Le Barrois mouvant et le Barrois non-mouvant

 

 

D’après la monographie « Le Barrois » d’Alexandre Martin – 1912

 

A l’origine de la féodalité, le Barrois, qui avait le titre de comté, se trouvait, par sa frontière occidentale, limitrophe d’un autre grand fief, le comté de Champagne, avec lequel il fut souvent en lutte.

Mais ce voisinage devint encore bien plus redoutable pour lui, lorsque la Champagne, par suite du mariage de Jeanne, héritière de ce fief, avec le roi Philippe IV le Bel, fut réunie au domaine de France. Dès lors, le Barrois ne cessa plus d’être l’objet des convoitises françaises, et c’est précisément Philippe le Bel qui fit sur lui le premier acte sérieux de mainmise.

Dans l’organisation féodale primitive, le comté de Bar relevait du Saint Empire romain germanique. L’Empereur d’Allemagne était son suzerain. Le comte Henri III avait épousé Éléonore, fille d’Edouard Ier, roi d’Angleterre, qui était en guerre avec Philippe le Bel. II prit le parti de son beau-père, envahit la Champagne et brûla l’Abbaye de Beaulieu-en-Argonne. Philippe le Bel envoya contre lui une armée, commandée par Gauthier de Crécy, seigneur de Châtillon. Henri III, battu et fait prisonnier, fut tenu en dure captivité dans la ville flamande de Bruges.

Cependant, Albert de Habsbourg, duc d’Autriche, disputait la couronne impériale à Adolphe de Nassau. Il le tua dans une bataille et se fit élire empereur à sa place. Mais, comme la couronne lui était contestée, et qu’en particulier le pape, alors puissant arbitre dans les démêlés politiques des États, ne voulait pas le reconnaître, il sollicita l’alliance de Philippe le Bel, avec lequel il eut des entrevues, dont la plus connue est celle de Vaucouleurs.

On assure que pour se le rendre favorable et seconder ses projets sur le Barrois, il renonça à sa propre suzeraineté sur la partie du Barrois située sur la rive gauche de la Meuse. Peu de temps après, en 1301, Philippe le Bel imposait au comte Henri III, prisonnier à Bruges, comme condition de sa mise en liberté, la reconnaissance de la suzeraineté du roi de France pour cette même partie, qui fut à tout jamais ce qu’on appella le Barrois mouvant, c’est-à-dire la partie du Barrois pour laquelle le comte de Bar, auparavant vassal de l’empereur, était devenu celui du roi, tandis que l’autre partie du comté, celle qui était située sur la rive droite de la Meuse, restait sous la suzeraineté de l’Empire, et s’appelait le Barrois non-mouvant.

Philippe le Bel s’exprime ainsi dans le traité de Bruges : « Lidis Cuens (ledit Comte) nous a fait hommage lige, pour nous et pour notre hoir (héritier), roi de France, de Bar et de la Châtellenie de Bar et de toutes les choses qu’il tenait en franc-alleu par deçà la Meuse vers le royaume de France, si comme elles sont nommées, expressées, et devisées en ses lettres baillées à nous sur ce, et de tout ce entièrement qu’il tenait en franco-alleu, en quelque lieu que ce soit, et quelconque chose que ce soit, par deçà de la Meuse vers le royaume de France ».

Le traité du Bruges et cette mouvance du Barrois qu’il entraîne, ont été la cause d’interminables débats entre le Barrois et la France, les souverains de l’un et de l’autre s’efforçant d’en restreindre ou d’en étendre l’effet suivant leur intérêt propre.

Comme en réalité, il ne stipule à la charge du souverain barrois que l’hommage-lige à l’égard du souverain français, on doit, pour bien l’entendre, déterminer en quoi consistait l’hommage-lige.

L’hommage-lige, ou ligence, obligeait le vassal envers le suzerain dont il était l’homme à trois services :
- d’abord, et principalement, le service militaire, de sa personne et de la force armée dont il disposait, quand il en était requis
- ensuite l’obligation d’assister le suzerain dans sa cour de justice et de prendre part au jugement des contestations portées devant lui
- enfin l’obligation de reconnaître la cour de justice du suzerain en cas de procès entre vassaux de la même mouvance.

Mais la mouvance n’était nullement une annexion. Elle ne transformait nullement l’homme-lige en sujet.

Quarante-neuf ans après le traité de Bruges, le roi Jean le Bon, dans une ordonnance, qualifiait le comté de Bar de « lieu voisin de son royaume», par conséquent du pays étranger.

En 1392, dans une ordonnance relative aux monnaies, Charles VI disait : « Nous sommes informé que, parce qu’il n’y a pas d’hôtel des monnaies à Sainte-Menehould, grande quantité de billon est portée ès-monnaies des duchés de Bar et Lorraine et autres monnaies étrangères hors notre dit royaume». Comme c’est à Bar-le-Duc que le Barrois frappait principalement les monnaies, l’on en déduit que Charles VI qualifiait également Bar de pays étranger.

Le 30 décembre 1437, Charles VII expose dans des lettres, que le duc de Bar s’est plaint auprès de lui de ce que des gens de guerre français ont envahi le duché de Bar, « et illec ont occis, meurtri, pillé, robe, rançonné plusieurs de ses hommes et sujets ». Le roi de France ajoute : « Pour ce que se pourraient faire grands débats et divisions s’il advenait qu’aucuns entre vous se voulsissent vivre et eux tenir sur les pays et sujets de notre dit frère, vous mandons que nulles gens de guerre dussent ors et pour le temps à venir aller, loger, vivre et sostenir ès-terres et pays de notre dit frère ».

En 1445, le roi René, duc de Bar et de Lorraine, empêché de séjourner dans cette partie de ses États par les occupations que lui donnaient ses autres domaines, l’Anjou, la Provence, et ses prétentions à la royauté de Sicile, déléguait comme son lieutenant-général en Barrois et Lorraine, son fils Jean de Calabre.

Il définissait les pouvoirs conférés à celui-ci par des lettres qui sont particulièrement remarquables, parce qu’elles montrent que René d’Anjou se considérait comme possédant, en sa qualité de Duc de Bar, les droits qu’on appelait communément « régaliens », c’est-à-dire les droits de souveraineté, incompatibles avec la situation d’un seigneur qui, si haut placé qu’il fut, n’eût été qu’un simple sujet du roi de France.

« Auquel notre dit fils de Calabre, disait-il, avons donné et octroyons plein pouvoir pour régir, gouverner nos dits duchés, pays et seigneuries de Bar et de Lorraine en chef et en membres; et en iceux :
- 1° instituer officiers tant sur faits de justice qu’autrement
- 2° disposer et ordonner de toutes nos finances
- 3° quitter tout cas de crime et en faire grâce
- 4° imposer finances sur nos dits pays
- 5° faire assemblée tant des trois étays comme des gens d’armes
- 6° faire alliance et confédération
- 7° faire battre et forger monnaie
- 8° et généralement toutes choses quelconques, excepté seulement d’aliéner notre domaine pour don, vendition, engagement ou autrement, et aussi de la collation des bénéfices appartenant à notre patronnage
».

En 1466, Louis XI, allié du roi René contre les Bourguignons, s’adressant « à nos très chers et bien aimés les gouverneurs, baillifs et gens du conseil de notre très-cher et très-amé oncle et cousin, le roi de Sicile, étant à Bar-le-Duc », leur proposait de leur fournir une garnison pour les défendre contre une tentative bourguignonne, et il le faisait en des termes qui montrent bien qu’il ne se considérait pas du tout comme le souverain du pays, maître par conséquent d’y expédier ou non ses gens d’armes à sa guise.

