La cité de Metz sauvée par le boulanger Harelle en 1473

Boulangerie  

D’après un article paru dans la revue « L’union des arts » – Année 1851

Metz avait fait très anciennement partie du royaume de Lorraine, et ce souvenir entretenait chez les princes qui régnaient avec le titre de duc, l’idée d’un droit de possession sur cette ville.

C’était dans la pensée de faire valoir ce droit, que déjà le duc Charles II en 1429 et René Ier en 1444, avaient déclaré la guerre aux Messins.

Cependant, le duc Nicolas ayant pris, en 1470, le gouvernement de la Lorraine, ne montra que des dispositions amicales pour notre cité. On peut croire, même, qu’il y aurait persévéré sans les conseils de quelques serviteurs qui éveillèrent tout-à-coup en lui l’espoir de la mettre sous son autorité par un heureux coup-de-main.

A la tête des hommes qui le décidèrent à cette tentative, les écrivains du temps citent un chevalier allemand nommé Berthold Krantz, et deux seigneurs d’un rang élevé, Gaspard de Raville, maréchal de Lorraine, et Jean de Wisse, bailli d’Allemagne.

Krantz, homme de haute stature, était aussi un guerrier entreprenant, hardi, sans rival dans l’art des surprises, toujours le premier dans l’action et d’un courage que l’on appellerait héroïque, s’il ne s’était jamais agi que d’une bonne cause.

Il portait une longue barbe noire qui le faisait vulgairement désigner sous le nom de la Grand’Barbe. Comme il possédait à un haut degré, l’estime et la confiance du duc Nicolas, il lui fit part d’un stratagème de son invention et qui paraissait infaillible : dès le grand matin, à l’heure où les habitants d’une ville sont encore pour la plupart plongés dans le sommeil, on arriverait en armes, à l’une des portes de Metz. Par le moyen d’une machine dont il donnait la description, l’on empêcherait la herse de s’abattre, et les Lorrains pénétreraient sans obstacle, et en aussi grand nombre qu’ils voudraient, au-dedans des murs.

Le duc jugea l’idée excellente et chargea Krantz d’en préparer l’exécution. Mais préalablement, et pour mieux en assurer le succès, Gaspard de Raville et Jean de Wisse se rendirent à Metz, sous prétexte d’acheter des étoffes de prix.

En même temps, ils firent une reconnaissance des rues et des places principales, examinèrent surtout la disposition des portes et la manière dont on en faisait la garde. Ils explorèrent en particulier le château de la porte Serpenoise, c’est-à-dire la porte intérieure qui était du côté de la ville, et mesurèrent avec soin la hauteur de la coulisse, par où tombait la herse placée au-dessus de la voûte. On appelait château d’une porte, une porte fortifiée et particulièrement le corps-de-logis, construit au-dessus de la voûte, entre les deux tours.

Dans les visites qu’ils firent pendant leur séjour, chez divers habitants, ils étaient, on ne sait dans quel but, accompagnés d’un villageois qui répétait souvent, avec un sourire malin, que dans cette semaine, c’était celle avant le jour des palmes, les gros poissons arriveraient en Metz. Ils annoncèrent eux-mêmes aux religieux Célestins qu’ils reviendraient bientôt et qu’ils boiraient dans leur maison.

Sur les indications et les mesures fournies par les deux seigneurs, Berthold Krantz fit secrètement fabriquer, au château de Mousson, la machine dont il avait imaginé le plan.

Suivant la description que nous en donne la chronique dite de Praillon, c’était une poutre surmontée d’une forte traverse, dans laquelle se trouvaient plantées, par intervalles, cinq grandes chevilles de fer, à peu près comme les dents d’un râteau, mais dans une direction verticale. Cette machine, placée sur un char et habilement dissimulée, devait se dresser subitement sous la herse et la retenir. Le char était lui-même préparé de manière à pouvoir être promptement retiré et à permettre, même aux gens à cheval, d’entrer librement dans la ville. Par un surcroît de précaution, la poutre et sa traverse furent garnies de fer, sans doute pour résister, en cas d’attaque, aux atteintes de la hache.

Avec le premier char, on en fit un second, sur lequel on plaça des tonneaux pareils à ceux que conduisent les marchands de vin, mais remplis de marteaux tranchants, de grosses tenailles, de pieds-de-chèvre et autres instruments auxquels, s’il le fallait, on pourrait encore avoir recours.

