Du château de Châteauvoué, il ne reste que d’imposantes ruines. Je vous propose de remonter le temps, et de découvrir l’histoire et la description cette demeure seigneuriale.
Les appellations anciennes ont été respectées.
D’après un article paru dans le « Journal de la Société d’archéologie et du Comité du Musée lorrain »
Année 1895
C’est en 966, dans la charte de fondation de l’abbaye de Vergaville, que Châteauvoué apparaît pour la première fois. D’un beau mot latin, on l’appelle Castellum, dénomination qui lui est venue sans doute d’un château ou emplacement fortifié. On ne sait, absolument rien de positif, faute de documents, sur ce qu’aurait été ce premier château.
Hincmar, nous dit cette charte, possédait des biens à Castellum, consistant en vignes, forêts, moulin, église et chapelle. Ces biens furent donnés vers 930 en dot par Hincmar à sa parente Betta, femme du comte Sigeric.
Betta accepta les biens d’Hincmar et, de concert avec son mari, elle les donna à l’abbaye qu’elle fondait à Vergaville, l’abbaye des dames Bénédictines. Et Sigeric a soin de dire qu’il leur remet en toute propriété « tous les biens susdits de Castellum, de Zuzelinga (Sotzeling), etc. des trois comtés de Destry, de Sarrebourg et de Mortagne pour qu’elles les aient, les tiennent, les possèdent en droit perpétuel, les cultivent et fassent valoir, et qu’elles constituent selon leur bon plaisir dans les dites possessions leurs ministériaux, c’est-à-dire un régisseur, un échevin de justice et autres officiers, à condition cependant, que ledit bien soit à jamais sous la tutelle de notre descendance légitime. Nous le confions à notre fils Déoderic et à ses héritiers, leur défendant d’en rien distraire, enlever ou aliéner ».
Hincmar et Sigeric étaient donc certainement au Xe siècle, seigneurs de Châteauvoué et du village voisin Sotzeling, aujourd’hui annexe de Châteauvoué, et le château, si château il y avait, pouvait bien leur appartenir.
De plus, le défenseur ou protecteur de tous ces biens, le voué en un mot, c’est Sigeric. Après lui, c’est son fils Déoderic ou Théodoric, et, après son fils, ses héritiers. On peut donc penser qu’un héritier de Sigeric fit construire « lai for maison de Chaistel voiet » (charte 1342) pour y installer un voué. Dès lors Castellum s’appela Châteauvoué.
Et à quelle date fut fondée la vouerie et fut construit le château-fort ? Il est impossible actuellement de le préciser d’une façon certaine.
Les traditions de Vergaville et les opinions des historiens sont d’accord pour dire que c’est la famille de Salm qui a fourni tous les voués des abbayes de Vergaville et de Salival. Or, on pense que Sigeric et Théodoric sont les ancêtres des Salm. La fondation de l’abbaye de Salival au milieu du XIIe siècle est due à la générosité de Mathilde de Hombourg, épouse d’Arnoux que l’on croit comte de Salm.
Par là, les comtes de Salm devenaient les protecteurs naturels des deux abbayes de Vergaville et de Salival, et Châteauvoué qui est placé entre les deux, à égale distance de l’une et de l’autre, était tout indiqué pour y établir une vouerie également disposée pour défendre les deux monastères.
On a trouvé dans l’église de Salival les inscriptions de plusieurs comtes de Salm, entre autres, d’Henri comte de Salm, mort en 1292, de Jean de Salm, chevalier, mort le 10 novembre 1313.
Nous pensons que c’est à l’époque de la fondation de l’abbaye des Prémontrés de Salival, que fut construit le château de Châteauvoué. D’après le style et l’ensemble, nous croyons pouvoir lui assigner cette date.
La description du château nous est fournie par le plan cadastral de la commune de Châteauvoué, et surtout par Toepfer, l’auteur du Cartulaire de la maison d’Hunolstein.
Le château domine les plaines du nord, du sud et de l’ouest, la plaine de l’ouest surtout qui s’étend fertile et verdoyante jusqu’à Château-Salins. A l’est, la vue suit le coteau de Châteauvoué et s’arrête au point où il se rattache à la chaîne des collines qui délimitent les deux bassins de la Seille et de la Sarre.
