Lunéville à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle
Continuons, si vous le voulez bien, à découvrir les événements qui se sont déroulés à Lunéville.
D’après la monographie « Essais historique sur la ville de Lunéville » de Guerrier – 1817
Année 1764 : Le 21 Janvier, il vint à Lunéville un Envoyé de Pologne, pour annoncera Stanislas la mort d’Auguste, Roi de Pologne et Électeur de Saxe.
Nicolas Ferri, nain du Roi de Pologne, est mort le 19 mai 1764, âgé de 22 ans et demi. Il était de Plaine, dans la principauté de Salm. A sa naissance, il pesait 12 onces. Il avait un monument aux Minimes.
Année 1766 : Cette année est une des plus fatales à la Lorraine, et surtout à Lunéville.
Stanislas, malgré son grand âge, ne perdait rien de sa gaité, mais son physique s’affaissait. Lorsqu’il apprit la mort du Dauphin, il dit, dans la plus grande affliction : « J’ai perdu deux fois la couronne, je n’en ai pas été affecté. Mais la mort de mon cher Dauphin m’anéantit ». Il repassait alors dans sa mémoire les Têtes couronnées que la mort avait frappées depuis peu, et il se trouvait le plus ancien de tous les monarques à cette époque. Il racontait les grands périls dont la Providence l’avait préservé jusqu’alors. Il y en avait de toutes les sortes, excepté une seule : « Il ne me manquerait, disait-il, que d’être brûlé, pour avoir passé par toutes les épreuves ».
Un deuil succédait à un autre sans interruption. Après celui de l’Empereur François, on prit celui du Duc de Cumberland, et celui du Dauphin.
En allant à la Malgrange, le Roi de Pologne s’arrêta à l’église de Bonsecours, et se plaça sur le caveau. En sortant, il dit à ceux qui l’accompagnaient : « Savez-vous ce qui m’a retenu si longtemps à l’église ? Je pensais que dans peu je serais trois pieds plus bas ».
Le 5 Février, Stanislas s’étant levé vers 6 heures et demie du matin, passa seul une demi-heure à fumer, assis dans son fauteuil. Il se leva pour voir l’heure à la pendule qui était sur sa cheminée. Le feu était ardent : sa robe de chambre, présent de la Reine sa fille, d’une étoffe légère et doublée d’une ouate de soie, flotta et fut attirée par la flamme. Le feu y prit, et la fumée s’éleva. Stanislas crut que c’était celle de la cheminée, et resta un moment tranquille. Mais enfin s’apercevant que le feu gagnait, il appela : on ne vint pas sur-le-champ.
Dès qu’on ouvrit la porte, l’air donna plus d’activité à la flamme, qui s’éleva tout-à-coup jusqu’au-dessus de sa tête. On arrachait ses vêtements en se brûlant les mains, mais le feu était en trop d’endroits pour pouvoir être étouffé par deux personnes. On coucha le Roi à terre, et l’on réussit à éteindre le feu qui le dévorait. Il eut tout le côté et la main gauches brûlés, depuis le genou jusqu’au-dessus de l’œil. La coiffe du bonnet de nuit fut brûlée, jusqu’au ruban qui l’attachait. La camisole de flanelle, qui était immédiatement sur la chair,fut consumée en partie, et tombait en morceaux et en cendres.
Dès que la nouvelle de ce funeste accident fut répandue, la consternation fut générale dans les campagnes comme dans les villes. La douleur fut la même partout. D’instant en instant, on demandait des nouvelles du Roi. Les premiers appareils donnèrent des espérances qui se soutinrent pendant près de douze jours. On se livrait à la joie, on croyait que cet accident n’aurait pas de suites.
L’excellente constitution de Stanislas, sa gaité, qui ne l’abandonnait pas, tout contribuait à entretenir une sécurité trompeuse. Tout le monde reprit ses occupations ordinaires. Le Roi signa même encore des expéditions de chancellerie mais, à compter de ce jour, les pansements devinrent douloureux, surtout à la main gauche. La fièvre vint, les taches noircirent. Cependant les espérances se renouvelèrent et se soutinrent jusqu’au 20. Stanislas tint son assemblée ordinaire avec la même gaité qu’avant son accident, mais le 21, son état empira. Le 22, on avait peu d’espoir, et on le perdit entièrement le lendemain.