Pendant que l’on exécutait ce travail dans le château de Mousson, le duc Nicolas voulant, autant que possible, dégarnir la ville de Metz des hommes capables de la défendre, manda aux seigneurs du pays messin qui avaient des fiefs en Lorraine, de se rendre près de lui avec leur équipement. Un vieux chevalier, homme d’expérience, leur représenta sagement le danger qu’il y aurait à s’éloigner de la cité en si grand nombre et au même moment. Alors pour concilier la sécurité de leur patrie avec l’obéissance qu’ils devaient, à cause de leurs fiefs, au prince lorrain, ils envoyèrent à leur place quelques-uns de leurs serviteurs. Le duc les fit aussitôt mettre à part et conduire comme prisonniers au château de Gondreville.

Enfin, tout étant bien disposé, le 8 avril, qui était un jeudi, le duc partit le soir de Nancy avec dix-huit cents cavaliers et huit mille piétons bien armés. Plupart ignoraient encore son dessein. Ce fut à Pont-à-Mousson, qu’il le leur fit connaître, puis continuant sa marche pendant la nuit, il arriva dans la plaine du Sablon, entre les églises de Saint-Ladre et de Saint-Privat, vers trois heures du matin.

Alors, il envoya en avant quelques-uns de ses hommes déguisés en marchands de poissons, pour conduire les deux chars qu’on avait couverts de façon à ne laisser rien soupçonner à personne.

Le châtelain et les deux portiers croyant, en effet, que c’étaient des gens qui venaient au marché du matin ne firent aucune difficulté d’ouvrir. D’ailleurs, ils ouvraient chaque jour de très bonne heure pour les vignerons et les mésoyers qui allaient déjà dans cette saison travailler à la campagne. Ils comptaient en outre recevoir, pour ce service, quelques pièces d’argent des poissonniers.

Le nommé Conrard Kretzer, prévôt de Sierck, fit passer en premier lieu le charriot qui portait la machine. Arrivés à la seconde porte, les Lorrains la dressèrent sous la herse, mais ils furent obligés de se reprendre à plusieurs fois pour bien l’assujettir.

Alors le gardien Pierson, étonné de voir tant de gens arrêtés en cet endroit et ne sachant ce qu’ils voulaient faire, leur cria d’un ton courroucé : « Que faites-vous donc là ? Que n’avancez-vous plus loin ? ». Au même instant, ce malheureux fut saisi et tué sur la place.

Le châtelain, témoin de la chose, s’élança aussitôt du rempart dans le fossé, avec les clefs du château en travers de son bras et se mit à courir vers la porte du Pont-des-Morts pour donner, par ce côté, l’alarme dans la ville. Mais cinq à six cents lorrains qui avaient suivi le char, n’attendent pas qu’il soit retiré, et laissant leurs chevaux en dehors, ils se précipitent dans la rue Serpenoise en sonnant de leurs trompettes et en criant de toutes leurs forces : « Ville gagnée ! Marchez, Marchez ! Vive Calabre ! Vive Lorraine ! ».

Berthold Krantz à leur tête, car il voulait, on le devine bien, avoir l’honneur de la journée, élevait en l’air son étendard, où était brodée en soie rouge, une image de saint Martin à cheval, entourée de devises en lettres dorées.

Avec Berthold Krantz, entrèrent le chevalier Engelhard de Mittelbourg, maréchal du duc de Bavière Frédéric – Jacques de Hamelstadt, qui portait le pannon de ce même duc – les deux frères Weckart et Frédéric, comtes de Bitche – Hennemann de Linange, seigneur de Forbach -Weckart de Linange – Jean de Salme, comte de Viviers, maréchal du duché de Bar, et plusieurs autres seigneurs, portant chacun leur bannière.

Ils allaient toujours en avant, au cri de Ville gagnée ! Vive Lorraine ! et ils purent, en effet, un moment, croire la ville en leur pouvoir.

Elle était encore presque tout entière endormie. Il n’y avait de levé, à cette heure, que quelques ouvriers vignerons ou mésoyers, et un petit nombre de personnes exerçant une profession très matinale.

Parmi ces dernières, le boulanger Harelle, qui demeurait près de la porte, était déjà occupé à cuire son pain.

Cet homme, pénétrant aussitôt la vraie cause de ce grand tumulte, traverse d’un air de sang-froid la foule des Lorrains, arrive au château, et voit un groupe d’ennemis cherchant l’entrée de l’escalier, pour aller planter l’étendard lorrain sur l’une des tours. Le châtelain, en se sauvant, avait heureusement laissé la petite porte des degrés ouverte.