« Nous envoyons présentement par delà notre amé et féal conseiller et chambellan, le sire de Baudricourt, auquel nous avons chargé vous dire que si vous avez métier de gens d’armes ou autre aide, pour la garde et sûreté de vous et du pays, que pour l’amour de notre cher et très-amé oncle et cousin le roi de Sicile, nous vous en secourrons très-volontiers à notre pouvoir, comme nous ferions nos propres pays et sujets ».

Moins d’un siècle plus tard, il est vrai, François Ier, mécontent des complaisances du duc de Lorraine et de Bar à l’égard de Charles-Quint, dont la nièce, Christine de Danemark, avait épousé le fils aîné de ce duc, lui suscitait de sérieuses difficultés au sujet du Barrois-Mouvant, et finissait par lui imposer, en 1541, un acte des plus graves, dans lequel Antoine s’exprimait ainsi : « Reconnaissons et confessons que par le moyen de la jouissance des dits droits de régale et de souveraineté en notre dit duché de Bar, tant pour le passé que pour l’avenir, n’avons entendu et entendons prétendre ni acquérir les dits droits de régale et de souveraineté en notre dit duché de Bar, ne iceux nous appartenir, mais en jouir par le moyen de la grâce et permission du roi notre souverain seigneur, et pour le cours de nos vies tant seulement, sans que nos autres successeurs ni ayans cause y puissent aucune chose demander ni quereller ».

La déclaration est formelle : le duc de Bar reconnaît que les droits de régale et de souveraineté ne lui appartiennent pas en propre, mais qu’il les tient du bon vouloir du roi du France, et que ses successeurs ne peuvent y prétendre d’une autre manière.

Hâtons-nous d’ajouter que, trois ans après, le traité de Crépy annulait cet acte, et remettait le Barrois dans la situation où il se trouvait auparavant. Mais les difficultés n’en continuent pas moins entre les successeurs de François Ier et d’Antoine.

Enfin, le 25 janvier 1571, entre le roi de France Henri III et le duc de Lorraine et de Bar, Charles III, intervient un concordat dans lequel il est dit : « Pour pacifier et mettre fin à tous procès et différends tant mus qu’à mouvoir à raison desdits droits de régale et souveraineté, le dit seigneur roi a accordé et octroyé, accorde et octroie, pour lui et ses successeurs rois de France, au seigneur duc de Lorraine et de Bar son beau-frère, que tant lui que tous ses descendans puissent jouir et user librement et paisiblement de tous droits de régale et de souveraineté ès-terres du bailliage de Bar, prévôté de La Marche, Châtillon, Conflans et Gondrecourt, tenus et mouvans dudit seigneur roi, et dont le dit seigneur duc lui eu a fait la foi et l’hommage-lige ».

Ainsi, d’après cet acte important, le duc de Lorraine et de Bar jouit bien dans le Barrois mouvant « de tous droits de régale et de souveraineté», mais c’est en vertu de l’octroi qui en est fait, une fois pour toutes, à lui et à ses descendants, par le roi de France dont il est l’homme-lige.

Le concordat de 1571 stipule, à l’égard de la souveraineté du duc sur le Barrois mouvant, une restriction beaucoup plus grave encore. Depuis longtemps, les ducs toléraient que les gens de ce Barrois en rappelassent à la justice française des décisions de leurs tribunaux inférieurs, mais ce n’était pas pour eux une obligation stricte. Les justiciables, en cas d’appel, s’adressaient, soit aux tribunaux français, soit à la Cour souveraine de Saint-Mihiel, qui était purement barroise. Dorénavant, en vertu du concordat, l’appel devra être invariablement porté en France.

« Pour le regard des sentences et jugemens donnés par le bailly de Bar et par le bailly de Bassigny ès-dites terres mouvantes du dit seigneur roy, les appellations ressortiront immédiatement en la cour du Parlement de Paris, sinon que pour les petites causes n’excédant la somme dont les juges présidiaux ont accoutumé de connaître ; lesquelles appellations ressortiront au bailliage et présidial de Sens». Donc le duc renonce, en matière de justice, au droit de ce qu’on appelle « le dernier ressort », droit éminemment régalien, et il le concède au roi de France, qui établit ainsi définitivement son autorité suprême dans le Barrois mouvant sur un point d’importance capitale.

L’accord entre le roi de France et le duc de Lorraine et de Bar, établi sur ces bases, ne dura pas très longtemps.

Le duc Charles IV eut la folie d’entrer en lutte ouverte avec son puissant voisin et suzerain. Il lui refusa l’hommage-lige. Par arrêt du Parlement de Paris en date du 5 septembre 1634, il se vit, en vertu du droit féodal, confisquer le Barrois mouvant, comme vassal coupable de félonie. Le traité des Pyrénées sanctionnait cette confiscation et annexait le Barrois mouvant à la France.

Pourtant Louis XIV le restitua au duc, en 1661, par le traité de Vincennes. Le duc Charles IV rendit l’hommage au roi de la façon suivante : Le roi assis dans un fauteuil était au milieu des princes du sang, environné d’une foule de seigneurs. Charles remit son chapeau, son épée et ses gants au premier gentilhomme de la chambre. Il se mit à genoux sur un coussin, et, le roi lui tenant les mains entre les siennes, le chancelier prononça à haute voix la formule de l’hommage en ces termes : « Monsieur, vous rendez au roi la foi et l’hommage-lige que vous lui devez comme à votre souverain, à cause du duché de Bar et pour les terres du dit duché qui sont mouvantes de sa couronne. Vous jurez et promettez à Sa Majesté de lui rendre la fidélité, service et obéissance que vous êtes tenu de lui rendre à cause de vos terres, et de le servir de vos personne et biens, envers tous et contre tous, sans nul excepter, en toutes les guerres ou divisions que lui ou ses successeurs rois pourraient ci-après avoir contre les ennemis de sa couronne, pour quelque chose que ce soit, ainsi que vous y êtes obligé pour raison de vos terres ; et ne permettrez qu’en icelles il ne soit fait aucune chose au préjudice de Sa Majesté et de son État. Ainsi le jurez et promettez ». A quoi le seigneur duc répondit : « Oui, sire, je le jure ».

On peut ajouter qu’il ne le répondit pas de tout coeur. Bientôt, il reprenait les hostilités avec la France, attirait sur ses États d’horribles calamités, en amenait une occupation par la France qui dura jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Restitués à leur souverain légitime par le traité de Ryswick, la Lorraine et le Barrois reprirent à peu près la situation qu’ils avaient avant les guerres de Charles IV. Le duc Leopold redevint, pour le Barrois mouvant, l’homme-lige du roi.

Dans la matinée du 10 septembre 1700, à Bar-le-Duc, rue de l’Armurier, un cartel blasonné aux armes de France qui figurait sous une arcade supportée par deux piliers, fut trouvé en morceaux sur le sol. Cet incident donna lieu à une grave affaire. La chute des armes de France n’était pas accidentelle, des Barrisiens l’avaient déterminée, animés sans doute par les ressentiments des maux jadis subis dans le Barrois.