Le Prince était dans un assoupissement, d’où on ne le tirait qu’avec des cordiaux violents. Il était dans ce déplorable état, quand on lui présenta un Ambassadeur du Roi de Pologne, Stanislas Poniatowsky, il entendit encore ce qu’on lui disait, mais il ne put articuler sa réponse, et tendit la main à l’Ambassadeur. L’agonie fut longue et douloureuse. Enfin, Stanislas-le-Bienfaisant expira le 23 Février, à quatre heures quelques minutes après midi, âgé de 88 ans, 4 mois, 3 jours.
Il fut pleuré comme Léopold. La tristesse et la consternation s’emparèrent de tous les états. La désolation fut extrême parmi les habitants de Lunéville, qui, ayant le bonheur de voir journellement le Prince, pouvaient le mieux l’apprécier.
Le corps partit de Lunéville le 3 Mars, à 6 heures du soir, au milieu des larmes et des gémissements de toutes les classes du peuple, qui le suivirent fort loin dans la boue et l’obscurité. Le convoi arriva aux Minimes de Bonsecours à minuit et demi, et le corps fut aussitôt descendu dans le caveau. Les entrailles restèrent à Lunéville.
Pour bien peindre Stanislas, nous ne pouvons mieux faire que d’emprunter les expressions du Comte de Tressan, Grand-Maréchal-des-Logis de sa Maison : « Qui, mieux que Stanislas, a possédé l’art charmant de dire à ceux qui composaient sa Cour, ce qui pouvait leur être flatteur, honorable et personnel. Il simplifia, il perfectionna les instruments de plusieurs arts, et surtout ceux du labourage. Sa belle et fertile imagination lui fit varier sans cesse les moyens d’orner ses palais, de parer, d’animer ses jardins par des eaux jaillissantes. Années heureuses ! Vous coulâtes trop rapidement ! Nous n’osions les compter. Mais l’activité, la santé, la force brillaient sur le front de Stanislas. Les grâces même n’en étaient point effacées ; ses derniers écrits avaient tout le feu de ceux de sa jeunesse : rien ne paraissait menacer une tête si chère, et le jour de sa naissance fut encore un jour de fête pour nous ».
Année 1770 : Pour dédommager Lunéville, qui cessait d’être la résidence de ses Souverains, le gouvernement français mit dans cette ville le Corps de la Gendarmerie, composé, à son arrivée, de 10 compagnies.
Christian VII, Roi de Danemarck, passa à Lunéville le 14 décembre.
Année 1775 : Le 16 mai, Marie Antoinette, fille de François III, dernier Duc de la maison de Lorraine, et de Marie-Thérèse, passa à Lunéville, pour aller épouser Louis XVI, alors Dauphin. Cette alliance consolida l’union de la France et de l’Autriche si lontemps rivales et ennemies.
L’Archiduc Maximilien, frère de Joseph II, Empereur d’Allemagne, et de la Reine de France, épouse de Louis XVI, passa à Lunéville, le 4 mars, sous le nom de Comte de Burgau.
Année 1776 : Le 25 février, deux compagnies de la Gendarmerie furent réformées, et ce Corps fut réduit à huit compagnies. Les deux compagnies supprimées furent incorporées dans les huit restantes.
Année 1777 : Le 13 avril, Lunéville sevit honoré de la présence de l’Empereur d’Allemagne, Joseph II, frère de la Reine de France. La Gendarmerie eut l’honneur de manœuvrer devant ce Prince, qui donna les éloges les plus mérités à la brillante tenue de ce Corps, à la précision avec laquelle se firent les évolutions commandées par M. Diettmann, Officier de l’Etat Major.
Année 1778 : La Vezouze, débordée en même temps que la Meurthe, s’enfla la nuit du 25 Octobre, faillit submerger un quartier des casernes, et renversa des maisons et une partie du Pont des Carmes. On allait en bateau dans la petite rue des Carmes.
