Stanislas (1737-1766)

Stanislas

 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Louis XV aurait pu, au traité de Vienne, exiger l’annexion immédiate de la Lorraine et du Barrois. Mais il voulait donner à son beau-père un établissement qui le dédommageât de la perte de sa couronne et le fît sortir de la situation humiliée de parent pauvre.

D’autre part, il pensait avec raison qu’il fallait tenir compte des sentiments séculaires de la Lorraine, qui avait si longtemps repoussé l’incorporation à la France, et qu’il était de bonne politique de ménager la transition, en substituant aux descendants de Gérard d’Alsace un prince qui ne fût ni Français ni Lorrain et qui préparât tout doucement la fusion définitive.

Le passé de Stanislas le recommandait à la population lorraine, habituée à trouver souvent dans ses ducs quelque chose d’audacieux et de chevaleresque. Il ne faut pas chercher le héros dans les portraits peints par Girardet. Ce visage bourgeoisement épanoui, cette taille épaisse et lourde, ne peuvent nous donner l’idée de ce qu’avait été le palatin de Posnanie ou le roi de Pologne.

Né dans la noblesse d’une famille qui s’était élevée par son mérite aux plus hautes dignités, Stanislas avait été à vingt ans un gentilhomme accompli. Il s’était mêlé de bonne heure à toutes les agitations nationales, et il eût volontiers répété le mot dit par son père dans une assemblée tumultueuse : Malo periculosam libertatem quam quietum servitium, j’aime mieux la liberté avec ses périls que la sécurité dans la servitude.

En 1704, Charles XII, roi de Suède, qui avait envahi la Pologne et chassé Auguste II de Saxe, fut frappé de la supériorité du jeune palatin et le fit élire roi par la Diète. Il le garda à ses côtés pendant plusieurs années. En 1709, le formidable duel engagé avec Pierre le Grand ayant abouti à la catastrophe de Pultawa, et Charles XII ayant été obligé de se réfugier en Turquie, Stanislas traversa l’Allemagne sous un déguisement et alla le rejoindre à Bender. Il resta prisonnier pendant quelques mois. Rendu à la liberté en même temps que son héroïque ami, il ne recouvra point son royaume de Pologne, mais il reçut en jouissance la principauté des Deux-Ponts, qu’il administra pendant cinq années.

En 1718, Charles XII fut tué au siège de Frederikshall. Stanislas perdit sa petite principauté et vint s’établir, sous la protection de la France, à Wissembourg, en Alsace. Il y vécut avec dignité, mais dans la gêne, parce qu’il avait généreusement gardé à sa charge les plus compromis de ses compagnons d’armes.

Un coup de théâtre changea sa fortune en 1725 : sa fille, la princesse Marie Leczinska, épousa le roi Louis XV.

Nous avons déjà raconté sa seconde élection et son expédition si mouvementée de Danzig.

Au moment où le traité de Vienne le mettait en possession des deux duchés de Lorraine et de Bar, il avait près de soixante ans. Son long séjour en France l’avait familiarisé avec notre langue, qu’il parlait facilement, sans pouvoir l’écrire avec correction. Il s’était épris des sciences, des lettres et des arts de sa nouvelle patrie. En relation avec tous les hommes distingués, il s’était mêlé au courant philosophique qui entraînait le XVIIIe siècle. II était devenu un vrai Français, avec une grande ouverture d’esprit, tout en gardant la marque de son origine slave, le goût de l’idéal, des habitudes religieuses très sincères et un esprit un peu chimérique.

Stanislas réalisa-t-il le type du roi philosophe, et fut-il une sorte d’Abdolonyme ? Il s’y étudia certainement et la petite nation lorraine lui tint compte de ses efforts. Chose remarquable !

Dans ce pays célèbre pour son attachement à ses souverains héréditaires, et dont l’affection vivace ne s’était jamais laissé décourager même par le despotisme, ni par de dures exactions, ni par des folies ruineuses, le nom qui est resté peut-être le plus populaire est celui d’un étranger, pris en dehors de la dynastie nationale, et que l’on aurait pu traiter d’intrus.

Ce phénomène historique s’explique par la combinaison, qui fut adoptée pour le gouvernement des duchés.

Bien qu’au traité de Vienne, la cession eût été faite à Stanislas en toute souveraineté, il n’y avait là qu’une fiction temporaire et le véritable cessionnaire était le roi de France. C’était à celui-ci à préparer la future annexion.

Il devait rencontrer des difficultés sérieuses dans les souvenirs de l’indépendance, dans le juste orgueil d’un pays resté si longtemps autonome, dans les ressentiments amassés par des guerres sanglantes et par les rigueurs de plusieurs occupations temporaires, et enfin dans des institutions locales qui ne cadraient pas avec les maximes de la centralisation française. Il y avait là, matière à une lutte inévitable et opiniâtre, à laquelle un prince viager était impropre.

Stanislas, qui était visiblement fatigué par les péripéties de sa dramatique carrière, se prêta volontiers aux vues du gouvernement français et demanda lui-même à être déchargé des soucis, des contentions, du travail, commandés par les soins d’un avenir qui n’était pas fait pour lui.

Il signa, le 30 septembre 1736, la Déclaration de Meudon. Cet acte, qui devait rester secret, n’était autre chose qu’une sorte de contre-lettre remise entre les mains de Louis XV, limitait le rôle du duc-roi à une sorte de représentation et ne lui laissait que les parties de l’administration où il pouvait déployer, sans courir le risque de blesser personne, ses qualités aimables et sa bonté naturelle.

Le chef effectif du gouvernement devait être un fonctionnaire supérieur choisi à Versailles. Cette manière de premier ministre gérerait les finances, percevrait les impôts et les revenus des biens domaniaux, assisté par un conseil des finances. Tous les agents de l’administration seraient choisis par le cabinet français, mais recevraient leurs nominations des mains du souverain nominal. Le roi de France pourrait fortifier telles places qu’il lui conviendrait et y entretenir les troupes jugées nécessaires. Le duc-roi recevrait le serment de fidélité de ses nouveaux sujets, mais, en même temps, il le ferait « prester éventuel au nom de Sa Majesté très chrétienne ».

Stanislas ne touchant pas directement les revenus des deux duchés, le gouvernement français s’engageait à lui verser, comme une sorte de liste civile, une somme de 1 500 000 fr., qui serait portée à 2 000 000 à la mort du grand-duc de Toscane, auquel devait succéder François III.

Que restait-il du pouvoir ducal au roi de Pologne ? A peu près rien, sinon les vains honneurs de la signature. On lui appliquait déjà la formule des régimes parlementaires : « Le roi règne et ne gouverne pas ».

Seulement, il n’y avait pas de Parlement, et le pouvoir, resté absolu comme au temps de Léopold, était exercé en réalité par les ministres du gouvernement français et par leur délégué.

Le choix du haut fonctionnaire destiné à gouverner au nom de Stanislas fut significatif. Les ministres de Louis XV imposèrent un homme à eux, l’intendant de la Picardie, Chaumont de La Galaizière, administrateur d’un rare talent, mais connu surtout par son énergie et son inflexible sévérité. Le duc-roi, qui avait eu un autre personnage en vue, ne résista point et docilement nomma La Galaizière, chancelier de Lorraine et de Bar, garde des sceaux, chef des conseils, avec les attributions les plus étendues d’un intendant de province.

Le 28 janvier 1737, ce véritable maître des deux duchés vint à Nancy, porteur de lettres patentes et procéda à la prise de possession. Stanislas se présenta lui-même en personne le 3 avril suivant, et fut bientôt rejoint par la reine Catherine Opalinska.