L’autorité royale s’émut, le Parlement de Paris intervint, le lieutenant-général du bailliage français de Chaumont vint procéder sur les lieux à une enquête. Finalement, après une longue procédure, par un arrêt en date du 27 janvier 1702, le Parlement de Paris ordonna que les armes de France seraient rétablies, rue de l’Armurier, comme elles étaient avant cette tragique histoire, et qu’une plaque de cuivre, apposée auprès d’elles, rappellerait les motifs et les circonstances de la restauration. Cela se passait dans la capitale du Barrois, sous le règne du duc Léopold, qui n’était pas proprement le sujet de Louis XIV, et montre bien tout de même que la mouvance entraînait pour lui une subordination qu’il pouvait trouver quelque peu humiliante.

Le 1er février 1730, le dernier duc héréditaire de Lorraine et de Bar, François III, rendait encore au roi de France Louis XV l’hommage-lige qu’il lui devait pour la mouvance, et à peu près dans les mêmes formes que le duc Charles IV au siècle précédent. Comme lui, il se mettait à genoux, tête nue, sans épée, les mains jointes dans celles du roi, entendait la formule du serment dite par le chancelier. « A quoi le duc ayant acquiescé, le roi le baisa et le releva ».

On a dit assez souvent que le Barrois avait deux capitales, l’une, Bar-le-Duc, pour le mouvant, l’autre, Saint-Mihiel, pour le non-mouvant. C’est une erreur.

Sa seule capitale était Bar, qui lui donnait son nom, qui possédait le Château ducal, et qui était le domicile officiel du duc, comme le déclare formellement Léopold en 1720, dans un pourvoi formé auprès du Conseil du roi contre un arrêt du Parlement de Paris, qui l’assignait à comparoir auprès du procureur général de cette cour pour une affaire relative au comté de Ligny.

C’est à Bar que siégeait la Chambre des comptes, dont la juridiction s’étendait sur tout le duché. Enfin, c’est à Bar qu’on a mis, par tradition, le chef-lieu de la Meuse, laquelle correspond, sous les réserves mentionnées ci-dessus, à l’ancien Barrois, bien que ce chef-lieu ne soit nullement central, et que, par sa position, Verdun eût offert des commodités plus grandes.

Saint-Mihiel, il est vrai, possédait une Cour souveraine, qui prononçait en dernier ressort sur tes affaires judiciaires du Barrois non-mouvant. Ainsi s’explique sans doute, le privilège dont il jouit, dans le département de la Meuse, d’être le siège de la cour d’assises, ainsi que du tribunal de première instance de l’arrondissement de Commercy.

Il y a dans la Meuse nombre de villes qui peuvent, à certains égards, se parer du nom d’anciennes capitales, Bar-le-Duc, Verdun, Saint-Mihiel, Commercy, Ligny, même Clermont-en-Argonne, même Stainville, qui donnait son nom à un Duché-Pairie, institué au XVIIIe siècle en faveur d’un Choiseul.


Archive pour janvier, 2011

La distinction entre le Barrois et la Lorraine

Armoiries du duché de Bar

D’après la monographie « Le Barrois » d’Alexandre Martin – 1912

En janvier 1790, l’assemblée nationale constituante supprimait la division de la France en provinces, et la remplaçait par la division en 83 départements, effaçant en un jour l’oeuvre historique des siècles et y substituant une conception logique qui lui semblait infiniment meilleure.

On lit généralement dans les manuels, que l’ancienne province de Lorraine forma quatre départements, la Meurthe, la Moselle, les Vosges et la Meuse. Cette notion sommaire est inexacte, comme du reste beaucoup d’autres que les manuels se transmettent, pour ce qui concerne la Meuse en particulier.

L’annexion de la province de Lorraine et Barrois à la France, n’est pas de date très ancienne, puisqu’elle ne remonte qu’à 1766. Auparavant cette province constituait un double Duché, celui de Lorraine, et celui de Bar, qui était indépendant, sous certaines réserves que nous verrons plus tard.

En remontant de 1766 à 1737, s’étend une période de vingt-neuf ans, toute spéciale, pendant laquelle les Duchés de Lorraine et de Bar, cessant, en vertu du traité de Vienne, d’appartenir à leurs princes héréditaires, ont pour souverain un roi de Pologne détrôné, Stanislas Leczinski, beau-père du roi de France Louis XV.

En réalité, Stanislas n’est guère qu’un souverain nominal. Le véritable pouvoir est aux mains de la France, représentée par Chaumont de La Galaizière, le prétendu chancelier de Sa Majesté polonaise.

Il n’en faut pas moins remarquer que Stanislas Leczinski prit possession des deux duchés de Lorraine et de Bar par des actes séparés, à des dates différentes. Il le fit seulement le 21 mars à Nancy pour la Lorraine, mais ce fut le 8 février précédent que ses deux représentants, MM. de La Galaizière et de Meckec, reçurent en son nom, « dans sa bonne ville de Bar », au château ducal, le serment de fidélité des principaux fonctionnaires du Barrois.

Les ducs héréditaires qui gouvernèrent la Lorraine et le Barrois, en remontant de 1737 jusqu’à l’année 1419, se considérèrent toujours comme investis d’une double souveraineté, celle de deux États bien distincts, que le traité de Foug (20 mars 1419) avait unis sous le sceptre du même prince, mais dont aucun des deux n’avait été annexé à l’autre. Jusqu’à cette date de 1419, le Duché de Bar et celui de Lorraine avaient été entièrement séparés.

Sur le Barrois, régnait alors le cardinal Louis de Bar, qui ne pouvait avoir d’héritiers légitimes aptes à lui succéder, et sur la Lorraine le duc Charles II, qui n’avait qu’une fille, Isabelle. Les deux ducs négocièrent le mariage d’Isabelle avec René d’Anjou, petit-neveu du cardinal Louis par sa mère, Yolande d’Aragon, fille elle-même d’Yolande de Bar, et mariée au duc Louis d’Anjou.

C’est cette princesse, « femme fort intelligente et avisée », qui fut l’âme de la combinaison. René d’Anjou, alors âgé de dix ans, reçut de son grand-oncle le cardinal Louis la cession du Barrois et de tous les autres domaines de ce prince. L’année suivante, il épousait à Nancy Isabelle de Lorraine. Il devait rester en Lorraine jusqu’à sa majorité, sous la garde et sous la direction de son beau-père le duc Charles II, et, à la mort de celui-ci, ajouter au titre de duc de Bar, qu’il possédait en propre par la cession du cardinal Louis, celui de duc de Lorraine, que lui conférait le droit de sa femme Isabelle.

Puis, sous les descendants de René et d’Isabelle, les deux duchés, tout en étant distincts, devaient « rester pour toujours tellement unis et indivisibles qu’ils ne pourraient jamais être séparés sous aucun prétexte que ce puisse être ».

Enfin, si nous remontons du traité de Foug jusqu’aux origines des deux États, nous les trouverons, non seulement indépendants l’un de l’autre, mais souvent ennemis l’un de l’autre, se faisant mutuellement la guerre et vivant dans le plus désagréable voisinage.

Il résulte de tout ce qui précède, que le Barrois était un pays bien à part, qu’il avait son existence et sa physionomie propres, et qu’il ne se confondait nullement avec la Lorraine. Nous allons voir maintenant comment son territoire était constitué.

Comme toutes choses en ce monde, les États évoluent, ils ne demeurent pas dans une situation invariable. Ils ont leurs périodes de naissance, de croissance, de maturité, de décadence et de fin. C’est pourquoi le territoire d’aucun État n’est invariable non plus. En général, petit à l’origine, il s’étend peu à peu par des annexions successives, puis souvent diminue par suite de pertes.

