Lion-devant-Dun du VIe au XIIIe siècle

Carte Lion-devant-Dun

Petit village de 180 habitants, Lion-devant-Dun se situe au pied de la côte Saint-Germain, qui sert aujourd’hui de point d’envol aux amateurs de parapente.

Je vous propose de partager l’histoire de ce village, depuis la fin du VIe siècle et jusqu’au XVIIIe siècle. On a même un peu de mal à imaginer que tant d’événements s’y soient déroulés.

Les anciennes appellations ont été respectées.

D’après le « Manuel de la Meuse » de Jean François Louis Jeantin – 1861

Ancienne baronnie-pairie de la chastellenie de Dun.

Origines

Suivant Herric, moine d’Auxerre, auteur de la vie de saint Germain, un camp romain aurait été établi sur le plateau quasi elliptique de la côte, qu’il appelle Morfagne, et qui paraît être celui de notre côte Saint Germain.

Il en attribue les retranchements à l’empereur Adrien, lors de ses voyages dans les Gaules, ce qui en reporterait l’existence vers l’an 117 de notre ère. Quelle que soit l’identité, plus ou moins douteuse, cette tradition appliquée au plateau d’Arimont est assez probable (A toutes époques, on a trouvé de nombreuses médailles romaines sur la côte saint Germain).

Aucun emplacement, certes, ne répondit mieux aux exigences de l’ancienne castramétation. Arimont, à l’altitude de 350 mètres est le point dominateur de toutes nos dunes. Son plateau allongé, entouré d’une ceinture de fer, Meerenwaldi castellum, réunissait toutes les conditions, exigées alors, pour la défense et pour le stationnement, à poste fixe, d’une légion.

Au bas, de Milly à Baalay, près du lit de la vieille Meuse, passait la voie diverticulaire de Divodurum Mediomatricorum (Metz) à Durocortorum-Remorum (Rheims). Cette voie traversait, au pied du Castellum, les Prœdia : Putei villare, Bonum villare, Arei villare. Elle mettait en communication directe les stations de l’Argonne, ad Romanas, sous Montfaucon, avec les stations des Woepvres, ad Romanas, sous Mont Urbel.

Erection en commune par Gobert V d’Apremont et sa mère Julianne du Rosois, dame de Dun.
Causes : le mouvement des affranchissements, l’approche de la septième croisade, les besoins d’hommes et d’argent pour la défense des châteaux confiés à la garde des châtelaines.
Date de la charte d’affranchissement : avril 1251.

Par charte du duc Edouard de Bar, du 23 août 1311, les habitants de Lions ont droit de dépaissance et de glandée dans la forêt de Wabvre et dans les aisances de Mouzay. Les limites et la consistance de ce droit ont donné lieu à de nombreuses contestations. Ils sont en outre usagers dans les 4 925 ha de la forêt de Wabvre, qui étaient de l’apanage des Condé. Par indivis avec les habitants de Baalon, de Landzécourt et de Milly, ils prenaient 5ha 12a dans les 31ha 33a affectés à l’exercice de ce droit pour les trois communes.

Ordre spirituel

Diocèse de Rheims, par impignoration des anciens prélats de Trêves et de Verdun – Archidiaconné de Champagne, sous le titre de Saint Médard de Grandpré – Doyenné de Saint Giles de Dun.

Cure : celle de Saint Maur de Lions – Annexe et desserte : anciennement celle de Saint Vincent de Murvaulx.

Hermitage : celui de l’oratoire primitif et église matriculaire des chapelains de Saint Germain d’Arimont. L’enceinte fossoyée de cette chapelle est encore très apparente. On y aperçoit, çà et là, des ossements, qui doivent être ceux des derniers hermites et ceux des personnes considérables de Lions et de Murvaulx. Au commencement de ce siècle, ils étaient abrités par un orme colossal, qu’on apercevait des points les plus éloignés de l’horizon. Aujourd’hui cet arbre est remplacé par une croix. Une foire se tenait annuellement en ce lieu vénéré de toute antiquité.

Ordre temporel

Avouerie des anciens sires de Merevald et de Louppy (Chartes de 1199, 1222, 1253)
Patronage à la collation des comtes de Bar, comme seigneurs de Dun
Dixmage au profit des mêmes et de l’université de Rheims
Entretien du chœur et des bâtiments, idem.

Ordre politique

Ancienne cité de Trêves, limites contestées par le Remois et par le Verdunois – Royaume d’Austrasie, puis de Lotharingie – Empire Germanique – Ancien pagus des basses Wabvres, in fine Wabvrensi et Trevirensi – Baronnie de Lions – Pairie des six Pers de la chastellenie de Dun – Duché de Bar, ensuite de Lorraine – Comté de Dun, sous les Condé – Haute justice des anciens barons Fiefs et arrières-fiefs : ceux des terrages inféodés et la cense de Baalay.

Ordre judiciaire

Avant la rédaction des coutumes générales : Loi du Vermandois, dans le principe – ensuite loi de Beaumont. Mesures :
pour les grains et autres matières sèches, et pour les liquides, Bar le duc
pour les bois, idem et Chiny 
pour les terres seulement, Bar le duc.

Indication de l’étalon local : l’arpent, de 100 perches – le jour ou bonnier, de 80 perches – la perche, de 18 pieds 1 pouce 6 lignes.Après la rédaction des coutumes particulières : Coutume de Chiny, ensuite celle de Saint-Mihiel, en 1571.

Anciennes assises : à Dun, des sires de Dun, de Clarey, de Vilaisnes, de Prouville et de Landreville.
Cour supérieure des grands jours de Saint Mihiel. Ensuite Parlement de Metz, puis celui de Paris, comme Clermontois.
Ancien bailliage de Dun et Stenay, puis celui de Clermont, siégeant à Varennes.
Ancienne prévôté de Dun, puis celle de Clermont.

Histoire de Lions

On sait que dans la forêt de Wabvre, s’est élevé le castellum Meerenwaldi (Ch. de 1082). Sous l’emplacement de ce castellum est le bois du Deffois, ce bois que traversait la chaussée austrasienne de Metz à Rheims, au temps de la reine Brunehault. Le souvenir d’une grave révolte, defectus, doit être caché sous ce mot.

Le père de l’histoire de France, Grégoire de Tours, dans ses vieilles annales des Gaules, nous a conservé les détails d’un événement mémorable, que tout indique s’être passé, sur ce théâtre, en face et au pied de la rampe du castrum d’Arimont.

C’était en l’an 587, alors que le jeune Childebert régnait dans les deux Belgiques (Rheims et Metz), sous la mainbournie de son oncle et père adoptif Gontram, roi des Burgondes, et alors que sa mère Brunichilde, d’une main intelligente et sûre, tenait le sceptre de l’Austrasie.

En ce temps là, vivait Gunthram Bose, le mauvais génie des monarques des Gaules, courtisan insidieux, qui devint l’instigateur des crimes de Chilpéric et de Frédégunde, et qui fut le machinateur perfide de leurs trames contre Brunehault et contre son fils. Gunthram Bose périt dans l’oratoire de Saint Airy, à Verdun, où il avait cherché un refuge contre les exécuteurs de sa condamnation à mort. L’évêque fut mortellement affligé de cette violation de sa Sauvegarde : il éleva et il établit les enfants du Bose, qui parait être l’auteur de la race des Boson, ces leudes perfides tous fameux, par leur puissance et par leurs crimes, dans l’histoire des Wabvres et de la Lotharingie.

A Rheims, vivait un comte Lupus, duc des Calalauniens. Dépositaire fidèle des pouvoirs et de la confiance de la régente, ce Leude était en but aux machinations du Bose et de ses adhérents Berthefride et Ursion du castrum Wabrense.

Lupus avait été contraint de garnir de défenses toute la frontière campanienne de son département. Un jour, cependant il faillit succomber sous les attaques de ses ennemis. Ecoutez le récit de Grégoire de Tours.

Dans l’intention de se défaire du duc, Ursion et Berthefride avaient assemblé des cavaliers contre lui. De son côté, Lupus avait réuni les troupes dont il pouvait disposer dans son gouvernement. Celles-ci, venues de Rheims, avaient passé la Meuse à Milly, il est probable. Les autres étaient descendues des hauts de Metz, dans les basses Woepvres, et les deux armées se trouvaient en présence dans la campagne du prœdium Arei.

Brunehault, instruite du conflit, accourt de Metz. Elle traverse la forêt qui, encore aujourd’hui, porte son nom, près de Pilon et de Mangiennes. Elle débouche par la voie qui accède au castrum de Romagne, elle traverse la chaussée de Dampvillers à Brandeville, et du sommet de Hab-sault, elle se précipite au milieu des assaillants. Guerrière intrépide comme la foudre, elle tombe dans les escadrons qui s’arrêtent.

« Cessez, dit-elle, cessez, je vous en adjure, cessez cette guerre sacrilège. Abandonnez un dessein impie, cessez de poursuivre un innocent et de combattre votre roi. N’allez pas, par une haine personnelle contre son plus fidèle serviteur, porter la désolation dans toute une contrée ».

« Retire-toi ! lui répond Ursion, femme, retire toi… C’est bien assez que tu aies gouverné ce royaume quand vivait ton époux… aujourd’hui c’est ton fils qui porte la couronne, le pays n’a plus besoin de ta funeste protection. A nous, à nous seuls, désormais, de veiller à son repos. Hâte-toi, je t’en préviens, hâte toi de sortir de nos rangs, si tu ne veux que, foulée aux pieds, ton corps ne reste applati sous les fers de nos chevaux ».

Mais la peur n’a pas prise sur une âme trempée comme l’était celle de Brunehault… Elle insiste, elle adjure, elle persiste. Aucun refus ne la rebute : les armes tombent enfin des mains des rebelles… et ils se retirent. Lupus congédie ses troupes et il se retire dans un de ses châteaux.

Cependant, quelques jours après, les conjurés sont revenus à la charge. Furieux, ils se ruent sur les domaines du comte, ils forcent ses manoirs, ils pillent ses trésors. Des menaces de mort partent de leurs lèvres : « Non ! vivant, il n’échappera pas de nos mains ! » s’écrient-ils. Lupus, caché près de là, les entend. Il traverse la forêt de Wabvre, et, avec sa femme, il se réfugie dans un château voisin, lequel était occupé par les Burgondes, qui, alors, étaient maîtres du Verdunois.

L’historien nomme ce château la ville de Lugduni Clavati, expression qui localise la scène à Lions devant Dun.

L’aleud d’Arimont

Romare d’Arimont

A la charte de fondation du prieuré de Saint Giles, 1094, en outre de Wauthier, haut voué de Dun, figurent sept donateurs : Herbertus, Warinus, Lambertus, Varnerus, Romarus, Milo et Elbertus. Milon de Milly et Elbert de Cesse donnent un pré sur la Meuse, les cinq autres ont cédé l’aleud sur lequel est construit le couvent.