Harelle offre aux ennemis de les conduire officieusement, passe le premier et referme aussitôt devant eux, le battant qu’il assujetti de l’intérieur. Montant au château, il y trouve les gardiens, qui, surpris dans leur sommeil par tout ce bruit, ne se rendaient pas bien compte de ce qui se passait. « Alarme ! leur crie Harelle, Vite aux pals, ou nous sommes des gens perdus ! » et, avec leur aide, le boulanger abat les pals, dont l’un perce le char par le milieu, et le cloue si bien à terre, qu’il devient impossible de le déranger.

En quelques instants, la porte est presque toute close et au grand étonnement des Lorrains. En fabriquant la machine, ils avaient cru faussement que tous les pals ou barreaux de la herse se tenaient ensemble et qu’il suffirait d’en arrêter un pour retenir tous les autres. Mais ils se mouvaient chacun séparément, et il n’y en eut que deux qui ne purent descendre : celui qui était au-dessus de la poutre, et un autre qui fut empêché par un éclat de tuile logé en travers de la coulisse.

Pendant ce temps, les Lorrains qui avaient pénétré dans la ville, poursuivaient leur course victorieuse à travers les rues de la Vieille-Boucherie, de Chaplerue et jusqu’à la pierre derrière Saint-Sauveur, à la hauteur des rues actuelles de la Tête-d’Or et du Petit-Paris. Ils se croyaient suivis de ceux qu’ils avaient laissés en arrière de la porte, mais ils furent fort surpris de ne les pas voir arriver.

D’autre part, l’alarme venait d’être donnée aux habitants. Les premiers qui avaient vu le péril, comme Harelle, s’étaient répandus dans les rues voisines, en criant : « Alarme ! Secours, aide à la porte Champenoise !(manière usitée alors de prononcer le mot Serpenoise) Les Lorrains sont dedans ». Et de toutes les maisons, sortaient des hommes à peine habillés, plusieurs même sans chaussure.

C’étaient en général, avec les mésoyers et les vignerons, des charpentiers établis en grand nombre dans les rues Serpenoise et Saint-Gengoult. Armés de bêches, de houes, de haches ou de gros bâtons, de tout ce qui s’est rencontré sous leur main, ils courent à la porte et résistent énergiquement à l’ennemi, pendant que Harelle et les gardiens lancent des traits et des pierres du haut de la voûte.

De leur côté, les bouchers de la Vieille-Boucherie, jettent par leurs fenêtres en travers de la rue, leurs tables, bancs, tréteaux, fûts de bois et tout ce qui peut servir à barrer le passage.

Bientôt les gens de guerre qui avaient été avertis, arrivent à leur tour, et la lutte devient terrible.

Krantz et ses compagnons ne se voyant pas secourus, regagnent la porte en toute hâte, et s’efforcent de la franchir, en se baissant par dessous le char, ou bien en passant à travers l’intervalle laissé par la barre qui n’avait pu descendre. Leur fuite fut vaillamment protégée par le chevalier Krantz. Il pouvait s’échapper un des premiers, mais voyant son entreprise manquée, il se fit un point d’honneur de sauver ceux qui l’avaient suivi.

Animé d’un courage intrépide, doué d’une force d’athlète et couvert d’une bonne armure, il combattit longtemps devant le char, ne voulant quitter la place que le dernier. Mais au moment où il cherchait à faire sa retraite, il fut mortellement atteint d’un coup de hache d’armes, et tomba sur le pavé, en criant encore : Vive Calabre !

Gaspard de Raville, qui s’était toujours tenu entre les deux portes et derrière le char, courut lui-même le plus grand danger. Renversé à terre et grièvement blessé, il ne fut sauvé de la mort que par ses sénateurs, qui l’arrachèrent à ses ennemis en l’entraînant, par la tête et par les pieds, hors de la porte. Deux de ces hommes dévoués furent tués sur son corps.

Il y eut du côté des Lorrains, de trente-trois à trente-cinq morts, parmi lesquels Berthold Krantz, Jacques de Halmestadt et Engelhard de Dullange. Mais Philippe de Vigneulles estime que sans la valeur du chevalier Krantz, plus de deux cents auraient, dans ce jour, trouvé leur perte. On avait fait cinquante prisonniers.

Les Messins comptèrent trois morts : le portier, un pauvre fou et un charpentier. Il y eut en outre cinq blessés : deux soldoyeurs, une femme, un écuyer et un nommé Martin d’Ingenheim, secrétaire de la cité.

