La lutherie de Mirecourt (88)
Mirecourt, la « capitale de la lutherie », possède encore une dizaine d’ateliers et une petite usine spécialisée dans la production de chevalets.
La ville possède aussi une école de lutherie (unique en France), et bien entendu un musée de la lutherie.
Je vous propose de découvrir la charte des luthiers datée de 1732.
D’après un article paru dans « La nouvelle Revue » – 1932
La lutherie est d’origine italienne, la ville où l’on a fait les premiers violons est Brescia. Il y a de beaux spécimens de cette école qui ont une grosse cote et une grande réputation, entre autres les Gaspard da Salo et les Maggini.
Ensuite, nous voyons venir la splendide école de Crémone dont chaque violon authentique et complet arrive actuellement à des prix astronomiques, richesses de collections et de grands artistes : les Amati, les Stradivarius, les Guarnerius et leurs élèves Bergonzi, Santo Séraphino, Montagnana, Gagliano, Guadignini, mais plus nous nous rapprochons du temps présent, plus nous remarquons que cette illustre école italienne s’anémie et les derniers grands luthiers sont les descendants des Gagliano et Pressenta et Roca.
En France, que faisait-on à cette époque ? Pas grand chose. Il y avait bien quelques luthiers, les Castagneri, Bocquay, Claude Pierray entre autres, qui ont produit des instruments plaisants à l’œil, mais dont la sonorité est relative, de sorte que, depuis la décadence de la belle lutherie italienne et le développement de l’école Française, il y a là une éclipse.
Il faut toutefois nommer parmi les premiers luthiers français, Lupot, Vuillaume et Gand, dont les instruments magnifiques sont de plus en plus appréciés par les amateurs et les artistes, et Mirecourt.
Mais tout cela n’explique pas pourquoi on fait des violons à Mirecourt et que Mirecourt soit le berceau de la lutherie française.
Je vais vous conter une belle histoire, car nous sommes dans le domaine de la musique, de la poésie, et il ne faut pas aller bien loin pour côtoyer la légende qui nous explique jusqu’à présent, pourquoi l’on fait depuis des siècles des violons à Mirecourt.
Naturellement, avec notre esprit pratique, vous seriez tenté de penser que toute industrie est conditionnée par les matières premières que l’on trouve dans le sol avoisinant et, naturellement, vous en déduirez que ce sont les bois que l’on peut se procurer dans les montagnes des Vosges, qui ont décidé nos ancêtres à s’occuper de lutherie. Rien n’est plus faux, car nous employons très peu de bois français.
Voici donc une explication :
Les ducs de Lorraine étaient des artistes et aimaient beaucoup les arts. Quand ils se déplaçaient, ils venaient à Mirecourt, à cette époque grande ville de bailliage, ils habitaient le château de Ravenel et ils venaient avec leurs musiciens et aussi leur luthier nommé Tywersus qui avait travaillé à Crémone. Nous supposons que Tywersus a enseigné son art à quelques gens du pays, ceux-ci à leur tour firent des élèves et c’est ainsi qu’en 1732, les maîtres luthiers de Mirecourt ont reçu leur charte corporative du duc de Lorraine François III et, depuis cette époque, Mirecourt a donné naissance, ou a vu passer dans ses ateliers les plus grands luthiers français.
Charte pour les luthiers
« Les maîtres luthiers, faiseurs de violons de notre ville de Mirecourt, nous ont très humblement fait représenter que pour prévenir et remédier aux abus qui se glissent dans leur métier, de même que pour y établir vu bon ordre, il conviendrait de les créer en corps de maîtrise, au moyen de quoi il se formera de bons maîtres qui, en servant bien le public, conserveront à la ville de Mirecourt la renommée qu’elle s’est autrefois acquise de contenir d’habiles faiseurs d’instruments.
Pour à quoi parvenir, ils nous ont fait présenter un projet de règlement contenant différents articles et statuts, nous suppliant très humblement de les authoriser, et en conséquence de leur faire expédier nos lettres de Chartes sur ce nécessaires. A quoi inclinant favorablement après que la quête que les dits luthiers nous ont présentée à ce sujet a été vue en notre Conseil d’Etat, et que les dits articles et règlements ont été examinés par les commissaires de notre Conseil qui ont été nommés et commis à cet effet et ayant sur ce leur avis.
Nous, de notre grâce spéciale pleine puissance et authorité souveraine, avons créé et érigé, créons et érigeons les dits maîtres luthiers et faiseurs de violons de notre ville de Mirecourt en corps de maîtrise auquel nous avons accordé et accordons les Chartes, statuts, droits, privilèges et immunités ci-après :
- Art. 1 : Qu’ils auront pour patronne Sainte-Cécile, la fête de laquelle ils célébreront une messe haute et deux vêpres en la paroisse de Mirecourt et un service qui se fera le lendemain pour les confrères déffunts.
- Art. 2 : Qu’il sera tous les 3 ans, le lendemain de la fête de Sainte-Cécile, un maître dudit corps qui prêtera serment entre les mains du lieutenant-général de Mirecourt, deux échevins et un doyen qui prêteront serment entre les mains dudit maître qui sera élu.
