L’oiseau national de la Lorraine

Blason Nancy

 

D’après une légende parue dans la revue « Le Pays Lorrain » en 1905.

Quand par les premières brumes d’octobre, un peu avant l’hiver, le pauvre prolétaire s’en vient chercher dans la forêt sa chétive provision de bois mort, un petit oiseau s’approche de lui, attiré par le bruit de la cognée. Il s’ingénie à lui faire fête en lui chantant tout bas ses plus douces chansonnettes. C’est le rouge-gorge, qu’une fée charitable a député vers le travailleur solitaire pour lui dire qu il y a encore quelqu’un dans la nature qui s’intéresse à lui.

Quand le bûcheron a rapproché l’un de l’autre les tisons de la veille engourdis dans la cendre, quand le copeau et la branche sèche pétillent dans la flamme, le rouge-gorge accourt en chantant pour prendre sa part du feu et des joies du bûcheron.

Quand la nature s’endort enveloppée dans son manteau de neige et n’a plus d’autre voix que celle de la bise qui mugit et s’engouffre au chaume des cabanes, un petit chant flûté, modulé à voix basse, vient protester encore, au nom du travail créateur, contre l’atonie universelle, le deuil et le chômage.

C’est toujours le chant du rouge-gorge disant qu’il n’est pas de saison morte pour l’ouvrier laborieux et que le travail attrayant se rit de la rigueur des frimas. Et l’oiseau frappe de son bec aux vitraux de la pauvre masure, pour lui demander asile, comme la fée des contes, et rappeler à l’homme les devoirs de l’hospitalité.

Toussenel, qui a écrit ces lignes charmantes, connaissait bien l’aimable petit oiseau, auquel elles s’adressent. Il a assez dit et redit que celui que la Légende a illustré, était le consolateur du pauvre, l’oiseau du bon Dieu et la plus noble des créatures ailées. Il ajoute que la nature du rouge-gorge l’entraîne vers ceux qui souffrent.

Le récit que le lecteur va lire lui prouvera certainement que, sur ce dernier point notamment, l’auteur de l’ornithologie passionnelle ne s’était pas trompé.

L’origine des armes de la capitale de la Lorraine parait attribuée à la grande victoire que le duc René II remporta, le 5 janvier 1477, sur Charles le Téméraire.

Les armes de Nancy sont : « Coupé : Le chef aux pleines armes de Lorraine, la pointe d’argent à un chardon de sinople ». En voici la signification en langage « vulgaire » : une ligne horizontale divise l’écusson en deux parties égales. En haut, sur fond d’or, apparaît une bande transversale rouge (de gueule) sur laquelle sont étendus trois oiseaux héraldiques aux ailes éployées (alérion). En bas, sur champ d’argent, figure un chardon aux feuilles piquantes et à la fleur purpurine » (Qui s’y frotte s’y pique !), le tout avec cette fière devise « Non inultus premor ! ».

Il est nécessaire d’ajouter qu’au moment où l’on créa cet écusson, la bande écarlate était absolument unie et ne portait par conséquent pas les trois oisillons qu’on remarque aujourd’hui.

Voici dans quelles circonstances cette lacune fut comblée.

Stanislas le Bienfaisant venait de faire appel au talent d’un des meilleurs artistes de sa capitale pour peindre l’écusson nancéien au-dessous de l’horloge de la cathédrale. Il assistait lui-même à ce travail et guidait l’ouvrier dans sa tâche.

Le chef d’œuvre était sur le point d’être terminé quand un rouge-gorge, que la curiosité avait attiré en cet endroit, se mit à voltiger autour du peintre en poussant ce petit cri métallique que les forestiers appellent « pétillement » et qui dénote l’étonnement chez l’oiseau.

On était au cœur de l’hiver. Le blanc manteau couvrait les campagnes et la ville de Nancy. Pendant que l’artiste lorrain profitait de quelques rayons de soleil pour mener à bien la tâche qui lui avait été confiée, trois chardonnerets, mourant de faim et exténués, avaient franchi la distance qui sépare les Fonds de Toul des terrains vagues où s’étend aujourd’hui la Pépinière. Ils avaient bien cherché, par ci par là, quelques chardons ou quelques brins de plantain oubliés, mais en vain.

Les infortunés venaient de tomber sur une brindille qui surgissait de l’épaisse couche de neige. On aurait dit de superbes fleurs animées au milieu de cette désolation. Leurs ailes d’or abattues et leurs jolies têtes tournées vers le ciel d’un bleu intense, ils n’attendaient plus que les rigueurs de la nuit glaciale qui allait probablement mettre un terme à leurs souffrances. Aussi poussaient-ils de petits cris plaintifs et argentins.

Soudain, un pétillement semblable au bruit que fait le sarment dans la flamme, se fit entendre. C’était un mignon petit oiseau tout ébouriffé, la poitrine marquée d’un coeur orangé, qui les regardaient avec ses grands yeux sympathiques.

Jean Rouge-Gorge, car c’était lui, s’approcha en faisant sa petite révérence et adressa aux trois pauvrets le dialogue ci-après : « Amis pourquoi désespérez-vous ? Croyez-vous donc que la saison cruelle ne finira jamais ? Ne songez-vous pas que bientôt viendra le moment où le prunier et le cerisier en fleurs abriteront vos petites familles ? C’est alors que vous ne penserez plus aux mauvais jours. Réagissez plutôt et faites comme moi, qui suis toujours en mouvement et qui me réconforte par l’espérance ! Serrez-vous la nuit les uns contre les autres et vous lutterez bien mieux contre le froid qui donne la mort. Allez, écoutez-moi et vous verrez encore les splendeurs du renouveau ! ».

« Mais, interrompirent les chardonnerets, nous mourons de faim. Nous arrivons de la forêt de Haye et nous n’avons pas trouvé un seul chardon à éplucher ».