Pendant que ces choses se passaient dans l’intérieur des murs, le duc Nicolas, qui s’était avancé jusqu’à la chapelle de Saint-Fiacre, à peu de distance de la porte, attendait l’issue de l’affaire. Il s’était revêtu d’une magnifique cotte d’armes, brodée de grandes feuilles de chêne d’or, et tenait son épée à la main.

Déjà il commençait à s’étonner, puisque la porte était prise, que l’on tardât si longtemps à l’avertir de s’avancer. Alors ceux qui avaient pu échapper, arrivèrent à lui, hors d’haleine, et lui dirent : « Fuyez ! Fuyez ! Sire, car tous vos gens qui étaient entrés, sont perdus ou blessés ».

Le prince frappé de stupeur et de tristesse, reprit le chemin de Pont-à-Mousson, d’un pas précipité. On le voyait tout pensif, porter de temps en temps à sa bouche, un petit bâton qu’il tenait à la main. Les Lorrains s’attendaient à être poursuivis, mais les Messins étaient eux-mêmes trop inquiets, pour s’occuper d’autre chose que des mesures de sûreté intérieure qu’un péril si subit et si étrange paraissait commander.

On peut se figurer, en effet, l’émotion profonde qui régna pendant cette journée, et les récits divers qui passèrent de bouche en bouche par toute la cité.

On sait combien, à la suite de semblables événements, les imaginations effrayées ajoutent encore de circonstances sinistres à la réalité et c’est ainsi, probablement, que l’on affirmait avoir entendu les Lorrains crier : « Tuez ! Tuez tout, femmes, enfants, n’épargnez personne ! ». Un ordre aussi atroce en lui-même, qu’inutile et contraire même au succès de l’entreprise, n’avait été certainement pas donné par le duc de Lorraine.

Mais les Lorrains à leur tour n’épargnèrent pas aux Messins le reproche d’inhumanité. Ils racontèrent, par exemple, que Berthold Krantz ayant demandé à se rendre en franc chevalier, on l’avait reçu à merci et qu’ensuite on l’avait fait mettre à mort, lâchement et sans pitié.

La vérité est que les Messins ne souillèrent leur victoire par aucun acte de ce genre, et qu’ils la célébrèrent d’une manière plus noble et plus glorieuse.

Ils recueillirent avec soin les étendards pris sur leurs ennemis et en firent des trophées qu’ils suspendirent dans l’église de Notre-Dame-de-la-Ronde. Ces étendards étaient au nombre de cinq, on y remarquait en particulier ceux de Berthold Krantz et de Jacques de Halmestadt.

Le 21 mai suivant, qui était un vendredi, on fit à Saint-Vincent une procession générale d’actions de grâces, et le frère Nicole Claussequin, de l’ordre des Prêcheurs, prononça à cette occasion un discours devant tout le peuple assemblé. Il paraît que cette procession fut depuis annuellement célébrée, le jour anniversaire de la délivrance de la cité.

Les Messins voulurent consacrer encore ce souvenir par un monument religieux. Ils élevèrent, près du grand portail de la Cathédrale, à côté de Notre-Dame-de-la-Ronde, une chapelle en l’honneur de la sainte Vierge, et que l’on appela chapelle de la Miséricorde ou des Lorrains.

Enfin, près de la porte Serpenoise, du côté droit, en entrant dans la ville, on érigea un autel avec une croix commémorative, dite des Lorrains.

Mais pour perpétuer aussi, par les traits d’une image sensible, la mémoire de l’événement, on en fit retracer les principaux détails dans un tableau que l’on attacha sous la voûte qui en avait été en partie le théâtre. Lorsque l’on abattit la porte Serpenoise, en 1563, ce tableau fut porté au Haut-Palais. Mais comme il y était négligé et qu’il se gâtait de jour en jour, le sieur Nicolas Maguin, syndic de la ville, le demanda et l’obtint pour le faire réparer. Il resta depuis ce temps dans sa maison.

Dans les derniers jours du mois de juillet suivant, la paix fut conclue entre les Messins et René II qui venait de succéder au duc Nicolas. Le trentième jour du même mois, les cinquante prisonniers lorrains, détenus à Metz, recouvrèrent leur liberté.

Cependant les Messins eurent, longtemps encore, à se tenir en garde contre les prétentions et les attaques de la maison de Lorraine. Ce fut, sans doute, pour répondre aux exigences de cette perpétuelle défensive que, dans les premières années du siècle suivant, ils fortifièrent de nouveaux ouvrages, les approches et les entrées de leur ville.


