Le droit du Watillon
D’après un article paru dans le « Bulletin de la Société d’archéologie et d’histoire de la Moselle »
Année 1859
Jadis, la corporation des bouchers de Metz venait offrir, le droit du Watillon à l’abbaye de Saint-Arnould.
Voici comment s’exerçait ce droit :
Le 4 février de chaque année, les bouchers de la ville arrivaient en grande pompe à l’abbaye, où ils étaient reçus au son de toutes les cloches du couvent. Ils portaient une cruche d’étain de sept pots et demi, entourée de rubans et de guirlandes, et sur laquelle on lisait les noms des anciens maîtres du corps.
Arrivé dans le cloître, le maître des bouchers tenait à la main le Watillon, espèce de petit gâteau d’une pâte sèche et épaisse et tellement cuit qu’il’ était difficile de le briser. En présence des religieux et des bouchers, le maître s’avançait seul et étendait le bras tenant le gâteau à la main.
Aussitôt, le marmiton du couvent se dirigeait sur lui en courant et d’un grand coup de poing frappait le Watillon. S’il le brisait, le maître lui donnait 12 sols, s’il le laissait entier, le maître se retournait prestement et lui donnait du pied au derrière.
Puis un copieux repas, arrosé du meilleur vin du couvent dont les religieux remplissaient la grande cruche de la corporation, terminait la fête. Après quoi, les bouchers retournaient chez eux en grande pompe.
D’où naissait cet usage du Watillon ?
Un dénombrement fourni par l’abbaye de Saint-Arnould à la chambre royale le 26 juillet 1685, nous donne les renseignements suivants conservés d’ailleurs dans les affiches des Evêchés et de Lorraine, d’où nous les extrayons :
« Item. Droit de graisse qui se paye par tous les bouchers vendeurs et faiseurs de graisse et chandelles de la ville de Metz. Sçavoir : chaque boucher doit quatre denrées de viande, les faiseurs de chandelles une livre, et les revendeurs une demie.
Doivent les susdits maîtres bouchers apporter à la dite abbaye un Watillon, lequel doit être si dur, que le novice ne le puisse percer de son doigt, de course qu’il fait contre ledit Watillon que le maître desdits bouchers tient à sa main, et quand ledit novice a fait sa course et qu’il veut mettre la main au Watillon, ledit maître lui donne sur la joue pour souvenance.
Les bouchers, y est-il ajouté, doivent en outre un certain nombre de gousses d’ail, un vieux sol, plus un gros messin au sommelier du couvent, et ils reçoivent en échange sept gros pains crusiez de sept livres et demie chacun, et dix-huit miches d’une livre et d’un demi quarteron chacune. On leur donnera en outre sept pots et une pinte de meilleur vin, qu’ils choisiront à leur gré, dans toutes les caves de l’abbaye, et avant de sortir ils auront à déjeuner tous ensemble ».
La manière de lever le droit de graisse n’était pas moins bizarre que la course du Watillon.
Il fallait qu’un novice montât sur une haquenée, la tête tournée vers la queue et la tenant dans la main. Dans cette posture, il parcourait les rues de Metz, recevant de chaque boucher ou vendeur de graisse la redevance en question.
Cet usage s’observa très exactement tant que l’abbaye de Saint-Arnould ne fut pas en commende. Mais depuis ce temps, le droit de graisse étant tombé dans le lot de l’abbé commendataire, les religieux ne voulurent plus fournir le novice pour monter la haquenée.
L’abbé, pour ne pas perdre son droit, imagina de faire habiller en bénédictin le premier venu qui voudrait bien se prêter à cette ridicule mascarade, et la promenade de la haquenée continua à avoir lieu, à la grande satisfaction de toute la populace.
Ce ne fut qu’en 1760, qu’un chandelier refusant de payer le droit de graisse, le corps intervint. Il disait que ce n’était pas un portefaix, mais un novice qui devait percevoir ce droit.
Les chandeliers ajoutaient qu’ils n’avaient anciennement payé la livre de graisse, que pour avoir la faculté d’étaler leurs marchandises à la foire qui se tenait dans le faubourg, où l’abbaye était située avant le siège de Metz. Par arrêt de 1767, les chandeliers furent déchargés de ce droit, dont on ne leur représentait aucun titre constitutif.
Les bouchers ne jugèrent pas à propos de suivre leur exemple. Comme ils avaient la liberté de racheter les quatre denrées de viande moyennant quatre deniers, suivant une sentence du 29 novembre 1629, que l’abbé leur devait un déjeuner de dix-huit livres, ils continuèrent jusqu’à la Révolution de venir au cloître de Saint-Arnould faire la cérémonie du Watillon.