Comment cet aleud était-il en leurs mains ? Voici :

Herbert est avoué de la cathédrale virdunoise, à Chauvancy. Varin ou Gharin est châtelain de Laferté. Lambert, sire de Pouilly, parait être ce Lambertus de Sathanaco que, dans sa charte de 1107, la comtesse Mathilde de Toscane, donnant tout le Septiminium et le Mosagium à l’église des Claves, excepte, formellement, avec Dragon son frère, de sa concession. Varnier est sire du Verniacensis. Ce doit être un des auteurs des maisons de Wale et de Failly. Enfin Romarus, c’est le lion des montagnes : Romare, comme le dit son nom, dominait, il est probable, depuis Romagne sous les côtes jusqu’à Romagne sous Montfaucon.

Le Septiminium comprenait le versant des Argonnes, depuis Septsarges jusqu’à la Wiseppe – le Mosagium comprenait toute l’agence de la Meuse jusqu’à Mouzon, et notamment Stenay et Mouzay.

Voyez les témoins : Richerius de Dun, Fredericus de Dun, Leudo de Failly, Albertus de Briey, Aleranus de Mucey, Herbertus de Mangiennes, Ancelmus, de Chauvancy, Rodulphus de Dun, Ramardus de Rameray, Amalricus de Raucourt et Symon l’ancien, sire de Murault.

Falcon de Mérowald

Après Romare, le premier Arien alloti au Castellum de Mérowald ou Mirowaulx, est Falcon, frère de Philippe, Philippus de Lupeio, celui-ci premier seigneur connu de Louppy les deux châteaux (Ch. de 1172, de l’évêque Arnoux de Chiny, pour Chatillon). Falcon était oncle, conséquemment, d’Arnoux, sire de Louppi et du Mont Saint Martin (Ch. de 1279,1287), celui-ci fils puîné de Philippe de Louppi. Falcon mourut sans enfants, tout l’indique.

Gauthier de Mérowald

Apparaît ensuite Gauthier, Galtherus ou Waltherus, de Mérowald. Celui-ci avait épousé Azeline de Dun, fille unique (du premier lit) de Gobert Ier de Dun-Apremont (Ch. de 1150, 1156, 1163). Gauthier était fils de Pierre de Murault, il était petit-fils de Symon l’ancien.

En 1279, le 15 juin, Gauthier de Mérowald, avec son beaupère Gobert Ier de Dun-Apremont, avec Lieutard, seigneur de Jametz, avec Evrard d’Orne, avec Albert de Clermont dit le Loup, assiste, comme cofidéjusteur, au traité solennel conclu entre la comtesse Agnès de Bar, au nom de son fils Henry Ier, et le chapitre de la cathédrale des Claves, pour l’administration temporelle de la vicomté de Verdun. A ce traité figurait aussi Arnoux de Louppy, qui alors était gouverneur de la châtellenie de Stenay.

Gauthier de Mérowald, mort, paraît-il, sans postérité, disparaît pour faire place à Henry de Mérowald, frère de Gérard Ier de Louppy, sire d’Haraucourt et de Remoiville, l’un et l’autre fils d’Arnoux, sire de Louppy et du Mont Saint Martin.

A suivre…


Archive pour janvier, 2011

Le château d’Arches

Ruines du château ArchesBlason ArchesCarte Arches

 

Arches est une petite ville de 1800 habitants, située au bord de la Moselle, à quelques kilomètres d’Epinal. Je me propose de vous transporter à l’époque où Arches était le siège d’une prévôté ducale.

 

D’après un article publié dans la revue « Le Pays Lorrain » de 1905

En l’année 1085, le duc Thierry de Lorraine réunit une troupe de fantassins et de cavaliers, et s’achemina vers Epinal. Il sema sur son passage la misère et la ruine, dévastant les campagnes et brûlant les villages. Enfin, il arriva devant Epinal qu’il assiégea. Ce prince, écumeur de grands chemins, avait, à l’occasion, de fières allures et les sentiments d’un chevalier. Il proposa aux gens de Vidric, qui occupaient la ville, de combattre ses soldats à nombre égal, moyennant que ceux d’Epinal fassent la promesse de rester neutres.

Les Spinaliens promirent et la lutte s’engagea dans la plaine, à peu de distance des murailles. Elle fut brève au premier choc, les troupes de Vidric lâchèrent pied et, prenant la fuite, rentrèrent en désordre dans la ville. Alors les Spinaliens, oublieux de la parole donnée, fermèrent leurs portes et, par les jets des balistes établies sur les remparts, arrêtèrent la poursuite des Lorrains.

Toutefois, le duc n’en eut point de colère et montra qu’il savait être magnanime et pacifique. Il craignit de verser le sang de la multitude entassée dans la ville, la jugeant innocente de la trahison des gens de guerre. C’est pourquoi il s’éloigna simplement avec son armée et tira vers le lieu d’Arches où il bâtit une forteresse. Ainsi, selon la Chronique de Jean de Bayon, le château d’Arches se trouva fondé pour surveiller la ville et le pays d’Epinal.

La Chronique exagère les vertus ducales et la perfidie de nos bourgeois. Il n’en faut point douter et je tiens pour bien plus vraisemblable ce simple récit du Père Benoit Picard, qui écrivit l’Histoire de la Maison de Lorraine.

En ce temps-là, a-t-il conté, la ville d’Epinal était le refuge de plusieurs seigneurs qui, sous prétexte de la défendre, couraient les terres voisines et les mettaient au pillage. Le duc Thierry, connaissant ces désordres, résolut de les réprimer. En quoi il accomplit son devoir de souverain. Donc, il assembla des troupes et porta le siège devant Epinal. Le seigneur Vidric y commandait. Il défendit si bien la ville et le château qu’il lassa les efforts de Thierry et le contraignit à battre en retraite. Celui-ci se retira avec son armée jusqu’au lieu d’Arches, où il édifia un château fortifié pour garder le pays des incursions et des rapines.

Fondés par le duc de Lorraine, le château et la ville d’Arches-sur-Moselle devinrent le siège d’une prévôté ducale.

Cette prévôté était gérée et gouvernée par les officiers ordinaires : un prévôt, un gruyer, et un substitut du procureur de Vôge. En outre, le château, à cause de son importance stratégique, était spécialement confié à la garde d’un gentilhomme qui avait la confiance du duc. Ce châtelain ou capitaine d’Arches, était bien un chef militaire, mais il joignait à cette qualité les fonctions moins glorieuses de geôlier.

Même le temps arriva où le pays d’Arches connut l’adversité comme toute la Lorraine et le château, ruiné par la fortune de guerre, comme on disait, de l’altière forteresse qu’il était, devint une prison vile. Alors les châtelains, déchus de leur premier honneur, n’eurent plus d’autre devoir que garder les prisonniers enfermés dans le donjon, qui restait seul debout. Et leurs émoluments devinrent aussi modestes que leurs attributions car, outre la franchise coutumière des impôts et des charges publiques, ils n’eurent plus que la résidence au château et la jouissance d’un jardin.En vérité, leurs avantages ne furent jamais considérables. Au commencement du XVIIe siècle, ils recevaient un traitement annuel d’une centaine de livres, et ils ne percevaient au-delà que quelques droits insignifiants, moins lucratifs que singuliers.

C’est ainsi que chaque année, le jour de la Saint Jean Baptiste, les officiers du val de Munster, qui en étaient requis par le sonrier de l’église Saint-Pierre de Remiremont, envoyaient des gens par tout le val, dans toutes les granges des chaumes. Ces émissaires avertissaient les marcaires de se trouver, au jour fixé par le sonrier, en la place publique de Gérardmer et d’y porter les fromages dont ils devaient le tribut. Une part de ces fromages revenait, de toute ancienneté, au capitaine d’Arches. En retour, le capitaine était tenu de payer le dîner des officiers du Val, le greffier et le maître des bourgeois, et de fournir quelques victuailles aux délégués des marcaires. Et de la sorte, le pauvre capitaine ne retenait que fort peu de chose et ne tirait de cette redevance qu’un bien maigre profit.

Les châtelains avaient coutume, à cause de leur office, de lever un autre droit, qui était dit le droit de lance. Toutes fois qu’un manant du pays d’Arches quittait la prévôté et sortait des terres de la suzeraineté du duc pour devenir le vassal d’un autre seigneur, il devait en obtenir le congé de son Altesse ou du châtelain, son représentant. Il comparaissait devant celui-ci et lui offrait un fer de lance en argent, un baril de vin, une paire de gants et « une douzaine d’aiguillettes ferrées d’argent ».

Tout cela n’emplissait pas les coffres du châtelain et, pour bien dire, son office était surtout honorifique.

Le prévôt, le gruyer et le substitut géraient le domaine de Son Altesse, selon les règles accoutumées. Le prévôt, premier officier de la Prévoté gouvernait au nom du duc de Lorraine, les habitants, ses sujets. Il organisait les levées de troupes, présidait aux « monstres » ou parades et menait à l’armée ducale le contingent de la circonscription ou, comme on disait, la bannière de la Prévoté. C’est pourquoi il était dit que les hommes du ban étaient « sujets au cri d’armes et d’alarmes ».

Le prévôt rendait la justice, et il la rendait dans les formes, avec l’appareil et, si j’ose dire, parlant de si graves choses, avec les accessoires habituels.

Le Tribunal tenait ses audiences et rendait ses sentences sous une halle, en dehors du château. Aux accusés qui s’obstinaient dans la dénégation, le maître du vil office de Remiremont appliquait la question. Et sans aucun doute, ici comme ailleurs, les épaisses murailles de la chambre de torture étouffaient à l’aventure les gémissements des innocents et des coupables. Car, ainsi que l’écrit La Bruyère : « La question était une invention merveilleuse pour perdre un innocent qui avait la complexion faible, et sauver un coupable qui était né robuste ».

Les prisons étaient creusées, en manière d’oubliettes, dans le sous-sol de la grande tour du donjon. Leur nom l’indique assez. On les nommait les fonds de fosse. De même, à Epinal, la prison dite le Puits du Château, était un trou profond où les prisonniers s’engageaient en glissant le long d’une corde. Et il advint qu’à l’usage, la corde se trouva trop courte et que les prisonniers qu’on « avalloit » (descendait) par ce chemin, se laissaient choir de trop haut sur le sol et s’y rompaient les os. Il fallut quelque temps pour que l’administration du domaine ducal, qui était parcimonieuse, se décidât à rallonger la corde.

A Arches, une grille de fer, lourde et « matérielle », fermait l’ouverture des fonds de fosse et empêchait l’évasion des prisonniers. Telles étaient les prisons criminelles du château d’Arches. La prison civile, beaucoup moins rigoureuse, était simplement une chambre voisine de la salle où le bourreau donnait la question.