Le Barrois a vu son territoire changer sensiblement dans la série de siècles pendant laquelle il a vécu d’une vie propre. Mais eu égard à son exiguïté, au peu d’étendue des pays qu’il a pu conquérir ou perdre, ces changements sont beaucoup plus difficiles à suivre que ceux d’un grand pays comme la France. Les annexions de la France sont de grandes provinces comme le Languedoc, la Champagne, la Bourgogne. Celles du Barrois consistent souvent en simples bourgades. Aussi n’en présenterons-nous pas l’historique, même sommaire, dans ce chapitre. Nous nous contenterons de prendre le Barrois tel qu’il était aux approches de la Révolution, vers la fin du XVIIIe siècle.

Nous constatons à première vue que le Barrois ne correspond pas du tout, exactement avec le département de la Meuse, et qu’il se présente à nous, non pas comme une étendue continue et compacte, mais comme un ensemble de plusieurs îlots, de dimensions fort inégales, séparés les uns des autres par des territoires qui ne lui appartiennent pas. Le préfet de la Meuse peut se rendre sur tous les points de son département sans en quitter un instant le territoire. Un haut fonctionnaire du Barrois n’était pas dans le même cas.

Ce qui attire d’abord le regard c’est, à l’Ouest, le plus considérable de tous ces îlots, celui qui constitue le bailliage de Bar, avec la ville de Bar-le-Duc à peu près au centre, et qui comprend à peu près les cantons actuels de Bar, Ancerville, Montiers, Ligny, Pierrefitte, Vavincourt, Revigny, Vaubécourt et Souilly.

Cet îlot a comme prolongements trois sortes de presqu’îles, aux contours découpés et sinueux, rattachées à lui par des sortes d’isthmes, et n’appartenant pas au bailliage de Bar :
-
La première, au Sud-Est, comprend le canton actuel de Gondrecourt, et une partie de celui de Vaucouleurs (à noter toutefois que la ville de Vaucouleurs elle-même est, non pas barroise, mais française).
-
La seconde, à l’Est, en partie correspond aux cantons meusiens de Saint-Mihiel et de Vigneulles, mais comprend des cantons du département de Meurthe-et-Moselle, les bailliages barrois de Thiaucourt et de Pont-à-Mousson. Thiaucourt, Pont-à-Mousson sont des villes barroises. En 1354, Pont-à-Mousson avait été érigé en marquisat, dont les ducs de Bar ne manquèrent jamais de prendre le titre distinct.
- La troisième enfin, au Nord-Est, plus petite que les deux autres, constituant le comté d’Hannonville, comprend les villages d’Hannonville, Doncourt, Thillot, Dommartin, Dompierre, Vaux, Lacroix, Troyon, Ambly, qui appartiennent aux cantons actuels de Fresnes, Vigneulles, Saint-Mihiel et Verdun.

Au Sud-Est de ce gros îlot flanqué de trois presqu’îles que nous venons de décrire, se présente un autre îlot, entièrement séparé du premier par le territoire de la France et de la Lorraine. Ce sont les bailliages de Bourmont, et de La Marche. Le chef-lieu du premier, Bourmont, est actuellement le chef-lieu d’un canton de la Haute-Marne, et celui de l’autre, La Marche, est du département actuel des Vosges.

Regardons maintenant au Nord-Est de la carte. Nous y voyons un nouvel îlot, d’étendue assez considérable, entièrement séparé, lui aussi, du premier, par un territoire devenu français depuis le XVIe siècle, mais qui, auparavant, appartenait à deux États indépendants, les Évêchés de Verdun et de Metz. Nous énoncerons ici un fait très connu des historiens, mais assez ignoré du gros public, c’est que Verdun n’est pas plus terre barroise que Metz n’est terre lorraine. Verdun et Metz ont cessé d’être les capitales de sortes de Républiques souveraines pour devenir directement français. Ils n’ont jamais été l’un barrois, l’autre lorrain, à moins qu’on ne remonte jusqu’à l’ancienne Lotharingie, dont nous n’avons pas à nous occuper un instant.

Ce troisième îlot comprend les bailliages d’Étain, de Briey, de Villers et de Longuyon. Une bonne partie de celui d’Étain rentre dans la Meuse actuelle. Les autres appartiennent à la Meurthe-et-Moselle. Toutefois un certain nombre de villages du bailliage de Longuyon sont aujourd’hui meusiens, tels Arrancy, Sorbey, Rouvrais, Nouillompont, etc. Notons qu’au milieu de ce troisième îlot barrois, se souvent des enclaves de l’Empire d’Allemagne, mais qu’au Nord, il détache lui-même en plein pays luxembourgeois des petites enclaves barroises, comme Batlincourt, Aubange, Athus, Saulne.

Nous citerons seulement pour mémoire de petits îlots éparpillés en territoires non barrois, autour des trois principaux qui viennent d’être décrits, par exemple :
- au Nord-Ouest ceux de Beaumont, de Gremilly, de Besonvaux, de Châtillon, de Sommedieue
- à l’Est ceux de Clémery, de Serrières, de Ville-au-Val
- au Sud ceux de Saint-Germain, de Pagny-la Blanche-Côte, etc.

Des quatre chefs-lieux d’arrondissement de la Meuse, un seul, Bar-le-Duc, était franchement Barrois.

Deux autres, Verdun et Montmédy, ne l’étaient, sans aucun doute, pas du tout. Pour Verdun, nous l’avons expliqué il y a un instant. Montmédy avait appartenu au duché de Luxembourg, au comté de Chiny, puis à l’Espagne. Louis XIV l’acquit définitivement à la France par le traité des Pyrénées en 1659.

Quant à Commercy, petite capitale d’une seigneurie longtemps indépendante, dont les princes s’appelaient Damoiseaux, il passa plusieurs fois en vertu d’achats, de traités, d’alliances, sous la souveraineté des ducs de Lorraine et de Bar, puis redevint indépendant. Au XVIIe siècle, il appartenait à Jean-François-Paul de Gondi, le fameux Cardinal de Retz, qui le vendit au duc de Lorraine et de Bar, Charles IV. Mais il ne devint pas proprement Barrois, il continua à être la capitale d’une principauté distincte appartenant définitivement à la maison de Lorraine.

On doit signaler aussi la situation spéciale du pays de Ligny. Originairement une seigneurie appartenant aux comtes de Champagne, par suite d’un mariage il passa en 1155 dans la Maison de Bar, et y resta jusqu’en 1231. A cette date, pour la même raison, il échut à la Maison de Luxembourg, qui, en 1367, le vit ériger en comté par Charles V, roi de France, et qui le garda jusqu’en 1719, époque à laquelle le dernier Comte, Charles-François-Frédéric de Montmorency-Luxembourg l’aliéna au duc de Lorraine et de Bar Léopold pour la somme de 2 600 000 livres.

Ce comté avait environ sept lieues du Nord au Sud, et cinq de l’Est à l’Ouest. Ainsi s’explique que ce qui reste de la dépouille mortelle d’un certain nombre de princes de l’illustre Maison de Luxembourg, en particulier du célèbre maréchal, l’un des plus glorieux généraux de Louis XIV, repose aujourd’hui, définitivement, il faut l’espérer, dans une chapelle de l’église paroissiale de Ligny. Primitivement déposés dans les caveaux de la Collégiale qui était l’église castrale du château de cette ville, les Luxembourg furent exhumés en 1791, enterrés au cimetière, puis déterrés en 1839 et transportés à l’église paroissiale, où, en 1887, ils changèrent encore une fois de place pour occuper un caveau dans une chapelle à gauche du choeur, dédiée au bienheureux Pierre de Luxembourg.