Archive pour 7 février, 2011

La cité de Metz sauvée par le boulanger Harelle en 1473

Boulangerie  

D’après un article paru dans la revue « L’union des arts » – Année 1851

Metz avait fait très anciennement partie du royaume de Lorraine, et ce souvenir entretenait chez les princes qui régnaient avec le titre de duc, l’idée d’un droit de possession sur cette ville.

C’était dans la pensée de faire valoir ce droit, que déjà le duc Charles II en 1429 et René Ier en 1444, avaient déclaré la guerre aux Messins.

Cependant, le duc Nicolas ayant pris, en 1470, le gouvernement de la Lorraine, ne montra que des dispositions amicales pour notre cité. On peut croire, même, qu’il y aurait persévéré sans les conseils de quelques serviteurs qui éveillèrent tout-à-coup en lui l’espoir de la mettre sous son autorité par un heureux coup-de-main.

A la tête des hommes qui le décidèrent à cette tentative, les écrivains du temps citent un chevalier allemand nommé Berthold Krantz, et deux seigneurs d’un rang élevé, Gaspard de Raville, maréchal de Lorraine, et Jean de Wisse, bailli d’Allemagne.

Krantz, homme de haute stature, était aussi un guerrier entreprenant, hardi, sans rival dans l’art des surprises, toujours le premier dans l’action et d’un courage que l’on appellerait héroïque, s’il ne s’était jamais agi que d’une bonne cause.

Il portait une longue barbe noire qui le faisait vulgairement désigner sous le nom de la Grand’Barbe. Comme il possédait à un haut degré, l’estime et la confiance du duc Nicolas, il lui fit part d’un stratagème de son invention et qui paraissait infaillible : dès le grand matin, à l’heure où les habitants d’une ville sont encore pour la plupart plongés dans le sommeil, on arriverait en armes, à l’une des portes de Metz. Par le moyen d’une machine dont il donnait la description, l’on empêcherait la herse de s’abattre, et les Lorrains pénétreraient sans obstacle, et en aussi grand nombre qu’ils voudraient, au-dedans des murs.

Le duc jugea l’idée excellente et chargea Krantz d’en préparer l’exécution. Mais préalablement, et pour mieux en assurer le succès, Gaspard de Raville et Jean de Wisse se rendirent à Metz, sous prétexte d’acheter des étoffes de prix.

En même temps, ils firent une reconnaissance des rues et des places principales, examinèrent surtout la disposition des portes et la manière dont on en faisait la garde. Ils explorèrent en particulier le château de la porte Serpenoise, c’est-à-dire la porte intérieure qui était du côté de la ville, et mesurèrent avec soin la hauteur de la coulisse, par où tombait la herse placée au-dessus de la voûte. On appelait château d’une porte, une porte fortifiée et particulièrement le corps-de-logis, construit au-dessus de la voûte, entre les deux tours.

Dans les visites qu’ils firent pendant leur séjour, chez divers habitants, ils étaient, on ne sait dans quel but, accompagnés d’un villageois qui répétait souvent, avec un sourire malin, que dans cette semaine, c’était celle avant le jour des palmes, les gros poissons arriveraient en Metz. Ils annoncèrent eux-mêmes aux religieux Célestins qu’ils reviendraient bientôt et qu’ils boiraient dans leur maison.

Sur les indications et les mesures fournies par les deux seigneurs, Berthold Krantz fit secrètement fabriquer, au château de Mousson, la machine dont il avait imaginé le plan.

Suivant la description que nous en donne la chronique dite de Praillon, c’était une poutre surmontée d’une forte traverse, dans laquelle se trouvaient plantées, par intervalles, cinq grandes chevilles de fer, à peu près comme les dents d’un râteau, mais dans une direction verticale. Cette machine, placée sur un char et habilement dissimulée, devait se dresser subitement sous la herse et la retenir. Le char était lui-même préparé de manière à pouvoir être promptement retiré et à permettre, même aux gens à cheval, d’entrer librement dans la ville. Par un surcroît de précaution, la poutre et sa traverse furent garnies de fer, sans doute pour résister, en cas d’attaque, aux atteintes de la hache.

Avec le premier char, on en fit un second, sur lequel on plaça des tonneaux pareils à ceux que conduisent les marchands de vin, mais remplis de marteaux tranchants, de grosses tenailles, de pieds-de-chèvre et autres instruments auxquels, s’il le fallait, on pourrait encore avoir recours.