Dans l’enceinte du château, il y avait un puits dont, naguère encore, les vestiges subsistaient. Les délinquants étaient promenés autour de ce puits et battus de verges jusqu’à effusion de sang. Ailleurs se dressait le signe patibulaire où l’on suspendait le corps des suppliciés. Au bout de peu de temps, les cadavres se détachaient, décomposés par la pluie et le soleil, et les animaux sauvages, qui peuplaient les forêts voisines, emportaient dans leurs retraites des lambeaux dérobés à ce charnier lugubre. On dut, par décence, élever autour du signe une muraille de six pieds pour garder les cadavres de l’atteinte des bêtes.

Au demeurant, la justice d’Arches pratiquait les supplices usités dans le reste du Duché et figurés dans l’estampe fameuse de Callot : le feu pour les sorciers, le gibet, la marque. Nous avons, pour exemple, le récit d’une exécution par les verges et la marque, qui eut lieu à Arches au XVIe siècle. Le condamné fut remis à l’exécuteur des hautes-oeuvres de Remiremont qui l’exposa, au carcan, à la vue du peuple. Puis il fut conduit jusqu’à une croix de pierre, proche du grand Pont d’Arches à Archettes, et durant qu’il cheminait, il était fustigé « par plusieurs fois et en divers endroits jusqu’à effusion de sang ». Arrivé à la Croix, il fut marqué sur l’épaule droite d’un fer chaud à l’empreinte d’une double croix de Lorraine et déclaré banni à jamais des terres et pays de son Altesse, si Elle ne lui donnait grâce. L’exécution terminée, le condamné s’agenouilla et cria « merci à Dieu, à Son Altesse et à justice ».

Comme il est naturel, les peines corporelles étaient réservées aux méfaits de quelque gravité mais pour les fautes légères, les juges de la Prévôté ne prononçaient que des amendes. Voici une sentence de justice où l’on voit que le tribunal montrait, à l’occasion et selon les personnes, une belle mansuétude.

Vers la fin du XVIe siècle, le jour de la Saint-Jacques qui était jour de foire à Arches, le curé d’Eloyes, nommé Demange Mourat, s’en revenait au presbytère. En chemin, entre la Justice d’Arches et le village de Pouxeux, il rencontra un Bourguignon avec qui il se prit de querelle. Le prêtre, apôtre de douceur et ministre de paix, n’était doux ni pacifique. Même il inclinait à la violence, d’une pente naturelle. C’est ce qui apparaissait à la rapière qu’il portait au côté et qui n’était point de son état. Il eut tôt fait de tirer son épée et d’en ruer au Bourguignon un grand coup d’estoc qui lui fit à la cuisse une blessure profonde. Pour quoi le tribunal le condamna seulement à une amende de quinze francs.

Arches, chef-lieu de la prévôté de ce nom, comprenait le château et la ville proprement dite qui le joignait immédiatement et se trouvait enclose dans l’enceinte des murailles. Au-delà des murs et des fossés s’éparpillaient les maisons du vieux bourg, sur l’emplacement du village actuel. Dans le fait, si la forteresse avait quelque importance stratégique, la ville et le vieux bourg étaient fort peu considérables.

En 1585, la Ville comptait cinq conduits ou ménages (25 habitants) et le bourg trente six conduits (180 habitants). En 1652, quand le Château fut détruit par les troupes de France, Arches n’avait plus qu’une vingtaine d’habitants. Plus tard, le duc de Lorraine Léopold imagina de relever de ses ruines l’infortunée bourgade. Le 5 janvier 1719, il promulgua un curieux Edit par quoi il promettait d’importants avantages à tous ceux qui viendraient s’établir dans le lieu d’Arches. Entre autres décisions, il prescrivait que la future cité serait nommée Arches-la-Neuve. Hélas Arches-la-Neuve n’exista jamais que dans le désir et le rêve du souverain, personne ne répondit à son appel.

Des temps les plus éloignés, un pont franchissait la Moselle, reliant Arches et Archettes. Emporté ou endommagé par les crues fréquentes de la rivière et l’injure du temps, il était pour la prévôté une occasion de lourdes dépenses. Tout près de nous, il devint le sujet d’une plaisante aventure. Certain candidat au conseil général promettait, s’il était élu, de faire voter par le conseil la construction d’un pont neuf. Son concurrent, qui était ingénieux et savait plus qu’homme du monde les ruses de la politique, jura qu’il ferait mieux ; il promit deux ponts, pour l’aller et le retour. En bonne philosophie, dupait-il plus ses électeurs ?

Enfin il y avait, dans la ville d’Arches, à l’intérieur de l’enceinte, une maison-fief ou seigneuriale qui était au sieur de Jussy. Un privilège singulier y était attaché, c’était le droit d’asile, ce qui s’entend qu’elle était aux criminels un refuge inviolable. L’immunité durait quarante jours. Elle était renouvelable si le coupable, déjouant la surveillance des hommes de justice, parvenait à sortir de la maison-fief et y rentrer.

Telle fut autrefois la ville d’Arches-sur-Moselle, qu’on appellerait mieux une bourgade. Voisine d’Epinal, elle en eut à peu près la fortune. Le bonheur, pour elle, ce fut l’existence simple, ignorée et lointaine, la vie sans histoire. De loin en loin, elle était visitée par les Ducs qui venaient d’Epinal et gagnaient Plombières. Ils s’arrêtaient dans le Grand Bourg, où ils prenaient leur repas. Plus rarement ils gîtaient au Château selon l’usage, on saluait leur présence de quelques livres de poudre.

En ce temps-là, Arches vivait les plus beaux moments de sa durée. Puis les malheurs sont venus. Déjà au XVe siècle, les soldats de Charles le Hardi avaient envahi le pays et les Lorrains de la prévôté avaient, comme les autres, donné leur foi au Duc de Bourgogne. Mais ils ne l’avaient donnée que des lèvres et, dans leur cœur, ils étaient restés bons Lorrains.

Au XVIIe siècle, comme le reste de la Lorraine, comme Epinal, la prévôté connut les pires misères. Les troupes du Roy de France lui infligèrent toutes les horreurs de la guerre : les campagnes dévastées, les maisons pillées, les habitants mis à mal, décimés ou en fuite.

En 1645, détail piquant, le tabellion de la prévôté donne sa démission de fermier du sceau, parce que les habitants sont ruinés par les Suédois, les sinistres alliés du Roy de France, et qu’ils n’ont le moyen de ne passer aucun contrat. Dans l’immense détresse qui submerge le pays, le tabellion prudent ne perd point le sens de son intérêt.

En 1652, la ville ne comptait plus que trois ménages. La forteresse épuisée cessa la résistance, et ses vainqueurs impitoyables la brûlèrent, comme ils détruisirent par la mine le noble Château d’Epinal. Ces ruines lamentables, déjetées et caduques se sont émiettées avec le temps. Aujourd’hui, l’on n’en aperçoit plus que de rares vestiges, des pans de murs lépreux, des amas de pierres croulantes qui font des taches grises sur la colline verte.

Il reste fort peu de choses du Château d’Arches. Mais pour le promeneur averti, ces pauvres ruines sont doucement évocatrices d’un passé troublant et d’une chère histoire. Je l’éprouve bien en ce jour où le ciel gris et froid répand sur toutes choses comme un voile de tristesse.Voici que devant mes yeux la vieille forteresse surgit avec son donjon, ses tours et ses murailles. Autour d’elles les maisons renaissent, humbles et chétives. Je vois sur les courtines les soldats casqués comme autrefois, et, parmi les basses demeures du bourg, les laboureurs tranquilles, simples et modestes.

Alors une grave pensée me vient à l’esprit. Je songe que ce que je découvre aujourd’hui du sommet de la colline, ces hommes le découvraient jadis. Ils voyaient la même plaine qui s’enfonce là-bas et va mourir bien loin dans 1a brume, au pied des montages bleues. Ils voyaient les mêmes villages d’Arches et d’Archettes, pareils et géminés, posés sur les deux rives de la Moselle. Ils voyaient la même rivière qui s’écoule lentement dans la vallée entre les pentes boisées qui l’enserrent. Ils voyaient le même ciel et la même terre. Eux seuls ne sont plus. Ainsi la nature demeure immuable sous l’écoulement éternel des choses.

La fête des Champs-Golots

Les champs Golots

 

D’après un article paru dans « Le magasin pittoresque » en 1841

Il existe encore aujourd’hui dans la principale ville des Vosges, à Epinal, un vieil usage fort singulier. C’est la fête des Champs-Golots.

Qui a institué cette fête ? A quelle époque a-t-elle été fondée ? Nul ne le sait.

Chaque année, dans la soirée du jeudi saint, lorsque les pieux exercices de la journée sont terminés, la rue de l’Hôtel-de-Ville se remplit de promeneurs de tous les âges et de toutes les conditions. Sept heures sonnent, et de toutes les rues adjacentes débouchent des groupes d’enfants conduits par leurs bonnes s’ils sont riches, ou leurs parents s’ils sont pauvres.

Cette troupe bruyante s’avance portant ou faisant porter des esquifs de sapin, dont toute la cargaison se compose de bougies ou de chandelles allumées et dressées comme des mâts. Elle en forme une flotte ; chaque esquif est sous les ordres de l’enfant à qui il appartient. La mer sur laquelle ces bâtiments sont lancés, est l’humble ruisseau qui roule ses eaux le long des maisons de la rue de l’Hôtel-de-Ville.

C’est là qu’ils se promènent, tenus en laisse par leurs propriétaires, et projetant sur les rives garnies de spectateurs leurs vacillantes lumières : ils descendent et remontent le ruisseau, se heurtant, s’entrelaçant, menaçant de sombrer quelquefois, et excitant parmi leurs capricieux conducteurs des cris incessants de joie ou de détresse, selon les chances qu’ils courent dans leur navigation embarrassée.

Pendant cette promenade nautique, les enfants, les bonnes, les parents, chantent à tue-tête et sans accord ce couplet :

Les champs golot,
Les lours relot.
Pâques revient,
C’est un grand bien
Pour les chats et les chiens
Et pour les gens tout aussi bien.

Aussi longtemps que brillent les fanaux plantés sur les esquifs, la foule, suivant les manœuvres de la flotte, et, comme elle, descendant et remontant le ruisseau, se presse et s’agite dans la rue. Mais dès qu’ils sont éteints, elle se disperse, sa curiosité est satisfaite. Les enfants rentrent sous le toit paternel, les uns riant, les autres pleurant, mais emportant tous, pour s’en servir encore l’année suivante, leurs légères embarcations, et la rue de Hôtel-de-Ville rentre dans son calme et son silence habituels.

C’est ainsi que se célèbre la fête des Champs-Golots, et voici l’explication que l’on en donne.

Quand le Carême touche à sa fin, les veillées cessent, les nuits s’abrègent, le repas du soir devient le signal du repos. Le jour suffit désormais aux exigences du travail. La campagne reverdit, les ruisseaux que le froid avait arrêtés dans leur course, serpentent en gazouillant dans les prairies. Le printemps, en un mot, apporte une nouvelle vie à la nature et à l’homme.

