paraît qu’il y avait alors un étang flottant contre les murailles des deux châteaux. Cet acte porte à côté de sa signature le cachet de ses armes qui sont : d’argent au lion de gueulle, la queue nouée passée en sautoir, armé, compassé et couronné d’or.

L’autre moitié de la terre de Tichémont appartenait, en effet, à François de Nettancourt ou plutôt à son gendre, Charles de Lenoncourt, qui avait épousé sa fille, Charlotte de Nettancourt, et qui donna son dénombrement à la Chambre royale, le 25 octobre 1681, pour cette moitié de Tichémont et aussi pour une maison située à Labrye.

On parle dans cet acte, du vieux château qui est démoli et dont il ne reste plus que quelques murailles qui servent de séparation avec la propriété voisine. On ne voit, ajoute-t-on, en fait de construction ancienne, que « la tour et portière de la basse-cour et un petit logement de fermier, le tout fermé de fossé avec un pont-levis ».

François de Nettancourt tenait ses droits de son père, Henry de Nettancourt, seigneur de Passavant, Jopécourt, Moncel, Saint-André et Tichémont, gentilhomme de la Chambre de Mgr le duc de Bar et capitaine entretenu pour le service de France, qui figure en cette qualité dans un bail du moulin de Labry, du 13 juillet 1607, et dans une procuration, du 6 juillet 1622, qu’il donna à Symon de Broallant, escuyer, son admoniateur, demeurant à Tichémont pour vendre le quart à lui appartenant dans le moulin de Labry. Henri de Nettancourt tenait probablement ses droits sur Tichémont de son aïeul maternel, African de Haussonville.

De son mariage (1663) avec Suzanne de Constant de Trières, dame de Francfossé, François du Hautoy, qui vivait encore en 1703, laissa une fille unique, Anne Dorothée du Hautoy, mariée à Charles-François de Béon-Luxembourg, marquis de Béon, arrière-petit fils de Jean de Luxembourg, comte de Ligni et de Brienne, et Guillemette de la Marck.

Ses armes sont : écartelé au 1 de Luxembourg qui est d’argent au lion de gueules, armé, compassé de couronne d’or, la queue nouée et passée en sautoir ; au 2 d’or à la face échiqueté d’argent et de gueules; au 3 de gueule à la croix d’argent ; au 4 de France au bâton de gueule péri en bande qui est Bourbon-Condé et sur le tout d’or à deux vaches de gueule qui est de Béon maison du Languedoc.

On lit encore la date de 1702, sur un contrefort des terrasses dont la construction rappelle le grand régne, et annonce en même temps, la puissance de celui qui pouvait faire entreprendre un travail de ce genre. Aussi en fait-on honneur au marquis de Béon-Luxembourg. Les magnifiques arbres qui dominent la colline contre laquelle elles sont adossées sont évidemment de la même époque.

Veuve le 8 août 1725, Anne Dorothée du Hautoy mourut en juin 1755, sans enfant, et laissa à son neveu à la mode de Bretagne, Léopold Charles comte du Hautoy, qu’elle avait adopté, la terre de Tichémont qui se composait :
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d’un château, basses-cours immenses, belles écuries, granges, remises, greniers superbes, deux grands colombiers bien peuplés, trois maisons de ferme grandes et bien bâties, maisons de jardinier, chasseur, berger, manœuvre
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des deux maisons, jardins et enclos contenant : 100 jours de terres de jardins, vergers, chènevières, légumiers, orangerie, canaux, réservoirs – 900 jours de terres labourables – 120 fauchées de prés – 1 700 à 1 800 arpents de bois – une lieue de pêche dans la rivière d’Orne
- de la vouerie du Jarnisy qui donnait le droit de chasse sur 20 à 24 bans de la baronie de Froideveau qui n’est rien autre chose qu’un fief situé sur un terrain où est à présent bâti partie de la ville de Briey
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d’un colombier à Jarny et enfin d’un logement, jardin et pré à l’hermitage de Vallières.

M. Léopold-Charles, comte du Hautoy, seigneur de Gussainville et de Tichémont, chevalier de Saint-Louis, capitaine au régiment d’infanterie du roi, céda cette terre, sauf l’ermitage de Vallières par transactions des 12 et 22 novembre 1768, à M. Joseph-François Coster, avocat au Parlement, conseiller du roy, secrétaire et greffier de sa Majesté aux états et commandement du Languedoc.

Ce dernier vendit cette seigneurie, le 14 octobre 1769, à M. Pierre-Gabriel Launay de Montaigu, commissaire des guerres, gouverneur de Badonvillers, et, le 31 octobre suivant, il lui vendit aussi un logement, un jardin et un pré à Vallières.

Le 2 février 1770, le roi confirma, comme dépendant directement de lui, cette acquisition de Tichémont avec la baronnie de Froideveau et la vouerie du Jarnisy au sieur Launay de Montaigu, seigneur de Tichémont et de Cirey en Vosges, qui en fit hommage à la Chambre des Comptes de Lorraine et Barrois, les 16 et 21 mai 1770.

Sa veuve, dame Marthe-Françoise-Gabrielle de Tourville, assistée du curateur de ses enfants mineurs, vendit cette terre, le 22 novembre 1776, à M. Antoine Dominique Jacques Joseph Dosquet, écuyer, conseiller, secrétaire du roi, lieutenant-colonel de la milice bourgeoise de Metz, et à son épouse dame Claude-Antoinette Martinfort.

Le roi confirma cette acquisition, le 14 février 1777, et M. Dosquet fut mis en possession de la vouerie du Jarnisy, le 8 août suivant, par un sieur Damien Nicolas, notaire, tabellion royal au bailliage de Briey, en recevant sur la place devant l’église de Jarny, une pierre afin d’en opérer la tradition : formalité qui est aujourd’hui remplacée par la transcription du contrat au bureau des hypothèques.

Cette terre passa enfin, le 6 prairial an XI (26 mai 1803), entre les mains de M. François-Benoit-Charles-Pantaléon Durand, conservateur général des forêts des départements de la Moselle, des Ardennes et des Forêts, et à dame Anne Charlotte Lançon, son épouse, suivant les termes du contrat d’acquisition. Leur fille, Mme la baronne de Bonaffos, l’habite aujourd’hui.

Ceux qui ne sont pas indifférents aux beautés un peu sévères de la nature, peuvent contempler dans tout leur développement, les nombreuses plantations dont M. Durand s’est plu à embellir sa propriété.

 

Les photographies du château de Tichémont proviennent de ce site qui répertorie tous les châteaux de France, et sont publiées avec l’aimable autorisation des administrateurs du site.

Stanislas (1737-1766)

Stanislas

 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Louis XV aurait pu, au traité de Vienne, exiger l’annexion immédiate de la Lorraine et du Barrois. Mais il voulait donner à son beau-père un établissement qui le dédommageât de la perte de sa couronne et le fît sortir de la situation humiliée de parent pauvre.