« Eh bien ! Je vais vous donner un conseil, mes pauvres amis, répliqua Jean Rouge-Gorge. Allez donc visiter tous les jardins des faubourgs de Nancy et des villages environnants. Vous y découvrirez bien quelque graine de pavot, de salade ou d’autres végétaux. Et qui vous empêche, comme vos cousins les verdiers et les pinsons, des malins ceux-là, de demander un peu de leur pâtée aux volailles de la fermière et aux chiens du propriétaire ? C’est une charité qui ne vous sera certes pas refusée mais il faut vous secouer ! Et puis cette neige finira bien par disparaître et vous retrouverez de quoi vivoter en attendant le bon temps. Au fait, je vais vous rendre immédiatement un petit service d’ami ; en me promenant tout à l’heure du côté de la cathédrale, j’ai aperçu un magnifique chardon qui a poussé par hasard au-dessus du portail ! Courez-y et vous trouverez là, le souper tout préparé pour ce soir ».

Cela dit, maître Rouge-Gorge disparut en faisant entendre : Sisri ! Sisri ! Sisri !

Les trois jolies bestioles, réunissant ce qui leur restait de forces, prirent aussitôt leur envol et réussirent à gagner la basilique au moment où l’artiste venait de donner une dernière couche de peinture à la bande située au dessus du symbolique chardon. A la vue de la plante de prédilection, nos trois héros, entraînés par leur élan, qu’ils avaient mal calculé, vinrent précisément se heurter contre ladite bande.

Qu’arriva-t-il ? La peinture formant glu, adhéra tellement à leur plumage qu’ils n’eurent pas la force de se dégager. Ils restèrent fixés à l’écusson.

Au comble de l’étonnement, l’artiste en référa séance tenante au Duc. Ce dernier, émerveillé du plumage de nos amis, voulut dès lors, qu’ils fussent représentés, les ailes étendues, sur son écusson.

C’est ainsi que le chardonneret devint l’oiseau national de la Lorraine. Stanislas prit les étourdis et les mit dans une cage dorée qu’on peut voir encore aujourd’hui, dit-on, au musée lorrain. Ses pensionnaires devinrent familiers en très peu de temps et, oubliant la liberté, ne regrettèrent pas d’avoir suivi l’humain mais malencontreux conseil qui leur avait été donné.

Jean Rouge-Gorge dut être bien étonné, le lendemain matin, quand il vit le portrait de ses obligés fixé, grâce à lui, à la place d’honneur de la capitale de la Lorraine. Il en fut heureux et fier, mais non jaloux.

Et pourquoi en aurait-il été jaloux, étant donné la gloire qui rejaillit un jour sur lui et qui sera son éternel titre de noblesse ?


Archive pour janvier, 2011

La prévôté de Longwy, pomme de discorde entre la France et la Lorraine

Blason de Longwy

 

D’après un article paru dans la revue « Mémoires de la société d’archéologie lorraine » en 1896.

Les appellations anciennes ont été respectées.

Négociations relatives à la prévôté de Longwy, par M. F. Nau, d’après des documents manuscrits de la bibliothèque nationale de Paris.

Le catalogue sommaire des manuscrits qui composent la collection de Lorraine, porte n° 78-79 « Traités entre la France et la Lorraine en 1718 », puis n° 504-511 « Longwy ».

Le plus grand nombre de pièces, que les douze volumes contiennent, est relatif à un même fait : l’échange de la prévôté de Longwy, que le traité de Ryswick permettait à Louis XIV de garder, contre un territoire équivalent qu’il s’agissait de déterminer.

Premier sujet de litige : La France veut garder Longwy.

Jusqu’en 1679, Longwy comprenait un château fort, une ville haute et une ville basse, et donnait son nom à une prévôté. Sa position sur la route la plus courte de Verdun à Luxembourg et à Thionville, lui donnait grande importance durant les guerres entre la France et l’Espagne.

Aussi, elle fut investie par Condé en 1643, prise par la Ferté-Senneterre en 1646, et rendue seulement à la Lorraine en 1659 à la paix des Pyrénées. Enfin en 1670, le maréchal de Créqui s’empara de nouveau de Longwy, et cette ville ne fit plus retour au duché de Lorraine. Louis XIV, voulant opposer une place forte respectable à Luxembourg que tenaient les Espagnols, fit raser le château fort et la ville haute, et fit tirer au cordeau les rues de la ville actuelle, que fortifia Vauban (1679).

De nombreux privilèges accordés par le roi, amenèrent bientôt de nombreux habitants dans la nouvelle forteresse qui eut jusqu’à 2 000 hommes de garnison.

A la paix de Ryswick (7 octobre 1697), les alliés imposèrent aux Français, l’obligation de rendre au duc de Lorraine tous ses États. Louis XIV fit sans doute valoir qu’il n’avait pas construit et fortifié Longwy pour le compte du duc. Aussi, dans un article spécial (art. 33), on permit au roi de conserver la prévôté de Longwy, à condition de rendre au duc une prévôté de même valeur et même étendue dans les Évêchés.

S’il était facile de trouver une prévôté de même étendue, il ne l’était pas autant, parait-il, d’en trouver une de même valeur, car les plénipotentiaires du roi et du duc, après plusieurs années consacrées à des enquêtes et à des discussions, ne purent arriver à s’entendre.

Premières négociations : 1698-1701

Citons d’abord quelques lignes d’un mémoire étendu sur la prévôté de Longwy, dont il va être constamment question :
- La prévôté de Longwy est située à l’extrémité de la Lorraine à l’occident.
- Elle est bornée par les prévôtés de Luxembourg, Thionville, Sancy, Arrancy, Longuyon, Mangiennes, Damvillers, Marville, Virton et Arlon.
- La rivière Chiers est remarquable en ce que ce fut sur ses bords que Lothaire, roi de France, donna la Lorraine en fief à Othon, second-empereur.
- La prévôté est fertile en grains. Le grain y est petit mais bon. Elle est utile pour faire passer les blés de Lorraine et les vins du Barrois et par l’Ardenne les marchandises de Liège et du pays de Bar.
- Elle est encore considérable par les mines de fer qui s’y rencontrent en plusieurs endroits, et de la grosse et de la riche. (Les mines d’Aumetz étaient indispensables aux forges des environs, en particulier à celle de Moyeuvre). Elle a aussi des bois en suffisance pour l’exploitation de ses forges.

Il fallait donc, conformément à l’article 33 du traité de Riswick, estimer la valeur de cette prévôté de Longwy, puis lui trouver un équivalent dans les Évêchés. Les plénipotentiaires furent M. de Turgot, intendant de Metz, pour le roi de France, et le sieur Jean-Baptiste, baron de Mahuet, conseiller d’Etat, pour le duc de Lorraine.