Le duc-roi fut bien accueilli. La haute noblesse surtout, vit avec plaisir se reformer une cour dont elle occuperait les dignités et les charges. Il y eut cependant quelques défections. Un certain nombre de seigneurs, et entre autres le prince de Craon et le marquis de Stainville-Choiseul, suivirent François III en Toscane. D’autres passèrent en France, entrèrent à la cour ou dans l’armée. La petite noblesse, se voyant d’abord négligée, alla bouder dans ses châteaux. La bourgeoisie se montra peu empressée, attendant sans doute, pour adopter une attitude, de savoir ce que serait le gouvernement de ces étrangers.

Stanislas s’efforça de retenir auprès de lui les hommes distingués des deux règnes précédents et regretta vivement que des savants comme Jameray-Duval et Vayringe prissent, malgré toutes ses instances, le chemin de Florence ou de Vienne.

Ce qui fit mauvaise impression, ce fut, lorsque Stanislas forma sa maison, de le voir distribuer les principales charges de la cour à des seigneurs polonais ou à des Français qu’il avait connus à Meudon. Il resta peu de chose pour les Lorrains.

Quant à La Galaizière, laissant au roi de Pologne les soins d’apparat et le plaisir de se faire aimer, il s’attacha à remplir sa mission propre, qui était de transformer en province française, la Lorraine indépendante.

Il ne craignit pas de heurter de front les préjugés, les défiances, les antipathies. Il alla droit son chemin sans s’arrêter aux plaintes, aux protestations, brisant au besoin les résistances. Il avait, ce semble, à un haut degré le sentiment de son devoir politique, mais peut-être aussi avait-il la main trop rude et, sans souci suffisant des transitions, ne tenait-il pas assez compte des susceptibilités naturelles et des douleurs légitimes de la fière petite nation qu’il était chargé d’agréger à la France. Il était de l’école du cardinal de Richelieu.

L’administration débuta habilement. Elle fit tomber les barrières qui séparaient la Lorraine de l’État français, en décidant qu’à l’avenir les Lorrains seraient traités en France sur le même pied que les régnicoles, et seraient aptes à posséder tous offices et bénéfices sans être obligés de prendre des lettres de naturalité. Par réciprocité, les Français seraient admis aux mêmes avantages en Lorraine. C’était le commencement de la fusion.

Le tort du chancelier fut de toucher à tout précipitamment. Il se proposait de simplifier les rouages administratifs et de supprimer tous les abus. Dans les nombreuses mesures qu’il prit, il y en eut de bonnes et il y en eut de vexatoires, un peu pêle-mêle.

On les critiqua toutes amèrement, parce qu’on y vit un système arrêté de tracasseries despotiques.

Il remplaça la peine usitée du bannissement par les galères du roi, ce qui pouvait donner lieu à des rigueurs arbitraires et disproportionnées. Il supprima nombre d’offices et d’emplois de finances pour introduire l’économie dans les services publics. Il remplaça la maréchaussée mal organisée par une autre, armée, disciplinée, habillée à la française. Il la fit commander par un grand-prévôt ayant ses quatre lieutenants à Nancy, Bar, Épinal et Sarreguemines, qui formèrent un tribunal prévôtal indépendant de la Cour souveraine et chargé de juger sommairement les vagabonds, les repris de justice, les gens sans aveu. Il compléta la défense de l’ordre public en prescrivant d’essarter (éclaircir) sur une largeur de vingt-cinq toises de chaque côté les futaies et taillis bordant les routes, pour empêcher les voyageurs d’être assaillis à l’improviste par les brigands embusqués.

Ce qui fut plus discutable, c’est que, se défiant des associations populaires, il supprima partout les compagnies d’arquebusiers et de buttiers, et interdit à tous, sauf aux nobles, de porter ou même de détenir des armes à feu.

Le murmure allait grandissant, lorsque La Galaizière poussa à bout les classes riches en touchant à la grande propriété. Un arrêt du conseil des finances du 18 septembre 1738, confirmé et aggravé par une déclaration du 21 mai 1739, importa en Lorraine les usages des provinces de France concernant l’exploitation des bois et forêts, en vertu desquels l’État se réservait les bois propres au service de la marine.

Les propriétaires, à peu près tous nobles, qui avaient jusqu’alors joui, usé et abusé de leurs futaies, protestèrent contre cette restriction. Ils tinrent des réunions agitées et bientôt, passant des questions de gruerie à toutes les branches de l’administration, dressèrent un acte général d’accusation contre La Galaizière.

Ils allèrent se plaindre au chancelier lui-même. Celui-ci les reçut avec une fierté égale à celle qu’on lui montrait et les congédia en les traitant de factieux. Ce fut une guerre déclarée. La Cour souveraine se prononça pour les propriétaires, refusa d’enregistrer les nouveaux règlements, présenta au duc-roi des remontrances. Le Conseil d’État au contraire soutint le chancelier.

Stanislas essaya d’apaiser le différend et entama de longues négociations. Mais le ministre, pour en finir, envoya en exil à Bruyères le sieur Collignon, comte de Malleloy, le principal instigateur de la résistance, et fit donner aux magistrats l’ordre formel d’enregistrer sans nouveau délai. Ils obéirent et enregistrèrent « du très exprès commandement du roi » (18 février 1740).

La noblesse ne désarma point si facilement. Elle continua la lutte, ne cessant d’entretenir le roi de Pologne de ses griefs et le priant d’intervenir. Stanislas, qui s’était lié les mains par sa déclaration de Meudon, ne pouvait rien imposer ni interdire à son chancelier qui était le véritable chef du gouvernement.

Du reste, La Galaizière, qui n’était pas seulement un ministre impérieux et hautain, mais aussi, au besoin, un courtisan souple, délié, spirituel, s’était appliqué dès le début à gagner la confiance et les sympathies personnelles du prince. Stanislas ne voulant ou n’osant pas prendre parti, dans son embarras de viager, conseilla aux nobles de s’adresser au nu-propriétaire, c’est-à-dire au cabinet français. Il leur donna même des lettres d’introduction auprès des ministres.

Les députés lorrains furent accueillis avec honneur à Versailles. On les écouta, on les combla de belles paroles et de promesses. Mais, en définitive, on ne leur donna satisfaction sur aucun point. Pouvait-on désavouer le chancelier qui, après tout, ne faisait qu’exécuter un peu rudement ses instructions !

Les gentilshommes prirent alors un parti qui ne s’accordait guère avec le serment de fidélité prêté par eux au nouveau régime. Ils dressèrent un mémoire de leurs griefs et l’adressèrent, par l’entremise du marquis de Choiseul-Stainville, à François III, leur ancien souverain, on réclamant sa protection.

Ils protestaient de leur affection et de leur dévouement pour le roi Stanislas, se déclarant prêts à sacrifier leurs biens et leur vie pour son service. Mais ils dénonçaient en termes indignés, le despotisme du chancelier, les bouleversements qu’il opérait, la violation de leurs droits séculaires. On est surpris de voir combien ils ont peu le sentiment des temps nouveaux, lorsqu’on lit que l’un des principaux objets de leurs plaintes était « qu’il n’y a presque plus de seigneurs hauts-justiciers en Lorraine ». Ils prétendent cependant ne pas obéir à un esprit de caste, et se flattent de parler au nom des trois ordres de l’État, mais il est bien certain que le Tiers tout au moins, n’avait pas été appelé à délibérer dans les réunions préparatoires.

On ne sait pas si François III lut le mémoire et ce qu’il en pensa. Mais, au moment où la noblesse lorraine s’efforçait d’ébranler l’odieuse prépotence du chancelier, les événements fournirent à celui-ci l’occasion de consolider et d’accroître son crédit.