D’autre part, il pensait avec raison qu’il fallait tenir compte des sentiments séculaires de la Lorraine, qui avait si longtemps repoussé l’incorporation à la France, et qu’il était de bonne politique de ménager la transition, en substituant aux descendants de Gérard d’Alsace un prince qui ne fût ni Français ni Lorrain et qui préparât tout doucement la fusion définitive.

Le passé de Stanislas le recommandait à la population lorraine, habituée à trouver souvent dans ses ducs quelque chose d’audacieux et de chevaleresque. Il ne faut pas chercher le héros dans les portraits peints par Girardet. Ce visage bourgeoisement épanoui, cette taille épaisse et lourde, ne peuvent nous donner l’idée de ce qu’avait été le palatin de Posnanie ou le roi de Pologne.

Né dans la noblesse d’une famille qui s’était élevée par son mérite aux plus hautes dignités, Stanislas avait été à vingt ans un gentilhomme accompli. Il s’était mêlé de bonne heure à toutes les agitations nationales, et il eût volontiers répété le mot dit par son père dans une assemblée tumultueuse : Malo periculosam libertatem quam quietum servitium, j’aime mieux la liberté avec ses périls que la sécurité dans la servitude.

En 1704, Charles XII, roi de Suède, qui avait envahi la Pologne et chassé Auguste II de Saxe, fut frappé de la supériorité du jeune palatin et le fit élire roi par la Diète. Il le garda à ses côtés pendant plusieurs années. En 1709, le formidable duel engagé avec Pierre le Grand ayant abouti à la catastrophe de Pultawa, et Charles XII ayant été obligé de se réfugier en Turquie, Stanislas traversa l’Allemagne sous un déguisement et alla le rejoindre à Bender. Il resta prisonnier pendant quelques mois. Rendu à la liberté en même temps que son héroïque ami, il ne recouvra point son royaume de Pologne, mais il reçut en jouissance la principauté des Deux-Ponts, qu’il administra pendant cinq années.

En 1718, Charles XII fut tué au siège de Frederikshall. Stanislas perdit sa petite principauté et vint s’établir, sous la protection de la France, à Wissembourg, en Alsace. Il y vécut avec dignité, mais dans la gêne, parce qu’il avait généreusement gardé à sa charge les plus compromis de ses compagnons d’armes.

Un coup de théâtre changea sa fortune en 1725 : sa fille, la princesse Marie Leczinska, épousa le roi Louis XV.

Nous avons déjà raconté sa seconde élection et son expédition si mouvementée de Danzig.

Au moment où le traité de Vienne le mettait en possession des deux duchés de Lorraine et de Bar, il avait près de soixante ans. Son long séjour en France l’avait familiarisé avec notre langue, qu’il parlait facilement, sans pouvoir l’écrire avec correction. Il s’était épris des sciences, des lettres et des arts de sa nouvelle patrie. En relation avec tous les hommes distingués, il s’était mêlé au courant philosophique qui entraînait le XVIIIe siècle. II était devenu un vrai Français, avec une grande ouverture d’esprit, tout en gardant la marque de son origine slave, le goût de l’idéal, des habitudes religieuses très sincères et un esprit un peu chimérique.

Stanislas réalisa-t-il le type du roi philosophe, et fut-il une sorte d’Abdolonyme ? Il s’y étudia certainement et la petite nation lorraine lui tint compte de ses efforts. Chose remarquable !

Dans ce pays célèbre pour son attachement à ses souverains héréditaires, et dont l’affection vivace ne s’était jamais laissé décourager même par le despotisme, ni par de dures exactions, ni par des folies ruineuses, le nom qui est resté peut-être le plus populaire est celui d’un étranger, pris en dehors de la dynastie nationale, et que l’on aurait pu traiter d’intrus.

Ce phénomène historique s’explique par la combinaison, qui fut adoptée pour le gouvernement des duchés.

Bien qu’au traité de Vienne, la cession eût été faite à Stanislas en toute souveraineté, il n’y avait là qu’une fiction temporaire et le véritable cessionnaire était le roi de France. C’était à celui-ci à préparer la future annexion.

Il devait rencontrer des difficultés sérieuses dans les souvenirs de l’indépendance, dans le juste orgueil d’un pays resté si longtemps autonome, dans les ressentiments amassés par des guerres sanglantes et par les rigueurs de plusieurs occupations temporaires, et enfin dans des institutions locales qui ne cadraient pas avec les maximes de la centralisation française. Il y avait là, matière à une lutte inévitable et opiniâtre, à laquelle un prince viager était impropre.

Stanislas, qui était visiblement fatigué par les péripéties de sa dramatique carrière, se prêta volontiers aux vues du gouvernement français et demanda lui-même à être déchargé des soucis, des contentions, du travail, commandés par les soins d’un avenir qui n’était pas fait pour lui.

Il signa, le 30 septembre 1736, la Déclaration de Meudon. Cet acte, qui devait rester secret, n’était autre chose qu’une sorte de contre-lettre remise entre les mains de Louis XV, limitait le rôle du duc-roi à une sorte de représentation et ne lui laissait que les parties de l’administration où il pouvait déployer, sans courir le risque de blesser personne, ses qualités aimables et sa bonté naturelle.

Le chef effectif du gouvernement devait être un fonctionnaire supérieur choisi à Versailles. Cette manière de premier ministre gérerait les finances, percevrait les impôts et les revenus des biens domaniaux, assisté par un conseil des finances. Tous les agents de l’administration seraient choisis par le cabinet français, mais recevraient leurs nominations des mains du souverain nominal. Le roi de France pourrait fortifier telles places qu’il lui conviendrait et y entretenir les troupes jugées nécessaires. Le duc-roi recevrait le serment de fidélité de ses nouveaux sujets, mais, en même temps, il le ferait « prester éventuel au nom de Sa Majesté très chrétienne ».

Stanislas ne touchant pas directement les revenus des deux duchés, le gouvernement français s’engageait à lui verser, comme une sorte de liste civile, une somme de 1 500 000 fr., qui serait portée à 2 000 000 à la mort du grand-duc de Toscane, auquel devait succéder François III.

Que restait-il du pouvoir ducal au roi de Pologne ? A peu près rien, sinon les vains honneurs de la signature. On lui appliquait déjà la formule des régimes parlementaires : « Le roi règne et ne gouverne pas ».

Seulement, il n’y avait pas de Parlement, et le pouvoir, resté absolu comme au temps de Léopold, était exercé en réalité par les ministres du gouvernement français et par leur délégué.