Les environs de Longwy avaient été ravagés durant la guerre de Trente ans par les Français (1631), les Suédois de Bernard de Saxe-Weimar (1635) et enfin par les troupes impériales, Polonais, Hongrois, Croates qui, envoyés pour défendre le pays, s’y signalèrent surtout par leurs pillages et leurs atrocités.

Aussi, le duc de Lorraine ne voulait pas estimer la valeur de la prévôté de Longwy uniquement d’après son état actuel, mais il voulait tenir compte de sa richesse passée qu’une longue paix devait lui rendre. On réunit donc pour en faire la comparaison, un certain nombre de comptes.

Nous avons à Paris ceux de 1629 et 1637, puis les comptes de Gérard Magnier, gruyer et receveur du domaine de Longwy pour les années 1657 et 1666, enfin le registre et contrôle vingt-neuvième de François Gérard, contrôleur du domaine et office de Longwy pour l’an 1667. Ces comptes fournissaient et fourniraient encore intéressante matière à comparaison entre l’état de la prévôté avant, pendant et après la période française de la guerre de Trente ans.

Les fours et moulins publics avaient été détruits. En 1666, il y avait dix-huit fours ruinés, un en bon état (Longwy-Bas) et deux affermés (Villers et Beuville). La plupart furent ruinés en 1636, celui de Longwy-Haut en 1641 et celui d’Errouville en 1677 par l’armée impériale.

Le nombre des habitants était aussi bien diminué. En 1698, Tiercelet ne comptait encore que 18 chefs de famille, dont 8 laboureurs, au lieu de 86 qu’il avait avant les guerres. Tellancourt en avait aussi 18, dont 6 laboureurs au lieu de 40. Hussigny n’avait plus un seul habitant.

La plupart des maisons étaient encore en ruines. A Ville, il y avait dix maisons sur pied et douze masures à Houdlemont, six maisons sur pied et cinq masures. A Tiercelet, vingt-huit maisons sur pied, « y compris celle du curé » et cinquante masures.

En 1698, la prévôté comprend une soixantaine de villages ou hameaux, avec 646 laboureurs, 1200 artisans ou manœuvres, et 184 femmes veuves. De nombreuses listes donnent le nombre et les noms des habitants de chaque village.

On trouve même un tableau qui n’a rien à envier pour le soin des détails à nos recensements actuels. Il donne le nombre des hommes, femmes, garçons et filles, avec l’état de chacun pour l’an 1696. Il y a alors dans la prévôté, 3163 hommes et jeunes garçons et 3211 femmes et jeunes filles, répartis en 1376 feux. Il y a aussi 36 moulins, 2 forges, 2 carrosses, 1 chaise, 413 1/2 chariots, 113 charrettes, 410 1/2 charrues, 2711 chevaux, 329 poulains, 8 baudets, 1 bourrique, 2306 vaches, 589 veaux, 3668 moutons, 2505 porcs, 170 chèvres.

Les premières négociations eurent lieu à Metz. Le 2 décembre 1698, le sieur Mahuet énonce douze sujets de grief contre M. de Turgot.

Enfin, on trouve le procès-verbal des séances du 1er au 4 décembre 1698 qui furent consacrées à de purs préliminaires, et paraissent n’avoir été suivies d’aucun résultat positif, car le 1ermars 1699, le duc Léopold accrédita Jean-Baptiste Mahuet pour aller demander au roi lui-même l’équivalent de Longwy.

On proposa alors au duc, cinq territoires différents pour l’équivalent de la prévôté :
-
La ville de Toul et 52 villages qui dépendent de la ville, évêché et chapitre de Toul, avec 8 villages de l’évêché de Verdun, Dieulouard, Belleville, Sivry, Moirey, Bezaumont, Landremont, Loisey, Sainte-Geneviève.
-
La ville de Vic et 64 villages dont 8 moitié lorrains.
-
Un équivalent dans les Évêchés proposés à Paris par M. Turgot le 26 décembre 1699, et comprenant en particulier les baronnies de Chatillon, Saint-Georges, Turquestein et des villages entre Vic et Sarrelouis.
-
Vers l’angle de la Franche-Comté entre les rivières de Saône, du Cosné, d’Angrogne et du Breuchain. Ce projet comme le second est du 22 décembre 1699.
-
Les prévôtés de Rambervillers, Vic, Moyen et Baccarat.

Il semble que ce luxe de projets devait amener un accord facile, mais il n’en fut rien. On parut se préoccuper surtout de trouver des objections.

Un auteur anonyme conseille au roi de donner l’équivalent cherché dans le baillage d’Allemagne, parce que « le bailliage d’Allemagne ne sera jamais un pays qui puisse payer beaucoup de subventions, il n’y est même pas accoutumé. Outre qu’il sent la poudre à canon, il sera toujours exposé aux premiers mouvements de guerre ». Les mêmes raisons suffirent sans doute pour faire exclure ce projet par les Lorrains.

Un autre mémoire est intitulé « Réflexions sur l’équivalent proposé du côté de la Bourgogne ». Il y a un tiers ou approchant de masures à rétablir, etc.

Ailleurs, on critique Rambervillers « ville fermée d’une simple muraille et d’un fossé mal entretenu, elle ne contient dans son enceinte et ses faubourgs que 350 habitants ».

Enfin, il y a des objections générales. M. Turgot propose des villages qui sont introuvables, du moins sur les cartes, ou qui sont déjà Lorrains, enfin il donne comme villages de simples censes ou hameaux. A tout cela, M. Turgot répondait par d’autres mémoires, et le temps passait entre les objections et les réponses, ou bien en enquêtes près des employés subalternes.

Ces retards avaient peut-être aussi une cause bien au-dessus de la volonté des négociateurs, car on sut depuis, que Louis XIV avait conclu avec le duc Léopold un traité secret lui donnant le duché de Milan, en échange de la Lorraine et du Barrois.

Il n’était donc plus nécessaire de chercher l’équivalent de Longwy, puisque tout devait rester au roi. Il suffisait de laisser tomber peu à peu les négociations. On arriva ainsi à la guerre de la succession d’Espagne (1701).