L’empereur Charles VI était mort le 20 octobre 1740, quelques mois après l’avènement au trône de Prusse de Frédéric II. En vertu de sa pragmatique sanction acceptée par tous les états de l’Europe, sa succession semblait sûrement acquise à sa fille Marie-Thérèse, l’épouse de François de Lorraine. La couronne impériale étant élective, n’était pas comprise dans l’héritage et l’électeur de Bavière se porta candidat, mais en même temps, il revendiqua les domaines héréditaires. D’autres prétendants s’apprêtèrent à en arracher quelques portions.

Frédéric II, sans se préoccuper de son Anti-Machiavel, agit le premier et envahit la Silésie. En France, le pacifique cardinal de Fleury fut entraîné par le maréchal de Belle-Isle, petit-fils de Fouquet, que soutenait l’opinion, et prit parti pour l’électeur de Bavière, qui fut élu empereur sous le nom de Charles VII.

Nous n’avons pas à retracer les détails de cette guerre dite de la succession d’Autriche. Nous en retiendrons pourtant un incident, parce que nous y trouvons un des plus glorieux noms de la Lorraine.

L’armée française, d’un premier élan, avait pénétré jusqu’en Bohême. La capitale, Prague, fut enlevée par surprise grâce à l’héroïque hardiesse du lieutenant-colonel Chevert, « officier né à Verdun dans les rangs du peuple et qui était la vertu même dans un temps corrompu ». Les Français furent obligés d’évacuer la Bohême. Chevert, laissé à Prague avec un petit nombre d’hommes presque invalides, repoussa toutes les attaques et lorsque, ses soldats affaiblis au point de ne pouvoir plus porter leurs armes, il fut sommé de se rendre à discrétion : « Dites à votre général, répondit-il au parlementaire autrichien, que s’il ne m’accorde pas les honneurs de la guerre, je mettrai le feu aux quatre coins de Prague et m’ensevelirai sous ses ruines ». La capitulation fut signée.

Le cardinal Fleury, recevant coup sur coup de mauvaises nouvelles, s’abandonna au désespoir. Il écrivit à Belle-Isle de faire la paix à tout prix. Mais, dans une lettre d’une inconcevable humilité, il descendit au plus honteux désaveu de la politique de la France, et dénonça son propre négociateur comme le seul auteur de la guerre. Marie-Thérèse fit publier la lettre et livra à la risée de l’Europe le malheureux vieillard qui n’avait d’excuse que son grand âge. Il en mourut quelques mois après, dans sa quatre-vingt-dixième année, le 30 janvier 1743.

La Lorraine éprouva le contre-coup des événements. Elle fournit des contingents à l’armée française. Lorsque l’électeur de Bavière eut été chassé de ses États par Marie-Thérèse, la guerre se rapprocha des deux duchés. Le prince Charles-Alexandre, frère de François III, annonça qu’il venait reconquérir l’héritage de ses pères. Il avait des partisans dans les Vosges. La nuit, on apercevait de grands feux sur le Donon et sur d’autres hauteurs.

Marie-Thérèse, oublieuse du traité de Vienne, lançait des proclamations pour annoncer le retour du souverain légitime. En 1744, Charles-Alexandre, qui avait passé le Rhin à Spire, se crut si sûr d’un prochain succès, qu’il faisait dire courtoisement à Stanislas de continuer à résider dans le château de Lunéville, lui-même devant volontiers se contenter du petit château qu’il avait fait construire au temps de la régence de sa mère.

Il fallait que le roi eût bien vieilli, car ce fut en vain que La Galaizière lui représenta que son honneur, comme ses obligations de souverain, lui faisaient un devoir de ne pas déserter sa résidence.

Il oublia qu’il avait été le héros de Danzig et de dix batailles et, après avoir envoyé la reine à Versailles, il chercha lui-même un abri sûr derrière les murailles de Metz que le chancelier avait garnies de canons.

Au milieu de l’effarement général, La Galaizière seul ne perdit pas la tête. Il garda tout son sang-froid et, avec une activité qui égalait son énergie, il s’occupa de la défense, il fut le vrai duc. Il fit appel aux milices, enrégimenta les ouvriers des salines en leur donnant des cadres français, il pourvut de garnisons les places les plus menacées, il ferma avec des travaux en terre et des abatis d’arbres, les passages qui pouvaient ouvrir accès dans la province. Son frère, Chaumont de Mareil, le seconda de sa personne et alla faire le coup de feu aux avant-postes. Son régiment, le Royal-Lorraine, y perdit les deux tiers de son effectif.

Maurice de Saxe loua très haut les habiles dispositions prises par le chancelier. Du reste, l’armée autrichienne recula à la nouvelle que Louis XV arrivait de Flandre avec des forces considérables et, d’autre part, une invasion de Frédéric en Bohême força le prétendant Charles-Alexandre à s’éloigner.

Louis XV, arrêté à Metz par une grave maladie qui donna lieu à des manifestations d’amour populaire dont il s’étonna à bon droit, vint achever sa convalescence à Lunéville.

Dans les années suivantes, la guerre s’éloigna des frontières de la Lorraine. La journée la plus célèbre fut cette bataille de Fontenoy gagnée, sous les yeux du roi et du dauphin, par Maurice de Saxe sur les Anglais, ce qui en fit doublement un triomphe national (11 mai 1745).

Le 13 septembre de la même année, Marie-Thérèse toucha au but qu’elle poursuivait ardemment depuis cinq années. Son adversaire, l’empereur Charles VII de Bavière, étant mort, elle parvint à faire élire son incolore époux sous le nom de François Ier. La couronne impériale ne devait plus sortir, jusqu’en 1806, de la seconde maison d’Autriche dite maison de Habsbourg-Lorraine, ou, ce qui serait plus exact, de Lorraine-Habsbourg.

La lutte n’avait plus d’objet. Il fallut cependant encore plusieurs campagnes pour la terminer. Les victoires du maréchal de Saxe et du comte de Lœwendal à Raucoux, à Lawfeld, à Berg-op-Zoom et à Maestricht amenèrent enfin la paix qu’on signa à Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748.

A la pacification, la Lorraine retrouva pour son agriculture, les bras qui lui manquaient. Elle avait été traitée comme si elle avait été déjà une province du royaume.

La Galaizière en avait tiré des sommes énormes pour l’entretien des troupes royales et leur approvisionnement. Les Lorrains étant classés depuis longtemps parmi les meilleurs soldats de l’Europe, on avait multiplié les levées dans le pays. Les bataillons de milice avaient été incorporés dans l’armée française et y avaient formé plusieurs régiments d’élite, entre autres le Royal-Lorraine et le Royal-Barrois. Les effectifs, tenus au complet et grossis par de nombreux volontaires, avaient enlevé au pays environ vingt mille hommes. Les campagnes en souffrirent beaucoup : « On voyait, dit Durival, à la suite de nos charrues des vieillards, des femmes, des enfants ».

Le recrutement, excessif peut-être, se faisait par ordre supérieur du ministère français, mais à la grande satisfaction du chancelier qui en tirait de sérieux avantages pour sa politique d’unification, le mélange des Lorrains et des Français sur le champ de bataille avançait son oeuvre. Ce n’est pas en vain que l’on suit le même drapeau, que l’on combat côte à côte, qu’on sert la même cause, qu’on partage les mêmes succès ou les mêmes revers. La fraternité des camps favorisait et hâtait la fusion des deux peuples.

En rentrant dans leurs villes et dans leurs villages les soldats lorrains y rapportaient l’esprit français.