Le choix du haut fonctionnaire destiné à gouverner au nom de Stanislas fut significatif. Les ministres de Louis XV imposèrent un homme à eux, l’intendant de la Picardie, Chaumont de La Galaizière, administrateur d’un rare talent, mais connu surtout par son énergie et son inflexible sévérité. Le duc-roi, qui avait eu un autre personnage en vue, ne résista point et docilement nomma La Galaizière, chancelier de Lorraine et de Bar, garde des sceaux, chef des conseils, avec les attributions les plus étendues d’un intendant de province.

Le 28 janvier 1737, ce véritable maître des deux duchés vint à Nancy, porteur de lettres patentes et procéda à la prise de possession. Stanislas se présenta lui-même en personne le 3 avril suivant, et fut bientôt rejoint par la reine Catherine Opalinska.

Le duc-roi fut bien accueilli. La haute noblesse surtout, vit avec plaisir se reformer une cour dont elle occuperait les dignités et les charges. Il y eut cependant quelques défections. Un certain nombre de seigneurs, et entre autres le prince de Craon et le marquis de Stainville-Choiseul, suivirent François III en Toscane. D’autres passèrent en France, entrèrent à la cour ou dans l’armée. La petite noblesse, se voyant d’abord négligée, alla bouder dans ses châteaux. La bourgeoisie se montra peu empressée, attendant sans doute, pour adopter une attitude, de savoir ce que serait le gouvernement de ces étrangers.

Stanislas s’efforça de retenir auprès de lui les hommes distingués des deux règnes précédents et regretta vivement que des savants comme Jameray-Duval et Vayringe prissent, malgré toutes ses instances, le chemin de Florence ou de Vienne.

Ce qui fit mauvaise impression, ce fut, lorsque Stanislas forma sa maison, de le voir distribuer les principales charges de la cour à des seigneurs polonais ou à des Français qu’il avait connus à Meudon. Il resta peu de chose pour les Lorrains.

Quant à La Galaizière, laissant au roi de Pologne les soins d’apparat et le plaisir de se faire aimer, il s’attacha à remplir sa mission propre, qui était de transformer en province française, la Lorraine indépendante.

Il ne craignit pas de heurter de front les préjugés, les défiances, les antipathies. Il alla droit son chemin sans s’arrêter aux plaintes, aux protestations, brisant au besoin les résistances. Il avait, ce semble, à un haut degré le sentiment de son devoir politique, mais peut-être aussi avait-il la main trop rude et, sans souci suffisant des transitions, ne tenait-il pas assez compte des susceptibilités naturelles et des douleurs légitimes de la fière petite nation qu’il était chargé d’agréger à la France. Il était de l’école du cardinal de Richelieu.

L’administration débuta habilement. Elle fit tomber les barrières qui séparaient la Lorraine de l’État français, en décidant qu’à l’avenir les Lorrains seraient traités en France sur le même pied que les régnicoles, et seraient aptes à posséder tous offices et bénéfices sans être obligés de prendre des lettres de naturalité. Par réciprocité, les Français seraient admis aux mêmes avantages en Lorraine. C’était le commencement de la fusion.

Le tort du chancelier fut de toucher à tout précipitamment. Il se proposait de simplifier les rouages administratifs et de supprimer tous les abus. Dans les nombreuses mesures qu’il prit, il y en eut de bonnes et il y en eut de vexatoires, un peu pêle-mêle.

On les critiqua toutes amèrement, parce qu’on y vit un système arrêté de tracasseries despotiques.

Il remplaça la peine usitée du bannissement par les galères du roi, ce qui pouvait donner lieu à des rigueurs arbitraires et disproportionnées. Il supprima nombre d’offices et d’emplois de finances pour introduire l’économie dans les services publics. Il remplaça la maréchaussée mal organisée par une autre, armée, disciplinée, habillée à la française. Il la fit commander par un grand-prévôt ayant ses quatre lieutenants à Nancy, Bar, Épinal et Sarreguemines, qui formèrent un tribunal prévôtal indépendant de la Cour souveraine et chargé de juger sommairement les vagabonds, les repris de justice, les gens sans aveu. Il compléta la défense de l’ordre public en prescrivant d’essarter (éclaircir) sur une largeur de vingt-cinq toises de chaque côté les futaies et taillis bordant les routes, pour empêcher les voyageurs d’être assaillis à l’improviste par les brigands embusqués.

Ce qui fut plus discutable, c’est que, se défiant des associations populaires, il supprima partout les compagnies d’arquebusiers et de buttiers, et interdit à tous, sauf aux nobles, de porter ou même de détenir des armes à feu.

Le murmure allait grandissant, lorsque La Galaizière poussa à bout les classes riches en touchant à la grande propriété. Un arrêt du conseil des finances du 18 septembre 1738, confirmé et aggravé par une déclaration du 21 mai 1739, importa en Lorraine les usages des provinces de France concernant l’exploitation des bois et forêts, en vertu desquels l’État se réservait les bois propres au service de la marine.

Les propriétaires, à peu près tous nobles, qui avaient jusqu’alors joui, usé et abusé de leurs futaies, protestèrent contre cette restriction. Ils tinrent des réunions agitées et bientôt, passant des questions de gruerie à toutes les branches de l’administration, dressèrent un acte général d’accusation contre La Galaizière.

Ils allèrent se plaindre au chancelier lui-même. Celui-ci les reçut avec une fierté égale à celle qu’on lui montrait et les congédia en les traitant de factieux. Ce fut une guerre déclarée. La Cour souveraine se prononça pour les propriétaires, refusa d’enregistrer les nouveaux règlements, présenta au duc-roi des remontrances. Le Conseil d’État au contraire soutint le chancelier.

Stanislas essaya d’apaiser le différend et entama de longues négociations. Mais le ministre, pour en finir, envoya en exil à Bruyères le sieur Collignon, comte de Malleloy, le principal instigateur de la résistance, et fit donner aux magistrats l’ordre formel d’enregistrer sans nouveau délai. Ils obéirent et enregistrèrent « du très exprès commandement du roi » (18 février 1740).

La noblesse ne désarma point si facilement. Elle continua la lutte, ne cessant d’entretenir le roi de Pologne de ses griefs et le priant d’intervenir. Stanislas, qui s’était lié les mains par sa déclaration de Meudon, ne pouvait rien imposer ni interdire à son chancelier qui était le véritable chef du gouvernement.

Du reste, La Galaizière, qui n’était pas seulement un ministre impérieux et hautain, mais aussi, au besoin, un courtisan souple, délié, spirituel, s’était appliqué dès le début à gagner la confiance et les sympathies personnelles du prince. Stanislas ne voulant ou n’osant pas prendre parti, dans son embarras de viager, conseilla aux nobles de s’adresser au nu-propriétaire, c’est-à-dire au cabinet français. Il leur donna même des lettres d’introduction auprès des ministres.