Or, c’est pour dire adieu aux veillées, pour inaugurer le retour d’une saison riante, pour proclamer l’abolition de l’abstinence et du jeûne, qu’à Epinal, le jeudi saint, le ruisseau de la rue de l’Hôtel-de-Ville se couvre à la brune de toutes ces nefs étincelantes, et que la chanson traditionnelle des Champs-Golot est répétée en choeur par la population.

Cette chanson a nécessairement été composée à deux époques différentes. Ses deux premiers vers sont empruntés au patois le plus ancien du pays. Ils se traduisent ainsi : Les champs coulent, les veillées s’en vont. Les quatre derniers sont d’une date beaucoup plus récente, et remplacent probablement d’autres vers qui n’ont pu se transmettre jusqu’à nos jours, et dont ils reproduisent le sens et la naïveté.

D’après un article paru dans « Essai sur les fêtes religieuses et les traditions qui s’y rattachent » en 1867

Les Champs-Golots, institués pour solenniser le retour du printemps, se célébraient invariablement en plain air, pendant une heure. Dès la fin du jour, une multitude d’enfants, portant des planchettes ou des boîtes de sapin parsemées de bouts de chandelles ou de petites bougies, envahissait la rue de l’Hôtel-de-Ville. Là, tous confiaient aux ruisseaux de la rue leurs embarcations, qu’ils dirigeaient sur l’eau à la file les unes des autres, en les retenant par une ficelle, afin de les empêcher de sombrer.

Rien de plus curieux de voir ces marins du premier âge conduire leurs navires avec une gravité comique, descendre et remonter bravement les courants, éviter avec soin les écueils, et rire aux éclats ou pleurer à chaudes larmes, lorsque le vent éteignait leurs fanaux ou que, par malheur, l’onde submergeait leurs esquifs. Du milieu de la foule des nautoniers, des parents, des bonnes et des promeneurs, s’élevaient des voix qui chantaient un vieux couplet patois.

C’est ainsi que dans cette vieille cité lorraine, l’enfance annonçait la fin de l’hiver, la chute des veillées et l’expiration du Carême.

Mais cette amusante coutume a disparu depuis que l’administration municipale a restauré la rue de l’Hôtel-de-Ville et lui a donné des trottoirs. En 1861, on a bien fait couler les fontaines dans cette rue afin de permettre aux enfants de se livrer à leur jeu comme précédemment. Beaucoup s’y sont rendus avec leurs navires illuminés. Mais, bien que la joie fut assez grande, le cachet primitif de la fête n’a pas entièrement reparu : on se plaignait de ce que la boîte à fromage tradionnelle était généralement remplacée par le navire de haut-bord. 

Cette fête traditionnelle se perpétue toujours dans certains endroits des Vosges pour l’arrivée du printemps, en particulier à Epinal et Remiremont.

Charles V (1675 – 1690) puis l’interrègne sous domination française

Charles V

 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Le prince Charles, neveu et héritier de Charles IV, était à Lauterbourg avec Montecuculli, lorsqu’un courrier vint lui annoncer qu’il était désormais duc de Lorraine et de Bar. Il se rendit dans le camp lorrain et se fit reconnaître des troupes qu’il ramena dans l’armée impériale. Il notifia à toutes les puissances son avènement sous le nom de Charles V.

Son règne devait durer quinze ans (1675-1690), mais il fut purement nominal, car en réalité, il ne régna pas un seul jour.

La Lorraine n’a pas assez honoré la mémoire de ce prince qui fut « un grand homme, un héros et un sage » (Comte d’Haussonville).

Dans la longue série des ducs héréditaires, il n’en est pas un seul qui lui ait été supérieur par le génie, et qui ait illustré davantage la race austrasienne. Aussi bon général que Charles IV, il avait toutes les vertus et toutes les qualités d’homme privé et de souverain qui manquaient à son oncle. Il en eût certainement réparé les folies et les malheurs, si la politique implacable de Louis XIV ne lui avait pas fermé la frontière de ses États.

Nous devons regretter que, par suite de cette fatalité, il se soit mis au service d’une puissance ennemie de la France. Toutefois, bien qu’on soit tenté de considérer déjà les Lorrains comme des Français, n’oublions pas que Charles de Lorraine était un souverain indépendant dépossédé par Louis XIV. Aucune considération ne peut nous empêcher, à la distance historique où nous sommes, de lui rendre pleine justice.

Si donc rien ne rappelle son souvenir dans son pays, pas même une plaque au coin d’une rue de Nancy, il convient, dans une courte notice, de lui conserver sa place ici et de lui consacrer comme une sorte de médaillon dans la galerie des portraits en pied de nos ducs.

Revenons un peu en arrière.

Dès sa première jeunesse, il avait laissé deviner son esprit de justice, son courage, sa fermeté. A dix-huit ans, il s’échappait de la cour du Louvre pour ne pas adhérer au traité de Montmartre. L’année suivante, il accourait de Vienne pour se renfermer dans Marsal et défendre la place contre le roi. Obligé par son oncle de se retirer, il s’était rendu hardiment à  Paris pour plaider ses droits devant Louis XIV lui-même. Celui-ci refusa de le recevoir et, brutalement, lui donna deux heures pour quitter la capitale.

Dès lors, poursuivi par l’animosité du roi qui ne lui pardonnait pas sa fierté, banni de la Lorraine par son oncle Charles IV, il n’eut plus d’autre asile que la cour de l’empereur d’Allemagne. Léopold l’accueillit avec une bienveillance paternelle et lui témoigna une affection croissante.

Tout d’abord, il fut nommé colonel d’un régiment de cavalerie d’élite. C’était le moment où le grand-vizir Kiuperli, réveillant les Turcs endormis depuis cent ans, poussait vers l’Allemagne une armée formidable. L’empereur avait fait appel à toute la chrétienté. Louis XIV envoya le comte de Coligny avec quatre mille hommes, et une foule de jeunes gentilshommes accoururent comme à une croisade.

Léopold avait voulu retenir le prince Charles pour ne pas exposer sa jeunesse aux fatigues et aux dangers d’une telle campagne. Lorsqu’on fut en face des Turcs, sur les bords du Raab, à Saint-Gothard, et que le général, l’illustre Montecuculli, passa la revue des troupes, il aperçut le prince lorrain à la tête de son régiment. Il s’était évadé de Vienne pour rejoindre ses soldats.

La bataille commença mal. L’aile droite fut mise en déroute par l’attaque impétueuse de sept à huit mille cavaliers turcs. Montecuculli courut à l’aile gauche et désigna un régiment avec ordre d’arrêter les Turcs à quelque prix que ce fût.  C’était le régiment du prince Charles. Le général désirait garder près de lui le jeune colonel. Le Lorrain ne répondit qu’en demandant : « Où faut-il charger ? ».

Montecuculli sourit et le lança à l’ennemi. Il avait devant lui les meilleurs soldats de Kiuperli, quatre fois plus nombreux que son régiment. Charles communiqua à tous sa furie de race, la furie française. Cinq fois, il ramena ses cavaliers à la charge. Il aurait cependant succombé sous les efforts des masses débordantes de l’ennemi, lorsque les Français de Coligny percèrent à travers la mêlée, le dégagèrent et achevèrent la victoire (5 août 1664).

Le soir de la bataille, les gentilshommes français acclamèrent le prince lorrain, et, dans l’effusion de la joie commune, les mains se pressèrent fraternellement. Ils devaient se revoir, mais malheureusement, en face les uns des autres.

Le prince Charles, dans cette glorieuse journée, reporta naturellement sa pensée vers la patrie qu’il ne devait plus revoir, et il envoya à Nancy un drapeau qu’il avait enlevé lui-même à l’ennemi, avec ordre de le suspendre à la voûte de l’église de Bon-Secours.  Léopold récompensa la belle conduite du héros en le nommant général de sa cavalerie. Le prince conserva sa fougue native, mais y ajouta la science militaire, qui en fit rapidement un des plus redoutés capitaines de l’Europe.

En 1668, il fut proposé par l’empereur pour le trône électif de Pologne. Mais l’intervention de Louis XIV fit écarter sa candidature, et il eut même cet amer déboire que son heureux concurrent, Michel Koributh, reçut la main de l’archiduchesse Éléonore qui lui avait été promise. En 1673, combattu pour la seconde fois par l’influence de Louis XIV, il dut s’incliner devant Jean Sobieski choisi par le parti national.

Il se consola de ses mécomptes dans de laborieuses campagnes en Hongrie. Puis il entraîna Léopold dans la guerre de Hollande, et donna de telles preuves de ses talents qu’en 1675, après la mort de Turenne, Montecuculli qui se retirait, « ne voulant pas risquer sa gloire contre les lieutenants de son illustre adversaire », l’indiqua comme le plus digne de le remplacer dans son commandement. Vers le même temps, il succéda, en qualité de duc de Lorraine, à son oncle Charles IV.

En 1678, Léopold se rendit à ses voeux en lui donnant sa soeur, Marie-Éléonore, la veuve du roi Koributh. Il obtint en dot le gouvernement du Tyrol, et le couple ducal s’installa à Inspruck.

Lorsque des conférences s’ouvrirent à Nimègue pour la paix, il espéra que Louis XIV lui rendrait son patrimoine. Mais le roi refusa même d’admettre ses représentants, et imposa de telles conditions que le Duc déclara que son honneur ne lui permettait pas d’y adhérer.

Quelques années après, uni à Jean Sobieski, il sauvait la maison d’Autriche en écrasant sous les murs de Vienne une des plus redoutables invasions, dont les Turcs aient jamais menacé l’Europe (août 1683), et à la suite de plusieurs belles campagnes, achevait de détruire les hordes mahométanes à la bataille de Mohacz (1687).

En 1689, il avait repris le commandement de l’armée impériale dans la guerre dite de la Ligue d’Augsbourg, et mis le comble à sa gloire par la prise retentissante de Mayence et de Bonn. Il méditait de nouvelles opérations lorsqu’il fut soudainement enlevé par une cruelle maladie à Welz près de Lintz (17 avril 1690). Il avait quarante-sept ans.

Dix ans après, son fils Léopold, obéissant à son dernier vœu, fit ramener ses restes mortels en Lorraine et, à la suite d’une magnifique cérémonie, les déposa dans l’église des Cordeliers, auprès de ceux de ses ancêtres.

On assure qu’en apprenant sa mort, Louis XIV s’écria : « J’ai perdu le plus grand, le plus sage et le plus généreux de mes ennemis. Ce mot a-t-il été dit ? C’est douteux. Il serait la condamnation du roi qui, s’il n’eût obéi à d’inexcusables animosités, aurait facilement attaché Charles V à la France, et en aurait fait un puissant allié et peut-être un de ses meilleurs généraux.

