Jametz du XIe siècle au XIIIe siècle
Jametz est une petite bourgade du canton de Montmédy dans le nord de la Meuse. Aujourd’hui, dans ce village bien tranquille de 240 habitants, il ne reste que quelques ruines de la forteresse ayant existé, et on a peine à imaginer que ce village a connu un siège célèbre, qui fixa, à son époque, l’attention de l’Europe entière.
C’est l’histoire de ce village que je vous propose de découvrir, à travers les péripéties de ses différents seigneurs. Cet article est long et difficile, mais si vous êtes intéressés par l’histoire de cette forteresse, vous aurez, je l’espère, suffisamment de patience pour lire les articles.
Les appellations anciennes ont été respectées.
D’après le « Manuel de la Meuse » de Jean-François-Louis Jeantin – 1861
Nous sommes à la fin du XIe siècle… et voici Gemmatium prœdium.
Laurent de Liège a écrit qu’en mourant (1076), Godefroid le bossu, duc de la basse Lorraine, donna à l’église de Verdun son prœdium de Gemmatium. C’était à l’époque où son père Godefroid le grand venait de faire construire le château de Dun.
Gemmacum et castellum Meerenwaldi, sous les évêques de Verdun (de 1086 à 1186).
La lutte entre le prélat Thiéry et les comtes d’Ardenne-Bouillon, lutte qui ne cessa qu’au commencement du XIIe siècle, par la cession du comté de Verdun à l’évêque Richer de Briey, cette lutte laissa, quelque temps, la possession de Jametz et des basses Wabvres incertaine et fluctuante. Mais elle se fixa bientôt sous l’épiscopat de Richard de Grandpré.
Adalbéron de Chiny la rendit immuable, pour quelques siècles, par sa résistance aux convoitises du comte de Bar Renaud le borgne, et par le partage des domaines que la mort de la comtesse Mathilde avait laissé litigieux. Alors commencèrent les inféodations épiscopales des bassins de l’Azenne, de la Tinthe et du Loison, et celles des portions dépendantes du comté de Bouillon.
La plus anciennement connue des afféodations est celle de 1093, en faveur de Pierre de Mirevault, chevalier de Chiny (fils de Symon, petit-fils d’Amalric de Raucourt, dit de Frasno), lequel devint alors maître des Azennes et de Murault, en même temps qu’il était châtelain de Chauvancy et de Laferté. Mais ce ne fut que plus tard que les comtes de Luxembourg obtinrent la relevance directe, en partie, de Jametz et de ses dépendances, qui étaient, notamment, Chaumont, les Romagnes, Thil, Soumazannes, etc.
Le fief et les fiefés de Jametz, sous la Prévôté de Saint Mard, et sous la Châtellenie de Laferté (de 1101 à 1294).
Les anciens sires de Jametz portaient : d’azur, aux trois fasces, d’argent, chargé, à dextre, d’un franc quartier, de gueules.
Telles étaient les hachures du sceau d’Otho de Jemmas, à sa charte de reprises de 1250. Telles, mais plus pleinement franches, étaient les couleurs de son écu, alors que, châtelain de Laferté, s’intitulant Otho de Firmitate, il assistait, en 1214, aux noces de la comtesse Ermesinde et de Waleram d’Arlon, côte à côte avec ses voisins Thiébault de Colm et Pierre de Dumbraz, de l’ancienne maison des Wales, dits Failly.
Engagère de Jametz
Après la renonciation (1107 à 1110) de la comtesse Mathilde à ses droits patrimoniaux dans les basses Wabvres, en faveur de l’Eglise verdunoise pour solder la dette de ses prédécesseurs Thiéry et Richer de Briey, l’évêque Richard de Grandpré avait engagé Stenay, Mouzay et terres adjacentes, naguère litigieuses, à Guillaume de Luxembourg.
Peu de temps après, le comte Guillaume rétrocédait cette engagère à Renauld de Bar, héritier naturel de Mathilde, et qui se prétendait son chef dynastique par Sophie de Bar, mais sous réserve expresse, pour lui et ses successeurs, de l’hommage-lige et de la seigneurie directe des terres engagées. Voilà le fait capital, fait qui domine toutes les inféodations accordées, à Jametz, par les prélats verdunois. C’est de ce fait que dérivent la conduite et les actes des seigneurs de Jametz qui, à partir de Robert de Mirowald (1294), cessèrent de faire leurs reprises des comtes-évêques de Verdun. Passons à un autre fait, non moins relevant.