Les députés lorrains furent accueillis avec honneur à Versailles. On les écouta, on les combla de belles paroles et de promesses. Mais, en définitive, on ne leur donna satisfaction sur aucun point. Pouvait-on désavouer le chancelier qui, après tout, ne faisait qu’exécuter un peu rudement ses instructions !

Les gentilshommes prirent alors un parti qui ne s’accordait guère avec le serment de fidélité prêté par eux au nouveau régime. Ils dressèrent un mémoire de leurs griefs et l’adressèrent, par l’entremise du marquis de Choiseul-Stainville, à François III, leur ancien souverain, on réclamant sa protection.

Ils protestaient de leur affection et de leur dévouement pour le roi Stanislas, se déclarant prêts à sacrifier leurs biens et leur vie pour son service. Mais ils dénonçaient en termes indignés, le despotisme du chancelier, les bouleversements qu’il opérait, la violation de leurs droits séculaires. On est surpris de voir combien ils ont peu le sentiment des temps nouveaux, lorsqu’on lit que l’un des principaux objets de leurs plaintes était « qu’il n’y a presque plus de seigneurs hauts-justiciers en Lorraine ». Ils prétendent cependant ne pas obéir à un esprit de caste, et se flattent de parler au nom des trois ordres de l’État, mais il est bien certain que le Tiers tout au moins, n’avait pas été appelé à délibérer dans les réunions préparatoires.

On ne sait pas si François III lut le mémoire et ce qu’il en pensa. Mais, au moment où la noblesse lorraine s’efforçait d’ébranler l’odieuse prépotence du chancelier, les événements fournirent à celui-ci l’occasion de consolider et d’accroître son crédit.

L’empereur Charles VI était mort le 20 octobre 1740, quelques mois après l’avènement au trône de Prusse de Frédéric II. En vertu de sa pragmatique sanction acceptée par tous les états de l’Europe, sa succession semblait sûrement acquise à sa fille Marie-Thérèse, l’épouse de François de Lorraine. La couronne impériale étant élective, n’était pas comprise dans l’héritage et l’électeur de Bavière se porta candidat, mais en même temps, il revendiqua les domaines héréditaires. D’autres prétendants s’apprêtèrent à en arracher quelques portions.

Frédéric II, sans se préoccuper de son Anti-Machiavel, agit le premier et envahit la Silésie. En France, le pacifique cardinal de Fleury fut entraîné par le maréchal de Belle-Isle, petit-fils de Fouquet, que soutenait l’opinion, et prit parti pour l’électeur de Bavière, qui fut élu empereur sous le nom de Charles VII.

Nous n’avons pas à retracer les détails de cette guerre dite de la succession d’Autriche. Nous en retiendrons pourtant un incident, parce que nous y trouvons un des plus glorieux noms de la Lorraine.

L’armée française, d’un premier élan, avait pénétré jusqu’en Bohême. La capitale, Prague, fut enlevée par surprise grâce à l’héroïque hardiesse du lieutenant-colonel Chevert, « officier né à Verdun dans les rangs du peuple et qui était la vertu même dans un temps corrompu ». Les Français furent obligés d’évacuer la Bohême. Chevert, laissé à Prague avec un petit nombre d’hommes presque invalides, repoussa toutes les attaques et lorsque, ses soldats affaiblis au point de ne pouvoir plus porter leurs armes, il fut sommé de se rendre à discrétion : « Dites à votre général, répondit-il au parlementaire autrichien, que s’il ne m’accorde pas les honneurs de la guerre, je mettrai le feu aux quatre coins de Prague et m’ensevelirai sous ses ruines ». La capitulation fut signée.

Le cardinal Fleury, recevant coup sur coup de mauvaises nouvelles, s’abandonna au désespoir. Il écrivit à Belle-Isle de faire la paix à tout prix. Mais, dans une lettre d’une inconcevable humilité, il descendit au plus honteux désaveu de la politique de la France, et dénonça son propre négociateur comme le seul auteur de la guerre. Marie-Thérèse fit publier la lettre et livra à la risée de l’Europe le malheureux vieillard qui n’avait d’excuse que son grand âge. Il en mourut quelques mois après, dans sa quatre-vingt-dixième année, le 30 janvier 1743.

La Lorraine éprouva le contre-coup des événements. Elle fournit des contingents à l’armée française. Lorsque l’électeur de Bavière eut été chassé de ses États par Marie-Thérèse, la guerre se rapprocha des deux duchés. Le prince Charles-Alexandre, frère de François III, annonça qu’il venait reconquérir l’héritage de ses pères. Il avait des partisans dans les Vosges. La nuit, on apercevait de grands feux sur le Donon et sur d’autres hauteurs.

Marie-Thérèse, oublieuse du traité de Vienne, lançait des proclamations pour annoncer le retour du souverain légitime. En 1744, Charles-Alexandre, qui avait passé le Rhin à Spire, se crut si sûr d’un prochain succès, qu’il faisait dire courtoisement à Stanislas de continuer à résider dans le château de Lunéville, lui-même devant volontiers se contenter du petit château qu’il avait fait construire au temps de la régence de sa mère.

Il fallait que le roi eût bien vieilli, car ce fut en vain que La Galaizière lui représenta que son honneur, comme ses obligations de souverain, lui faisaient un devoir de ne pas déserter sa résidence.

Il oublia qu’il avait été le héros de Danzig et de dix batailles et, après avoir envoyé la reine à Versailles, il chercha lui-même un abri sûr derrière les murailles de Metz que le chancelier avait garnies de canons.

Au milieu de l’effarement général, La Galaizière seul ne perdit pas la tête. Il garda tout son sang-froid et, avec une activité qui égalait son énergie, il s’occupa de la défense, il fut le vrai duc. Il fit appel aux milices, enrégimenta les ouvriers des salines en leur donnant des cadres français, il pourvut de garnisons les places les plus menacées, il ferma avec des travaux en terre et des abatis d’arbres, les passages qui pouvaient ouvrir accès dans la province. Son frère, Chaumont de Mareil, le seconda de sa personne et alla faire le coup de feu aux avant-postes. Son régiment, le Royal-Lorraine, y perdit les deux tiers de son effectif.

Maurice de Saxe loua très haut les habiles dispositions prises par le chancelier. Du reste, l’armée autrichienne recula à la nouvelle que Louis XV arrivait de Flandre avec des forces considérables et, d’autre part, une invasion de Frédéric en Bohême força le prétendant Charles-Alexandre à s’éloigner.

Louis XV, arrêté à Metz par une grave maladie qui donna lieu à des manifestations d’amour populaire dont il s’étonna à bon droit, vint achever sa convalescence à Lunéville.

Dans les années suivantes, la guerre s’éloigna des frontières de la Lorraine. La journée la plus célèbre fut cette bataille de Fontenoy gagnée, sous les yeux du roi et du dauphin, par Maurice de Saxe sur les Anglais, ce qui en fit doublement un triomphe national (11 mai 1745).