Pour ceux qui se demandent, comment on pouvait bien s’y reconnaître parmi tous ces différents territoires, une carte de la Lorraine et du Barrois, datée de 1756, est en ligne sur ce site. (Possibilité d’effectuer un zoom et de déplacer la carte).

Et si vous êtes comme moi, même après l’avoir étudiée, vous vous poserez toujours le même question : comment faisaient-ils pour s’y retrouver ?

L’administration du duché de Lorraine sous Léopold

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

On a reproché à Voltaire d’avoir contribué, par une page célèbre de son Siècle de Louis XIV, à créer la légende de Léopold. Le portrait est certainement flatté, on dirait une page détachée du Télémaque. Et pourtant, les traits essentiels sont si exacts qu’il suffirait d’y ajouter quelques ombres pour obtenir une ressemblance vraiment historique.

Le premier mérite de Léopold, c’est d’avoir relevé la nationalité lorraine et d’y avoir maintenu la paix pendant trente ans, alors que le reste de l’Europe était ravagé par la guerre. De cet immense bienfait a découlé une prospérité prolongée dont on lui a fait justement honneur. Son programme de gouvernement a bien été, comme le dit Voltaire, de procurer à sa nation « de la tranquillité, des richesses, des connaissances et des plaisirs ».

Grâce à cette sage politique, il assura à ses sujets la sécurité qui est la première condition d’un travail fructueux. Les campagnes se repeuplèrent, tant par le retour des Lorrains fugitifs que par la naturalisation de nombreux étrangers. Les villages se rebâtirent, partout s’élevèrent de riches habitations. L’agriculture remit en valeur les terres abandonnées pendant le XVIIe siècle. Les produits dépassèrent les besoins du pays et s’écoulèrent par les exportations du commerce. La population doubla et s’éleva à la fin du règne à 800 000 âmes. Cette sorte de résurrection fut surtout manifeste dans les villes. La population de Nancy monta rapidement à 20 000 habitants. Lunéville, qui n’était qu’une bourgade de 900 âmes, en compta plus de 9 000 à la fin du règne.

Il en fut de même sur tous les points de la Lorraine et du Barrois. L’industrie prit un essor inconnu jusque-là. Les corporations ouvrières s’organisèrent fortement, et Léopold en créa de nouvelles avec des étrangers attirés de tous côtés par ses lois libérales. On vit se multiplier les manufactures et les usines. Les salines s’enrichirent par leurs exportations dans les pays voisins, la métallurgie commença ses établissements qui sont aujourd’hui si prospères. C’est à Léopold que remontent nos verreries, nos tissages, nos fabriques de toiles, nos admirables faïenceries, nos papeteries des Vosges, etc.

Pour faciliter les développements du travail national, Léopold donna un soin particulier à la voirie. Il fut secondé par le surintendant des ponts et chaussées, le comte du Hautoy. On répara, on entretint les vieux chemins. On fit mieux encore, on construisit avec une admirable diligence jusqu’à huit cents kilomètres de routes nouvelles avec plus de quatre cents ponts, qui firent un bien immense à ses États et servirent de modèle au reste de l’Europe. Ce sont là certes des titres sérieux à la reconnaissance populaire et qui valent mieux que toutes les bruyantes batailles qui servaient à la gloire personnelle de Charles IV, mais ruinaient le pays.

Il était très actif, s’efforçait de tout voir par lui-même, et entretenait l’ordre par de sages règlements et par une bonne police. Mais il allait parfois jusqu’à l’inhumanité : c’est ainsi qu’il punissait les contrebandiers et les faux sauniers de la marque sur les deux épaules, et en cas de récidive de la peine capitale, ou encore qu’il prescrivait de percer la langue des blasphémateurs d’un fer chaud à la quatrième récidive et de leur couper la langue entièrement à la cinquième. Ses prisons étaient vides assez souvent, mais par contre, il avait établi les lettres de cachet comme en France, ce qui permettait des arrestations arbitraires et des détentions sans jugement.

On peut lui reprocher aussi, comme à Charles III, de n’avoir pas su s’élever au-dessus de son temps jusqu’au principe de la liberté de conscience et d’avoir édicté à plusieurs reprises contre les protestants, les jansénistes, les juifs, les mesures les plus vexatoires.

Il s’honora par les soins qu’il donna à l’enseignement public. Il releva l’Université de Pont-à-Mousson tombée en décadence. Il fit ouvrir dans tous ses domaines des écoles populaires. Son académie de Lunéville, grâce aux maîtres distingués que ses libéralités y attirèrent, acquit une véritable renommée. Il avait institué à Nancy, pour favoriser le progrès des beaux-arts, une académie de peinture et de sculpture, qui devint une école pour la jeunesse et un honneur pour les artistes et les savants qui y furent admis.

Il était lui-même lettré et se piquait de parler et d’écrire quatre langues : le latin, le français, l’allemand, l’italien. Il a laissé plusieurs mémoires sur les hommes et les choses de son temps qui méritent de l’estime.

Comme les princes vraiment intelligents, il attirait et retenait près de lui les hommes distingués, des savants comme Jamerai-Duval, des historiens comme le P. Hugo, religieux prémontré, et le P. Picart, religieux capucin de Toul, dont les polémiques firent grand bruit, des diplomates et des jurisconsultes comme Lefebvre et Bourcier, des ingénieurs comme Vayringe, des peintres comme Claude Charles, Jacquard, Provençal, des sculpteurs comme Adam et ses trois fils, des graveurs comme ce Saint-Urbain, directeur de la Monnaie, qui fut condamné à la prison perpétuelle pour faux-monnayage et à qui le Duc fit grâce en considération de son génie.

Sa bonté, qui était sa qualité maîtresse, se manifestait sous toutes les formes et particulièrement par des oeuvres de charité. Il répandait en aumônes une partie de ses revenus, s’efforçait d’obtenir que ses sujets concourussent, suivant leurs moyens, à soulager les misérables. Il établit dans chaque paroisse un « bureau des pauvres » chargé de distribuer des secours. Il s’attacha aussi à accroître les revenus des hôpitaux. Il avait même publié un édit qui portait que les testaments faits à Nancy ne seraient valables qu’autant qu’il y serait inscrit un legs en faveur de l’hôpital Saint-Charles.

On le compara au Pharaon du patriarche Joseph lorsqu’il créa des greniers de prévoyance. En prévision des insuffisances de récoltes et de la cherté qui pouvait s’ensuivre, il prescrivit d’emmagasiner, pendant les bonnes années, l’excédent des productions, de façon à pouvoir, dans les mauvaises, vendre des grains à un prix raisonnable. Des magasins, de ce genre furent établis dans toutes les villes de Lorraine.

On constate donc facilement dans l’administration de Léopold, des actes, des institutions, des aspirations générales au bien qui font les bons souverains. On ne s’étonnera pas que ce règne pacifique de trente années, venant après les folies de Charles IV et une longue occupation étrangère, ait laissé d’heureux souvenirs dans la mémoire du peuple lorrain.

Mais la reconnaissance a ses limites dans la vérité et dans la justice, et l’historien n’a point le droit de décerner l’apothéose en jetant un voile sur ce qui est blâmable. Il est un point sur lequel Léopold n’est pas défendable.

S’il est vrai que le meilleur des princes soit celui qui se considère comme le gérant de la fortune publique, qui s’interdit les fantaisies personnelles, qui allège le plus possible les charges du peuple et qui, en un mot, administre la chose commune en bon père de famille, ce mérite sans éclat et qui ne donne pas souvent la gloire manqua complètement à Léopold.