La Galaizière sortit de cette guerre affermi dans son autorité et grandi dans l’opinion. Ses adversaires les plus passionnés n’avaient pas pu fermer les yeux sur ses qualités d’homme d’État. Son sang-froid, sa résolution, son activité avaient tout sauvé, lorsque tout paraissait perdu et que l’ennemi se flattait d’être secondé par ce que nous appellerions une chouannerie lorraine.

On avait pu répandre des proclamations enflammées, faire appel au souvenir des ducs nationaux, multiplier sur les ballons des Vosges les signaux de l’insurrection populaire, mais sous l’oeil vigilant et ferme de l’imperturbable chancelier, personne n’avait bougé. Des écrits parurent dans le public pour exciter la Lorraine à prendre parti pour la reine de Hongrie. Ces écrits ne produisirent pas le moindre mouvement sur un peuple qui ne confondait pas le devoir et la reconnaissance.

On ne manqua pas de rire, lorsqu’on vérifia que les signaux établis sur le Donon en vue, disait-on, d’un soulèvement national, étaient les observatoires de Messieurs de l’Académie des sciences pour des opérations trigonométriques.

Le gouvernement français récompensa les services de La Galaizière. Sa famille fut comblée de faveurs. Un de ses frères, de Chaumont de Lucé, fut nommé envoyé de France près du roi de Pologne. Un autre, de Chaumont de Mareil, qui s’était fort distingué pendant la guerre fut promu maréchal de Camp. Le plus jeune de ses fils, enfant de sept ans, fut pourvu de la riche abbaye de Saint-Mihiel. Lui-même reçut des dons considérables, puisqu’il fut à même d’acheter de belles terres qu’on érigea en comté.

Ses adversaires n’en furent que plus acharnés contre lui. On continua à lui faire la guerre de libelles : c’était la presse du temps. Tous ses actes étaient travestis et dénoncés comme les attentats de la tyrannie. C’est ainsi qu’on se plaignit à grand éclat de la construction de cette belle route qui traverse le fond de Toul, près de Nancy, et, dit l’historien Digot qui pourtant ne le ménage guère, « on fit un crime à M. de La Galaizière d’avoir formé une entreprise que l’on aurait portée aux nues si elle avait été exécutée par Léopold ».

C’est ainsi encore que le chancelier ayant aboli les douanes entre les duchés et la France pour faciliter le commerce des grains (1754) et supprimé les droits qui grevaient les céréales d’une province à l’autre (1756), on accueillit par des critiques acerbes des mesures si libérales. C’était un parti pris : la passion politique aveuglait les plus intelligents.

Cette opposition, qui d’ailleurs ne troublait guère l’impassible ministre, se concentra peu à peu dans la Cour souveraine. Cette sorte de parlement lorrain formait comme un second degré dans la noblesse et en partageait les passions. Les magistrats se faisaient les interprètes de leurs amis et fatiguaient le duc-roi de leurs remontrances. Le bon Stanislas les écoutait avec douceur, plaidait parfois pour eux auprès du terrible réformateur, puis, excédé de leur insistance, les renvoyait au cabinet de Versailles qui était le véritable gouvernement.

Les observations de la Cour n’étaient pas toujours sans fondement. Il faut remarquer à son honneur qu’elle se fit l’organe du bien public, lorsqu’elle réclama contre les procédés violents de la maréchaussée, contre la corvée, le plus détestable des abus de l’ancien régime, contre la violation criante de la liberté de conscience. La Galaizière, se conformant à un mandement de l’évêque de Toul, prétendait écarter des lits, des malades des confesseurs soupçonnés de jansénisme.

De toutes ces querelles sans cesse renaissantes, la plus sérieuse et la plus bruyante fut celle que suscita la taxe du second vingtième.

Au sortir de la guerre de la succession d’Autriche, le gouvernement français, à bout de ressources financières, avait établi un impôt du vingtième sur les revenus. Cet expédient n’ayant pas comblé le gouffre et la guerre de Sept ans menaçant de l’élargir, le ministère prescrivit la levée d’un second vingtième. La Galaizière fit publier l’édit en septembre 1757. Si l’on se reportait aux termes du traité de Vienne, la Lorraine, qui n’était pas encore province française, ne devait rien en dehors des anciennes taxes. L’opinion fut unanime pour protester contre l’exaction.

La Galaizière avait le tort d’agir aveuglément comme mandataire du cabinet français. Avec un peu plus d’indépendance d’esprit et un plus juste sentiment de son rôle, il aurait cherché et proposé une transaction. Mais il ne se départit pas de sa raideur ordinaire, et prétendit exiger l’enregistrement de l’édit. La Cour souveraine refusa nettement et adressa au roi de Pologne des remontrances dans lesquelles elle invoquait avec force les droits de la nationalité, faisait le tableau de la misère publique et concluait à l’impossibilité de rien ajouter aux charges existantes.

Stanislas répondit avec bonté et, comme à l’ordinaire, confessa son impuissance et renvoya les magistrats au gouvernement qui allait devenir dans quelques années le maître définitif. La Cour souveraine fit porter à Versailles ses remontrances en y ajoutant de longs éclaircissements (février 1758). La Galaizière, de son côté, envoya un mémoire explicatif.

Les négociations se prolongèrent. La Galaizière s’animait de plus en plus. Le 24 avril, à son instigation, Stanislas appela au château d’Einville, le premier président et trois conseillers. Les magistrats, touchés par ses instances et ses promesses, offrirent de transiger et proposèrent une somme d’un million à titre d’abonnement, mais sous la réserve que cette contribution serait levée et répartie par des commissaires tirés de la Cour. Le chancelier se récria et repoussa cette immixtion insolite de la magistrature dans l’administration. Quatre jours après, le premier président reçut une lettre de cachet l’invitant à se rendre à Lunéville avec un président à mortier, douze conseillers et le greffier porteur des registres. On voulait tenir un lit de justice comme ceux des rois de France.

La cour s’assemble, les conseillers déclarent d’une voix unanime qu’ils ne se rendront pas à la convocation. On rédige de nouvelles remontrances. Le roi et La Galaizière refusent de les lire. L’effervescence s’accroît. Le public se passionne en faveur des courageux défenseurs du droit national. Mais le chancelier s’obstine. Il mande à Lunéville le premier président avec un président à mortier et le greffier. On les introduit au Conseil d’État et, séance tenante, l’édit est enregistré en violation de toutes les formes. Quelques jours après, on commençait la levée du vingtième.

La Galaizière ne se tint pas encore pour satisfait. Il frappa ses ennemis dans leurs personnes : onze conseillers furent envoyés en exil. Mais alors, violent tumulte. Les magistrats, se déclarent tous solidaires. Les avocats prennent fait et cause pour eux et refusent de plaider. Les audiences cessent, l’administration de la justice est interrompue. Stanislas affligé, céda à la voix publique, il rappela les magistrats exilés à l’exception des trois les plus compromis. On les remplaça par trois nouveaux conseillers, qu’on espérait plus dociles.

La Cour souveraine protesta vigoureusement, formula tous ses griefs dans un nouveau mémoire et, se prenant corps à corps avec La Galaizière, le dénonça comme l’auteur de tous les troubles et exalta en termes chaleureux le courage des trois exilés, victimes de leur devoir pour avoir résisté aux abus du pouvoir et à l’arbitraire. On stigmatisa ses exactions et ses violences qui n’avaient pas même l’excuse des intérêts français parce qu’ils étaient souvent, disait-on, des actes d’avidité personnelle.

La Galaizière en effet, n’était pas désintéressé. Il avait imposé des corvées à plus de deux cents communautés pour rebâtir son splendide château de Neuviller et avait ouvert à grands frais une nouvelle route, inutile à la population et n’ayant d’autre but que de faciliter les communications avec ses terres à lui.