On sait que le duc Léopold dut recevoir une garnison française dans Nancy, et se retira à Lunéville (2 déc. 1702). Mais il sut maintenir la neutralité de la Lorraine, à l’exception de la prévôté de Longwy qui suivit la fortune de la France, et fut encore dévastée. Hussigny fut pillé par les ennemis la deuxième année de la guerre, Ottange fut brûlé et paya 3415 livres. Audun paya 700 livres pour deux prisonniers et Micheville 300 pour un prisonnier. A Tiercelet, les ennemis prirent 22 chevaux, etc. Les Français font aussi de nombreuses réquisitions.

Ainsi en une année, du 7 mai 1713 au 2 mars 1714, la prévôté fournit 1985 chariots pour l’évacuation de Luxembourg (10 mai 1713) et pour voiturer des vivres et des munitions de Verdun à Thionville et à Metz.

On trouve quelques rares mémoires composés durant la guerre de la succession d’Espagne On demande au roi de France en 1703 de donner l’équivalent de la prévôté ou de la rendre au duc de Lorraine, en se réservant seulement les murailles et fortifications de Longwy. Cette mesure aurait épargné à la prévôté les horreurs de la guerre.

Plus tard en 1706, le duc de Lorraine fait composer un mémoire « pour justifier l’étendue et la valeur de la prévôté de Longwy ».

On a un second mémoire de 1706 sur le même sujet, très bien documenté qui fait l’historique de la prise de Longwy et de la paix avec le duc de Lorraine, puis donne l’évaluation détaillée des revenus. Un dernier mémoire de 1706 donne l’évaluation des domaines. On trouve en tout  81 555 livres 8 sols 10 deniers et soutiennent que le domaine augmentera encore tous les jours, parce que le tiers de la prévôté se trouvant encore en ruine, suivant la reconnaissance que nous en avons faite, elle se rétablira par la paix.

Enfin, on nous apprend incidemment que en cette année 1709, les grains se vendaient fort chers, parce que le rigoureux hiver qu’on eut cette année perdit toutes les semences des blés.

Second sujet de litige : Les revenus de la prévôté de Longwy.

Ces retards apportés à l’échange de la prévôté de Longwy amenaient nécessairement un nouveau sujet de discussions.

Le roi n’ayant pas donné en 1698 un territoire équivalent, devait rendre les revenus, que depuis lors il percevait indûment. En d’autres termes, le roi détenait un capital appartenant depuis 1698 au duc de Lorraine, c’est-à-dire l’équivalent de la prévôté de Longwy, il devait donc en rendre les intérêts égaux aux revenus de Longwy. C’est autour de l’évaluation de ces revenus que vont maintenant avoir lieu les mémoires et les discussions pendant plusieurs années.

Secondes négociations : 1714-1718.

Au congrès d’Utrecht (1712), le duc fit réclamer les parties de ses états occupées par les Français, mais ses réclamations n’aboutirent à rien de solide. Ses envoyés firent protestation et opposition le 30 avril 1713.

En cette année 1713, se place un mémoire de M. Olivier de Hadonviller, prévoyant le cas où le roi ne garderait de la prévôté que Longwy et quelques villages, dont il donne le nombre des habitants et l’estimation des revenus.

En 1714, les troupes françaises évacuent Nancy et les autres places fortes de Lorraine, et les négociations relatives à Longwy sont reprises à Metz, où elles continuent l’année 1715. La mort de Louis XIV (1er septembre 1715) les interrompit durant quelques mois.

Enfin, elles reprirent en 1716 pour se terminer en 1718. Les négociateurs sont alors pour le roi de France, les sieurs Dominique de Barberie, seigneur de Saint-Contest, et Lefebure, seigneur d’Ormesson, et pour le duc de Lorraine, les sieurs Jean-Baptiste, baron de Mahuet, et François de Barrois, seigneur de Saint-Remy.

En 1715, la France propose Phalsbourg, Niederwiler, Saint-Epvre et Saint-Mansuy, le ban de Saint-Pierre Leywiler, etc., en échange de Longwy et de huit villages, mais ce projet souffre de nombreuses difficultés parce que, dit-on, plusieurs de ces villages appartiennent déjà de droit à la Lorraine.

En 1716, nous trouvons trois projets d’équivalent formés par le duc de Lorraine. Les deux premiers supposent l’échange de toute la prévôté de Longwy et demandent en place,
- l’un : la ville de Vic et son territoire, les mairies de Réméréville et de Saint-Clément, les terres et seigneuries de Lorquin, de Cerey, de Chatillon, etc.,
- l’autre : Rambervillers, Baccarat, Saint-Clément, Turquestein, Saint-Georges, etc.

Enfin, le troisième projet prévoit le cas où la France ne garderait que Longwy et quelques villages à l’entour. On demande Rambervillers en échange. Et « en cas que la France refuse absolument de nous abandonner la châtellenie de Rambervillers, on peut proposer les châtellenies de Baccarat et de Moyen, les mairies de Saint-Clément et de Réméréville et la seigneurie de Gerbévillers avec leurs bans finages et dépendances ».

Ils consistent en 770 habitants. Longwy n’en a que 650, mais « il y en a 400 dans Longwy qui est une ville et les habitants de Longwy valent beaucoup mieux que ceux des dites châtellenies ».

Cette opinion flatteuse pour les habitants de Longwy, ne fut sans doute pas partagée en France, car on se décida à donner Rambervillers en échange de Longwy et des villages situés à une demi-lieue à l’entour.

Il ne restait plus qu’à évaluer les revenus perçus indûment par le roi depuis 1698, et qu’il devait donc rendre au duc de Lorraine. Il aurait été assez simple de prendre pour la valeur des revenus de la prévôté, le montant du bail passé avec les fermiers généraux. Mais ici se présentait une difficulté.

Un certain François Rodemack de Ballieu s’était rendu sous-adjudicataire des domaines de la prévôté de Longwy pour 33 700 francs, monnaie lorraine, qui font 14 442 livres 17 sols de France, par année. L’acte fut passé devant Me Vergaland, notaire à Longwy. Les Lorrains prétendent que Rodemack était très solvable, mais ce n’était sans doute pas l’opinion de M. Turgot, car il accusa Rodemack « d’avoir oultré le prix de la prévôté et le fit mettre en prison ». Notons, à la décharge de M. Turgot, que dans les comptes de 1657 ne figure, parmi les habitants de Laix et de Bailleux, qu’un seul Rodemack (Pierre), classé parmi les manouvriers et mendiants.