Le 13 septembre de la même année, Marie-Thérèse toucha au but qu’elle poursuivait ardemment depuis cinq années. Son adversaire, l’empereur Charles VII de Bavière, étant mort, elle parvint à faire élire son incolore époux sous le nom de François Ier. La couronne impériale ne devait plus sortir, jusqu’en 1806, de la seconde maison d’Autriche dite maison de Habsbourg-Lorraine, ou, ce qui serait plus exact, de Lorraine-Habsbourg.

La lutte n’avait plus d’objet. Il fallut cependant encore plusieurs campagnes pour la terminer. Les victoires du maréchal de Saxe et du comte de Lœwendal à Raucoux, à Lawfeld, à Berg-op-Zoom et à Maestricht amenèrent enfin la paix qu’on signa à Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748.

A la pacification, la Lorraine retrouva pour son agriculture, les bras qui lui manquaient. Elle avait été traitée comme si elle avait été déjà une province du royaume.

La Galaizière en avait tiré des sommes énormes pour l’entretien des troupes royales et leur approvisionnement. Les Lorrains étant classés depuis longtemps parmi les meilleurs soldats de l’Europe, on avait multiplié les levées dans le pays. Les bataillons de milice avaient été incorporés dans l’armée française et y avaient formé plusieurs régiments d’élite, entre autres le Royal-Lorraine et le Royal-Barrois. Les effectifs, tenus au complet et grossis par de nombreux volontaires, avaient enlevé au pays environ vingt mille hommes. Les campagnes en souffrirent beaucoup : « On voyait, dit Durival, à la suite de nos charrues des vieillards, des femmes, des enfants ».

Le recrutement, excessif peut-être, se faisait par ordre supérieur du ministère français, mais à la grande satisfaction du chancelier qui en tirait de sérieux avantages pour sa politique d’unification, le mélange des Lorrains et des Français sur le champ de bataille avançait son oeuvre. Ce n’est pas en vain que l’on suit le même drapeau, que l’on combat côte à côte, qu’on sert la même cause, qu’on partage les mêmes succès ou les mêmes revers. La fraternité des camps favorisait et hâtait la fusion des deux peuples.

En rentrant dans leurs villes et dans leurs villages les soldats lorrains y rapportaient l’esprit français.

La Galaizière sortit de cette guerre affermi dans son autorité et grandi dans l’opinion. Ses adversaires les plus passionnés n’avaient pas pu fermer les yeux sur ses qualités d’homme d’État. Son sang-froid, sa résolution, son activité avaient tout sauvé, lorsque tout paraissait perdu et que l’ennemi se flattait d’être secondé par ce que nous appellerions une chouannerie lorraine.

On avait pu répandre des proclamations enflammées, faire appel au souvenir des ducs nationaux, multiplier sur les ballons des Vosges les signaux de l’insurrection populaire, mais sous l’oeil vigilant et ferme de l’imperturbable chancelier, personne n’avait bougé. Des écrits parurent dans le public pour exciter la Lorraine à prendre parti pour la reine de Hongrie. Ces écrits ne produisirent pas le moindre mouvement sur un peuple qui ne confondait pas le devoir et la reconnaissance.

On ne manqua pas de rire, lorsqu’on vérifia que les signaux établis sur le Donon en vue, disait-on, d’un soulèvement national, étaient les observatoires de Messieurs de l’Académie des sciences pour des opérations trigonométriques.

Le gouvernement français récompensa les services de La Galaizière. Sa famille fut comblée de faveurs. Un de ses frères, de Chaumont de Lucé, fut nommé envoyé de France près du roi de Pologne. Un autre, de Chaumont de Mareil, qui s’était fort distingué pendant la guerre fut promu maréchal de Camp. Le plus jeune de ses fils, enfant de sept ans, fut pourvu de la riche abbaye de Saint-Mihiel. Lui-même reçut des dons considérables, puisqu’il fut à même d’acheter de belles terres qu’on érigea en comté.

Ses adversaires n’en furent que plus acharnés contre lui. On continua à lui faire la guerre de libelles : c’était la presse du temps. Tous ses actes étaient travestis et dénoncés comme les attentats de la tyrannie. C’est ainsi qu’on se plaignit à grand éclat de la construction de cette belle route qui traverse le fond de Toul, près de Nancy, et, dit l’historien Digot qui pourtant ne le ménage guère, « on fit un crime à M. de La Galaizière d’avoir formé une entreprise que l’on aurait portée aux nues si elle avait été exécutée par Léopold ».

C’est ainsi encore que le chancelier ayant aboli les douanes entre les duchés et la France pour faciliter le commerce des grains (1754) et supprimé les droits qui grevaient les céréales d’une province à l’autre (1756), on accueillit par des critiques acerbes des mesures si libérales. C’était un parti pris : la passion politique aveuglait les plus intelligents.

Cette opposition, qui d’ailleurs ne troublait guère l’impassible ministre, se concentra peu à peu dans la Cour souveraine. Cette sorte de parlement lorrain formait comme un second degré dans la noblesse et en partageait les passions. Les magistrats se faisaient les interprètes de leurs amis et fatiguaient le duc-roi de leurs remontrances. Le bon Stanislas les écoutait avec douceur, plaidait parfois pour eux auprès du terrible réformateur, puis, excédé de leur insistance, les renvoyait au cabinet de Versailles qui était le véritable gouvernement.

Les observations de la Cour n’étaient pas toujours sans fondement. Il faut remarquer à son honneur qu’elle se fit l’organe du bien public, lorsqu’elle réclama contre les procédés violents de la maréchaussée, contre la corvée, le plus détestable des abus de l’ancien régime, contre la violation criante de la liberté de conscience. La Galaizière, se conformant à un mandement de l’évêque de Toul, prétendait écarter des lits, des malades des confesseurs soupçonnés de jansénisme.

De toutes ces querelles sans cesse renaissantes, la plus sérieuse et la plus bruyante fut celle que suscita la taxe du second vingtième.

Au sortir de la guerre de la succession d’Autriche, le gouvernement français, à bout de ressources financières, avait établi un impôt du vingtième sur les revenus. Cet expédient n’ayant pas comblé le gouffre et la guerre de Sept ans menaçant de l’élargir, le ministère prescrivit la levée d’un second vingtième. La Galaizière fit publier l’édit en septembre 1757. Si l’on se reportait aux termes du traité de Vienne, la Lorraine, qui n’était pas encore province française, ne devait rien en dehors des anciennes taxes. L’opinion fut unanime pour protester contre l’exaction.