On peut dire que la lutte revêtit un caractère national. La vieille Lorraine tout entière se leva pour soutenir la Cour. Les libelles les plus violents surchauffèrent l’opinion. On alla jusqu’à répandre deux mandements attribués à l’évêque de Toul et qui exhortaient les diocésains à fléchir le ciel par leurs prières pour être délivrés du fléau, c’est-à-dire du chancelier.

Pour en finir, une délégation partit pour Versailles. Le bâtonnier de l’ordre des avocats et deux députés de la noblesse s’y joignirent. Le grand procès fut plaidé devant les ministres. Cette fois, La Galaizière eut le dessous. Un Lorrain, le célèbre duc de Choiseul, venait d’arriver au pouvoir. Il prêta l’oreille au cri de ses amis et de ses compatriotes.

Les ministres décidèrent que, par égard pour le roi de Pologne, la Cour souveraine enregistrerait régulièrement l’édit des deux vingtièmes, mais qu’immédiatement cet impôt serait remplacé par un abonnement de douze cent cinquante mille livres de Lorraine.

Le chancelier s’inclina, mais ce qui le blessa cruellement, c’est que les trois magistrats exilés, ses ennemis mortels, regagnèrent leurs sièges au milieu d’une ovation populaire. Le plus violent des trois, M. de Chateaufort, fut reçu à quelque distance de Nancy par un nombreux cortège de cavaliers et reconduit à travers une foule immense à son logis. La nuit, toutes les maisons, les églises, les monastères furent illuminés. Seuls les pères jésuites, amis de La Galaizière et déjà menacés par Choiseul, ne prirent point part à la manifestation (1758).

Stanislas fit comme les jésuites et se prononça pour son chancelier. Il s’appliqua à le consoler de son échec et lui prodigua des témoignages d’estime et d’affection. Il fit épouser à son fils Mle de Bassompierre, l’une des plus riches héritières du pays et l’investit des fonctions d’intendant de Lorraine qui jusque-là avaient été réunies à celles de la chancellerie.

La Galaizière et la Cour souveraine se heurtèrent plus d’une fois encore. Le chancelier ne se tenait point pour vaincu. S’il mettait peut-être un peu plus de moelleux dans ses rapports, il n’en maintenait pas moins fermement son droit. C’est ainsi qu’en 1762, la Cour ayant protesté contre l’installation d’un conseiller dans l’un des trois sièges créés en 1758, il n’hésita pas à envoyer en exil six des magistrats opposants qui n’obtinrent leur rappel qu’après lui avoir écrit des lettres d’excuses.

Il est difficile de faire la part du duc-roi dans le gouvernement. L’initiative des affaires politiques et administratives, ce n’est pas douteux, était prise par La Galaizière. Mais le chancelier respectant la fiction légale, comme un ministre constitutionnel, n’entreprenait rien, sans s’être assuré de son agrément. Il possédait sa confiance et même son affection, il avait l’art de lui persuader qu’il obéissait à ses inspirations et se couvrait au besoin de sa personne. Le peuple lorrain ne s’y trompait pas et ne rendait pas responsable le roi débonnaire des brutalités dictatoriales de son chancelier.

Stanislas avait d’ailleurs son propre domaine où il se plaisait à exercer son activité personnelle : c’était tout ce qui touchait aux sciences, aux lettres, aux arts, à l’instruction publique, à la charité. C’est là qu’il acquit ses meilleurs titres à son incontestable popularité. Sa cour faisait songer à celle des princes du XVIe siècle qui jetèrent tant d’éclat sur la décentralisation italienne.

Son palais de Lunéville était une réduction de celui de Versailles. On y trouvait un brillant personnel, cinq grands-officiers, un grand-aumônier, seize gentilshommes de la chambre, une multitude d’officiers de toutes sortes, y compris soixante-trois musiciens et chanteurs. Il avait une compagnie de gardes du corps, une compagnie de cadets composée de vingt-quatre gentilshommes polonais et de vingt-quatre lorrains. Un intendant intelligent et attentif, le sieur Alliot, qui détesta Voltaire et tenta de l’évincer par de misérables vilenies, réglait la dépense et maintenait un ordre strict dans cette royale maison. La reine Catherine Opalinska en faisait les honneurs, et après sa mort (décembre 1747) elle fut remplacée, au grand déplaisir du confesseur, le père Menou, par la marquise de Boufflers, femme de beaucoup de grâce et d’esprit, mais de moeurs trop faciles.

D’ailleurs, si Stanislas avait multiplié les charges de cour, ce n’était pas par ostentation, mais uniquement pour récompenser de vieux amis et en gagner de nouveaux. La plupart n’étaient soumis à aucun service. Il vivait dans la plus grande simplicité, bannissait l’étiquette et le cérémonial. On eut dit la maison d’un riche gentilhomme.

S’il n’avait pas toutes les vertus, comme le disaient les flatteurs et les panégyristes, il en avait une essentielle, la bonté, qui, avec l’âge, devint de la bonhomie. Accessible à tous, sans morgue ni hauteur, la main ouverte aux infortunes, enjoué, spirituel, conteur charmant, il entretenait la vie, la gaieté, la bonne humeur autour de lui.

Il avait un goût très vif pour les arts. Comme le bon roi René, il aimait à peindre et y réussissait honnêtement. Il se passionna surtout pour l’architecture, ce qui est pour un prince la meilleure manière de recommander son nom à la postérité. Il fit et défit un grand nombre d’édifices.

Il agrandit et embellit le château de Lunéville, déjà construit et reconstruit par le duc Léopold, et y ajouta les magnifiques jardins dits les Bosquets. Il démolit la chapelle des Bourguignons, devenue trop étroite, mais il la releva tout aussitôt sous le vocable de Notre-Dame-de-Bon-Secours. Ce sanctuaire, encore aujourd’hui l’un des plus vénérés de la Lorraine, continuait à rappeler les victoires de René II, et était en outre destiné à recevoir les tombeaux de la reine Catherine Opalinska et du roi Stanislas lui-même. Le peintre Provençal en décora les voûtes de peintures estimées.

De même, il abattit le château de la Malgrange, oeuvre de Germain Boffrand restée inachevée, pour le rebâtir quelques années après et en faire une délicieuse résidence d’été. En 1744, la mort de la duchesse douairière Elisabeth-Charlotte lui rendit la disposition du beau château de Commercy. Il en remania l’ordonnance et y fit exécuter de nombreux travaux.

Mais ce fut surtout dans sa capitale, Nancy, qu’il donna l’essor à sa passion d’édificateur. Il reprit au palais ducal les travaux de Léopold, acheva la démolition de la collégiale Saint-Georges et bâtit ce qu’on appelle encore aujourd’hui le palais du Gouvernement. Il créa cette admirable place Royale, dite maintenant de Stanislas, que prolongent si heureusement l’Arc de triomphe et la Carrière. C’est à lui qu’on doit la place d’Alliance, les portes monumentales de Sainte-Catherine et Stanislas, la maison des Missions royales, devenue de nos jours le grand Séminaire.

Il eut la bonne fortune de rencontrer, pour l’exécution de ses travaux, des artistes du plus rare mérite, les architectes Héré et Mique, le serrurier de génie Jean Lamour, les sculpteurs Cyfflé, Guibal, Glodion, les frères Adam, Vassô, les peintres Provençal, Joly, Jean Girardet.