Année 1787 : Lunéville eut le bonheur de posséder, cette année, un des frères de l’infortuné Louis XVI, Monsieur, Comte de Provence, aujourd’hui Louis XVIII.
Année 1788 : Des vues d’économie ayant engagé le gouvernement à réformer le corps de la Gendarmerie, les individus qui le composaient, furent licenciés. On leur accorda une pension, et ils furent remplacés par les deux régiments de Carabiniers, qui tinrent garnison à Lunéville jusqu’au commencement de 1815.
Année 1813 : La nuit du dernier jour de décembre, le feu prit à l’aîle gauche du Château et fit des progrès si rapides, qu’on fut obligé d’abattre une partie de cette aîle, pour couper toute communication avec le reste du Château, qui aurait pu devenir la proie des flammes. On ne peut assez louer le zèle des ouvriers chargés de porter les secours, des personnes qui les dirigeaient et d’une grande partie des habitants.
Année 1814 : Les Alliés sont entrés, pour la première fois, à Lunéville, le 15 janvier de cette année.
Nous avons possédé, pendant quelques instants, S. A. R. Monsieur le Duc de Berry, fils de Monsieur, Comte d’Artois, qui vint aussi lui-même en cette ville le 1er novembre, et qui y a passé trois jours.
Année 1815 : Les Alliés sont entrés, pour la seconde fois, à Lunéville, le 26 juin.
Année 1816 : Louis-le-Désiré ne pouvait donner à Lunéville une plus grande marque de sa sollicitude paternelle, qu’en affectant le Château des Ducs de Lorraine pour la demeure de S. A. S. le Prince de Hohenlohe, et de son illustre famille, dont l’origine remonte à Conrad-le-Sage , Duc de Franconie et de Lorraine, né en 949 , et tige de l’antique Maison de Hohenlohe. Ce Prince a mérité cette récompense par son dévouement inaltérable à la cause du Roi, à qui il a rendu les services les plus signalés. Cet attachement pour la Maison des Bourbons est héréditaire dans cette famille, car l’histoire fait mention d’un Prince de Hohenlohe, qui combattit pour notre Henry IV, d’héroïque mémoire.
Cette marque de reconnaissance de Louis XVIII pour S. A. S. est constatée par une ordonnance du Roi, datée du 9 juin de cette année, et dont voici la teneur :
S. M. voulant donner un gage de sa reconnaissance aux Princes de la Maison de Hohenlohe-Waldenbourg Bartenstein et Schillings-Furst, et surtout aux Princes Louis-Aloys de Hohenlohe-Bartenstein et Charles-Ernest-Justin de Hohenlohe-Bartenstein-Jaxberg, qui, depuis 1792, montrèrent le plus parfait dévouement à S. M., et levèrent deux régiments, qu’ils placèrent sous les ordres de S. A. le Prince de Condé , a rendu , le 9 Juin, l’ordonnance suivante :
Art. 1er : Le Prince Louis-Aloys de Hohenlohe-Bartenstein est nommé Chevalier-Commandeur de nos Ordres de St-Michel et du St-Esprit.
Art. 2 : Ce Prince prendra rang dans nos armées en qualité de Lieutenant-Général, à dater du 28 Février 1816. Il sera employé, cette année, comme Inspecteur d’infanterie.
Art 3 : Une partie du Château de Lunéville, à l’exclusion de la partie qui sert au casernement de nos troupes, sera affectée au logement dudit Prince et de sa famille, sa vie durant.
Art 4 : Notre Légion étrangère prendra incessamment le nom de Légion de Hohenlohe. Le Prince Louis-Aloys de Hohenlohe-Bartenstein en est nommé Colonel supérieur. Le Comte de Witgenstein, son Colonel actuel, en conservera le commandement sous les ordres de ce Prince.