Son règne n’est qu’un long gaspillage des ressources de la Lorraine.

Le Duc était d’une bonté sans mesure et sans règle. Il aimait à donner et, la main toujours ouverte, il prodiguait ses libéralités à tout venant. C’était un dissipateur qui aurait eu besoin, comme certains fils de famille, d’un conseil judiciaire. Ses prodigalités à tout son entourage, ses largesses aux courtisans, ses fastueuses constructions, sa coûteuse diplomatie, sa passion insensée pour le jeu épuisèrent le trésor, l’obligèrent à augmenter les impôts et les taxes et l’amenèrent à vivre d’expédients dont son honneur ne fut pas sans souffrir.

Les embarras commencèrent dès les premiers jours de son règne. En 1702, déjà il imposait une contribution extraordinaire de cent mille livres pour la Lorraine et de cinquante mille pour le Barrois, sous prétexte que les rentes dues aux créanciers de l’État épuisaient les ressources ordinaires. Cependant, il avait encore en 1706 un budget se soldant en excédent : recettes 3 260 916 livres, dépenses 2 552 091 livres. Louons-le de nouveau de sa générosité dans la terrible année de 1709 où, par ses sacrifices personnels, il préserva la Lorraine de la famine qui désolait toute la France et les pays voisins.

Mais à partir de ce moment, il s’engagea de plus en plus dans des pratiques désespérées.

Il crée et vend des charges de toutes sortes :
- en 1710, toute une chambre des requêtes du palais à côté de la Cour souveraine
- en 1711, cent trente-trois offices de tabellions et garde-notes
- en1718, nouveaux offices de finances.

Tous ces offices vendus, il les rend héréditaires et perpétuels en taxant les titulaires à sa fantaisie. Il exerce des retenues sur les traitements du personnel de sa propre maison, depuis les grands officiers et les secrétaires d’État, jusqu’aux garçons d’office et aux porteurs de bois.

En 1711, il édicte l’affranchissement des mainmortables de ses domaines, ce qui était très libéral, mais il exige que les paysans paient cette liberté d’une redevance annuelle, et, comme ils la refusent à ce prix, il retire son édit, le reproduit sans plus de succès en 1719 et finit par l’accorder gratuitement.

En 1706, il décrète que tous les anoblis depuis 1624 ou qui ont repris la noblesse de leurs mères verseront six mille livres et trois mille livres, ce dont on ne peut pas le blâmer, mais il abuse de cette ressource financière dont ses prédécesseurs avaient déjà trop tiré parti. De 1698 à 1729, il vend des lettres d’anoblissement à trois cent soixante-dix familles. Il en tient marché, et l’on vient même de France en acheter.

La détresse de Léopold va s’accroissant d’année en année, sans que ses prodigalités s’arrêtent.

Les courtisans sont insatiables et l’assiègent comme une meute affamée. Il donne des sommes énormes, il distrait du domaine des terres, des châteaux, des forêts, des moulins. Il est mis au pillage. Les ressources tarissent, mais les dépenses irréfléchies continuent ou se succèdent.

En 1711, il fait commencer par l’architecte Boffrand la construction d’un magnifique château à la Malgrange. Les travaux se poursuivent jusqu’en 1715, puis, sur une critique de l’Électeur de Bavière, sont laissés inachevés. « C’est trop loin pour une résidence de ville, c’est trop près pour une maison de campagne ».

En 1714, il entreprend d’importantes réparations au palais ducal de Nancy, y élève un étage, puis ordonne de le démolir en entier, ainsi qu’une partie de la collégiale de Saint-Georges pour bâtir un nouveau palais et il abandonne l’entreprise en 1720, en laissant heureusement debout le beau portail, chef-d’oeuvre de Mansuy Gauvain.

Ses caisses vides, il a recours à l’emprunt, jusqu’à ce qu’il ne trouve plus de prêteurs. La dette monte peu à peu jusqu’au chiffre de sept millions et demi. Il n’en peut plus payer les intérêts. Il ne verse plus que des acomptes aux officiers de sa maison et à ses fournisseurs.

Il s’adresse alors aux manieurs d’argent, aux banquiers juifs de Metz. Il les attire à Nancy et à Lunéville malgré les protestations irritées du clergé. Il brave l’opinion et en 1715, il nomme Samuel Lévy banquier de la cour et receveur général des finances. La chambre des comptes refuse de recevoir le serment du nouveau fonctionnaire et les magistrats menacent de donner leur démission. Le Duc supprime la formalité du serment et se sert de l’habile financier qui trouve des ressources, facilite des emprunts, jusqu’à ce que, ruiné lui-même, il soit jeté en prison et fait une banqueroute de trois millions en 1717.

On a dit qu’il résista aux séductions de la banque de Law et qu’il refusa même une somme de neuf millions que lui offrait le Régent, son beau-frère. Ce qui permet de douter de tant de réserve, c’est qu’il se lança lui-même dans les plus folles entreprises financières.

En 1720, il autorisa la formation de la Compagnie de Lorraine au capital de trois millions, dont il garantit les intérêts à quatre pour cent. Cette société devait être un merveilleux instrument de crédit qui développerait le commerce et l’industrie, permettrait de rembourser la dette et fournirait par de savantes combinaisons à tous les citoyens les moyens de s’enrichir rapidement. Mais la chute du système en France effraya les actionnaires. Ils demandèrent une enquête qui eut bientôt démontré que les opérations de la compagnie n’étaient autre chose que des spéculations ruineuses. Un édit la supprima en 1722.

Cette leçon ne suffit pas à Léopold. Il s’affole et se laisse tomber dans les mains des empiriques et des aigrefins.

En 1724, un véritable escroc, nommé Regard d’Aubonne, s’empare de sa confiance, et offre de former une nouvelle société qui, à coup sûr, donnera un essor inouï au travail national, enrichira le prince et éteindra en quatorze ans la dette de l’État qui s’est élevée à huit millions six cent mille livres. Ses vrais amis s’efforcent de lui ouvrir les yeux, la Cour souveraine, la chambre des comptes, le corps des marchands de Nancy s’élèvent avec force contre les projets de l’aventurier.

Le Duc n’écoute rien et, par édit du 8 juin 1724, il autorise la Compagnie du commerce de Lorraine. Un grand mouvement se communique aux affaires, l’esprit d’entreprise s’enflamme, les premières opérations rapportent beaucoup d’argent à Léopold. Regard d’Aubonne finit par un coup d’éclat. Il annonce qu’il va amortir par anticipation trois millions de dette. Il crée à cet effet une loterie dont on se dispute les billets. Trois jours avant le tirage, d’Aubonne disparaît emportant le produit de la vente des billets, les lots, les titres des créanciers de l’État. La compagnie tombe et la chambre des comptes est chargée de la liquidation (1725).

Léopold tout meurtri de cette chute, semble réfléchir plus qu’il ne l’avait fait jusque-là. Il annonce les plus sages résolutions pour rétablir l’équilibre de son budget et fait de louables efforts pour se tirer de l’engrenage qui l’a pris tout entier depuis de si longues années. Mais le temps lui manque pour opérer des réformes sérieuses et il meurt d’accident au milieu de graves embarras, à peine âgé de quarante-neuf ans (1729).

En résumé, le règne de Léopold démontre surtout ce que le régime autocratique peut faire d’un prince bien né, intelligent, d’une bonté parfaite, plein de bonne volonté.