Pendant que l’on exécutait ce travail dans le château de Mousson, le duc Nicolas voulant, autant que possible, dégarnir la ville de Metz des hommes capables de la défendre, manda aux seigneurs du pays messin qui avaient des fiefs en Lorraine, de se rendre près de lui avec leur équipement. Un vieux chevalier, homme d’expérience, leur représenta sagement le danger qu’il y aurait à s’éloigner de la cité en si grand nombre et au même moment. Alors pour concilier la sécurité de leur patrie avec l’obéissance qu’ils devaient, à cause de leurs fiefs, au prince lorrain, ils envoyèrent à leur place quelques-uns de leurs serviteurs. Le duc les fit aussitôt mettre à part et conduire comme prisonniers au château de Gondreville.

Enfin, tout étant bien disposé, le 8 avril, qui était un jeudi, le duc partit le soir de Nancy avec dix-huit cents cavaliers et huit mille piétons bien armés. Plupart ignoraient encore son dessein. Ce fut à Pont-à-Mousson, qu’il le leur fit connaître, puis continuant sa marche pendant la nuit, il arriva dans la plaine du Sablon, entre les églises de Saint-Ladre et de Saint-Privat, vers trois heures du matin.

Alors, il envoya en avant quelques-uns de ses hommes déguisés en marchands de poissons, pour conduire les deux chars qu’on avait couverts de façon à ne laisser rien soupçonner à personne.

Le châtelain et les deux portiers croyant, en effet, que c’étaient des gens qui venaient au marché du matin ne firent aucune difficulté d’ouvrir. D’ailleurs, ils ouvraient chaque jour de très bonne heure pour les vignerons et les mésoyers qui allaient déjà dans cette saison travailler à la campagne. Ils comptaient en outre recevoir, pour ce service, quelques pièces d’argent des poissonniers.

Le nommé Conrard Kretzer, prévôt de Sierck, fit passer en premier lieu le charriot qui portait la machine. Arrivés à la seconde porte, les Lorrains la dressèrent sous la herse, mais ils furent obligés de se reprendre à plusieurs fois pour bien l’assujettir.

Alors le gardien Pierson, étonné de voir tant de gens arrêtés en cet endroit et ne sachant ce qu’ils voulaient faire, leur cria d’un ton courroucé : « Que faites-vous donc là ? Que n’avancez-vous plus loin ? ». Au même instant, ce malheureux fut saisi et tué sur la place.

Le châtelain, témoin de la chose, s’élança aussitôt du rempart dans le fossé, avec les clefs du château en travers de son bras et se mit à courir vers la porte du Pont-des-Morts pour donner, par ce côté, l’alarme dans la ville. Mais cinq à six cents lorrains qui avaient suivi le char, n’attendent pas qu’il soit retiré, et laissant leurs chevaux en dehors, ils se précipitent dans la rue Serpenoise en sonnant de leurs trompettes et en criant de toutes leurs forces : « Ville gagnée ! Marchez, Marchez ! Vive Calabre ! Vive Lorraine ! ».

Berthold Krantz à leur tête, car il voulait, on le devine bien, avoir l’honneur de la journée, élevait en l’air son étendard, où était brodée en soie rouge, une image de saint Martin à cheval, entourée de devises en lettres dorées.

Avec Berthold Krantz, entrèrent le chevalier Engelhard de Mittelbourg, maréchal du duc de Bavière Frédéric – Jacques de Hamelstadt, qui portait le pannon de ce même duc – les deux frères Weckart et Frédéric, comtes de Bitche – Hennemann de Linange, seigneur de Forbach -Weckart de Linange – Jean de Salme, comte de Viviers, maréchal du duché de Bar, et plusieurs autres seigneurs, portant chacun leur bannière.

Ils allaient toujours en avant, au cri de Ville gagnée ! Vive Lorraine ! et ils purent, en effet, un moment, croire la ville en leur pouvoir.

Elle était encore presque tout entière endormie. Il n’y avait de levé, à cette heure, que quelques ouvriers vignerons ou mésoyers, et un petit nombre de personnes exerçant une profession très matinale.

Parmi ces dernières, le boulanger Harelle, qui demeurait près de la porte, était déjà occupé à cuire son pain.

Cet homme, pénétrant aussitôt la vraie cause de ce grand tumulte, traverse d’un air de sang-froid la foule des Lorrains, arrive au château, et voit un groupe d’ennemis cherchant l’entrée de l’escalier, pour aller planter l’étendard lorrain sur l’une des tours. Le châtelain, en se sauvant, avait heureusement laissé la petite porte des degrés ouverte.