Avouerie des comtes de Luxembourg
Les comtes de Luxembourg-Arlon étaient avoués-nés de Saint Maximin de Trêves. Or, la grande abbaye maximinienne avait poussé ses pionniers, et ses possessions anciennes, presque aux portes de Verdun. Comme marchis d’Arlon, les princes luxembourgeois prétendaient donc à la suzeraineté de portion des terres de la curie de Mangiennes, qui comprenait Jametz, en partie, et à la suprématie de portion de celles de la curie de Marcey, près Briey, qui y confinaient pareillement.
Vouerie du couvent de Juvigny
Troisième fait : avant que les confiscations impériales eussent adjoint à l’église des Claves, Gemmacum, Castellum Meerenwaldi et l’abbaye de Juvigny, terres primitivement franches et de donation royale, ensuite ducale, une portion notable de ces terres avait passé aux quatre avoués du couvent.
Ces voués étaient les Châtelains
- de Monquintin, anciens sous-voués de Saint Maximin, à Arlon, et sires de Dampicourt
- de Laferté, anciens sous-voués de Saint Remy, de Rheims, châtellenie de Wart et Mézières
- de Louppy les deux châteaux, anciens sous-voués de la même église, dans le Castrois et le Rethelois, voire dans le Dormois, sous la châtellenie de Raucourt
- de Mirowalt, aux droits des anciens hauts voués de Dun.
Cette vouerie, d’après les chartes de 1263, 1269, 1270, se partageait, alors, entre :
- Henry de Mirowalt, occupateur des trois Caslelets (Murvaux, Lissey et Murault)
- Gérard de Haraucourt, sire en partie de Remoiville, Louppy et partie de Quincy
- Jean, sire de Laferté, Saint Mard et Jametz
- Hugues de Monquintin, sire d’Escouviers et de Dampicourt.
C’est pour cela que les Sires de Jametz portaient, à dextre, un franc quartier, sur fond d’azur, et que les fasces de leur écu étaient émaillées d’argent.
C’est pour cela aussi, que Dampicourt, Proiville, Cierges, Romagne sous Montfaucon, étaient annexes de Jametz.
C’est encore pour cela, que Remoiville appartenait : pour un quart aux sires de Jametz, pour un autre quart aux sires de Haraucourt, et pour le surplus aux dames de Juvigny.
C’est pour cela, enfin, qu’une indivision, de même nature, existait à Romagne sous les côtes, à Mangiennes, à Billy, à la suite d’autres engagères, dont les causes vont apparaître successivement.
Ces trois faits principaux s’étaient empreints sur les armoiries des premiers seigneurs de Jametz. Ajoutons-y un quatrième : Démembrement.
Démembrement du temporel épiscopal
Quand il eut comprimé la résistance des citains de sa ville épiscopale, l’évêque Henry de Winton, en 1129, s’était vu contraint à démembrer le temporel de son église, et à constituer un franc-fief au profit du chevalier Pierre de Murault, de la maison de Chiny.
De tout cela résulte qu’au XIIe siècle, le droit des évêques des Claves, sur Jametz et sur Saint Mard, était subordonné, à la fois à la dominance du Barrois saisi de l’engagère, à la prédominance du Luxembourg, réservateur de l’hommage-lige et de la seigneurie directe et, enfin, que ce droit était côtoyé, et colimité, par l’indépendance absolue de quelques francs tenanciers.
Qu’on ne s’étonne donc plus de voir les premiers Sires de Jametz compris au nombre des fiefés de la prévôté épiscopale de Saint Mard, en plus que de les trouver désignés, tantôt sous le titre d’une seigneurie, autre que celle de Jametz, mais située dans le ressort prévotal, soit de Marville, soit de St Mard… c’est-à-dire de les trouver, tout à la fois, vassaux barrisiens, vassaux épiscopaux, sous la prédominance du suzerain commun, le comte de Luxembourg-Arlon.
La difficulté historique consiste à reconnaître, dans chaque charte, la position complexe de chaque sous-inféodataire, sous ses appellations locales, diverses, d’après les actes géminatifs, soit de son indépendance, ici, soit de sa triple vassalité, là, ou ailleurs.
Aussi cet article est-il un des plus difficiles : il a eu, pour base, avant tout, les chartes virdunoises, barrisiennes, luxembourgeoises… Sans ce préambule, l’histoire de Jametz resterait inexplicable.