A la mort de Charles V, son fils aîné, Léopold, n’avait que onze ans. Il ne fut pas question de lui.

La Lorraine occupée par Louis XIV depuis 1670 paraissait définitivement réunie à la France. Le roi disait hautement qu’il ne la rendrait jamais. L’administration était devenue absolument française. Un intendant gouvernait comme dans les autres provinces. Les institutions locales, la Cour souveraine, les chambres des comptes de Nancy et de Bar avaient été supprimées et la juridiction du parlement de Metz était étendue aux deux duchés.

Les Lorrains souffrirent pendant cette longue occupation. On les avait rançonnés durement en leur appliquant, des taxes jusqu’alors inconnues d’eux, la subvention, la capitation, les réquisitions de fourrage et de logement pour les troupes, dont le mouvement encombrait sans cesse les routes.

Ils étaient frappés plus directement encore par les enrôlements forcés dans la milice. Louvois avait porté là son impitoyable despotisme qui persista après lui. L’intendant de Vaubourg reconnaissait combien étaient légitimes les plaintes des Lorrains, mais il affirmait, non sans raison, qu’il n’y avait aucun remède possible aux maux du pays, conséquences inévitables de la guerre.

L’excès de la misère poussait les paysans à s’enfuir, et l’on ne pouvait ni les retenir, ni les ramener par les mesures les plus rigoureuses. La dépopulation prenait d’effrayantes proportions.

Nancy ne comptait plus que 8 000 âmes, Bar-le-Duc et Pont-à-Mousson à peine 4 500 et 4 000, Épinal, Lunéville, Saint-Dié et une vingtaine d’autres villes n’avaient en moyenne qu’un millier d’habitants. Louis XIV, pour repeupler la campagne déserte, y attira des familles picardes dont on retrouve les descendants.

Tout en déplorant les exactions, il convient de remarquer que la lorraine fut surtout victime de la situation générale et qu’à tout prendre son sort pouvait être envié par d’autres provinces. Si elle souffrit de la lutte, elle en bénéficia aussi. Une partie de l’argent levé pour la guerre était dépensée dans le pays. Les produits de son agriculture, ses blés dont la production dépassait de beaucoup les besoins de la consommation locale, ses viandes, ses beurres, ses fromages, ses volailles étaient achetés par les Trois-Evêchés et par l’administration militaire.

L’industrie ne laissait pas de prospérer, malgré l’insécurité universelle. Les salines, les forges et les fonderies, les verreries étaient en pleine activité, et attiraient par l’exportation beaucoup d’argent en Lorraine. Il faut ajouter que la nation échappa presque entièrement aux néfastes conséquences de la révocation de l’édit de Nantes (1685). La population était restée catholique. Les réformés étaient peu nombreux, sauf à Metz et dans quelques localités voisines de l’Allemagne luthérienne.

Nous ne ferons pas le récit des événements militaires de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. La France s’y montra aussi grande et aussi forte que dans les luttes précédentes. Elle avait trouvé pour remplacer Turenne et Condé des généraux comme le maréchal de Luxembourg, Catinat, Boufflers. Mais elle y épuisa ses forces.

Le roi sentant venir la décadence et retenu d’ailleurs loin de l’armée par les égoïstes suggestions de Mme de Maintenon, aimait moins la guerre. D’autre part, préoccupé des affaires d’Espagne, il comprenait la nécessité de se refaire en vue d’une collision prochaine qu’il était facile de prévoir.

La duchesse douairière de Lorraine vivait modestement à Inspruck, n’ayant d’autre souci apparent que de diriger l’éducation de ses enfants. L’avenir était plein d’obscurité et ne lui laissait entrevoir que peu d’espérance.

Un jour du mois de mars 1696, elle reçut la visite d’un seigneur lorrain, le comte de Couvonges, fort attaché à la maison ducale. Il venait, envoyé secrètement par Louis XIV lui- même. Le roi, dit-il, était disposé à rendre la Lorraine au fils de Charles V, et demandait à la duchesse d’intervenir auprès de son frère, l’empereur Léopold, pour l’amener à traiter séparément de la paix.

Cette proposition était si imprévue, que Marie-Éléonore soupçonna on ne sait quel piège. Elle refusa de servir d’intermédiaire. Le roi était cependant sincère, et désirait vivement la paix générale. Il la prépara avec une admirable habileté diplomatique, en désagrégeant la coalition par des avances particulières à chacun des confédérés. Un congrès s’ouvrit au château de Ryswick et les traités furent signés les 20 septembre et 30 octobre 1697.

Louis XIV rétablissait Léopold, fils de Charles V, dans les duchés de Lorraine et de Bar. Il évacuait Nancy en se réservant d’en démolir les nouvelles fortifications. Il retenait seulement la forteresse de Sarrelouis et la prévôté de Longwy moyennant une compensation à déterminer. Au lieu des larges chemins stipulés dans des conventions précédentes, il ne demandait plus que le libre passage de ses troupes à travers la Lorraine.

On devine avec quels transports de joie furent accueillies dans les deux duchés ces nouvelles surprenantes : c’était la fin de la captivité, le départ de l’étranger, la résurrection de la nationalité lorraine !

La cité médiévale de Rodemack (57)

Rodemack Porte de SierckCarte de RodemackRemparts de Rodemack 

Située au coeur du Pays des Trois Frontières, Rodemack, charmante cité médiévale, porte le surnom élogieux de « Carcassonne Lorraine ».

Encore entourée d’une enceinte de 700 mètres de remparts, la cité a su conserver un parfum d’antan avec ses ruelles typiques et son patrimoine architectural.

Inscrite à l’inventaire des monuments historiques, la cité de Rodemack est classée parmi les « plus beaux villages de France » depuis 1977.

Tous les ans, s’y déroulent des fêtes médiévales grâce aux Amis des vieilles pierres pour la sauvegarde de Rodemack.

Je vous propose de remonter le temps, des premiers seigneurs de Rodemack au démantèlement d’une partie de la ville en 1821. Les appellations anciennes ont été respectées.

D’après un article paru dans la revue « L’Austrasie » en 1861

Rodemack, petite ville à l’aspect très pittoresque, perdue au milieu des terres à quelque distance de Luxembourg, jouait, en cas d’invasion, le rôle de sentinelle à l’égard des forteresses de Thionville et Longwy.

Dès la plus haute antiquité, Rodemack a été un poste militaire. Aussi des étymologistes à imagination féconde ont-ils trouvé l’origine de son nom dans roc de Mars, le Dieu de la guerre. Le champ des hypothèses est vaste on peut aller bien loin sur ce terrain. Pourquoi ne pas dire que c’est parce qu’on fabrique à Rodemack de l’excellente bière de mars avec de l’eau limpide tirée d’un rocher ?

Il semble plus rationnel de faire remonter l’origine du nom de Rodemack à la présence en ce lieu d’une de ces peuplades germaines démembrées de la Rhétie, que les historiens nous apprennent avoir été transplantées dans les Gaules par l’empereur Auguste, quelques années avant la naissance de Jésus-Christ.

Les villages de Rentgen, les bourgs de Roussy, appelés primitivement Rhœtigheim (habitation des Rhœtes), constatent en ces divers endroits le séjour des Rhœtes. Il en est de même, de l’autre côté de la Moselle dans le village de Rettel dont le nom primitif est latin, Rethorum villa, la maison de ferme des Rhœtes. Or, au milieu de cette région s’élevait un rocher d’où découlent des sources abondantes formant le cours d’eau de Rhœtinbach, ruisseau des Rhœtes.

Au sommet existait un castellum, un poste d’observation romain élève par les barbares et servant jadis à éclairer les avenues de la route romaine ou Kemqui allait de Metz à Trèves, par Daspich, Boust, Preisch, Dalheim. Ce point stratégique important fut désigné comme l’extrême frontière de la colonie rhétienne. Frontière en allemand se traduit par le mot tudesque Marck et on appela le poste du rocher, la frontière des Rhœtes ou Rhœtemarck.

Resté poste militaire au haut de son rocher, cet endroit prit d’abord peu de développement, tandis que dans les plaines voisines, les forêts firent place à de beaux champs de culture, au milieu desquels s’élevèrent bientôt de nouvelles métairies qui devinrent les propriétés des rois francs, puis des princes d’Allemagne.

En 880, Louis, roi de Germanie, donnait à l’abbaye de Fulde (Hesse-Cassel), la villa de Berge sur la Moselle, devenue aujourd’hui le beau village de Berg, si pittoresquement situé au sommet de bons coteaux vignobles. Puis il ajouta à cette donation celle de la terre arrosée par le ruisseau de Rothinbach.

Les religieux de Fulde n’étaient pas les seuls moines propriétaires en cette région. L’abbaye de Saint-Maximin de Trèves y possédait déjà, depuis 768, Agelvingen (Elvange), près du fleuve de la Gandra, qui a laissé son nom à Gandren, et les villas de Sumungen (Semming), Heldingen (Halling), et Frisinga (Frisange).

Sous la direction de ces moines, les prairies furent arrosées, les terres cultivées et les populations des serfs laboureurs prospérèrent, heureuses et tranquilles, à l’ombre du clocher de leur village. En 907, l’abbaye d’Echternach acquit, par échange de l’abbaye de Fulde, les métairies de Berg et du Rotinbach.

Le long de ce cours d’eau avait été fondée la métairie d’Heicinga (Eysing). Elle fut donnée vers 890, par le roi de Germanie Arnoul, à un des chefs militaires qui l’avaient aidé à combattre les Normands.

C’était la seule manière de payer les soldats. Aussi appelait-on ces terres données ainsi, fheod (terre solde), d’où nous avons fait les mots latins et français feodum (fief). Le feudataire jouissait du sol sa vie durant, à la condition de servir son maître en temps guerre, et de lui prêter foi et hommage en toute occasion.

Le feudataire d’Heicinga, trouvant la position de ce domaine peu convenable au point de vue stratégique, choisit l’emplacement des ruines du Castellum romain du Rotinbach, pour y fonder un manoir féodal que protégeait l’escarpement naturel du rocher.

Nous ignorons quel fut le nom de ce premier fondateur du château de Rodemack. Nous savons seulement que le 6 février 1019, un sire Frederich de Rodemacher prenait, avec son voisin Jean de Soleuvre, une grande part au tournoi qui se donna à Trèves devant l’empereur Conrad. C’est en cette solennité que nous voyons pour la première fois arborer les armes des Rodemack, qui portaient un écu fascé d’or et d’azur à six pièces.

Il paraît que ce seigneur se contenta de son château de Rodemack et céda son fief de Heicinga à Gérard d’Alsace, duc de Mosellane. Celui-ci en fit cadeau en 1067, à l’abbaye d’Echternach, par une charte datée du château de Sircke (Sierck). C’est ainsi que les religieux d’Echternach se trouvèrent posséder, au onzième siècle, tout le territoire dépendant de Berg, d’Eising et environnant le ruisseau du Rothinbach.