Le vice capital de son gouvernement fut certainement de n’avoir ni contrepoids ni contrôle. Il lui manqua, ce qui manquait d’ailleurs à tous les princes de son temps, sauf aux souverains anglais, le frein des institutions libérales. Les têtes les mieux faites tournent sur les hauteurs où il n’y a d’autres règles que le bon plaisir, les fantaisies, les caprices d’un homme. Le pouvoir absolu ne fut pas meilleur pour l’excellent coeur de Léopold que pour l’humeur désordonnée de Charles IV.

Certes nous ne le blâmerons pas d’avoir supprimé les prérogatives surannées de la noblesse féodale, mais les États généraux auraient pu lui épargner bien des fautes et il ne les réunit pas une seule fois. Il eut des conseillers expérimentés, mais leur autorité morale ne suffisait pas à le garantir du vertige despotique. Il leur échappait par des sophismes et répondait même à leurs sages avertissements par des théories sur l’utilité de l’accroissement des taxes et même sur les avantages des dilapidations.

Toutefois au moment de conclure, on sent qu’il serait injuste de ne pas tenir compte à Léopold du bien qu’il a fait et dont l’initiative lui appartient tout autant que celle du mal qu’on lui peut reprocher. On n’oubliera pas qu’il a donné trente années de paix à la Lorraine, qu’il a reconstitué la nationalité, qu’il a repeuplé les campagnes et les villes, qu’il a construit de magnifiques routes, qu’il a fait refleurir l’agriculture, l’industrie, le commerce, l’instruction publique, les arts et les lettres.

Tout mis en balance, on est porté à dire que la légende ne s’est pas entièrement trompée en faisant de son règne une des périodes les plus heureuses, la plus heureuse peut-être de l’histoire ducale. On ne croit pas manquer aux droits sévères de la vérité en lui conservant sa place parmi ce très petit nombre de princes « dont le peuple a gardé la mémoire ».

La Cour de Lunéville sous Léopold

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Léopold et la duchesse avaient quitté Nancy la veille de l’occupation de cette ville par les troupes françaises, et étaient allés s’installer tant bien que mal dans le château délabré de Lunéville. Les grandes familles lorraines les suivirent. C’est là que la cour passa le reste du règne.

Léopold aimait à bâtir, comme la plupart des princes de son temps, à qui Louis XIV servait de modèle. Il chargea l’architecte Germain Boffrand, élève de Mansard, de lui faire un petit Versailles. Les travaux furent achevés en 1706. C’est le château actuel. Les beaux jardins qu’on appelle les Bosquets, ne furent dessinés qu’en 1711, et ce fut Stanislas qui les compléta.

Il se forma autour de Léopold une cour qui ne manqua pas d’éclat. La noblesse y fut représentée par la plupart de ses chefs. Elle se consolait dans les honneurs du château de la perte de ses prérogatives politiques. Les hauts dignitaires étaient le comte de Carlingford, avec le titre de grand maître de l’hôtel, le comte de Couvonges, grand chambellan, et le marquis de Lenonconrt, grand écuyer. Parmi les principaux officiers, figuraient le marquis de Lambertye, le comte de Brionne, MM. de Craon, de Ludres, de Ligniville, de Raigecourt, de Curel, etc.

La maison civile comptait trois cents serviteurs de tout rang, sans compter la maison de Madame Royale et le service des enfants. Il avait une écurie fastueuse et « d’aussi beaux chevaux qu’aucun prince d’Europe ». La maison militaire n’était guère qu’une garde d’honneur. Elle était composée de deux compagnies de chevau-légers et de la compagnie des Cent-Suisses. Les uniformes écarlates à parements jaunes, avec brandebourgs soit d’argent, soit d’or, rehaussaient singulièrement l’éclat des cérémonies publiques.

Bien qu’il n’y eût pas d’armée, on formait de jeunes officiers dans une académie bien organisée qui attira les gentilshommes lorrains et même des étrangers, surtout des Allemands. Il eut soin de réorganiser les milices bourgeoises dans les villes, avec la pensée que cette sorte de garde nationale pourrait au besoin prendre un caractère plus sérieux.

La cour de Léopold était fort aimable et l’on y goûtait vraiment la douceur de vivre. Une simplicité élégante y régnait, la morgue et l’étiquette en étaient bannies. Le Duc invitait à ses fêtes les familles bourgeoises et leur prêtait ses propres carrosses pour les amener ou les reconduire.

Les représentations théâtrales y étaient en grand honneur. Les princes ne dédaignaient point de paraître sur la scène et l’on vit quelquefois Madame Royale et même le Duc figurer dans des ballets, comme Louis XIV au temps de sa jeunesse. C’est sur le petit théâtre ducal de Lunéville que la célèbre tragédienne Adrienne Lecouvreur fit ses premiers débuts. Les chefs-d’oeuvre de Corneille, de Racine, de Molière faisaient partie du répertoire du château. On jouait les opéras de Quinault et de Lulli, et on y essaya aussi des pièces originales dont les platitudes étaient rachetées par des louanges dithyrambiques adressées aux vertus de Léopold.

Il faut bien dire que, si l’on imitait les moeurs raffinées de Versailles, on ne se piquait point de plus d’austérité. Le prince, malgré sa piété qu’on peut croire sincère, copiait sans aucun scrupule sur certains points son idéal, le Grand roi, mais il s’efforçait de sauver les apparences et n’affichait jamais ses faiblesses, si bien qu’il put se flatter d’avoir donné le change aux gens peu clairvoyants sur le caractère de sa longue intimité avec la princesse de Craon. Il était pourtant difficile de garder des doutes en présence de la folle profusion d’honneurs et de libéralités répandue sur la famille. Les dons faits à la famille de Craon s’élevèrent jusqu’à cinq cent mille francs de revenus. Il fit conférer au mari de la favorite, par l’empereur le titre de prince, par le roi d’Espagne la grandesse.

Malheureusement, le plaisir le plus en vogue à la cour était le jeu. Le Duc donnait l’exemple. Il y perdait des sommes énormes et se trouvait parfois dans l’impossibilité de payer ses dettes d’honneur. La Duchesse elle-même, quoique plus sage, ne pouvait résister à sa passion pour le lansquenet.

La querelle des juridictions épiscopales sous Léopold

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Au cours des années remplies par les péripéties de la guerre de la succession d’Espagne, Léopold eut à soutenir une lutte qui ne lui causa pas moins d’insomnies que sa politique extérieure.

Dès les premiers jours de la Restauration, il s’aperçut qu’il n’était pas maître chez lui tout autant qu’il l’avait pensé, lorsqu’il avait réduit à néant les antiques privilèges de la noblesse et supprimé de fait les États généraux. Restait l’Église, avec laquelle il fallait encore compter.

Les trois évêchés, Metz, Toul et Verdun, exerçaient leur juridiction spirituelle sur les deux duchés. En évoquant devant leurs officialités les affaires de caractère mixte, ils avaient à la longue, mis la main sur la société civile. En outre, depuis la conquête d’Henri II, les évêques désignés, en vertu du concordat, par le roi, étaient de véritables agents français en Lorraine.

Le Duc, pour dégager sa couronne, reprit le projet de Charles III et sollicita à Rome la création d’un nouvel évêché soit à Nancy, soit à Saint-Dié. L’opposition de la France fit une fois de plus échouer la demande. Pour parer d’autre façon aux difficultés, Léopold proposa aux trois évêques de désigner des prêtres lorrains qui formeraient une officialité spéciale siégeant à Nancy. Metz et Verdun se seraient prêtés à la combinaison, mais Toul la repoussa nettement. Il s’ensuivit un conflit qui s’anima de jour en jour et devint d’autant plus âpre que la magistrature de la Cour souveraine y prit part et défendit énergiquement les droits du pouvoir temporel.