Harelle offre aux ennemis de les conduire officieusement, passe le premier et referme aussitôt devant eux, le battant qu’il assujetti de l’intérieur. Montant au château, il y trouve les gardiens, qui, surpris dans leur sommeil par tout ce bruit, ne se rendaient pas bien compte de ce qui se passait. « Alarme ! leur crie Harelle, Vite aux pals, ou nous sommes des gens perdus ! » et, avec leur aide, le boulanger abat les pals, dont l’un perce le char par le milieu, et le cloue si bien à terre, qu’il devient impossible de le déranger.

En quelques instants, la porte est presque toute close et au grand étonnement des Lorrains. En fabriquant la machine, ils avaient cru faussement que tous les pals ou barreaux de la herse se tenaient ensemble et qu’il suffirait d’en arrêter un pour retenir tous les autres. Mais ils se mouvaient chacun séparément, et il n’y en eut que deux qui ne purent descendre : celui qui était au-dessus de la poutre, et un autre qui fut empêché par un éclat de tuile logé en travers de la coulisse.

Pendant ce temps, les Lorrains qui avaient pénétré dans la ville, poursuivaient leur course victorieuse à travers les rues de la Vieille-Boucherie, de Chaplerue et jusqu’à la pierre derrière Saint-Sauveur, à la hauteur des rues actuelles de la Tête-d’Or et du Petit-Paris. Ils se croyaient suivis de ceux qu’ils avaient laissés en arrière de la porte, mais ils furent fort surpris de ne les pas voir arriver.

D’autre part, l’alarme venait d’être donnée aux habitants. Les premiers qui avaient vu le péril, comme Harelle, s’étaient répandus dans les rues voisines, en criant : « Alarme ! Secours, aide à la porte Champenoise !(manière usitée alors de prononcer le mot Serpenoise) Les Lorrains sont dedans ». Et de toutes les maisons, sortaient des hommes à peine habillés, plusieurs même sans chaussure.

C’étaient en général, avec les mésoyers et les vignerons, des charpentiers établis en grand nombre dans les rues Serpenoise et Saint-Gengoult. Armés de bêches, de houes, de haches ou de gros bâtons, de tout ce qui s’est rencontré sous leur main, ils courent à la porte et résistent énergiquement à l’ennemi, pendant que Harelle et les gardiens lancent des traits et des pierres du haut de la voûte.

De leur côté, les bouchers de la Vieille-Boucherie, jettent par leurs fenêtres en travers de la rue, leurs tables, bancs, tréteaux, fûts de bois et tout ce qui peut servir à barrer le passage.

Bientôt les gens de guerre qui avaient été avertis, arrivent à leur tour, et la lutte devient terrible.

Krantz et ses compagnons ne se voyant pas secourus, regagnent la porte en toute hâte, et s’efforcent de la franchir, en se baissant par dessous le char, ou bien en passant à travers l’intervalle laissé par la barre qui n’avait pu descendre. Leur fuite fut vaillamment protégée par le chevalier Krantz. Il pouvait s’échapper un des premiers, mais voyant son entreprise manquée, il se fit un point d’honneur de sauver ceux qui l’avaient suivi.

Animé d’un courage intrépide, doué d’une force d’athlète et couvert d’une bonne armure, il combattit longtemps devant le char, ne voulant quitter la place que le dernier. Mais au moment où il cherchait à faire sa retraite, il fut mortellement atteint d’un coup de hache d’armes, et tomba sur le pavé, en criant encore : Vive Calabre !

Gaspard de Raville, qui s’était toujours tenu entre les deux portes et derrière le char, courut lui-même le plus grand danger. Renversé à terre et grièvement blessé, il ne fut sauvé de la mort que par ses sénateurs, qui l’arrachèrent à ses ennemis en l’entraînant, par la tête et par les pieds, hors de la porte. Deux de ces hommes dévoués furent tués sur son corps.

Il y eut du côté des Lorrains, de trente-trois à trente-cinq morts, parmi lesquels Berthold Krantz, Jacques de Halmestadt et Engelhard de Dullange. Mais Philippe de Vigneulles estime que sans la valeur du chevalier Krantz, plus de deux cents auraient, dans ce jour, trouvé leur perte. On avait fait cinquante prisonniers.

Les Messins comptèrent trois morts : le portier, un pauvre fou et un charpentier. Il y eut en outre cinq blessés : deux soldoyeurs, une femme, un écuyer et un nommé Martin d’Ingenheim, secrétaire de la cité.