De leur côté, les religieux de Saint-Maximin de Trêves augmentaient leurs domaines par les donations, en 963, d’Adespell (Aspelt), Eberinge (Evrange), Vilrsdor (Filstroff), Brisichi (Preisch) et en 996, de Dalaheim (Dalheim), Elvinga (Elvange} et en 1033, de Lutzelkirch (Usselkirch, près de Parth), Fuxemheim (Fixem). Les Bénédictins de Rethel en 1086, possédaient Gandera (Gandren).

Les moines d’Echternach firent construire, prés du ruisseau du Rothinbach, une église romane qui parut assez importante pour mériter d’être consacrée en 1143, par un légat du pape en personne, le cardinal de Sainte-Ruffine Théodwin. Cette église servit de temple paroissial aux serfs qui habitaient au pied du rocher de Rodemach et dans les métairies qui devaient devenir plus tard les villages de Berg, Gawiess, Fixem, Seming, Boller, Faulbach et Eysing.

En 1190, le propriétaire du château, Arnoldus de Rodemachra eut l’idée de bâtir une véritable forteresse à la place de la demeure de ses prédécesseurs. Les moines d’Echternach se voyant menacés d’une conquête, portèrent plainte, en 1191, à l’empereur Henri VI qui laissa faire son vassal.

En 1192, celui-ci fait figure en tête de la noblesse luxembourgeoise et il prend part aux principaux actes des comtes du pays. En 1199, il mariait sa sœur Béatrix de Rodemach avec Roger, comte de Castries. Son frère Ernfried de Rodemach, en 1209, faisait des actes de prouesse au tournoi de Worms, avec Christophe de Bitche, Ernest d’Hunolstein et Wolf de Zœtern.

Arnould de Rodemack figura en première ligne, en 1214, aux tournois qui eurent lieu à Luxembourg, pour le mariage de la comtesse Ermesinde. Quoique luxembourgeois à cause de son fief de Rodemack, Arnould n’en prit pas moins Tucquegnieux à titre de fief du comte de Bar.

Gilles ou Ægidius de Rodemack hérita de la seigneurie vers 1220. II se porta caution du prince de Bar fait prisonnier au mois de septembre 1233, aussi est-il traité par ce prince du titre de cher ami. Il signa comme témoin la charte d’affranchissement d’Echternach en 1236, en 1239 celle de Thionville, en 1244 celle de Luxembourg, et peut-être celle de Rodemack qui, à la même époque, dut être faite en commun par ce seigneur et l’abbé d’Echternach.

Cette dernière charte a disparu à la suite des guerres et des sièges qu’a supportés Rodemack. Mais il est admis par les écrivains luxembourgeois les plus accrédités que les habitants de Rodemack ont été affranchis. Ils sont décorés du titre de bourgeois dans les chartes du quatorzième siècle, et désignés comme formant une franchise, c’est-à-dire une commune affranchie.

L’obituaire de l’abbaye de Bonnevoie, près de Luxembourg, parle d’un Hugues de Rodemack, père d’une bien-faitrice du couvent, Frelsinde, décédée en 1248. Cet Hugues de Rodemack, frère puîné de Gilles Ier, prenait le titre de seigneur de Wiess, et il devint la souche de la branche de Wiess in gaw ou Gawiess. Pour célébrer l’anniversaire de sa fille, Hugues donna à l’abbaye, des terres situées à Wies in gaw.

Vers 1250, vivait Gilles II de Rodemack, qui épousa une riche dame, dont on ne connaît que le prénom de Sophie.

Son oncle, Hugues de Wies, avait fini par léguer, en 1277, tous ses biens de Gawiess à l’abbaye de Bonnevoie. Voyant ces beaux domaines lui échapper, Gilles II déclara nulle la donation comme portant sur des biens qui dépendaient de sa seigneurie. Les religieuses de Bonnevoie s’adressèrent au comte de Luxembourg, Henri III, qui leur donna gain de cause.

Pour témoigner toute absence de ressentiment à leur égard, Gilles II plaça à Bonnevoie deux de ses filles, Julienne et Elisabeth de Rodemack, leur cédant en dot les dimes d’Itzig. De son côté, le comte de Luxembourg se montra bienveillant envers Gilles II, dont il fit le justicier de ses nobles. C’est en cette qualité que nous le voyons signer un grand nombre de chartes, notamment une vente faite en 1288 à l’abbaye Notre-Dame de Munster de Luxembourg, de terres situées à Entringen.

En 1302, Ægidius ou Gilles II de Rodemacra miles, faisait foi et hommage, déclarant que son fief se composait de Rodemacra, Volebach, Semayne, Eungsein, Fuxingen, Wiess et Berg. On voit que les sires de Rodemack, comme l’avaient prévu les religieux d’Echternach, s’étaient rendus seigneurs et maîtres des biens et des gens du couvent. Celui-ci avait continué seulement à percevoir les dîmes afférentes à l’église paroissiale.

Gilles II, sire de Rodemack, transporta en 1302, son fief à son fils Gilles III. Il y eut alors vivant en même temps deux seigneurs de Rodemack portant le même nom. Aussi Gilles II prit-il désormais, dans les chartes, la qualification d’anciens sires de Rodemacre chevalier, et Gilles III, celle de signour Gilo le jone de Rodemacre. Ce dernier devint gouverneur de Luxembourg en 1312 et en 1314, il fit l’acquisition de la seigneurie de Pipenstorff (Pépinville), propriété de la famille de Roussy.

A la tête de la noblesse luxembourgeoise et de concert avec les prévôts de Luxembourg, Thionville, Arlon et Bitbourg, le 20 mai 1318, Gilles III de Rodemack cautionnait l’hypothèque que Jean de Bohême donnait sur Remich et les environs, à son oncle l’archevêque de Trêves, pour garantir des emprunts ruineux. C’est de cette époque que date l’affranchissement ou la confirmation de franchises de petites localités luxembourgeoises, telles qu’Esch, Koenigsmacker, Cattenom et vraisemblablement Rodemack.

Gilles III de Rodemack mourut vers 1325, laissant pour unique héritier, un frère du nom de Jean qui avait épousé Elisabeth, de Meilbourg, château situé prés d’Illange.

La dot opulente de cette riche damoiselle avait permis à Jean de Rodemack-Meilbourg, d’acheter en janvier 1320, les forges et les bois de la vallée de l’Orne dans la châtellenie de Briey. Il avait pour blason un écu d’or à trois pals d’azur à la bande de gueules chargée de trois besans d’argent, armoiries des cadets de Rodemack, que Jean ne tarda pas à répudier pour adopter celles des sires de Rodemack.

Non content de ses fiefs de Rodemack, Pépinville, Meilbourg, Jean Ier fit l’acquisition de la seigneurie de Chassepierre (Belgique), pour laquelle il fit ses devoirs près du comte de Bar, le 9 septembre 1333. Et le 18 novembre 1341, il achetait Briestroff (Breistroff-Grande) pour arrondir son domaine de Rodemack.

Ce chevalier fut un des plus hardis batailleurs de son temps. Nos chroniques le montrent partout, où il y avait un coup de lance à férir. En 1333, il vint attaquer les troupes de l’évêque de Metz à Saint-Avold, et il y perdit plus de quatre-vingts chevaliers qui restèrent prisonniers. Nous le retrouvons ensuite, en 1340, guerroyant à Bouvines avec Jean de Bohême. Il mourut vers 1345, laissant sa seigneurie à son fils Gilles IV, qui fut encore plus belliqueux que son père.

Riche, jeune, beau et puissant, ce nouveau seigneur de Rodemack obtint la main d’une petite-fille d’un connétable de France, Jeanne de Châtillon.

La seigneurie de Rodemack en fut délaissée au profit de celle de Chassepierre, où la jeune et brillante dame de Rodemack retrouvait les habitudes, la langue et les fêtes de son pays.

Un tournoi fut annoncé pour la veille de la saint Jean-Baptiste 1347, dans la grande ville de Reims. Gilles de Rodemack n’eut garde d’y manquer. Il fut peu heureux.

Des chevaliers plus agiles parvinrent à le désarçonner. Les bourgeois rémois huèrent le chevalier en désarroi. Gilles de Rodemack se relève furieux et promet de se venger en jurant sur sa part de paradis. Il jette son gantelet de fer dans l’arène, et son héraut d’armes déclare une guerre implacable aux manants et habitants de Reims qui redoublèrent leurs éclats de rire.

Rentré dans son manoir de Rodemack, Gilles organise une armée, et au printemps de 1348, il vint investir la ville de Reims dont les habitants n’osèrent plus sortir. Ils envoyèrent les principaux d’entre eux offrir leurs excuses à Gilles, qui resta insensible. Ils s’adressèrent alors au roi de France, qui sollicita en vain le sire de Rodemack de se retirer.

Les bourgeois de Reims crurent de recourir à l’ascendant de la religion. Ils envoyèrent en suppliant près de Gilles un prieur des Dominicains qui surprit le seigneur de Rodemack nu jusqu’à la ceinture, se flagellant avec ses gentilshommes en expiation de leurs péchés. Le Dominicain dut s’administrer des coups de fouet comme toute l’assistance, c’est là tout ce qu’il retira de son ambassade.

Gilles tenait à ce que les bourgeois lui fissent amende honorable. Chaque nuit ses soldats s’introduisaient dans la ville pour y piller et y faire des prisonniers. Le roi de France obtint cependant, le 28 janvier 1349, une trêve qui fut de courte durée. Enfin, par l’intermédiaire de Gaucher de Châtillon beau-frère du sire de Rodemack, fut conclu un traité par lequel on livra à Gilles certains bourgeois, pour en faire sa volonté, indépendamment de l’amende honorable que lui firent les maîtres des métiers et autres des plus suffisants des bourgeois de Reims.

Cette guerre mit en relief le sire de Rodemack, et il fut bientôt investi des principales dignités du duché de Luxembourg.

A la mort de son beau-frère Gaucher de Châtillon, s’éleva un long procès de succession qui ne se termina qu’en 1380, au détriment de Gilles. Il aurait fait appel du chef de son épée, s’il n’était pas mort quelque temps après.

Son jeune fils, Jehan de Rodemack, hérita de la seigneurie de ce nom. Il épousa Mahaut de Grancey, cousine des rois de France par sa mère Yolande de Bar, et il en reçut en dot les fiefs d’Ancerville, d’Esclaron-sur-Marne. Son frère Gilles avait reçu en apanage le fief de Pepinville, prés de l’embouchure de l’Orne.

Dans une île formée par le petit bras de cette rivière, appelée Ornel, Gilles fit construire un redoutable château-fort qui reçut le nom d’Ornelle. Le 20 mars 1411, il effectua sa reprise de fief pour ce château entre les mains d’Antoine de Bourgogne, duc de Luxembourg, du chef de sa femme Elisabeth de Gorlitz.