Les premiers sires de Gemmas
Les premiers sires de Gemmas n’offrent qu’une physionomie équivoque. Leurs traits se voilent sous des appellations, topographiques, plus ou moins applicables à leurs possessions diverses : les lois de la féodalité le voulaient ainsi. Rambault, Rambour, Rambas, sont successivement des indivisionnaires de Jametz. L’un est l’aïeul, l’autre est le père, l’autre est le petit-fils.
Rambault Ier de Jemmais
Rambault l’ancien, comte de Muscey, était un d’Aspremont. (Ch. de 1163 Châtillon) Il était frère de Gobert Ier de ce nom, époux d’Aleyde de Dun, ensuite d’Ide de Chiny. Il eut, paraît-il, deux femmes : Hadwide de Chiny, qui donna le jour à Pontius de Failly (Ch. de 1172, 1173), et Othana, dame de Othe, dont seraient nés : Hugues (de Mucey), dit de Jametz – Lieutard (de Muscey), dit de Bertrameix et Jourdain (de Muscey), dit Paganus, alias de Muceio.
Hugues de Jemmais
Hugues de Jemmais (Ch. de 1170, 1200, 1220) fut père d’Alexandre de la Fontaine de Marville. Lieutard de Jemmais Lieutard de Bertrameix, dit aussi de Jemmais, fut témoin à l’accord que firent, le 15 juin 1179, Agnès de Champagne comtesse de Bar, et Henry Ier son fils, avec le Chapitre de la cathédrale des Claves, pour l’administration temporelle de la vicomté de Verdun. On ne peut dire quand il mourut, ni s’il laissa des enfants.
Jourdain de Jemmais
Jourdain, frère des précédents, surnommé Paganus de Muceio (Ch. de 1160), pour ses déprédations contre l’Eglise, Jourdain prend le titre de sire de Jemmais dans une charte de 1165, par laquelle il donne aux moines de Châtillon, ses pâquis et portions de dixmes à Flassigny.
A cette charte, concourent sa femme Adelaïs et leurs cinq fils, lesquels formèrent cinq souches d’indivisionnaires à Jametz :
- Frédéric de Marceto, sire de Vernonbour, qui devint époux de Jeanne d’Argentel, fille de Ulrig d’Othanges, sire de Billy
- Reinier, qui devint sire de Viller et de Proyville lez Dun
- Raimond, dit Boemundus, qui fut sire de Remoiville et des Verneuil, sous Monquintin
- Simon II de Mirowault, qui fut sire des trois Castelets
- Richer de Prouilly, qui fut sire de Clarey, Cierges, Romagne en Argonne, Landreville, etc.
Voilà le principe des adjonctions successives à la terre de Gemmas, terre où se géminaient alors des possesseurs, dont l’assiette féodale était encore, plus ou moins, indéterminée.
Déjà on a vu poindre, à Jametz, trois ordres de coinféodataires : les uns relevant de Verdun, les autres de Bar, les autres d’Arlon.
Déjà vous apercevez comment Cierges, Romagne en Argonne, Viller, Proyville lez Dun ont pu se trouver annexés à la seigneurie de Jametz, sous les cinq fils de Paganus de Muceio. Arrivons à d’autres accroissements.
Simon de Jemmais
De l’an 1217 à l’an 1224, alors que l’évêque Jean d’Apremont était vice-gérant de la baronnie des Dunes, en l’absence de son frère Gobert IV, Jemmais advient, en partie, d’une manière plus affectative, à Simon II de Mirowalt, un des fils de Jourdain. Ce seigneur reçoit ce fief de l’évêque, avec Calidum montem… Chaumont sous Murault. Mais à quel titre ?
C’est à titre de gage, dit la charte, pour restitution du prêt de 140 bons petits provenisiens. On verra, bientôt, que cette engagère durait encore entre les mains des princes de Sedan. Voilà l’origine de l’adjonction de Romagne sous les côtes et terres adjacentes à la seigneurie de Jametz.
Passons à Remoiville, et de là à Dampicourt.
Rambour, Hugues et Rambas de Jemmais
De Rambour de Gemmais, prévôt de Stenay et capitaine de Chauvancy en 1181, descendent les Lafontaine, qui ne se montreront bien qu’à Marville.