Pendant que ces choses se passaient dans l’intérieur des murs, le duc Nicolas, qui s’était avancé jusqu’à la chapelle de Saint-Fiacre, à peu de distance de la porte, attendait l’issue de l’affaire. Il s’était revêtu d’une magnifique cotte d’armes, brodée de grandes feuilles de chêne d’or, et tenait son épée à la main.

Déjà il commençait à s’étonner, puisque la porte était prise, que l’on tardât si longtemps à l’avertir de s’avancer. Alors ceux qui avaient pu échapper, arrivèrent à lui, hors d’haleine, et lui dirent : « Fuyez ! Fuyez ! Sire, car tous vos gens qui étaient entrés, sont perdus ou blessés ».

Le prince frappé de stupeur et de tristesse, reprit le chemin de Pont-à-Mousson, d’un pas précipité. On le voyait tout pensif, porter de temps en temps à sa bouche, un petit bâton qu’il tenait à la main. Les Lorrains s’attendaient à être poursuivis, mais les Messins étaient eux-mêmes trop inquiets, pour s’occuper d’autre chose que des mesures de sûreté intérieure qu’un péril si subit et si étrange paraissait commander.

On peut se figurer, en effet, l’émotion profonde qui régna pendant cette journée, et les récits divers qui passèrent de bouche en bouche par toute la cité.

On sait combien, à la suite de semblables événements, les imaginations effrayées ajoutent encore de circonstances sinistres à la réalité et c’est ainsi, probablement, que l’on affirmait avoir entendu les Lorrains crier : « Tuez ! Tuez tout, femmes, enfants, n’épargnez personne ! ». Un ordre aussi atroce en lui-même, qu’inutile et contraire même au succès de l’entreprise, n’avait été certainement pas donné par le duc de Lorraine.

Mais les Lorrains à leur tour n’épargnèrent pas aux Messins le reproche d’inhumanité. Ils racontèrent, par exemple, que Berthold Krantz ayant demandé à se rendre en franc chevalier, on l’avait reçu à merci et qu’ensuite on l’avait fait mettre à mort, lâchement et sans pitié.

La vérité est que les Messins ne souillèrent leur victoire par aucun acte de ce genre, et qu’ils la célébrèrent d’une manière plus noble et plus glorieuse.

Ils recueillirent avec soin les étendards pris sur leurs ennemis et en firent des trophées qu’ils suspendirent dans l’église de Notre-Dame-de-la-Ronde. Ces étendards étaient au nombre de cinq, on y remarquait en particulier ceux de Berthold Krantz et de Jacques de Halmestadt.

Le 21 mai suivant, qui était un vendredi, on fit à Saint-Vincent une procession générale d’actions de grâces, et le frère Nicole Claussequin, de l’ordre des Prêcheurs, prononça à cette occasion un discours devant tout le peuple assemblé. Il paraît que cette procession fut depuis annuellement célébrée, le jour anniversaire de la délivrance de la cité.

Les Messins voulurent consacrer encore ce souvenir par un monument religieux. Ils élevèrent, près du grand portail de la Cathédrale, à côté de Notre-Dame-de-la-Ronde, une chapelle en l’honneur de la sainte Vierge, et que l’on appela chapelle de la Miséricorde ou des Lorrains.

Enfin, près de la porte Serpenoise, du côté droit, en entrant dans la ville, on érigea un autel avec une croix commémorative, dite des Lorrains.

Mais pour perpétuer aussi, par les traits d’une image sensible, la mémoire de l’événement, on en fit retracer les principaux détails dans un tableau que l’on attacha sous la voûte qui en avait été en partie le théâtre. Lorsque l’on abattit la porte Serpenoise, en 1563, ce tableau fut porté au Haut-Palais. Mais comme il y était négligé et qu’il se gâtait de jour en jour, le sieur Nicolas Maguin, syndic de la ville, le demanda et l’obtint pour le faire réparer. Il resta depuis ce temps dans sa maison.

Dans les derniers jours du mois de juillet suivant, la paix fut conclue entre les Messins et René II qui venait de succéder au duc Nicolas. Le trentième jour du même mois, les cinquante prisonniers lorrains, détenus à Metz, recouvrèrent leur liberté.

Cependant les Messins eurent, longtemps encore, à se tenir en garde contre les prétentions et les attaques de la maison de Lorraine. Ce fut, sans doute, pour répondre aux exigences de cette perpétuelle défensive que, dans les premières années du siècle suivant, ils fortifièrent de nouveaux ouvrages, les approches et les entrées de leur ville.

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