Enfin M. Turgot rendit la liberté à François Rodemack, mais l’expulsa du pays, et mit à sa place Henry Laurent pour régir la prévôté. Mais « un régisseur s’applique moins au bien de la chose qu’à trouver son profit dans la régie », aussi les revenus ne furent que de 10 837 livres, 12 sols par an.

Le roi ne voulait rendre, comme revenu des domaines, que ce qu’il avait perçu par les mains de Henry Laurent, tandis que les Lorrains voulaient prendre comme base le bail de Rodemack, et prétendaient même (22 mars 1715) que les domaines ayant augmenté de valeur, le chiffre de Rodemack était trop faible et qu’il fallait évaluer leur revenu à 18 615 livres 15 sols par an.

Des difficultés analogues se présentaient pour évaluer les revenus des gabelles, des droits d’entrée et sortie, de la marque du fer, de la vente des offices, etc.. etc.

Les Lorrains demandaient ce que le duc aurait tiré du pays s’il l’avait exploité lui-même. Un mémoire est capital dans ce sens. On y trouve le chiffre définitif pour eux, des revenus en 20 ans (1698-1718). « Revenus sur le pied de l’administration des finances en Lorraine » : 2 034 881 livres 15 sols.

Le roi faisait estimer de son côté ce qu’il avait perçu, d’où une foule de comptes particuliers sur les revenus de la gabelle, des entrées et issues foraines, des ventes de bois, etc. et il prétendait, avec quelque raison, ne pas rendre davantage. Or, en additionnant leurs recettes, les Français ne trouvaient que 1 367 648 livres 12 sols.

Pour expliquer la différence considérable des deux comptes, les Lorrains ne manquent pas non plus de bonnes raisons :

1) Ils accusent les régisseurs de mauvaise gestion ou dilapidation. Nous l’avons déjà vu pour Henry Laurent. Cette accusation était trop fréquente pour n’avoir pas quelque raison d’être.

Le 25 décembre 1681, les habitants des prévôtés de Longwy et Sancy se plaignent des rigueurs et vexations que leur causent les fermiers, « ce qui les contraint à faire des traités onéreux avec les fermiers pour tâcher à vivre en repos », ce qu’ils ne trouvent pas dans la suite, à cause de l’impuissance où ils sont de les acquitter.

On trouve une accusation de dilapidation contre le sieur Nicolas Vergalant, avocat au bailliage de Longwy qui géra les domaines des prévôtés de Longwy, Longuyon et Norroy-le-Sec du 1er octobre 1691 au 1eroctobre 1697, et les domaines, la gabelle, les entrées et issues foraines de la prévôté de Longwy de 1701 à 1710. Avant lui, on consommait 160 muids de sel et la foraine produisait 3 000 francs par an. A ce moment, on n’en consomme plus que 100 muids, et la foraine ne produit que 1 000 francs, parce que Vergalland « qui n’a ny foy ny religion » laisse faire la contrebande des sels à l’un de ses proches parent qui est fermier des gabelles à Metz, et il loue trop bon marché les revenus royaux « à de ses intimes amis, de qui il reçoit plusieurs gratifications ».

On pouvait répondre du reste, que les dilapidations n’étaient pas moindres sous l’administration du duc de Lorraine, car on trouve une lettre de Le Gay, substitut à Longwy, du 14 octobre 1662, disant « que les fermiers gagnent la juste moitié. D’avantage, monseigneur, il n’est pas juste que quelqu’un de ces fermiers qui ont sucé toute la substance de vos sujets durant l’absence de votre Altesse et qui ont toute la richesse du pays, tirent encore la moitié des fruits de son domaine de Longwy, tandis que cette pauvre ville désolée et ruinée, faute d’entretien, se démantèle tous les jours, et va bientôt être un village par la chute de ses murailles ».

2) Le roi n’a pas établi le droit de marque des fers, mais il n’en doit pas moins le rembourser au duc, puisque celui-ci en aurait tiré profit, et en a été frustré.

Il y avait alors trois usines dans la prévôté, fabriquant annuellement plus de 1 500 milliers de fer, à Herserange, Villerupt et Ottange.
La forge de Herserange dont le fourneau est dans Athus est une forge à deux feux, avec une fonderie, une platinerie et une affinerie. Elle fabrique 400 milliers de fer par an.
Villerupt a son fourneau avec fonderie et affinerie, il fabrique tous les ans 300 milliers de fer.
Le fourneau d’Ottange fournit deux forges qui ont toute leur suite. Il fournit 800 milliers de fer.
Le droit de marque du fer est de 6 livres 15 le millier.

3) Outre les recettes accusées par ses régisseurs, le roi a imposé au pays de nombreuses contributions et corvées qu’il n’est pas facile d’estimer, mais qui n’en doivent pas moins entrer en compte dans les recettes.

Le duc demande des indemnités, à raison des affranchissements et octroys, que le roi a accordés aux habitants de la ville neuve de Longwy, pour la faciente de la bière, pour la banalité du four, pour les quatre foires (Rehon, Pierrepont, Haucourt et Longwy) transportées à Longwy, où l’on percevait auparavant le soixantième denier de toute marchandise vendue, pour le droit de cabaretage, etc., etc. La faciente était une redevance rattachée au commerce de vins ou de bière.

4) Le duc demande encore à être indemnisé pour certains dons, que fit le roi aux dépens du domaine.

Ainsi, le roi donna aux habitants de Longwy le bois de Xay (maintenant bois de Châ) de 258 arpents. Il donna à M. de Naue, gouverneur de Longwy, 95 jours de terre près de la porte de la ville. Enfin le 5 mai 1688, il donna à M. Mathieu, gouverneur de Longwy, le domaine du village d’Errouville, qui comprenait moulin et four banal, la moitié du terrage, la haute justice, le droit de bourgeoisie et de faciente de la bière, 150 arpents de bois et les amendes.