La Galaizière avait le tort d’agir aveuglément comme mandataire du cabinet français. Avec un peu plus d’indépendance d’esprit et un plus juste sentiment de son rôle, il aurait cherché et proposé une transaction. Mais il ne se départit pas de sa raideur ordinaire, et prétendit exiger l’enregistrement de l’édit. La Cour souveraine refusa nettement et adressa au roi de Pologne des remontrances dans lesquelles elle invoquait avec force les droits de la nationalité, faisait le tableau de la misère publique et concluait à l’impossibilité de rien ajouter aux charges existantes.

Stanislas répondit avec bonté et, comme à l’ordinaire, confessa son impuissance et renvoya les magistrats au gouvernement qui allait devenir dans quelques années le maître définitif. La Cour souveraine fit porter à Versailles ses remontrances en y ajoutant de longs éclaircissements (février 1758). La Galaizière, de son côté, envoya un mémoire explicatif.

Les négociations se prolongèrent. La Galaizière s’animait de plus en plus. Le 24 avril, à son instigation, Stanislas appela au château d’Einville, le premier président et trois conseillers. Les magistrats, touchés par ses instances et ses promesses, offrirent de transiger et proposèrent une somme d’un million à titre d’abonnement, mais sous la réserve que cette contribution serait levée et répartie par des commissaires tirés de la Cour. Le chancelier se récria et repoussa cette immixtion insolite de la magistrature dans l’administration. Quatre jours après, le premier président reçut une lettre de cachet l’invitant à se rendre à Lunéville avec un président à mortier, douze conseillers et le greffier porteur des registres. On voulait tenir un lit de justice comme ceux des rois de France.

La cour s’assemble, les conseillers déclarent d’une voix unanime qu’ils ne se rendront pas à la convocation. On rédige de nouvelles remontrances. Le roi et La Galaizière refusent de les lire. L’effervescence s’accroît. Le public se passionne en faveur des courageux défenseurs du droit national. Mais le chancelier s’obstine. Il mande à Lunéville le premier président avec un président à mortier et le greffier. On les introduit au Conseil d’État et, séance tenante, l’édit est enregistré en violation de toutes les formes. Quelques jours après, on commençait la levée du vingtième.

La Galaizière ne se tint pas encore pour satisfait. Il frappa ses ennemis dans leurs personnes : onze conseillers furent envoyés en exil. Mais alors, violent tumulte. Les magistrats, se déclarent tous solidaires. Les avocats prennent fait et cause pour eux et refusent de plaider. Les audiences cessent, l’administration de la justice est interrompue. Stanislas affligé, céda à la voix publique, il rappela les magistrats exilés à l’exception des trois les plus compromis. On les remplaça par trois nouveaux conseillers, qu’on espérait plus dociles.

La Cour souveraine protesta vigoureusement, formula tous ses griefs dans un nouveau mémoire et, se prenant corps à corps avec La Galaizière, le dénonça comme l’auteur de tous les troubles et exalta en termes chaleureux le courage des trois exilés, victimes de leur devoir pour avoir résisté aux abus du pouvoir et à l’arbitraire. On stigmatisa ses exactions et ses violences qui n’avaient pas même l’excuse des intérêts français parce qu’ils étaient souvent, disait-on, des actes d’avidité personnelle.

La Galaizière en effet, n’était pas désintéressé. Il avait imposé des corvées à plus de deux cents communautés pour rebâtir son splendide château de Neuviller et avait ouvert à grands frais une nouvelle route, inutile à la population et n’ayant d’autre but que de faciliter les communications avec ses terres à lui.

On peut dire que la lutte revêtit un caractère national. La vieille Lorraine tout entière se leva pour soutenir la Cour. Les libelles les plus violents surchauffèrent l’opinion. On alla jusqu’à répandre deux mandements attribués à l’évêque de Toul et qui exhortaient les diocésains à fléchir le ciel par leurs prières pour être délivrés du fléau, c’est-à-dire du chancelier.

Pour en finir, une délégation partit pour Versailles. Le bâtonnier de l’ordre des avocats et deux députés de la noblesse s’y joignirent. Le grand procès fut plaidé devant les ministres. Cette fois, La Galaizière eut le dessous. Un Lorrain, le célèbre duc de Choiseul, venait d’arriver au pouvoir. Il prêta l’oreille au cri de ses amis et de ses compatriotes.

Les ministres décidèrent que, par égard pour le roi de Pologne, la Cour souveraine enregistrerait régulièrement l’édit des deux vingtièmes, mais qu’immédiatement cet impôt serait remplacé par un abonnement de douze cent cinquante mille livres de Lorraine.

Le chancelier s’inclina, mais ce qui le blessa cruellement, c’est que les trois magistrats exilés, ses ennemis mortels, regagnèrent leurs sièges au milieu d’une ovation populaire. Le plus violent des trois, M. de Chateaufort, fut reçu à quelque distance de Nancy par un nombreux cortège de cavaliers et reconduit à travers une foule immense à son logis. La nuit, toutes les maisons, les églises, les monastères furent illuminés. Seuls les pères jésuites, amis de La Galaizière et déjà menacés par Choiseul, ne prirent point part à la manifestation (1758).

Stanislas fit comme les jésuites et se prononça pour son chancelier. Il s’appliqua à le consoler de son échec et lui prodigua des témoignages d’estime et d’affection. Il fit épouser à son fils Mle de Bassompierre, l’une des plus riches héritières du pays et l’investit des fonctions d’intendant de Lorraine qui jusque-là avaient été réunies à celles de la chancellerie.

La Galaizière et la Cour souveraine se heurtèrent plus d’une fois encore. Le chancelier ne se tenait point pour vaincu. S’il mettait peut-être un peu plus de moelleux dans ses rapports, il n’en maintenait pas moins fermement son droit. C’est ainsi qu’en 1762, la Cour ayant protesté contre l’installation d’un conseiller dans l’un des trois sièges créés en 1758, il n’hésita pas à envoyer en exil six des magistrats opposants qui n’obtinrent leur rappel qu’après lui avoir écrit des lettres d’excuses.

Il est difficile de faire la part du duc-roi dans le gouvernement. L’initiative des affaires politiques et administratives, ce n’est pas douteux, était prise par La Galaizière. Mais le chancelier respectant la fiction légale, comme un ministre constitutionnel, n’entreprenait rien, sans s’être assuré de son agrément. Il possédait sa confiance et même son affection, il avait l’art de lui persuader qu’il obéissait à ses inspirations et se couvrait au besoin de sa personne. Le peuple lorrain ne s’y trompait pas et ne rendait pas responsable le roi débonnaire des brutalités dictatoriales de son chancelier.

Stanislas avait d’ailleurs son propre domaine où il se plaisait à exercer son activité personnelle : c’était tout ce qui touchait aux sciences, aux lettres, aux arts, à l’instruction publique, à la charité. C’est là qu’il acquit ses meilleurs titres à son incontestable popularité. Sa cour faisait songer à celle des princes du XVIe siècle qui jetèrent tant d’éclat sur la décentralisation italienne.