- Art. 3 : Qu’aucun ouvrier ne sera reçu en l’exercice de la profession de luthier qu’après dix-huit mois d’apprentissage dont il sera tenu de rapporter de bons certificats, qu’il n’ayt fait chef d’oeuvre tel qu’il sera indiqué par les maîtres et échevins et ensuite examiné par les maîtres du corps qui seront nommés par le maître de la dite confrairie, à charge aussi par celui qui sera reçu maître dudit corps de payer pour droit de réception, une somme de cinquante francs barrois dont moitié appartiendra à notre domaine et l’autre moitié à la dite confrairie, duquel droit de réception les fils de maître et ceux qui en épouseront les veuves ne payeront que moitié.
- Art. 4 : Que le maître dudit corps aura droit de visiter avec les deux échevins, les ouvrages faits par toutes sortes de personnes qui se feront ou distribueront en la ville de Mirecourt et dans le lieu de Mattaincourt, et de les saisir au cas qu’ils seraient trouvés n’être pas bien faits avec condamnation d’une amande d’un franc par chacune pièce deffectueuse outre la suppression d’icelle.
- Art. 5 : Que chaque apprentit sera tenu de payer à son entrée 5 frs et une livre de cire pour le service de la patronne dont le maître qui recevra ledit apprentit demeurera grand.
- Art. 6 : Que dans les lieux de Mirecourt et de Mattaincourt, il sera fait annuellement 4 visittes par les maîtres échevins et doyen chez les ouvriers de la dite maîtrise dans les temps qui seront trouvés convenables, le tout néanmoins sans frais.
- Art.7 : Que chaque pièce d’instrument sera marquée par le maître en charge, qui sera obligé de se rendre en la boutique de l’ouvrier sur la réquisition verbale qui lui en sera faite, pour être en sa présence les noms et surnoms de l’ouvrier qui aura fait l’instrument marqué en caractères imprimés, pour raison de quoi le dit maître percevra un droit de 6 deniers par chacune pièce d’instrument.
- Art. 8 : Un maître étranger qui voudra s’établir dans la ville et dans le lieu de Mattaincourt sera reçu sans frais en rapportant des lettres de maîtrises en bonne forme, et en cas qu’il ne pourrait en représenter, sera tenu aux charges ci-dessus exprimées.
- Art. 9 : Le maître aura un registre dans lequel il insérera les receptes et dépenses des deniers qu’il recevra pendant le temps de sa gestion desquels il rendra compte annuellement en présence des autres maîtres dudit corps, le lendemain de la Sainte-Cécile ou autre jour commode qu’il aura convenu.
- Art. 10 : Aucun apprenti ne pourra quitter le maître chez qui il sera pour aller chez un autre, qu’en avertissant six semaines auparavant à peine de recommencer son apprentissage.
- Art. 11 : Au cas qu’il arriverait des bois propres à faire des instruments, lesquels n’auraient pas été achetés précédemment par un des dits maîtres, il sera loisible à chacun d’eux d’en prendre à proportion de la quantité qui se trouvera en payant le prix qui en aura été fait, depuis que la dite marchandise aura été exposée en vente à peine contre le refusant de 5 francs d’amande. A l’effet de quoi, celui qui aura connaissance de l’arrivée et exposition de la dite marchandise en donnera avis au maître dudit corps.
- Art 12 : Le maître dudit corps aura droit de faire assembler le corps à l’effet de quoi il le fera avertir la veille par le doyen et seront tenus tous les maîtres d’y assister, à peine d’une amande contre les deffaillants à moins d’excuse légitime dont ils rendront compte au maître dudit corps. Toutes lesquelles amandes ci-dessus seront applicables moitié au profit de notre domaine et l’autre moitié au profit de la dite confrairie. Le tout sans déroger aux ordonnances rendues en faveur des étrangers.
- Art. 13 : Ordonnons que tous les articles ci-dessus seront observés par tous les maîtres qui seront résidents tant audit Mirecourt, qu’à Mattaincourt.
Sy donnons en mandement à nos très chers et féaux les présidents, Conseillers, Maîtres auditeurs et gens tenant notre chambre des comptes de Lorraine, Bailly, Lieutenant général, conseillers et gens tenant notre bailliage des Vosges séant à Mirecourt, et à tous autres qu’il appérera que du contenu aux présentes et de tout leur effet, ils fassent, souffrent et laissent jouir et user les dits maîtres luthiers et faiseurs de violons de notre dite ville de Mirecourt, pleinement, et paisiblement, cessant a été mis et appendu notre grand scel ».
Donné à Lunéville le 15 Mai 1732. Signé Elisabeth Charlotte et plus bas contresigné Hennel.
Telle est l’histoire de notre industrie dans notre vieille ville paisible et tranquille, où l’on semble marcher à pas feutrés pour écouter un violon qui chante.
Adresses :
Atelier Jean-Claude CONDI
4, rue Ste Cécile 88500 MIRECOURT
Atelier Catherine BAROIN et Anne-Sophie BENOIT
5, rue St Georges 88500 MIRECOURT
Atelier Jean-Pierre VOINSON
13, rue Chanzy 88500 MIRECOURT
Atelier Roland TERRIER
17, rue Chanzy 88500 MIRECOURT
Société AUBERT Premier fabricant au monde de chevalets
121, av. Henri Parisot 88500 MIRECOURT
Le savoir-faire lorrain rayonne par-delà les frontières !!!