Rambour est père de Hugues (Ch. de 1170 et 1220), et Hugues a donné le jour à Alexandre et à Rambas (Ch. de 1206 et 1232) de Jemmas. Celui-ci, sous l’approbation de Jacob de Cons, son seigneur dominant, et de Marie sa femme et de Puntia leur fille, renouvelle la cession de son aïeul, au couvent de Juvigny, de leurs dixmes à Hans sur Othain.
Alexandre de Jemmais
Alexandre, son frère, est prévôt de Marville et de Saint Mard : il est frère, aussi, de Wuitter, ou Wauthier de Dun, autrement dit Walterus, sire de Vilaisnes et de Bras. Il est frère, encore, de Gérard de Delut, et de Pierre de Dumbras (Ch. de 1243). Androinus, ou Drouin, de Remoiville est son fils ou son neveu.
C’est cet Alexandre qui, avec ce Gérard et avec ce Drouin, avait envahi, en 1289, les petites possessions des moines de Saint Hubert, à Iré le sec et à Rupt sur Othain.
Gérard de Jemmais
Gérard est dit sire de Jemmais, dans une charte de 1271, par laquelle il reprend Gouraincourt et Grimaucourt des mains de l’évêque Gérard de Granson, neveu du comte Louis de Chiny. A la même date, Flambas de Jametz reprend portion du fief de Froméréville, dépendant de l’évêché.
Arrivons au nid des Colet, des Colin, des Colart de Jametz.
Ce nid est au col d’Othange, dans la curie de Mercy. Du mariage de Frédéric de Vernonbour avec Marie d’Argentel, dame d’Othange, paraît être issu Nicolas, sire d’Othange, sire aussi de Hans et de Bazeilles, sur l’Othain (Ch. de 1208, 1211, 1239, 1291).
Jean de Jemmais
Voici un de ses fils : c’est Jean de Jametz, sire du mont Saint Martin, capitaine prévôt de Stenay, en 1259. Il est dit fils de Colet, en 1287, dans la charte d’affranchissement de Mont Saint Martin, Chaufour, et Quincy. Avec son frère Poincignon de la Fontaine, autre indivisionnaire de Jametz, il possédait aussi Saint Mard, dont celui-ci était prévôt.
Colas de Jemmais
Colas apparaît comme sire de Jametz, en 1297. Cette année-là, il eut un différent avec son voisin Mengin de Remoiville, fils de Menissier et neveu de Jehannot du Chaufour. Le comte de Bar intervint et le procès fut tranché par le prévôt de Stenay, sire Alain, commis arbitre à cette fin.
Colas avait marié sa fille Marguerite à Fruste de Failly, fils aîné de Henry, ou Henrion de Jamais. Il l’avait dotée de la moitié de ses dixmes au petit Failly.
Henrion de Jemmais
C’est là que paraît être l’origine des de Failly champenois. Fruste de Failly fut, comme on va le voir, dépouillé de ses héritages, et c’est pour cela qu’il fut surnommé Fruslatus. Son père était Henry Ier de Failly, dit Flétrier, lequel se fit moine, et sa mère était Catherine de Bataille, dame de Belair, près Mouzon. C’est encore pour cela qu’un hermite, tenant un chapelet, était figuré debout à la cime de son armet.
Sa femme se remaria à Waultier de Bras, fils d’Alexandre de Jametz. Il est mentionné dans une charte de 1386, par laquelle son cousin Thiébault II de Failly, dit le petit Thiébault (qui ne laissa que deux filles : les dames Floryot de Hatton-Chateil, et Arnoult de Longuion) explique cette transmission des dixmes de petit Failly.
Perrignon de Jemmais
En 1291, les moines de Saint Maximin de Trêves transmettent à Colart des Hermoises de Dehut, époux de l’héritière des Wales de Sorbey, plus à Pérignon de Ruette, et à Mahault, ou Marguerite, sa femme, tout ce qu’ils avaient, ou pouvaient avoir, en la ville et en confins de Jamais, par le greait et octroit d’Henry Cuens de Lucemborg, avoué de leur couvent.
Robert Ier de Jemmais
Enfin, en 1294, Robert de Jemmais, sire de Mirowalt et gendre de Colart Ier des Hermoises de Delut, beau-frère conséquemment, de Robert Ier des Hermoises, fait hommage, pour Jametz, à l’évêque de Verdun, Jacques de Revigny…
A partir de là, cessent tous aveux et dénombrements, au regard des prélats verdunois. Nous verrons les causes de cette abstention.
A suivre …