Gilles de Rodemack devint un des principaux chefs militaires du Luxembourg. Aussi les divers compétiteurs de ce pays, cherchèrent-ils à se l’attacher sans grand succès. Il mourut en 1428, laissant sa terre de Pépinville à son neveu Jean III de Rodemack, déjà très-riche par son mariage avec la belle Irmengarde de Boulay.

En 1429, il envoya une lettre de défiance aux Messins pour se plaindre de courses faites sur le territoire de Boulay, et il ravagea à son tour le pays. Au mois de septembre, les Messins prennent leur revanche et viennent au milieu de la nuit, piller la ville de Rodemack et les villages environnants. Ce n’est qu’en 1431 que la paix fut signée.

Jean de Rodemack s’en alla de nouveau guerroyer sous la bannière de René de Bar, duc de Lorraine, son parent, contre l’armée bourguignonne qui enveloppa les Lorrains à Bulgnéville, et les fit tous prisonniers, le duc en tête, le 2 juillet 1431. Tombé au pouvoir du maréchal de Bourgogne Toulangeon, l’infortuné sire de Rodemack fut conduit dans les prisons de Dijon, et il acheta sa liberté au prix de 18 000 florins, dont trois amis garantirent le paiement. Il rentra à Boulay et à Rodemack, où il fit des concessions de prérogatives aux corporations de métiers pour battre monnaie.

Le duc de Lorraine n’avait pu payer que 12 000 florins pour lui. Jean de Rodemack vint mourir de la peste à Metz, le 1eroctobre 1439, laissant à son fils Gérard le soin de payer ses dettes. Il se laissa actionner en justice. Il réclama près du duc de Lorraine qui lui donna en fief le village de Mellinck (Malling) prés de Sierck. Pour payer sa rançon et celle de ses chevaliers, René avait emprunté de fortes sommes aux bourgeois messins. Voulant forcer ceux-ci à solder son compte, il leur déclara la guerre le 10 septembre 1444, et le sire de Rodemack prit du service dans son armée. Il était alors aux abois pour payer la rançon de son père, il vendit ses beaux domaines d’Esclaron et d’Ancerville.

Il fit de nombreux voyages en Allemagne et en France, ne sachant sous quel prince servir dans la guerre qui était imminente entre Louis XI et Maximilien d’Autriche. Il se décida pour le roi de France et mal lui en prit. Le prince de Chimay, gouverneur de Luxembourg, vint surprendre le fort Ornelle le 15 octobre 1479, et il força le sire de Rodemack à capituler après vingt-quatre heures d’attaque.

Le château d’Ornelle fut remis à la garde de Louis de Chinery, seigneur de Lagrange près Thionville. L’année suivante, Maximilien s’emparait des châteaux de Differdange et d’Hespérange, propriétés du sire de Rodemack, et les faisait démolir. Le 6 septembre 1483, la paix fut signée entre Maximilien et le sire de Rodemack. Mais celui-ci ayant renoué ses intrigues avec le roi de France, fut déclaré de nouveau félon le 8 janvier 1483, et tous ses biens décrétés de confiscation.

Ce qui n’empêcha pas le sire de Rodemack et son parent, Georges de Virnembourg, de rester l’un à Rodemack l’autre à Richemont et d’en sortir pour piller les pays environnants. Les Messins, les Lorrains, les Luxembourgeois formèrent une alliance le 18 mai 1483, et ils vinrent assiéger à la fois Rodemack et le fort Ornelle. Après bien des péripéties, il fallut capituler. Mais les sires de Rodemack et Georges de Virnembourg avaient eu soin de quitter les forteresses, quand la résistance était devenue impossible.

Rodemack et Ornelle furent jetés par terre, et les assiégeants se partagèrent toutes les nippes, les denrées et les ustensiles qu’y avaient réfugiés les paysans.

Georges de Virnembourg rentra en grâces près de l’empereur en 1485, et Gérard de Rodemack revint au milieu de ses propriétés relever le château de Rodemack de ses ruines, ce qu’arrêta le duc de Lorraine.

Mais Gérard, quoique dépossédé, avait fait autoriser par Maximilien, son petit-fils Bernard, comte de Mœrs, à relever le nom et les armes des Rodemack, et il lui avait cédé tous ses droits le 6 mars 1485. Bernard prit dès lors le titre de jeune comte, sire de Rodemack et de Boulay.

Il suivit les errements de son aïeul et leva l’étendard contre l’empereur qui, se trouvant à Metz le 15 novembre 1492, déclara confisqués pour cause de félonie les châteaux, terre, seigneuries de Rodemack, Boulay, Richemont, Hesperanges, Useldanges, et les attribua à son oncle Christophe, marquis de Bade, gouverneur général du duché de Luxembourg.

Bernard alla habiter Boulay, refusant l’hospitalité à sa mère qu’il accusait, avec son aïeul paternel Vincent de Mœrs, d’être la cause de sa ruine, ainsi que son beau-frère Guillaume de Vianden. Il mourut de chagrin à l’âge de vingt-cinq ans, et sa mère, après la vie la plus errante, céda ses droits sur Boulay au duc de Lorraine, en échange d’une pension viagère assignée sur l’octroi de la ville de Sierck.

Christophe devint, en 1503, margrave de Bade. Représenté par un bailli, il cessa de faire de longs séjours à Rodemack, qui désormais porta les armoiries de Bade qui sont d’or à la bande de gueules, ayant au centre l’écu de Rodemack. Les héritiers de Bernard, le dernier sire de Rodemack, essayèrent de rentrer en possession du castel de leur famille.

En 1514, Robert de la Marck essaya en vain de surprendre le château de Rodemack, et il rançonna les gens de Richemont.

Christophe de Bade mourut le 15 avril 1527, laissant trois fils. Lorsqu’ils voulurent s’allouer la seigneurie de Rodemack, ils en furent empêchés par les petits-neveux de Bernard, qui avaient obtenu de la cour des nobles de Luxembourg, une sentence qui leur restituait la terre de Rodemack. Cette sentence se vit annulée par la Cour de Spire dont la compétence fut déclinée. L’empereur renvoya le litige, en 1531, devant le grand conseil de Malines. Le procès durait encore en 1552, sans qu’aucune des parties ne fût en possession du château de Rodemack.

Le duc d’Orléans s’en était emparé en 1543, et y avait mis une garnison française qui y séjourna plus d’une année. Rendue à l’empire par le traité de Crespy en 1544, Rodemack tomba de nouveau au pouvoir des Français en 1551, qui faisaient grand cas de ce poste, suivant un document contemporain.

L’empereur voulait le rendre aux princes de Bade, mais après l’avoir démantelé, ce qui n’eut pas lieu cependant, et en 1556, Bernard, margrave de Bade, s’y installait. Mais les troupes du duc de Guise, en 1558, vinrent troubler sa quiétude. Rodemack fut pris d’assaut après une brèche ouverte contre la principale tour du château.

Restitué à l’Espagne en 1559, Mansfeld, gouverneur de Luxembourg, donna Rodemack en fief aux descendants des anciens seigneurs, ce qui fut contesté en 1563 par le comte de Bade Philibert, qui prit possession effective du château et de la seigneurie.

Son fils Christophe introduisit la religion luthérienne dans Rodemack et y mourut le 2 août 1575. Son corps embaumé a été retrouvé en 1782 dans les caveaux de l’ancienne église. Il était intact, portant des bottes à l’écuyére, un pantalon de peau jaune, un gilet de velours rouge en soie, un habit à basques vert, avec le cordon de sa décoration de margrave, et des manchettes.

Ses fils Edouard et Philippe furent co-seigneurs de Rodemack.

Herman Fortuné leur succéda vers 1600. Il épousa Antoinette de Créhange en 1627 et laissa un fils, Herman Fortuné, qui épousa Marie Sidonie, comtesse de Falkenstein. Leur mausolée se voit encore aujourd’hui dans l’église de Rodemack. Il consiste en une plaque de marbre noir portant entre deux colonnes une inscription qui indique les vertus, les titres des défunts, l’année de leur mort (1665 et 1671). Au-dessus, ils sont agenouillés et se faisant face.

Herman est représenté en costume de chevalier bardé de fer, Sidonie en costume de douairière, un chapelet à la main. Ils prient au pied d’une croix portant le Christ peint sur la pierre. Les têtes de chacune de ces statues de pierre semblent avoir été des portraits et elles font mal augurer de la beauté des traits des seigneurs de Rodemack. Herman jouissait d’un grand nez qu’ombrageaient des moustaches, sa femme avait une expression un peu dure.

Ces seigneurs, quoique enterrés à Rodemack, y firent des séjours très tourmentés. Ils s’éloignèrent devant l’invasion suédoise, en 1636. En 1639, les Français, commandés par Feuquières, s’emparaient du château et y mettaient garnison dans l’intention de faire le siège de Thionville. Le même fait se représenta en 1643, de la part de l’armée de Condé.

En 1656, Rodemack et son château restaient occupés militairement. L’administration française s’empressa de s’enquérir des ressources du pays et elle constata qu’avant la guerre de trente ans, la ville et la franchise de Rodemack comprenaient cent dix ménages, mais qu’à cette heure ils n’étaient plus que quarante, et avaient perdu tous leurs biens communaux.

La commune de Gawies, de trente feux, était réduite à dix-huit. Celle de Fixeim de vingt-deux à quatre, celle de Berg de quinze à trois, celle de Haute Kuntz de quinze à deux ; celle de Faulbach de dix-huit à deux, celle de Dodenhoven de dix-sept à quatre ; celle de Rentgen (basse) de six à quatre, celle de Rentgen (haute) de dix à trois ; celle de Zouftgen, de quarante à douze, celle de Kanfen de trois à deux ; celle de Breistroff de douze à dix, celle d’Hymling de dix à deux, celle d’Altwiess, de cinq a deux. Enfin le village de Gandren n’avait plus d’habitants, un pâtre nomade y résidait.

Le traité des Pyrénées, en 1659, conserva à la France la possession de Rodemack et de sa seigneurie, mais elles furent restituées quelque temps après.

En 1667, le comte de Créqui s’en empara, ainsi que des châteaux de Roussy, Preisch et Puttelange. Les Français rendirent Rodemack à l’Espagne par le traité d’Aix-la-Chapelle, le 2 mai 1668. Raville, seigneur de Puttelange, le 11 novembre 1669, à la tête d’une poignée d’hommes, se rendit maître de nouveau de Rodemack. Mais il fallut de la part des Français désavouer ce hardi coup de main pour revenir, le 30 décembre 1678, occuper de nouveau Rodemack, ce que légitima le traité de Nimègue en 1679.