Son oeuvre fut magnifique. Il put s’en glorifier à bon droit : c’est par elle surtout qu’il effaça presque le souvenir de ses prédécesseurs. Les Lorrains ne lui marchandèrent pas leur gratitude, malgré leur attachement à la dynastie nationale. Dans sa pensée, la place Royale devait servir d’encadrement à la statue de Louis XV, son gendre, dont lui seul ignorait l’indignité. Lorsqu’il vint, le 26 novembre 1755, entouré d’un brillant cortège, présider à la dédicace, tout un peuple lui fit fête avec un enthousiasme sincère. La statue de Louis XV fut détruite en 1798, et remplacée par une statue de Stanislas lui-même en 1835.

Toutefois, il se passa un incident dont on se garda sans doute de parler au roi de Pologne. Vers le soir, un groupe de vieux Lorrains se forma sur la place du Marché et, musique en tête, se rendit dans la rue Saint-Dizier, devant une maison qui avait sur sa façade un buste du duc Léopold, existant encore aujourd’hui à la même place, et chanta sur de vieux airs du pays, les louanges du duc national.

Stanislas se piquait aussi de littérature et de philosophie, il visait surtout au renom de moraliste. Il composa un assez grand nombre d’écrits, d’ailleurs médiocres, qui, peu de temps avant sa mort, furent réunis en quatre volumes sous le titre général de : « Oeuvres du Philosophe bienfaisant ».

Il attirait à sa cour et y retenait par son aimable accueil les écrivains et les savants. Montesquieu et le président Hénault furent ses visiteurs et louèrent le charme de cette maison royale. On y vit passer le savant historien de l’Alsace Schoepflin, le bénédictin dom Calmet, abbé de Senones, le philosophe Helvétius, qui était fermier général et qui épousa Mle de Ligniville, de l’aristocratique maison de ce nom, un des quatre grands chevaux, Maupertuis, le géomètre que Frédéric II nomma président de son académie de Berlin et dont les cruelles railleries de Voltaire n’ont pas détruit la renommée scientifique.

Voltaire lui-même fit une éclatante apparition à Commercy, à Lunéville et à la Malgrange. Il était accompagné de son amie, Mme du Chatelet, une femme de génie, mais exemple scandaleux de l’indulgence du siècle pour l’irrégularité des moeurs. Le roi du siècle fut l’enchantement de la petite cour polonaise. Ravi des honneurs dont on l’entourait, de l’empressement des plus grands seigneurs et des plus charmantes femmes qui jouèrent devant lui, Mêrope, Brutus et Zaïre, et des marques d’amitié autant que d’admiration que lui prodiguait le roi de Pologne, il paya largement son hospitalité en déployant sans compter toutes les ressources de son merveilleux esprit, de sa gaieté, de son entrain.

Il composait de petites pièces de circonstance, dans lesquelles il tenait un rôle, il lisait à ses hôtes ses poésies légères, ses romans et entre autres Zadig. C’est au milieu des fêtes, prolongées pour le retenir, que Voltaire fut frappé, à Lunéville, du plus cruel chagrin de sa vie : Mme du Châtelet mourut le 10 septembre 1749. Stanislas, qui aimait sincèrement Voltaire, lui prodigua les plus affectueuses consolations, mais ne put obtenir qu’il restât auprès de lui. Il quitta Lunéville pour n’y plus revenir jamais. Le roi et le grand écrivain conservèrent toujours l’un pour l’autre les sentiments d’estime et d’amitié qu’ils s’étaient témoignés.

Voltaire visita encore une fois la Lorraine. En 1767, il passa plusieurs semaines à l’abbaye de Senones, où l’attiraient l’érudition et la riche bibliothèque de dom Calmet. Il vécut dans la familiarité des religieux qui, aussi tolérants que doctes, l’aidèrent à rassembler une partie des matériaux de son « Essai sur l’esprit et les moeurs des nations ». Il témoigna par ses respects et par sa déférence, de sa gratitude pour ses collaborateurs.

Plus près de lui, en dehors de ses hôtes de passage, Stanislas groupait à sa cour, mêlés à sa vie de tous les jours, des écrivains de second ordre, qui ne manquaient pas de mérite :  le chevalier de Solignac, son secrétaire des commandements qui retouchait ses écrits, le comte de Tressan, un brillant gentilhomme qui avait été admirable à Fontenoy, maniait la plume aussi bien que l’épée, d’esprit ouvert et curieux, qui était déjà de l’Académie des sciences et fut depuis de l’Académie française (en 1781), le marquis de Saint-Lambert, l’auteur du poème des Saisons, Mme de Graffigny qui se fit un nom avec les Lettres péruviennes, Dovaux, le favori de la petite cour.

Pour assurer aux lettrés et aux hommes d’étude des facilités de travail et un centre de relations, il créa à Nancy (décembre 1750) une bibliothèque qu’il dota convenablement, et y rattacha la fondation de deux prix, l’un pour les lettres, l’autre pour les sciences. La bibliothèque, sur les pressantes instances de Tressan, prit l’année suivante la forme d’une académie, sous le nom de Société royale des sciences et des belles-lettres.

Stanislas en écrivit lui-même les statuts et en désigna les premiers membres entre lesquels on remarque outre Tressan, Solignac et Saint-Lambert, deux jésuites, les pères Menou et Leslie, et deux abbés.

La première séance eut lieu en grande pompe au palais ducal, dans la belle salle des Cerfs, en présence du roi et de toute la cour, le 3 février 1751. On en fit bruit au dehors. Les premiers écrivains de France tinrent à honneur d’y être appelés. Le président Hénault, Montesquieu et son fils le baron de Secondat furent dès le début inscrits sur leurs demandes. Montesquieu envoya son Lysimaque comme discours de réception.

La Galaizière n’avait pas vu d’un bon oeil la fondation de l’académie. Il se défiait de l’esprit qui pouvait se former dans un corps savant. Il craignait d’y trouver les preneurs des anciennes institutions, les défenseurs des préjugés nationaux, en un mot, les tenants de tout ce qu’il était chargé de battre en brèche et de remplacer.

Le chancelier ne tarda pas à reconnaître que ses craintes n’avaient aucun fondement. L’académie fut bien loin d’être un foyer d’opposition ou même d’indépendance. S’il y eut un reproche à faire à la fille de Stanislas, ce fut d’exagérer sa reconnaissance et de garder à l’égard de son fondateur une attitude si humble, si soumise que sa dignité pouvait en être atteinte.

C’est dans la première séance de l’académie que, sur la motion de l’un de ses membres, M. Thibault, lieutenant-général de police, on décerna au roi Stanislas le surnom de Bienfaisant, que la postérité lui conserve.

Il méritait et mérita de plus en plus l’honneur qui lui était fait. Sa libéralité ne se lassa jamais, il sut toujours trouver dans un revenu limité (environ six millions d’aujourd’hui) des ressources pour faire le bien sous toutes les formes.

Il fondait des lits dans les hôpitaux, il agrandissait Plombières, il ajoutait des bâtiments à Saint-Julien de Nancy, il rebâtissait Saint-Dié à moitié consumé par un incendie (1757), il multipliait les greniers d’abondance, déjà inaugurés par Léopold, il dotait la belle institution des frères de Saint-Jean de Dieu, il créait l’assistance judiciaire sous forme d’une chambre de consultation.

L’instruction publique fut l’objet de ses soins. Il ouvrit des écoles populaires qu’il confia aux frères de la doctrine chrétienne. Il créa des bourses à l’Université de Pont-à-Mousson et à l’académie de Lunéville. Il fonda à Nancy le collège royal de médecine, lui donna une bibliothèque et le pourvut d’un jardin des plantes.

C’est donc à bon droit qu’on célébra sa bienfaisance. Sa popularité ne fut pas factice, elle est restée durable parce qu’elle était le résultat légitime et la récompense de ses œuvres vraiment royales.