Il n’en faut pas davantage pour prouver que c’est là un point stratégique important. Aussi, le duc de Lorraine s’en est-il servi fort à propos pendant la guerre de Trente-Ans contre le général de Grancey.
Un fossé large et profond, creusé de mains d’hommes, entoure le vieux chastel. Sur le fossé, est jeté un pont-levis donnant entrée dans la cour intérieure. Cette cour forme un double trapèze.
Le grand trapèze, désignant la cour proprement dite, a trente-sept pas du côté Est, vingt-huit pas des trois autres côtés. Chacun de ces trois côtés égaux est marqué par de solides corps de bâtiment servant d’habitation aux seigneurs. Les quatre angles de ce grand trapèze sont occupés chacun par une forte tour ronde.
Le petit trapèze est ce qu’on pourrait appeler l’avant-cour. Il est placé du côté Est et ses deux lignes non parallèles sont constituées par les épaisses murailles, qui en se rapprochant finissent par former la grande porte d’entrée. De chaque côté de cette porte, se trouve une tourelle destinée à la fois à la protéger et à l’orner.
Le contour de la forteresse est donc considérable : l’épaisseur des murailles est en proportion, puisque les murs des quatre tours sont épais de dix pieds lorrains, soit de deux mètres quatre-vingt-cinq.
Cette immense construction est d’une architecture simple, mais solide. Les gros moellons et les pierres de taille viennent des carrières du pays. Quant au mortier, il est extrêmement résistant et en tous points comparable au mortier des Romains. Il est vrai qu’il y a dans la région une argile qui a servi admirablement aux armées romaines pour leurs châteaux forts, leurs villas et toutes leurs constructions, et qui à leurs yeux, remplaçait avantageusement la pouzzolane qu’ils avaient dans la Campanie et aux environs de Rome.
Quoi qu’il en soit, il n’y a qu’un seigneur puissant qui ait pu construire de la sorte le château qui nous occupe.
Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une tour habitée par une famille d’ouvriers, une partie des vastes caves qui servaient de prisons, et quelques pans de murs.
La tour a encore environ dix mètres de haut, mais son sommet est entièrement démoli. La famille qui l’habite, l’a fait recouvrir en tuiles comme les maisons du village, puis elle a transformé la partie inférieure en aire et en étable (C’était le cuisine du château. On voit encore la cheminée) et la partie supérieure en grenier à fourrage.
L’unique cave qui subsiste encore, est voûtée à la façon des substructions romaines et très bien conservée. Les caves voisines ont été comblées et le propriétaire actuel n’a pu jusqu’ici les utiliser. Les pans de murs de l’ancienne construction sont presque tous chargés de bâtisse moderne.
Enfin, on a trouvé éparses, quelques pierres de taille portant une ornementation assez primitive. Ainsi, dans la muraille du sud, construite dans les temps modernes, se voient deux de ces pierres de taille.
C’est au XVIe siècle, que Jehan de Helmstatt a ajouté au vieux château d’importantes dépendances. Mais n’empiétons pas sur les événements. Nous avons un mot à dire de l’historique du château et de ses différents partages.
La plus ancienne charte qui fait mention de « lai for maison de Chaistel voiet » est de 1342. Par cette charte, nous voyons que le château était alors, sans savoir de quel droit, habité par plusieurs seigneurs vassaux du duc de Lorraine.
En 1342, Henri de Guermange prenait possession d’un quart du château, tandis que les trois autres quarts appartenaient à une autre famille seigneuriale dite de Chaistelvowey.
On pourrait admettre avec vraisemblance que depuis la fin du XIIIe siècle, les deux familles de Guermange et de Chaistelvowey habitaient chacune sa part du chastel. Et comme la famille de Chaislelvowey était, vers 1390, représentée par deux chevaliers remarquables, Poinsignon et Bertrand (assimilés par certains auteurs aux Wolmerange de la Nied), qui se donnaient volontiers le titre de seigneurs de Châteauvoué, la part du château revenant à cette famille était partagée en deux portions égales.
Ainsi, à la fin du XIVe siècle, Poinsignon avait la moitié des trois quarts ou les trois huitièmes, Bertrand en occupait tout autant, et Henri de Guermange tenait le reste, c’est-à-dire le quart.