Son palais de Lunéville était une réduction de celui de Versailles. On y trouvait un brillant personnel, cinq grands-officiers, un grand-aumônier, seize gentilshommes de la chambre, une multitude d’officiers de toutes sortes, y compris soixante-trois musiciens et chanteurs. Il avait une compagnie de gardes du corps, une compagnie de cadets composée de vingt-quatre gentilshommes polonais et de vingt-quatre lorrains. Un intendant intelligent et attentif, le sieur Alliot, qui détesta Voltaire et tenta de l’évincer par de misérables vilenies, réglait la dépense et maintenait un ordre strict dans cette royale maison. La reine Catherine Opalinska en faisait les honneurs, et après sa mort (décembre 1747) elle fut remplacée, au grand déplaisir du confesseur, le père Menou, par la marquise de Boufflers, femme de beaucoup de grâce et d’esprit, mais de moeurs trop faciles.

D’ailleurs, si Stanislas avait multiplié les charges de cour, ce n’était pas par ostentation, mais uniquement pour récompenser de vieux amis et en gagner de nouveaux. La plupart n’étaient soumis à aucun service. Il vivait dans la plus grande simplicité, bannissait l’étiquette et le cérémonial. On eut dit la maison d’un riche gentilhomme.

S’il n’avait pas toutes les vertus, comme le disaient les flatteurs et les panégyristes, il en avait une essentielle, la bonté, qui, avec l’âge, devint de la bonhomie. Accessible à tous, sans morgue ni hauteur, la main ouverte aux infortunes, enjoué, spirituel, conteur charmant, il entretenait la vie, la gaieté, la bonne humeur autour de lui.

Il avait un goût très vif pour les arts. Comme le bon roi René, il aimait à peindre et y réussissait honnêtement. Il se passionna surtout pour l’architecture, ce qui est pour un prince la meilleure manière de recommander son nom à la postérité. Il fit et défit un grand nombre d’édifices.

Il agrandit et embellit le château de Lunéville, déjà construit et reconstruit par le duc Léopold, et y ajouta les magnifiques jardins dits les Bosquets. Il démolit la chapelle des Bourguignons, devenue trop étroite, mais il la releva tout aussitôt sous le vocable de Notre-Dame-de-Bon-Secours. Ce sanctuaire, encore aujourd’hui l’un des plus vénérés de la Lorraine, continuait à rappeler les victoires de René II, et était en outre destiné à recevoir les tombeaux de la reine Catherine Opalinska et du roi Stanislas lui-même. Le peintre Provençal en décora les voûtes de peintures estimées.

De même, il abattit le château de la Malgrange, oeuvre de Germain Boffrand restée inachevée, pour le rebâtir quelques années après et en faire une délicieuse résidence d’été. En 1744, la mort de la duchesse douairière Elisabeth-Charlotte lui rendit la disposition du beau château de Commercy. Il en remania l’ordonnance et y fit exécuter de nombreux travaux.

Mais ce fut surtout dans sa capitale, Nancy, qu’il donna l’essor à sa passion d’édificateur. Il reprit au palais ducal les travaux de Léopold, acheva la démolition de la collégiale Saint-Georges et bâtit ce qu’on appelle encore aujourd’hui le palais du Gouvernement. Il créa cette admirable place Royale, dite maintenant de Stanislas, que prolongent si heureusement l’Arc de triomphe et la Carrière. C’est à lui qu’on doit la place d’Alliance, les portes monumentales de Sainte-Catherine et Stanislas, la maison des Missions royales, devenue de nos jours le grand Séminaire.

Il eut la bonne fortune de rencontrer, pour l’exécution de ses travaux, des artistes du plus rare mérite, les architectes Héré et Mique, le serrurier de génie Jean Lamour, les sculpteurs Cyfflé, Guibal, Glodion, les frères Adam, Vassô, les peintres Provençal, Joly, Jean Girardet.

Son oeuvre fut magnifique. Il put s’en glorifier à bon droit : c’est par elle surtout qu’il effaça presque le souvenir de ses prédécesseurs. Les Lorrains ne lui marchandèrent pas leur gratitude, malgré leur attachement à la dynastie nationale. Dans sa pensée, la place Royale devait servir d’encadrement à la statue de Louis XV, son gendre, dont lui seul ignorait l’indignité. Lorsqu’il vint, le 26 novembre 1755, entouré d’un brillant cortège, présider à la dédicace, tout un peuple lui fit fête avec un enthousiasme sincère. La statue de Louis XV fut détruite en 1798, et remplacée par une statue de Stanislas lui-même en 1835.

Toutefois, il se passa un incident dont on se garda sans doute de parler au roi de Pologne. Vers le soir, un groupe de vieux Lorrains se forma sur la place du Marché et, musique en tête, se rendit dans la rue Saint-Dizier, devant une maison qui avait sur sa façade un buste du duc Léopold, existant encore aujourd’hui à la même place, et chanta sur de vieux airs du pays, les louanges du duc national.

Stanislas se piquait aussi de littérature et de philosophie, il visait surtout au renom de moraliste. Il composa un assez grand nombre d’écrits, d’ailleurs médiocres, qui, peu de temps avant sa mort, furent réunis en quatre volumes sous le titre général de : « Oeuvres du Philosophe bienfaisant ».

Il attirait à sa cour et y retenait par son aimable accueil les écrivains et les savants. Montesquieu et le président Hénault furent ses visiteurs et louèrent le charme de cette maison royale. On y vit passer le savant historien de l’Alsace Schoepflin, le bénédictin dom Calmet, abbé de Senones, le philosophe Helvétius, qui était fermier général et qui épousa Mle de Ligniville, de l’aristocratique maison de ce nom, un des quatre grands chevaux, Maupertuis, le géomètre que Frédéric II nomma président de son académie de Berlin et dont les cruelles railleries de Voltaire n’ont pas détruit la renommée scientifique.

Voltaire lui-même fit une éclatante apparition à Commercy, à Lunéville et à la Malgrange. Il était accompagné de son amie, Mme du Chatelet, une femme de génie, mais exemple scandaleux de l’indulgence du siècle pour l’irrégularité des moeurs. Le roi du siècle fut l’enchantement de la petite cour polonaise. Ravi des honneurs dont on l’entourait, de l’empressement des plus grands seigneurs et des plus charmantes femmes qui jouèrent devant lui, Mêrope, Brutus et Zaïre, et des marques d’amitié autant que d’admiration que lui prodiguait le roi de Pologne, il paya largement son hospitalité en déployant sans compter toutes les ressources de son merveilleux esprit, de sa gaieté, de son entrain.