A l’aide de ces raisons et d’autres du même genre, les commissaires de Lorraine en arrivent non seulement à expliquer la différence entre les revenus sur le pied de l’administration des finances en Lorraine et en France, mais ils sont amenés à conclure que leur chiffre de 2 034 881 livres 15 sols est trop faible, et que le roi a tiré de la prévôté 2 342 309 livres 14 sols, qu’il doit donc rendre au duc de Lorraine.

Accord entre la France et la Lorraine.

Enfin l’accord sur les deux sujets de litige fut conclu en 1718. Par un traité en 68 articles, daté du 21 janvier 1718, le roi déclare garder uniquement la ville de Longwy et les villages à une demi-lieue à l’entour savoir Mexi, Herseranges, Longlaville, Mont-Saint-Martin, Glaba, Autru, Piedmont, Romain, Lexi et Rehon, et donner en place la ville et la châtellenie de Rambervillers.

Les autres articles concernent Sarrelouis et d’autres points en litige, mais surtout le commerce entre la France et la Lorraine.

Les deux exemplaires du traité sont signés l’un Louis et l’autre Léopold avec sceaux appendus. L’acte d’enregistrement au Parlement de Metz est daté du 24 février 1718. L’acte d’enregistrement au Conseil souverain d’Alsace pour les articles qui pourraient être de son ressort est du 25 février 1718.

Les lettres patentes pour l’exécution du traité furent données à Paris le 11 février et enregistrées au Parlement le 7 avril. Elles furent données à Lunéville le 30 juin, et enregistrées en la Cour souveraine de Lorraine et Barrois et en la Chambre des comptes de Lorraine le 7 et 9 juillet 1718.

Quant au second sujet de litige, on prit à peu près la moyenne entre les recettes accusées par les commissaires du roi et la somme réclamée par les commissaires de Lorraine. « Tout considéré, ouy le rapport, le roi étant en son conseil, de l’avis de M. le duc d’Orléans régent, a ordonné et ordonne que les fruits, jouissances et revenus perçus au nom et profit de sa Majesté ès ville et prévôté de Longwy pendant vingt ans, dont M. le duc de Lorraine doit être indemnisé et remboursé conformément à l’article 12 du traité du 21 janvier 1718, demeureront réglés et liquidés à la somme de 1 750 000 livres pour toutes indemnités, laquelle sera payée des fonds à ce destinés par sa Majesté ».

Le 27 février 1718, les envoyés du duc prennent possession de Rambervillers.

Mais c’est dans la prévôté de Longwy que cette reprise de possession, après une annexion de quarante-huit ans, eut un caractère grandiose. Les envoyés du duc vont de village en village, et font prêter serment à tous les habitants, partout on bénit à nouveau la terre, l’eau et le feu, on sonne les cloches, on chante le Te Deum.

On part de Longwy. A Haucourt, on trouve un bûcher, on sonne les cloches, on bénit le feu et la terre, on boit à la santé du duc. Près de Villers, est un autre bûcher près duquel se tiennent deux cents hommes armés, le tambour battant la marche de Lorraine. Ils ont le drapeau jaune et rouge et portent des cocardes de papier de même couleur.

Six femmes de Villers-la-Montagne se signalèrent en se rangeant avec les hommes, le fusil sur l’épaule. On nomme un prévôt à Villers, on fait prêter serment, on bénit la terre et le feu, on sonne les cloches, on chante le Te Deum et le Domine salvum fac ducem. On se dirige alors vers les villages d’Aumetz, Audun, Ottange, qui firent toujours partie de la prévôté de Longwy, c’est-à-dire de la Lorraine française, et on y est reçu avec les mêmes démonstrations de joie.

Le sentiment national était resté intact chez les Lorrains après quarante-huit ans d’annexion, et ils surent le faire voir à leurs ennemis d’alors, comme en témoigne la phrase suivante par laquelle je termine : « J’ai annoncé que les officiers de Longwy qui se vantaient de ruiner la chasse sur nos terres trouveraient à qui parler, et que les premiers soldats qui ravageraient nos bois du voisinage ou les jardins des villages, j’en ferais faire exemple du premier qui y serait attrapé ». 

La Croix de Lorraine

Croix de Lorraine 

Extraits d’un article écrit par le chanoine Cherrier et publié
dans les « Mémoires de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix » – 1891

L’écusson de la Lorraine porte : d’azur à une croix patriarcale à double traverse.

La Lorraine, après avoir formé, au démembrement du royaume d’Austrasie, le Royaume de Lorraine (855), puis le Duché de Haute-Lorraine (959), fut réunie totalement à la France en 1766, après la mort de Stanislas roi de Pologne et dernier duc de Lorraine. Metz s’était donnée à Henri II en 1552.

La Lorraine, placée entre la France et l’Allemagne, est un reste de l’ancienne Austrasie, séjour des Francs et berceau des Carlovingiens. Constituée plus tard en duché indépendant auquel appartenait la principauté de Bouillon, aujourd’hui à la Belgique, elle attira, pendant de longs siècles, l’attention du monde, par ses grands hommes et les hauts faits de ses ducs qui avaient dans les veines le sang de l’Empire germanique et le sang de la maison de France.

L’emblême national de la Lorraine est une croix à double traverse. Cette croix, de forme grecque, à deux croisillons, fait sa première apparition, comme pièce héraldique, sur les monnaies du roi René, devenu duc de Lorraine, par son mariage avec Isabelle de Lorraine, fille aînée et héritière du duc Charles.

Le roi René la portait noire, comme l’indiquent ses armoiries à la cathédrale d’Angers. René II, son petit-fils, lui donna la couleur blanche.

« De tous les emblêmes nationaux, dit monsieur Léon Germain, la croix de Lorraine est peut-être le plus populaire dans son pays et le plus connu au dehors. Bien peu de personnes, cependant, savent son histoire ».

Quelle est l’origine de la croix de Lorraine à double croisillon ? Les emblèmes nationaux sont souvent aussi mystérieux dans leur origine, que les nations dont ils sont le point de ralliement. On les voit paraître tout à coup, au lendemain d’une victoire ou d’un avènement dynastique. On les accepte. Et, c’est en vain, que plus tard, on cherche à arracher à l’antiquité la genèse de leur destin primitif.