Au commencement du siècle suivant, Henri de Guermange vient à mourir sans avoir de descendants pour leur laisser sa part du château. Bertrand venait de marier sa fille Elisabeth à un chevalier allemand.
L’occasion était favorable, les nouveaux mariés firent l’acquisition, en 1404, de la part de Bertrand et de la part d’Henri de Guermange, de sorte qu’ils possédaient « le quart devant dict avec la moitié des autres trois quarts du dict chastel, soit cinq huitièmes en tout ». Les trois autres huitièmes étaient toujours à Poinsignon.
Une dizaine d’années plus tard, Elisabeth de Châteauvoué et son mari Hannus de Paffenhofen cédaient, « la moitié des trois pars du chastel et forteresse de Chastelvouel et le quart dudict chastel et forteresse » à Henri Hase de Dievelich, aussi d’origine allemande.
Ce seigneur passa toute sa vie, soit dans ce château, soit à Hombourg-Saint-Avold et il est à croire qu’il acheta dans ses dernières années la part du défunt Poinsignon, mais ce fut après 1445, car une charte de cette année-là ne mentionne encore que « la moitié des trois quarts du château et forteresse de Chastelwouel et le quart d’iceux ».
A la mort de Henri Hase arrivée vers 1461, ses trois petits-fils, Jacques et Henri de Helmstatt et Egenolf de Rathsamhausen, partagèrent le château en trois parts égales et chacun en eut une.
Dès 1473, l’une des parts étant devenue le douaire de la veuve de Jacques de Helmstatt, les autres n’en continuèrent pas moins à habiter ensemble pendant une année.
A force de guerroyer contre les Bourguignons qui envahissaient la Lorraine, ils irritèrent le duc de Bourgogne, au point qu’il assiégea et incendia le château en 1476. La douairière se plaignit amèrement de ses deux beaux-frères, qui convinrent toutefois de lui faire une rente annuelle de vingt florins pour les pertes subies. De là, on peut conclure que l’habitation de tout le château équivalait à cette époque à une rente de soixante florins.
Les deux guerriers réparèrent le château à leurs frais et, dès 1480, l’ayant rendu habitable, ils le divisèrent en deux parts inégales. Le plus âgé, Henri de Helmstatt, eut la moitié plus le demi-quart. Le plus jeune, Egenolf de Rathsamhausen prit le reste, soit les trois huitièmes.
Au mois d’août 1491, la part d’Henri fut partagée par deux de ses fils en deux lots égaux, ce qui faisait à chacun cinq seizièmes de tout le château, soit un peu plus d’un quart. En 1497, l’un des deux fils, Frédéric, héritant la part de son frère défunt, fut en possession de tout le lot de son père.
En 1509, Frédéric mourut et la part qu’il possédait revint à ses deux frères entrés dans les Ordres. Ceux-ci cédèrent l’héritage à Egenolf moyennant une rente annuelle de cinquante florins. De cette façon, Egenolf possédait tout le château, malgré les trois parts toujours existantes : une part lui appartenait par voie d’héritage, une deuxième part était payée vingt florins l’an et une troisième cinquante florins.
Une violente contestation eut lieu en 1517 entre Egenolf et les héritiers Helmstatt, qui habitaient en commun avec lui, au sujet des parts du château. On finit cependant par s’entendre : on fit deux portions égales. L’une revint à Egenolf, l’autre aux héritiers Helmstatt, c’est-à-dire à Jean et à Philippe-Jacques, petits-fils de Jacques de Helmstatt, qui pour lors, eurent chacun un quart du château.
Un arrangement ayant eu lieu entre les deux héritiers Helmstatt, Jean occupa la moitié du château dès 1518. Mais trouvant bientôt cette moitié insuffisante, il fit construire de nouveaux bâtiments attenant à la part qu’il habitait, sans écouter les protestations des copropriétaires, les héritiers d’Egenolf.
La part d’Egenolf, en effet, avait été divisée en deux parties égales en 1520, de sorte que ses deux filles eurent chacune le quart du château. L’une d’elles étant morte sans enfants, en 1549, l’autre hérita, et dès lors devint propriétaire de la seconde moitié du château.