Le siège de Toul était alors occupé par M. de Bissy, fils d’un lieutenant-général qui avait longtemps commandé en Lorraine. Si nous en croyons Saint-Simon, c’était une « âme forcenée d’ambition ». Mme de Maintenon et le cardinal de Noailles le protégeaient fort. Il visait à la succession de Bossuet et au chapeau. Il en voulait beaucoup au duc Léopold parce que celui-ci, à la première audience qu’il lui donna, le fit asseoir sur une chaise et non sur un fauteuil, comme il avait été d’usage pour ses prédécesseurs. Il savait bien qu’il servait la politique du roi en défendant la juridiction épiscopale, c’est-à-dire l’ingérence des prélats français en Lorraine.

M. de Bissy eut pour principal adversaire le procureur général Bourcier, l’un des jurisconsultes les plus éminents qu’ait vus naître la Lorraine. L’évêque ouvrit le feu en publiant, en 1700, un nouveau rituel dans lequel il définissait les droits des officialités, évoquait devant ces tribunaux un grand nombre de questions séculières et prescrivait à tout ecclésiastique de décliner la juridiction laïque pour actions personnelles, civiles ou criminelles.

La Cour souveraine s’émut et, sur les réquisitions de son procureur général, condamna quatre articles du rituel comme attentatoires au pouvoir temporel et il en interdit la publication. L’official de Toul, de son côté, repoussa l’arrêt de la cour comme attentatoire à l’autorité épiscopale. On combattit à coups d’ordonnances contradictoires.

L’évêque et le Duc ne s’engagèrent pas tout d’abord de leurs personnes. Mais Léopold fut le plus vif et entra bientôt directement dans la querelle. Il y avait des empiétements dans le domaine civil de la part des officialités, ce n’était pas douteux. D’autre part, il était nécessaire de fixer les règles de procédure en raison du rétablissement de la Cour souveraine et de la réorganisation des tribunaux inférieurs.

Le procureur général Bourcier fut chargé d’opérer la révision et la refonte des lois et coutumes. Ce travail fut rapidement achevé et dès le mois d’août 1701, on publia sous le titre de Code Léopold, une ordonnance calquée sur les ordonnances françaises de 1667 et 1670. Bourcier y avait même inséré en entier le titre XV de la loi de 1667 comprenant les règles et usages de l’Église gallicane.

M. de Toul alors descendit à son tour dans la lice et habilement porta le débat à Rome. Il dénonça le Code Léopold comme une atteinte non seulement à l’autorité des évêques, mais encore aux droits supérieurs du Saint-Siège et établit sans peine que s’il était, lui, évêque français sur terre française à Toul, la Lorraine ducale était un pays d’obédience et non un pays de concordat, et par conséquent restait soumise aux constitutions des papes, sans pouvoir invoquer les maximes de l’Église gallicane.

La cour romaine, avec sa lenteur habituelle, mit deux ans à instruire secrètement l’affaire, puis le 23 septembre 1703, sans avoir entendu le Duc, sans l’avoir prévenu, elle donna pleine satisfaction à l’évêque de Toul, censura l’ordonnance de 1701 et excommunia « quiconque oserait l’imprimer, la lire ou même la posséder ».

Léopold condamné ainsi sans discussion contradictoire, protesta avec beaucoup de force et de dignité. Il se plaignit qu’on l’eût frappé d’un véritable coup de foudre et qu’on eût placardé outrageusement son nom à tous les carrefours de Rome, comme celui d’un ennemi de l’Église, lorsqu’on ne pouvait cependant, douter de ses sentiments religieux. Il protestait d’ailleurs fièrement que malgré la déférence filiale qu’il professerait toujours pour le Saint-Siège, il avait trop le sentiment des droits et des devoirs de sa souveraineté pour ne pas se défendre. Il interdit la publication du bref dans ses États et le procureur général Bourcier fit décider par la Cour souveraine qu’il serait interjeté appel du pape mal informé au pape mieux informé.

Léopold, la première colère passée, essaya de se rapprocher de Bissy. Mais celui-ci ne tint aucun compte de son humble démarche. Il continua d’agir à Rome. Le 11 février 1704, le pape Clément XII censura l’acte d’appel et frappa de la même mesure une ordonnance ampliative dans laquelle le Duc retira les articles du Code qui avaient été relevés comme condamnables.

La même année (1704), de Bissy, protégé par Mme de Maintenon, réalisa son rêve et obtint le siège de Meaux devenu vacant par la mort de Bossuet. Dix ans après, il devait recevoir le chapeau de cardinal, que l’on avait refusé au plus grand des évêques français.

Avant de quitter Toul, il parla de conciliation et proposa des conférences. Elles s’ouvrirent au château de la Malgrange. Le prélat y vint en personne avec ses vicaires généraux. Le Duc était représenté par plusieurs commissaires et entre autres par le président de la Cour souveraine Mahuet, le procureur général Bourcier et le comte de Couvouges. Comme on était fort animé de part et d’autre, on ne s’entendit pas et les négociations furent rompues.

Alors les deux partis se tournèrent du côté de Louis XIV qui aurait pu facilement tout apaiser. Mais le roi était intéressé à tenir le parti de son évêque et refusa l’arbitrage. L’affaire, comme le voulait M. de Bissy, retourna donc tout entière à Rome.

Léopold, que ces débats fatiguaient et qui d’ailleurs ménageait le pape Clément XI dans l’intérêt de ses frères, entrés dans l’Église, envoya une ambassade à Rome pour étudier une transaction. Le chef apparent en était le marquis de Lenoncourt, mais le membre le plus important fut d’abord le procureur général qui s’arrêta prudemment à Florence, puis le président Lefebvre, magistrat d’une grande finesse, qui ne s’était pas si complètement engagé que Bourcier.

Lefebvre vit tout de suite qu’il fallait céder. Il offrit de faire une nouvelle rédaction dont disparaîtraient tous les articles condamnés par le pape. Alors, comme rien ne se termine vite à Rome, s’entama un échange de notes et de mémoires qui dura plus d’un an. Le successeur de M. de Bissy, un vieillard de 80 ans, M. de Camilly, agit de son mieux dans le sens de la paix.

Enfin, lassé par la temporisation romaine, Léopold céda à peu près sur tous les points et la querelle sembla terminée (1707). Il fallut cependant lutter encore. Le Code remanié ne satisfaisait pas complètement. Lefebvre resta à Rome pour « ferrailler avec Mgr Albani », et on ne tomba d’accord qu’en 1710. Ce qui détermina le Duc à en finir, c’est que le pape consentit à favoriser l’ambition de son frère Charles, évêque d’Osnabrück, lequel aspirait à l’archevêché-électorat de Trêves. Clément XI lui donna la bulle d’éligibilité et, peu après, l’Électeur étant mort, le frère de Léopold se trouva pourvu d’une des plus grandes situations de l’Église et de l’Empire (1710).

Cette longue querelle des juridictions finissait ainsi par la défaite du pouvoir temporel. Mais la magistrature n’était ni moins ferme ni moins tenace que l’Église.

Après avoir publié le nouveau Code Léopold, expurgé et réduit, Bourcier envoya aux avocats une circulaire confidentielle pour les avertir qu’ils pouvaient continuer dans les débats à se référer aux articles supprimés, et la Cour elle-même reprit insensiblement l’usage de les citer.

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