Cependant la vieillesse était venue, avec son cortège de tristesses. La suppression en France de l’ordre des Jésuites lui causa un vif chagrin. Il continua à protéger ceux de ces religieux qui vivaient déjà dans les deux duchés, et il ouvrit un asile à ceux du dehors.

En décembre 1765, la mort de son petit-fils le Dauphin, le père des trois princes qui furent depuis, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, le frappa au coeur. Sa santé était ébranlée. Envahi par une obésité énorme, il pouvait à grand’peine se mouvoir.

Il ne donnait plus de fêtes. La noblesse de cour désertait, cédant de plus en plus à l’attraction de Versailles. C’étaient de modestes bourgeois qui venaient faire sa partie de tric-trac.

Le 5 février 1766, un accident mit le feu à sa robe de chambre. On entendit trop tard ses cris. Après de longues et cruelles souffrances, supportées avec un héroïque enjouement, il expira le 23 février.

Le lendemain, 24 février 1766, La Galaizière, muni depuis plusieurs mois de pouvoirs spéciaux, se rendit à Nancy, réunit la Cour souveraine et, solennellement, proclama la réunion définitive à la France des duchés de Lorraine et de Bar.

Les duchés de Lorraine et de Bar formaient désormais une province française. Un seigneur lorrain, le maréchal comte de Choiseul-Stainville, en fut nommé gouverneur. La dictature du chancelier La Galaizière n’avait plus de raison d’être, il rentra à Versailles, mais son fils fut maintenu comme intendant.

La Cour souveraine devint le Parlement de Lorraine et étendit même sa juridiction sur les trois évêchés, au détriment de Metz qui perdit momentanément son parlement fondé par Louis XIII, parlement rétabli après la mort de Louis XV.


Archive pour 18 février, 2011

François III (1729-1737)

 

 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

A la mort de Léopold, nous pouvons dire « finis Lotharingiæ ». Il est bien le dernier duc national. Son fils mériterait à peine de compter dans la série.

François III résidait à Vienne depuis six ans. L’empereur Charles VI avait voulu le garder près de lui pour veiller sur son éducation. Il lui destinait la main de sa fille aînée, l’archiduchesse Marie-Thérèse.

Le testament de Léopold avait constitué un conseil de régence, dont le membre principal devait être le prince de Craon, et dont la Duchesse était exclue. Mais le Conseil d’État cassa le testament du Duc, comme le parlement de Paris avait cassé celui du roi Louis XIV. La Duchesse fut investie de la régence avec la plénitude des pouvoirs. François III qui ne paraissait pas pressé de voir ses sujets, confirma la régence à sa mère, approuva les choix qu’elle avait faits pour les membres de son conseil, mais lui recommanda de ne rien décider sans avoir consulté MM. Le Dogue et Fischner. Ce dernier était un Allemand qu’il lui avait envoyé de Vienne.

La régente et ses conseillers firent rendre gorge aux favoris du dernier règne. Le prince de Craon perdit ses fonctions de grand écuyer et restitua en partie les donations qu’on lui avait prodiguées, le président Lefebvre fut privé de son siège an Conseil d’État, le directeur général des finances Masson fut menacé de la prison et gardé à vue. Les concessions détachées du domaine furent révoquées. On supprima beaucoup d’offices inutiles. Les anoblis furent frappés d’une taxe de 1 500 livres.

Le conseil essaya de remettre un peu d’ordre dans les finances, mais le nouveau duc n’y aidait guère. Après avoir exigé un don de joyeux avènement de 800 000 livres, il ne cessait à chaque courrier de réclamer de nouveaux envois d’argent.

Enfin le 29 novembre 1729, après huit mois d’attente, on vit arriver à Lunéville un jeune homme de vingt ans, raide et gourmé, vêtu d’habits démodés, avec une perruque de l’autre siècle, et qui avait l’air d’un pédagogue autrichien. C’était François III.

La déconvenue fut d’autant plus grande, que lorsqu’il avait quitté la Lorraine en 1723, il était un adolescent aimable, plein de vivacité, turbulent et étourdi. Six ans d’éducation autrichienne en avaient fait un Allemand froid, hautain, figé dans sa grandeur.

Il fut à peine convenable avec sa mère, il s’appliqua à tenir tout le monde à distance, il n’avait de familiarité qu’avec quelques subalternes allemands, et passait ses journées à faire de la musique ou à courir les loups dans les bois.

Toutefois, on lui avait aussi inculqué à Vienne le goût du travail et des affaires. Il en avait la compréhension très vive. Il voulut tout voir et vit bien par lui-même. Tout annonçait en lui un souverain distingué, ce qu’il ne fut jamais. Il remit en faveur les vieux conseillers de son père, notamment le prince de Craon et le président Lefebvre.

Le 3 janvier 1730, il fit son entrée solennelle à Nancy, et y fut accueilli avec ces acclamations des foules qui ne font jamais défaut aux nouveaux souverains, surtout lorsque leur jeunesse autorise des espérances.

Le 22 janvier, il rendait la régence à sa mère et partait pour Versailles, où il allait faire hommage pour le Barrois mouvant. Louis XV, avec beaucoup de bonne grâce, épargna à son cousin les formalités les plus désagréables de l’antique cérémonial. François III d’ailleurs sembla dégeler, jeta de côté ses habits surannés et sa longue perruque, adopta les modes nouvelles et se montra ce qu’il était, un prince de vingt ans, aimant le plaisir, goûtant les moeurs et les élégances françaises.

En rentrant à Lunéville, il reprit, avec son accoutrement, cet air rogue qui déconcertait les Lorrains habitués à la familiarité affable de leurs princes.

Il s’isolait de la noblesse lorraine. Ses mauvais procédés éloignèrent de Lunéville, ses parents de la branche cadette. Il était jaloux de son frère cadet, Charles-Alexandre, prince d’élégante tournure, d’un caractère ouvert et sympathique. Cependant, comme il était appliqué aux affaires, qu’il portait une main ferme sur tous les abus, qu’il introduisait une stricte économie dans les services, on appréciait ses qualités un peu sévères et beaucoup se flattaient de retrouver en lui un prince semblable à ce Charles V qu’on n’avait pu admirer et aimer que de loin. Ces belles espérances avortèrent.

Dans les premiers jours d’avril 1731, François annonça qu’il allait rendre visite à l’archiduchesse gouvernante des Pays-Bas, soeur de l’empereur. Il partit en emportant avec lui toutes les pierreries, cent mille livres en or, autant en lettres de change. Il emmena trois Allemands et pas un seul Lorrain. Il ne daigna même pas dire un mot aux nombreux seigneurs qui étaient venus au palais pour lui souhaiter un bon voyage. On ne devait plus le revoir.

C’est ainsi que, froidement, sans une apparence de regret, le vingt-septième successeur de Gérard d’Alsace prit congé de cette fidèle Lorraine qui était restée attachée, pendant sept cents ans, avec un dévouement si affectueux à la maison ducale. La vraie séparation eut bien lieu ce jour-là, et non le 6 mars 1737, comme l’ont raconté avec tant d’émotion les historiens lotharingistes.

Ainsi qu’il l’avait dit à son départ, le jeune duc alla voir la gouvernante des Pays-Bas, puis il visita successivement l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne, la Prusse. Il fut reçu partout avec des honneurs extraordinaires qui s’adressaient au futur époux de l’archiduchesse Marie-Thérèse. Comme il se rapprochait de Vienne, il reçut des lettres impériales qui le nommaient vice-roi de Hongrie. La date de son mariage n’était pas encore fixée, mais s’approchait rapidement.

Tout à coup, l’attention publique fut détournée de cet événement prochain, par l’explosion d’une nouvelle lutte entre l’empire et la France.