Or, cette autre fille était Elisabeth, mariée dès 1502 à Adam de Hunolstein. Pendant cinquante ans, les Helmstatt et les Hunolstein, devenus seuls propriétaires, vécurent côte à côte dans leurs moitiés respectives de l’antique chastel.
Les moeurs des seigneurs s’étaient adoucies au point que les membres de chacune des deux familles aimaient mieux habiter en commun que de faire de nouveaux et incessants partages toujours ruineux.
Enfin, en 1599, Guillaume de Hunolstein, arrière petit-fils d’Adam, acheta la moitié occupée par les Helmstatt, et dès lors tout le château appartint aux Hunolstein. A partir de cette époque, le château n’eut plus qu’un seul seigneur jusqu’à la Révolution.
Le 7 floréal an III de la République, les administrateurs du Directoire du district de Salins-libre (Château-Salins) vendirent au citoyen Nicolas Lucy de cette ville pour 39 100 livres en papier monnaie « le château avec les fossés, le grand jardin potager clos de murs contenant environ 40 ares 88 centiares, avec le passage et aisances dans la basse-cour, et trois jours trois quarts un huitième, un seize et dix-huit toises de jardin verger au derrière ».
Le dit adjudicataire avait charge de démolir les tourelles et combler les fossés à ses frais dans le délai d’un an. Le jardin fut revendu quatre jours après, le 11 floréal an III, à Dominique Brandebourg de Châteauvoué, qui déjà avait acheté sur l’État les dépendances voisines, « biens provenant de l’émigré Hunolstein », comprenant la grange, l’emplacement d’un tesseau, les écuries y attenant avec la remise au-devant, située entre la marcairie et le jardin potager du ci-devant château.
Dépendances et jardin, sauf « la remise au-devant » sont devenus depuis 1837, le presbytère de Châteauvoué.
Quant à la distribution des pièces et appartements du château, nous n’en savons pas grand chose. Nous allons pourtant essayer d’en donner une idée en prenant le passage d’une charte qui y fait allusion.
Cette charte est de 1623 : Jean-Guillaume laisse à sa mère « la partie du château qu’on a à droite, quand on entre par la grande porte, aussi loin que va le toit en tuiles, ainsi que la grande cuisine près de l’escalier en escargot ». D’autre part, le mobilier était considérable, puisque le prix des meubles vendus par les révolutionnaires se montait à 15 000 livres « en papier monnoye » (Inventaire dressé par Jacques Michel Collenot, ancien intendant du château, fait à Nancy le 1er floréal An VI).
Enfin, la Révolution a pris et déposé dans ses magasins tous les fers, ustensiles et batterie de cuisine en rosette, cuivre et étain, les balcons, les grandes portes de fer des basses-cours et jardins, les cloches et clochettes, sur lesquels nous n’avons pu jusqu’ici trouver aucun renseignement.
Pendant l’affreuse guerre de Trente-Ans, le château avait été épargné par le roi de France, tandis que tous les environs de Châteauvoué étaient brûlés et ravagés.
Le château n’a point été démantelé en 1670, comme le dit M. Schmit dans ses « Promenades antiques aux environs de Château-Salins ».
Les textes des chartes que nous avons sous les yeux nous prouvent le contraire. C’est la Révolution qui en a décrété le démantèlement.
Au reste, Jacques-Michel Collenot nous en fait cette description en 1796 : « Le château très ancien et très bien entretenu, flanqué de quatre tours et défendu par des fossés, formant des réservoirs peuplés d’excellents poissons, vaste cour, basse-cour, jardin verger clos de haies vives, jardin potager clos de murs, colombier, bergerie, markairie, pressoir. Tout cet ensemble était établi sur quinze arpens de terrain ».
Enfin, cette description rapprochée de celle de 1404, je veux dire de celle qui fut faite quatre cents ans auparavant, montre que, pendant toute son histoire, le chastel de Châteauvoué n’a pas subi, malgré quelques modifications, de transformation fondamentale. Le château avait alors, comme en 1796, « ensemble toutes ses appartenances en muers, en tours, en foussés, en colombiers et en toutes autres choses » (Réversales de 1404).
Le 7 décembre 2012, signalement de détritus dans l’ancien fossé du château.
Quand les gens vont-ils enfin comprendre que le peu qu’il nous reste doit être préservé ?