En conséquence de cette ordonnance, S. A. S. madame la Princesse de Hohenlohe, madame la Comtesse de Salm sa sœur, accompagnées de leur digne Aumônier, également distingué par les qualités du cœur et par celles de l’esprit, arrivèrent à Lunéville. Et après les réparations nécessaires faites au Château, S. A. S. madame la Princesse et madame la Comtesse sont venues, le 28 Octobre, prendre possession du Château des Ducs de Lorraine, honoré, dans le siècle dernier, par les vertus de Stanislas, et que le digne petit-fils de cet excellent monarque a donné pour résidence aux Princes d’une maison qui s’est distinguée par son attachement à la cause de nos Bois.
Ce jour a été un jour de fête pour Lunéville. Quarante dames attendaient S. A. S. madame la Princesse et madame la Comtesse dans le salon du Château. Une de ces dames a porté la parole au nom de toutes, et en célébrant les vertus de madame la Princesse et de madame la Comtesse, et particulièrement l’extrême bienfaisance qu’elles ont fait éclater envers les malheureux et les pauvres, elle a exprimé les sentiments de respect et de dévouement dont tous les habitants de Lunéville sont pénétrés pour elles. A onze heures, le corps municipal est venu complimenter S. A. S. et le soir, la garde nationale a hissé, sur le donjon, au son d’une musique militaire, le drapeau blanc, également cher aux habitants de la ville et à ceux du Château.
Le 20 décembre suivant, S. A. S. le Prince de Hohenlohe est venu rejoindre son illustre famille au Château, où il a été reçu avec les mêmes marques de respect, par les autorités civiles et militaires, par M. le curé, M. le 1er vicaire, et plusieurs des principaux habitants de Lunéville.
Lunéville a souffert, dans le cours de cette année, de l’intempérie de la saison, qui s’est fait sentir dans presque toute l’Europe, ce qui, joint à d’autres circonstances, a tellement augmenté le prix des denrées de première nécessité, que le bled s’est vendu jusqu’à 58 francs le resal, la livre de pain bis 32 centimes, et le resal de pommes-de-terre plus cher que le bled dans les années d’abondance, c’est-à-dire, 20 fr.
Pour venir au secours des indigents, les habitants de Lunéville, qui se sont toujours distingués par leur bienfaisance, ont saisi cette occasion pour l’exercer. M. le curé, M. le 1er vicaire, qu’on peut appeler, à juste titre les pères des pauvres, et plusieurs fonctionnaires publics ont formé un comité de bienfaisance, dont le Prince de Hohenlohe est le président honoraire, et ont proposé une souscription volontaire, à laquelle a contribué la très grande majorité des habitants, et qui a produit un fonds assez considérable. Au moyen de ces secours, on a rassemblé un grand nombre de pauvres dans le local dit le Coton, où ils sont vêtus et nourris, et où l’on fait travailler ceux qui ne sont pas tout-à-fait impotents. Ceux qui ne peuvent y être admis, reçoivent des secours à domicile.
Le 19 décembre, après avoir fait célébrer une messe, les membres du Comité de Bienfaisance, accompagnés de madame la Princesse de Hohenlohe et de madame la Comtesse de Salm, dont le bienfaisance est au dessus de tous les éloges, se sont rendus au Coton, pour y installer les pauvres, auxquels on a donné un dîner abondant, et qui ont été servis par madame la Princesse et madame la Comtesse. Le zèle de toutes ces personnes charitables a été dignement secondé par la respectable Sœur qui est à la tête de la Maison des Orphelins.
Puisse le plus heureux succès couronner tant de soins et de travaux, dont le but est de diminuer la misère et de détruire la mendicité !
Un des établissements les plus utiles dont Lunéville ait à se louer, et qui date de cette année, est celui d’une compagnie de Pompiers, composée de 74 hommes, non compris 3 officiers.
Ce Corps se distingue par le bon esprit qui anime tous les individus qui le composent, par sa conduite décente dans ses réunions, par sa célérité à se rendre là où le danger l’appelle, enfin par les services qu’il a déjà rendus, et qui sont un sûr garant de ceux qu’il rendra encore chaque fois que l’occasion s’en présentera.
Chaque pompier met en masse 20 centimes par semaine, ce qui forme un fonds, qui procurera des secours à ceux auxquels il arriverait quelque accident qui les mettrait hors d’état de travailler, ainsi qu’à leurs veuves et à leurs enfants.