Le roi de Pologne, Auguste de Saxe, était mort le 1er février 1733. C’était une occasion pour Louis XV de remettre la couronne sur la tête de son beau-père Stanislas. Il souffrait d’être le gendre d’un simple gentilhomme.

Il se sentait d’ailleurs entraîné autant par l’opinion publique, que par l’ardeur impétueuse du vieux maréchal de Villars. Le ministre dirigeant était ce vieux cardinal de Fleury qui commença à gouverner à l’âge où les hommes d’État aspirent au repos. Le vieillard aurait bien voulu rester en paix, mais il ne put résister au mouvement et se décida, la mort dans l’âme, à soutenir la candidature de Stanislas. Seulement, il ne fit pas l’effort nécessaire.

Le beau-père du roi traversa l’Allemagne sous un déguisement, se présenta à la diète, fut élu à l’unanimité, mais vit aussitôt se lever contre lui un prétendant proclamé, sous le nom d’Auguste III, par quelques dissidents qu’appuyèrent l’Autriche et la Russie, fut chassé de Varsovie, alla s’enfermer à Danzig, y fut assiégé par 30 000 Russes.

Fleury n’avait envoyé que trois bataillons, en tout 1 500 hommes. Ils arrivèrent par mer tardivement. Dans une héroïque folie, le comte de Plélo les lança contre les 30 000 Russes. Ils se firent presque tous tuer, sans pouvoir dégager Stanislas qui s’échappa à travers mille périls et se réfugia à Koenigsberg, ville prussienne (17 juin 1734).

Alors, la guerre s’étendit à toute l’Europe. Les armées françaises conduites d’abord par deux héros chargés d’années, Villars et Berwick, obtinrent d’éclatants succès sur le Rhin et en Italie.

Si le cardinal avait eu quelque énergie, il pouvait pousser l’empire à l’abîme. Mais il ne songea qu’à finir au plus vite la lutte. Au lieu de dicter ses conditions en victorieux, il s’humilia en vaincu et signa avec ses adversaires étonnés, les préliminaires de Vienne (3 octobre 1735).

La convention posait en principe, que Stanislas abdiquerait cette couronne de Pologne, qu’il avait deux fois prise et perdue, mais en conservant le titre de roi. Il recevrait en compensation la souveraineté viagère du duché de Bar, réversible à la France après sa mort. François III garderait la Lorraine jusqu’à la mort d’Etienne de Médicis, grand-duc de Toscane, dont on lui assurait la survivance.

En France, on fut mécontent de la combinaison et on demanda que la Lorraine fût immédiatement remise à Stanislas au même titre que le Bar. François III résista. Il lui en coûtait, non de se séparer des Lorrains, qu’il connaissait peu, qu’il n’aimait pas et auxquels il s’était rendu désagréable, mais de paraître déchoir en abandonnant une souveraineté effective sans en avoir déjà reçu l’équivalent.

Sa situation cependant se consolidait tout à fait : le 12 février 1736, fut célébré en grande pompe son mariage avec Marie-Thérèse. A cette occasion, il appela à Vienne pour lui servir de témoins quatre seigneurs lorrains de l’ancienne Chevalerie : Messieurs du Han, de Lenoncourt, de Ludres, du Châtelet. D’autres gentilshommes vinrent aussi à la cour d’Autriche.

L’empereur désireux de hâter le traité définitif et craignant toujours de nouvelles complications européennes, ne cessait de presser son gendre d’en finir. Mais le groupe lorrain entourant le jeune duc, faisait les derniers efforts pour le détourner d’une cession qui équivaudrait à la mort de la nationalité lorraine.

Le procureur général Bourcier surtout multiplia avec une force, une éloquence, un sentiment que rien ne lassait, les objurgations les plus pathétiques. Il se jeta plusieurs fois aux pieds du jeune prince. De son côté, la régente et son second fils, Charles-Alexandre, tous les princes de la famille, unissaient leurs plaintes, leurs instances.

Il est certain que François hésita longtemps. Il y avait pour lui la question d’intérêt qui lui faisait attacher un grand prix à la conservation d’une souveraineté, sa propriété héréditaire, au moins jusqu’au jour où la Toscane lui pourrait être livrée en échange, et la question d’honneur qui semblait lui interdire comme une trahison, l’abandon d’une nationalité dont sa famille avait reçu tant de preuves d’affection et de fidélité.

Mais l’influence de l’empereur son beau-père, secondée par celle de l’archiduchesse Marie-Thérèse, l’emporta. Le 22 avril 1736, il annonça qu’il consentait à la cession de ses deux duchés, mais il ne signa l’acte définitif que le 13 décembre pour le Barrois, et le 13 février 1737 pour la Lorraine. C’en était fait : l’oeuvre de Richelieu s’achevait sans combat, sans violence, sous forme d’un marché !Des annexes au traité de Vienne avaient réglé tous les détails. La duchesse-régente refusa d’aller vivre à Vienne, elle était bien française et répugnait aux moeurs allemandes. Louis XV lui attribua, sous condition viagère, par convention du 1er avril 1736, la principauté de Commercy.Le 5 mars 1737, elle offrit à la population de Lunéville une dernière fête, à l’occasion des fiançailles de l’aînée de ses filles avec le roi de Sardaigne. Elle partit le lendemain, son départ donna lieu aux scènes les plus touchantes.

« Je vis, dit Jamerai-Duval dans sa Vie de Vayringe, Mme la duchesse-régente et les princesses ses filles s’arracher de leur palais, le visage baigné de larmes, levant les mains au ciel, et poussant des cris tels que la plus violente douleur pouvait seule les arracher. Ce serait tenter l’impossible que de vouloir dépeindre la consternation, les regrets, les sanglots et tous les symptômes de désespoir auxquels le peuple se livra à l’aspect d’une scène qu’il regardait comme le dernier soupir de la patrie. Il est presque inconcevable que des centaines de personnes n’aient pas été écrasées sous les roues des carrosses ou foulées aux pieds des chevaux, en se jetant aveuglément, comme elles faisaient, à travers les équipages, pour en retarder le départ. Pendant que les clameurs, les lamentations, l’horreur et la confusion régnaient à Lunéville, les habitants des campagnes accouraient en foule sur la route, par où la famille ducale devait passer, et, prosternés à genoux, ils lui tendaient les bras et la conjuraient de ne pas les abandonner… ».

On remarquera que ces manifestations dont nous ne discutons pas la sincérité, mais qui étonnent pourtant de la part d’un peuple si peu démonstratif d’ordinaire, s’adressaient à une princesse française de naissance et de coeur. Il ne faut pas d’ailleurs s’attendrir outre mesure. Elisabeth-Charlotte, veuve de Léopold, n’était plus qu’une duchesse douairière, sans pouvoir. Si son fils, le maussade et avare François III, eût gardé Lunéville, il ne lui aurait pas offert un établissement équivalent à cette résidence royale de Commercy où elle passa, non sans quelque agrément, les dernières années de sa vie. Elle mourut en 1744.

Quant à François III, il ne méritait aucun regret. Personne n’en ressentit, ni n’en manifesta. On ne peut pas dire qu’il quitta la Lorraine invitus invitam. Elle ne lui fut pas arrachée par la force.

Il la vendit, estimant qu’il faisait un bon marché puisqu’il obtenait en échange, le grand-duché de Toscane, avec la perspective à peu près assurée des États héréditaires de la maison d’Autriche et de la couronne impériale. Il ne soupçonnait pas à quel rôle effacé devait le réduire l’altier génie de la fille de Charles VI, auprès de laquelle il ne fut jamais que « le pâle époux de la grande Marie-Thérèse ».

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