Il composait de petites pièces de circonstance, dans lesquelles il tenait un rôle, il lisait à ses hôtes ses poésies légères, ses romans et entre autres Zadig. C’est au milieu des fêtes, prolongées pour le retenir, que Voltaire fut frappé, à Lunéville, du plus cruel chagrin de sa vie : Mme du Châtelet mourut le 10 septembre 1749. Stanislas, qui aimait sincèrement Voltaire, lui prodigua les plus affectueuses consolations, mais ne put obtenir qu’il restât auprès de lui. Il quitta Lunéville pour n’y plus revenir jamais. Le roi et le grand écrivain conservèrent toujours l’un pour l’autre les sentiments d’estime et d’amitié qu’ils s’étaient témoignés.

Voltaire visita encore une fois la Lorraine. En 1767, il passa plusieurs semaines à l’abbaye de Senones, où l’attiraient l’érudition et la riche bibliothèque de dom Calmet. Il vécut dans la familiarité des religieux qui, aussi tolérants que doctes, l’aidèrent à rassembler une partie des matériaux de son « Essai sur l’esprit et les moeurs des nations ». Il témoigna par ses respects et par sa déférence, de sa gratitude pour ses collaborateurs.

Plus près de lui, en dehors de ses hôtes de passage, Stanislas groupait à sa cour, mêlés à sa vie de tous les jours, des écrivains de second ordre, qui ne manquaient pas de mérite :  le chevalier de Solignac, son secrétaire des commandements qui retouchait ses écrits, le comte de Tressan, un brillant gentilhomme qui avait été admirable à Fontenoy, maniait la plume aussi bien que l’épée, d’esprit ouvert et curieux, qui était déjà de l’Académie des sciences et fut depuis de l’Académie française (en 1781), le marquis de Saint-Lambert, l’auteur du poème des Saisons, Mme de Graffigny qui se fit un nom avec les Lettres péruviennes, Dovaux, le favori de la petite cour.

Pour assurer aux lettrés et aux hommes d’étude des facilités de travail et un centre de relations, il créa à Nancy (décembre 1750) une bibliothèque qu’il dota convenablement, et y rattacha la fondation de deux prix, l’un pour les lettres, l’autre pour les sciences. La bibliothèque, sur les pressantes instances de Tressan, prit l’année suivante la forme d’une académie, sous le nom de Société royale des sciences et des belles-lettres.

Stanislas en écrivit lui-même les statuts et en désigna les premiers membres entre lesquels on remarque outre Tressan, Solignac et Saint-Lambert, deux jésuites, les pères Menou et Leslie, et deux abbés.

La première séance eut lieu en grande pompe au palais ducal, dans la belle salle des Cerfs, en présence du roi et de toute la cour, le 3 février 1751. On en fit bruit au dehors. Les premiers écrivains de France tinrent à honneur d’y être appelés. Le président Hénault, Montesquieu et son fils le baron de Secondat furent dès le début inscrits sur leurs demandes. Montesquieu envoya son Lysimaque comme discours de réception.

La Galaizière n’avait pas vu d’un bon oeil la fondation de l’académie. Il se défiait de l’esprit qui pouvait se former dans un corps savant. Il craignait d’y trouver les preneurs des anciennes institutions, les défenseurs des préjugés nationaux, en un mot, les tenants de tout ce qu’il était chargé de battre en brèche et de remplacer.

Le chancelier ne tarda pas à reconnaître que ses craintes n’avaient aucun fondement. L’académie fut bien loin d’être un foyer d’opposition ou même d’indépendance. S’il y eut un reproche à faire à la fille de Stanislas, ce fut d’exagérer sa reconnaissance et de garder à l’égard de son fondateur une attitude si humble, si soumise que sa dignité pouvait en être atteinte.

C’est dans la première séance de l’académie que, sur la motion de l’un de ses membres, M. Thibault, lieutenant-général de police, on décerna au roi Stanislas le surnom de Bienfaisant, que la postérité lui conserve.

Il méritait et mérita de plus en plus l’honneur qui lui était fait. Sa libéralité ne se lassa jamais, il sut toujours trouver dans un revenu limité (environ six millions d’aujourd’hui) des ressources pour faire le bien sous toutes les formes.

Il fondait des lits dans les hôpitaux, il agrandissait Plombières, il ajoutait des bâtiments à Saint-Julien de Nancy, il rebâtissait Saint-Dié à moitié consumé par un incendie (1757), il multipliait les greniers d’abondance, déjà inaugurés par Léopold, il dotait la belle institution des frères de Saint-Jean de Dieu, il créait l’assistance judiciaire sous forme d’une chambre de consultation.

L’instruction publique fut l’objet de ses soins. Il ouvrit des écoles populaires qu’il confia aux frères de la doctrine chrétienne. Il créa des bourses à l’Université de Pont-à-Mousson et à l’académie de Lunéville. Il fonda à Nancy le collège royal de médecine, lui donna une bibliothèque et le pourvut d’un jardin des plantes.

C’est donc à bon droit qu’on célébra sa bienfaisance. Sa popularité ne fut pas factice, elle est restée durable parce qu’elle était le résultat légitime et la récompense de ses œuvres vraiment royales.

Cependant la vieillesse était venue, avec son cortège de tristesses. La suppression en France de l’ordre des Jésuites lui causa un vif chagrin. Il continua à protéger ceux de ces religieux qui vivaient déjà dans les deux duchés, et il ouvrit un asile à ceux du dehors.

En décembre 1765, la mort de son petit-fils le Dauphin, le père des trois princes qui furent depuis, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, le frappa au coeur. Sa santé était ébranlée. Envahi par une obésité énorme, il pouvait à grand’peine se mouvoir.

Il ne donnait plus de fêtes. La noblesse de cour désertait, cédant de plus en plus à l’attraction de Versailles. C’étaient de modestes bourgeois qui venaient faire sa partie de tric-trac.

Le 5 février 1766, un accident mit le feu à sa robe de chambre. On entendit trop tard ses cris. Après de longues et cruelles souffrances, supportées avec un héroïque enjouement, il expira le 23 février.

Le lendemain, 24 février 1766, La Galaizière, muni depuis plusieurs mois de pouvoirs spéciaux, se rendit à Nancy, réunit la Cour souveraine et, solennellement, proclama la réunion définitive à la France des duchés de Lorraine et de Bar.

Les duchés de Lorraine et de Bar formaient désormais une province française. Un seigneur lorrain, le maréchal comte de Choiseul-Stainville, en fut nommé gouverneur. La dictature du chancelier La Galaizière n’avait plus de raison d’être, il rentra à Versailles, mais son fils fut maintenu comme intendant.

La Cour souveraine devint le Parlement de Lorraine et étendit même sa juridiction sur les trois évêchés, au détriment de Metz qui perdit momentanément son parlement fondé par Louis XIII, parlement rétabli après la mort de Louis XV.

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