La croix à double traverse importée, en Lorraine par René d’Anjou, n’est autre que la croix du royaume de Hongrie. Telle est l’opinion en faveur de laquelle monsieur Léon Germain apporte des documents certains et une argumentation solide.

La croix double, dit le P. Benoît Picard, fut donnée par le Saint Siège à Saint-Étienne, roi de Hongrie, pour la faire porter devant lui. Cependant, il est plus probable, au dire de Monseigneur Barbier de Montauld, qui a étudié la question avec beaucoup de sagacité dans sa Nouvelle méthode raisonnée du blason, que le principe de la croix double est une relique de la vraie croix rapportée de Jérusalem par le roi de Hongrie André II, père de Sainte-Élizabeth.

Car c’est à partir du règne d’André II, que cette pièce héraldique figure dans les sceaux officiels de Hongrie (1205-1235.) Une première preuve en est donnée par le sceau à double croix d’Agnès d’Autriche (épouse d’André III), reine de Hongrie, qui, devenue veuve en 1301, fonda le monastère de Koenigsfelden, en Suisse.

Comment ce sceau de la maison royale de Hongrie se trouve-t-il appendu à l’acte original de donation des terres de Neufchâteau et de Chatenoy par Ferry IV, duc de Lorraine, à sa femme Isabelle d’Autriche, en 1326, cent ans avant le roi René ?

Cela ne peut s’expliquer que par la parenté d’Agnès d’Autriche, épouse d’André III, roi de Hongrie, avec Isabelle d’Autriche, femme de Ferry IV. Une seconde preuve est dans un vitrail du monastère de Koenigsfelden, où Sainte-Élizabeth de Hongrie est représentée tenant en mains la croix à double traverse. Ce vitrail est de la fin du XIVe siècle.

La croix de Lorraine, dit Chifflet, dans son Commentarius Lotharigiensis, édité en 1649, est la croix royale de Hongrie. Les premiers rois de Pannonie, dont les ducs d’Anjou se disent les descendants, portaient la croix double, d’une teinte rouge pourpre.

René d’Anjou lui donna la couleur noire. Les ducs de Lorraine issus de Yolande, fille de René, conservèrent la croix de Hongrie, qu’ils appelèrent croix de Lorraine, en lui donnant une teinte dorée.

C’est donc en arrivant d’Orient, que la croix à double traverse devint la croix royale de Hongrie. Mais comment de Hongrie cette croix à double traverse, vint-elle en Lorraine ?

En 1270, par le mariage de Charles II d’Anjou, roi de Sicile, de Naples et de Jérusalem, avec Marie, soeur du roi de Hongrie Ladislas IV, la maison d’Anjou acquit des droits sur la Hongrie. Ces droits, ainsi que beaucoup d’autres, furent vainement affirmés. Comme signe de protestation, la maison d’Anjou garda la croix de Hongrie dans ses armoiries.

La reine Jeanne II, dernière héritière de la maison d’Anjou, se qualifiait « reine de Hongrie, de Jérusalem et de Sicile ». Or, c’est elle qui adopta René de France-Anjou, si connu sous le nom de roi René, devenu duc de Lorraine en 1431.

A cause des prétentions de la maison d’Anjou à la couronne de Hongrie, le roi René a adopté la croix à double traverse et l’a portée au premier quartier de ses armes pleines. Sans conserver les mêmes prétentions, les successeurs de René, comtes du Maine, ducs de Lorraine, et leur descendance ont continué de porter en blason la croix à double traverse.

D’ailleurs, les monnaies que René fit frapper comme souverain réel de la Lorraine offrent des types variés de la croix à double traverse. L’une de ces monnaies porte en légende intérieure : Moneta et Vanei avec la croix double. Une autre porte en légende : Crucem tuam adoramus Domine avec croix de Lorraine accostée de deux R : Renatus Rex.

De plus, les monnaies que le roi René fit frapper à Tarascon ressemblent à celles de Lorraine, quant aux initiales et à la croix double. Sur toutes ces monnaies à croix de Lorraine frappées par le roi René, les détails les plus précieux sont donnés dans les études de monsieur de Saulcy, publiées à Metz en 1845, et dans celles de monsieur Laugier, conservateur du cabinet des médailles de Marseille, publiées dans les « Mémoires de l’Académie » en 1882.

Ainsi, apportée de Jérusalem par le roi de Hongrie André II, qui l’a fixée, comme pièce héraldique, aux armes royales, la croix à double traverse a passé à l’écusson de René d’Anjou prétendant au trône de Hongrie, et, de là, à l’écusson des ducs de Lorraine descendants de René.

Nous pouvons donc dire avec Didron : « L’origine de la Croix de Lorraine est orientale, la Croix de Jérusalem en est le type ». Quant à l’opinion qui prétend que le roi René a adopté la Croix double, en souvenir de Godfroid de Bouillon, ou par dévotion personnelle pour une relique de la vraie Croix qu’il aurait vénérée à Marseille et à Angers, nous pouvons, avec M. Léon Germain, lui opposer cette réflexion décisive.

Si le roi René avait adopté la croix potencée de Godfroid de Bouillon, il l’aurait conservée seule. Or, la croix de Godfroid de Bouillon se trouve, sur plusieurs monnaies, concurremment avec la Croix de Lorraine.

D’autre part, si René avait adopté la croix double, par vénération pour une relique insigne, il lui aurait donné une place toujours privilégiée et une forme toujours invariable et respectée. Or, la croix double, aux armoiries de René d’Anjou, varie dans sa forme, selon le temps et le gré des artistes. Elle n’a une place spéciale et un rôle éminent que sur les monnaies.

Toutefois, il est certain que si la croix double, gravée sur les monnaies et aux écussons de famille, considérée comme pièce héraldique, a persisté, plus ou moins longtemps, dans les pays divers où René d’Anjou a exercé son autorité, il faut dire que c’est en Lorraine seulement qu’elle devint le symbole officiel du duché.

Voici à quelle occasion :

En 1477, le duc René II, petit-fils, par sa mère, du roi René, livre bataille, sous les murs de Nancy, à Charles le-Téméraire, duc de Bourgogne, le plus puissant des princes qui n’étaient pas rois. Charles fut tué en désertant le combat. Or, à cette bataille de Nancy, qui est l’événement capital de l’histoire de Lorraine, parce qu’elle a consacré le règne de la vieille dynastie d’Anjou et l’union définitive des duchés de Bar, de Lorraine et du comté de Vaudemont, le point de ralliement était la croix de Lorraine, de couleur blanche.