Les bourgeois de Rodemack prêtèrent serment au roi de France, et le château fut occupé par une forte garnison. Rodemack resta définitivement une ville française, le château et ses dépendances furent rendus aux princes de Bade sous la condition de foi et hommage et à la charge de supporter dans leur château une garnison française. Le bailli fut maintenu dans son droit de juridiction, sauf appel, au conseil de Luxembourg.

Le 3 mai 1685, la douairière Marie-Françoise de Bade faisait sa reprise pour le fief de Rodemack, ce que répéta son fils le prince Louis de Bade, le 17 octobre 1707, et Sibille, la veuve de celui-ci, le 11 mars 1716, au nom de leurs deux enfants Louis et Auguste.

Le premier fit acte de vasselage, devenu majeur le 7 mai 1749. Son fils Auguste George l’imita le 29 juin 1762. C’est Charles-Frédéric, margrave de Bade, qui exécuta la dernière reprise pour le fief de Rodemack, le 25 mars 1782.

Le maréchal de Belleisle attachait une grande importance militaire à la situation de Rodemack, dont le château commande au loin de vastes plateaux, et surveille à la fois les avenues de Trêves et de Luxembourg.

En 1737, le château de Rodemack fut fortifié à nouveau. On l’augmenta de façon à couvrir toute la ville. On conserva le donjon, on creusa plusieurs bastions et on répara les tours jumelles de la porte d’entrée, les tours Boncour, Reaville et Janus.

Pour la clarté du récit, nous avons indiqué la série successive des divers seigneurs qui ont possédé Rodemack, à commencer par l’abbaye de Fulde et à finir par les princes de Bade et les rois de France. Nous avons peu parlé des habitants jusqu’à présent, et cependant leur place est marquée aussi dans l’histoire, à côté de leurs seigneurs.

Réduits au servage dans les premiers siècles de la monarchie franque, les habitants des rives du Rothinbach s’adonnèrent à la culture des terres. Les métairies devinrent des villages qui dépendaient de la mère-église érigée par les religieux d’Echternach et rebâtie par eux en 1143, au pied du château de Rodemack.

Avec le XIIIe siècle, les habitants de Rodemack devenus industrieux, s’érigèrent en corps de métiers, et ils obtinrent le droit de se constituer en corps de bourgeoisie régi par un maire et sept échevins élus entre eux.

C’est alors qu’ils se créèrent en milice, qu’ils furent débarrassés des corvées, qu’ils eurent des biens communaux, et qu’ils entourèrent leurs demeures d’une enceinte de murailles avec tours, créneaux et mâchicoulis.

Ce système de défense existe encore de nos jours, et fait de la ville de Rodemack, un but de promenade des plus intéressantes pour les touristes et les antiquaires. La ville a encore deux portes protégées par deux tours rondes. Au-devant, existait un pont-levis qui franchissait un fossé plein d’eau alimenté par le ruisseau, le Rothinbach. Il enveloppait presque toute l’enceinte.

Le maire de Rodemack prenait le titre de Schnox-mayer. Le maire et les sept échevins tenaient plusieurs fois par an les plaids annaux, où l’on proclamait les droits du seigneur, ceux des bourgeois, et où l’on jugeait les procès pendants entre les habitants sur la poursuite d’un échevin nommé justicier.

Un hôtel de ville servait aux séances du corps municipal. Un marché se tenait tous les vendredis sur la principale place de la ville, en face de la maison commune.

Les bourgeois de Rodemack adoptèrent les armoiries de leurs seigneurs, l’écu d’or à trois fasces d’azur, sans qu’on puisse remarquer l’emploi d’un sceau communal. Ils eurent le droit de porter des armes et en échange, ils devaient monter la garde ssur les murs de la ville et faire le guet au donjon du château. Le droit de chasse et de pêche leur était interdit.

Ils avaient près de leur ville un bois communal appelé le bois de la franchise, dans lequel les habitants avaient les droits d’usage les plus étendus.

Tout francs hommes qu’ils se disaient, les bourgeois de Rodemack étaient astreints aux banalités du four, du moulin, du pressoir, qui, avec le droit perçu sur chaque nouvel habitant, constituaient les seuls impôts du pays.

Le premier dimanche de carême, les bourgeois s’assemblaient en armes à l’entrée du château, en la place appelée le lieu des bures Ceux qui avaient été reçus bourgeois dans l’année apportaient chacun un petit fagot ou bourrée et le jetaient au milieu du feu allumé sur cette place. Il prenait ainsi droit de bourgeoisie.

Les bourgeois de Rodemack avaient le droit d’aller couper du bois à discrétion dans la forêt de Soufftgen, en payant au forestier trois gros par arbre, et tous les vendredis, ils pouvaient y prendre du mort-bois à leur convenance, en payant un demi bayer par voiture. Seulement les cultivateurs de Rodemack devaient aux quatre-temps charrier trois voitures de bois pour le four banal.

Ces prérogatives étaient spéciales aux bourgeois de Rodemack. Les manants de la seigneurie qui peuplaient les villages voisins, n’en restèrent pas moins assujettis aux durs devoirs de la glèbe, corvées, prestations, redevances.

Tous les laboureurs y étaient tenus à voiturer le bois au château de Rodemack depuis Soufftgen, tous les manœuvres étaient tenus de façonner ce bois, soit pour le charronage, soit pour le chauffage. En retour, ils avaient chaque vendredi le droit de prendre une voiture de bois-mort et de mort-bois.

Les gens de Rodemack, qui étaient tenus de mener les filets de chasse au château, avaient de plus droit au bois de merrein et de charpente. Les cultivateurs de Basse-Rentgen étaient tenus de conduire chacun une voiture de vin de la Moselle depuis la Moselle jusqu’au château de Rodemack.

Enfin, ces manants étaient tous justiciables du bailli de Rodemack, qui avait droit de les faire pendre, exposer au pilori, soumettre à la question, rouer vif, etc. Les salles d’audience étaient au château, ainsi que les cachots et les oubliettes.

Lorsqu’il y a quelque criminel au dit Rodemacher, dit une charte, pour être fouetté ou autrement exécuté, tous les habitants de la dite mairie, tant de serviles conditions qu’autres, sont obligés de paraître avec leurs armes, de conduire le dit criminel au gibet et d’y rester jusqu’à la fin de l’exécution.

Les manants des villages étaient tenus de rompre la glace des étangs pour la glacière du château et de les réparer avec des fascines. Les gens de Dodenhoven étaient obligés de mener à Rodemack, pour la Fête-Dieu, des arbres couverts de feuillages pour les reposoirs, ceux de Faulbach devaient apporter des roseaux pour joncher le sol où passait la procession du saint sacrement.

Le premier vendredi après la Pentecôte, les gens du pays étaient tenus d’aller à Kontz, en armes, pour faire garder la Moselle, et servir d’escorte aux pèlerins qui se rendaient à la Chartreuse de Rettel.

Les gens de servile condition de Simming, de Fixem, devaient au seigneur des poules, des œufs et un cabri, et dans tous les villages, on devait payer le schaft ou l’impôt de servage.

Telle était la position sociale des gens du pays de Rodemack, quand éclata la révolution. Elle y fut accueillie avec une ardeur frénétique, qui se traduisit en expulsion de tout agent fiscal. Les femmes crièrent aux loups ! contre les employés de la gabelle, qui s’enfuirent en sautant par dessus les murs de la ville. La loi martiale fut proclamée, et tout rentra dans l’ordre.

Quand, en 1792, l’armée étrangère s’avança, commandée par le duc de Brunswick, Rodemack avait pour défenseurs 250 hommes d’infanterie, une brigade de douaniers et deux bouches à feu, sous les ordres du lieutenant-colonel Laharpe.

Tout à coup, le fort est enveloppé par un corps d’armée. Laharpe rassemble sa garnison et avouant que la résistance est impossible, il obtient de ses hommes la promesse de se faire sauter avec le fort, quand les munitions seront épuisées. Tous jurèrent. Parmi ces braves, figuraient le futur maréchal Brune, alors sous-lieutenant, et le futur duc d’Arbrantès alors simple sergent sous le nom de Junot. Les Prussiens s’approchent des murailles, et ils se retirent précipitamment laissant 300 des leurs sur le sol. Attiré par la fusillade, le maréchal Luckner accourt délivrer Rodemack, et il fait évacuer le fort, après en avoir emporté toutes les munitions.

Le 5 fructidor an IV, Charles-Frédéric, margrave de Bade, céda au gouvernement français tous ses droits sur les seigneuries de Rodemack et d’Hespérange.

Vendu à des particuliers en 1811, le fort de Rodemack fut racheté par le gouvernement en 1815. Il était remis en état de défense, quand reparurent les colonnes ennemies.

Il avait pour garnison deux bataillons de gardes nationaux de la Meurthe, et un bataillon de la Moselle avec quelques douaniers et un détachement d’artillerie. Six jours après Waterloo, un corps d’armée prussien sortait de Luxembourg et venait investir Rodemack.

A trois heures du matin, le 25 juin, dix mille hommes, avec dix pièces d’artillerie, de la cavalerie, un énorme train d’équipages, étaient rangés en bataille, à environ cent mètres du front de la forteresse qui regarde Rentgen et Preisch.

La garnison de Rodemack n’avait à leur opposer qu’une pièce de marine sur affût fixe et un petit canon de campagne. Les Prussiens s’avancent à rangs serrés, la pièce de marine fait merveille et enlève les soldats par file, tandis que plusieurs gardes nationaux, tireurs distingués, notamment monsieur Tailleur de Thionville, et le caporal Prugneaux, visent aux chefs et ne manquent jamais leurs coups. Derrière eux, on charge les fusils, et ils ne font que tirer. Déjà l’ennemi est près des remparts. La porte donnant sur la campagne est criblée de boulets, une chaîne du pont-levis est brisée, l’autre tient bon par miracle.

Le petit canon de Rodemack tire à mitraille, la pièce de marine est portée à bras, elle fait feu à son tour bientôt on voit les Prussiens se débander et après plusieurs attaques se retirer laissant sur le terrain 500 morts et emportant un millier de blessés. Les Français avaient perdu un sergent et comptaient six blessés.

Tel est le dernier fait d’armes accompli à Rodemack.

Les étrangers ne l’oublièrent point, et ils imposèrent à la France sa démolition. Toute la partie regardant Luxembourg a été démantelée en 1821. La sécurité des habitants de la ville a empêché qu’on en fit de même pour l’autre partie des fortifications qui subsistent, abandonnées mais produisant un effet très pittoresque dans le paysage.

Le château a été vendu à des particuliers. Aujourd’hui, ses souterrains et ses tours servent de dépendances à la brasserie de monsieur Vagner, dont la bière bavaroise jouit d’une grande réputation.

Espérons pour cette intéressante petite ville située en pays fertile, sur un cours d’eau, au milieu de terrains riches en pierres à bâtir, espérons qu’il lui sera donné de revoir les jours de splendeur qu’elle a traversés, quand elle était la capitale d’une seigneurie.

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