Depuis cette époque, la croix double, qui n’était qu’un emblême de famille, devint, par René II, le symbole par excellence de l’État lorrain.

Et l’histoire dit assez haut comment cet emblème fut porté par les ducs, désormais moins germaniques que français.

Trois générations des Guise, la branche cadette des ducs, ont présenté la croix de Lorraine à l’admiration de la France.

L’un d’eux, le célèbre inspirateur de cet élan national, qui mit la foi religieuse au-dessus de la fidélité aux souverains, Henri de Guise a porté la croix si près du trône, que la peur le fit poignarder, dans un guet-apens, au château de Blois.

Les ducs régnants :
- Charles III qui construisit la ville neuve de Nancy, achevée et embellie par Stanislas de Pologne.
- Charles IV, frappé par Richelieu qui exigeait l’alliance des Lorrains contre l’empire d’Allemagne.
- Nicolas François qui, sur le conseil du bienheureux Fourier, curé de Mattaincourt, abandonna la pourpre cardinalice, pour épouser sa cousine la princesse Claude, et garda à la Lorraine, malgré Richelieu, sa dynastie, sa gloire et sa nationalité.
- Charles V, le compagnon de Sobieski, à la bataille de Vienne, contre les Musulmans.

Enfin, Léopold le dernier duc, frère de François Ier, empereur d’Allemagne, l’un des princes du XVIIIe siècle qui ont excité le plus d’enthousiasme et d’admiration, ont prouvé que la croix de René d’Anjou, plantée dans la terre lorraine, l’avait rendue admirablement féconde en princes pieux, bienveillants dans la paix et merveilleux dans la guerre.

Cependant, vient un jour où la Croix de René d’Anjou doit s’incliner et s’effacer, comme emblême national, devant le drapeau de Louis XIV.

En 1670, le vieux duché fait son entrée définitive dans la famille française, à laquelle il appartient déjà, par le coeur et les services rendus. Menacée des mains tortueuses de l’empire d’Allemagne, la Lorraine montre comment un peuple, formé à l’ombre de la Croix, sait déposer avec honneur, un sceptre affaibli, pour accepter d’un sceptre plus fort, l’assurance que la foi, les traditions et la liberté seront respectées.

Un siècle plus tôt, en 1552, Metz, la soeur aînée de Nancy, s’est donnée librement au roi de France Henri II. « J’ai grand plaisir, disait ce prince, de voir en quelle bonne volonté les députés lorrains, venus à Joinville, persévèrent en mon endroit ». Le connétable de Montmorency vint immédiatement occuper la ville commerçante et guerrière.

A coup sûr, entre la croix double et la fleur de lys, l’alliance doit être sincère et irrévocable. En France, la Lorraine retrouve sa religion, ses souvenirs, ses espérances.

Pourquoi son coeur ne battrait-il pas à l’unisson de la grande nation pleine de bonne gloire et de juste fierté ? Mais si, après deux siècles d’éclat incomparable, la croix double redevient pour la Lorraine un écusson de famille, c’est un écusson qu’elle garde comme une relique précieuse, car il rappelle des ancêtres de haute lignée et de vaillante allure dont il faut se faire gloire de garder les principes et de perpétuer les exemples.

Dès lors, la belle province qui s’est appelée Basse-Lorraine, Lorraine-Mosellane, Pays Messin, entre dans la structure de la France. Elle entrelace son histoire à la sienne. Elle complète son unité géographique.

Elle sauvegarde ses frontières, en mettant pour boucle à sa ceinture une imprenable forteresse :
- Metz tranquillement assise au confluent de la Seille et de la Moselle, visible de loin par les flèches élancées de sa cathédrale, dominée par des collines à pentes douces, que couronnent des forts d’un aspect sombre et menaçant.
- Nancy, coquettement rajeunie par la grandeur et la régularité de ses rues, riche de son palais ducal, de sa chapelle ronde, de son église de Bon-Secours fondée par René II, en mémoire de la victoire remportée sur Charles-le-Téméraire et ornée des étendards enlevés par les ducs.
- Metz et Nancy, enveloppées dans les plis du drapeau français, ne cessent point d’apparaître, comme les deux joyaux fixés par la main du temps, aux deux traverses de la croix des aïeux.

A Metz et à Nancy, malgré les délires de révolution et les bouleversements politiques, les armoiries d’Anjou restent populaires. Les braves gens de la campagne et du commerce, trouvent dans la Croix ducale le passé qu’ils aiment et le progrès qu’ils désirent. Il y a encore des industries, des hôtelleries importantes, de grandes maisons de négoce qui portent en fronton : « A la Croix de Lorraine ».

Changeons les gouvernements, nous ne changeons pas les enseignes. C’est d’ailleurs le propre de la tradition de s’étendre en silence, et d’empêcher le bruit des craquements politiques de troubler les masses laborieuses, comme la neige tombée la nuit empêche le bruit des charriots.

Sans doute, en Lorraine, comme partout, il y a des esprits qui voudraient gratter l’antique écusson, pour se poser en dehors des principes de la société et protester contre ses croyances et son avenir. Entre ceux-là et les fidèles de la croix à une ou deux traverses, c’est le temps qui décidera.

Cependant, par-delà tant de querelles et tant de résultats contraires aux impatiences et aux calculs, l’idée qui émerge chez les Lorrains avisés, c’est l’idée de la croix unie au drapeau, comme au temps des Guise et de René d’Anjou. Cette idée semble disparaître et s’obscurcir, à certains moments.

Mais, aux jours de malheur, elle reparaît à la surface, comme ces plantes enracinées au fond d’une rivière, nourries de ses eaux et de ses limons, qui baissent un moment la tête sous la force du courant, puis ramènent bien vite au-dessus de la vague leur tige et leur couronne.

Salve, Crux pretiosa ! C’est toujours l’espérance vulgarisée par les monnaies du roi René. II n’y a que celle-là, dont les ailes soient plus longues que le temps, et plus fortes que l’adversité. 

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