Léopold (1697 – 1729)

Le duc Léopold 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Pour les écrivains lotharingistes, les trente années du règne de Léopold ont été l’âge d’or de la Lorraine. En cherchant à qui le comparer dans l’histoire générale, ils ont évoqué les souvenirs de Salomon, de Titus, de Trajan, de Marc-Aurèle. Ils l’ont évidemment surfait. Aujourd’hui, on se défie avec raison de la légende. On est même disposé à une sorte de réaction qu’il ne conviendrait pas de pousser trop loin.

Nous estimons que son dernier historien est dans la mesure juste lorsqu’après avoir relevé sévèrement ses fautes administratives et les écarts de sa vie privée, il résume ainsi son sentiment quelque peu inattendu : « Léopold est et restera l’une des figures les plus intéressantes et les plus sympathiques de l’histoire de Lorraine ».

Léopold était né à Inspruck, le 11 septembre 1679. Il avait été élevé jusqu’à l’âge de 12 ans par sa mère Marie-Éléonore, femme supérieure par son caractère et par l’étendue de son instruction. Il eut ensuite pour gouverneur le comte de Carlingford, seigneur irlandais qui avait suivi les Stuart en exil, et pour précepteurs un Lorrain, l’abbé François Le Bègue, chanoine de Saint-Dié, et un jésuite allemand nommé Creitzen, ancien luthérien converti.

A seize ans, il avait fait ses premières armes en Hongrie et déployé la plus brillante intrépidité à la bataille de Temeswar, où il commandait deux régiments lorrains qu’avait formés son père Charles V. Il fit sa seconde campagne sur les bords du Rhin et s’empara de la forteresse d’Eberbach, défendue par une garnison française. La paix de Ryswick ferma sa carrière militaire.

Au moment où le traité lui rendit ses États, le comte de Carlingford lui dit : « C’est pour le coup, Monseigneur, qu’il faudra oublier la guerre, car la Lorraine a besoin d’une longue paix ». Ce fut le programme du règne.

Marie-Éléonore consolida la fortune de son fils en obtenant pour lui la main de la nièce de Louis XIV, Elisabeth-Charlotte d’Orléans, fille de Monsieur et de Charlotte de Bavière, dite la princesse Palatine. Mais elle n’eut point le plaisir de voir célébrer le mariage. Elle mourut prématurément le 17 décembre 1697, à l’âge de 55 ans. Léopold retenu à Vienne par son deuil et voulant d’ailleurs attendre l’évacuation de ses duchés, envoya devant lui en Lorraine, trois fondés de pouvoir, le comte de Carlingford, l’abbé Le Bègue et le président Canon.

Le 15 mai 1698, le nouveau Duc fit son entrée à Lunéville dans un appareil presque royal, ce qui flatta singulièrement l’amour-propre des Lorrains. Il avait à peu près 19 ans. La nature ne lui avait donné ni la grande mine ni la haute stature des descendants de Gérard d’Alsace. Mais malgré sa taille moyenne, sa complexion délicate, sa lèvre autrichienne, comme il avait de beaux yeux et une physionomie riante empreinte de bonté, il plaisait à première vue. Tous les coeurs volèrent à lui, parce qu’il était vraiment la nationalité, l’indépendance, la paix assurée.

Ses premiers actes justifièrent les espérances qu’il avait fait naître. Il se hâta de renvoyer les compagnies françaises que le lieutenant-général de Bissy avait voulu lui laisser pour former sa garde et déclara qu’il ne confierait sa personne qu’à des volontaires lorrains. Il refusa d’aller à Nancy avant sa complète évacuation.

Installé dans le palais ducal le 17 août, il s’occupa avec Carlingford de la réorganisation nationale des duchés. Il rétablit la Cour souveraine et les deux chambres des comptes, et reforma le Conseil d’Etat. Mais il se garda de comprendre dans la restauration, la Chevalerie, les Assises et les États des trois ordres, vieilles institutions dont l’esprit nouveau avait effacé le souvenir.

Le mariage de Léopold avec Elisabeth-Charlotte d’Orléans eut lieu par procuration le 13 octobre 1698. Le Duc était représenté par le duc d’Elbeuf, de la branche cadette de Lorraine. Il fut béni à Bar par l’abbé de Riguet, grand aumônier de Lorraine, à l’exclusion et au grand déplaisir de M. de Toul.

Le 9 novembre, le duc et la duchesse firent leur entrée solennelle à Nancy. Suivant l’usage, on avait dressé un autel entre les deux portes Saint-Nicolas. Le duc prêta serment sur les évangiles, en adhérant à la formule lue par l’abbé Le Bègue, doyen de la Primatiale : « Très haut, très puissant, très excellent prince et souverain seigneur, vous jurez et promettez à Dieu que vous conserverez et maintiendrez la pureté de la religion catholique, apostolique et romaine dans tous vos États, que vous aurez soin de soutenir l’état ecclésiastique et la dignité de votre noblesse, et que vous conserverez les peuples qui vous sont soumis, dans les coutumes qui conviennent au bien de votre État ». Ce n’était plus l’antique serment.

Quelques seigneurs de la Chevalerie, dit-on, avaient un instant songé à exiger la confirmation de leurs droits et de leurs franchises. Mais l’opinion n’était plus favorable à ces prétentions archaïques. En réalité, c’était le pouvoir absolu comme en France que l’on inaugurait. Des fêtes magnifiques suivirent le mariage.

La nouvelle duchesse manquait de beauté, mais elle était gracieuse et, autant que son mari, elle devint très sympathique par sa bonté, son air affable et la simplicité de ses manières. Elle était très aimée à la cour de France. L’aimable duchesse de Bourgogne versa des torrents de larmes à son départ. Louis XIV lui-même pleura.

Elle se rendit tout de suite très populaire en adoptant les traditions lorraines. Il était d’usage à Nancy que pendant les fêtes du carnaval, les couples mariés dans l’année, portant tous de petits fagots, après une procession dans la ville, se réunissent au palais ducal pour rendre hommage aux souverains et fissent avec leurs fagots un grand feu dans la cour d’honneur, signal de rondes et de danses. C’était le jour des brandons. Quelle fut la joie de la foule eu 1699 lorsqu’on vit, à la tête de la procession, le Duc portant un fagot enrubanné, avec une serpette d’argent à sa boutonnière, bras dessus bras dessous avec la duchesse qui avait à sa ceinture un petit berceau de vermeil.

Cependant, le Duc était à peine installé dans ses États, que le bruit se répandit qu’il avait l’intention de les échanger contre une principauté plus importante. Cette rumeur fut confirmée par l’arrivée à Nancy d’un agent supérieur du roi, M. de Callières, l’un des plus habiles négociateurs du traité de Ryswick. Le diplomate français venait communiquer au duc de Lorraine un traité conclu secrètement à Londres, le 3 mars 1700, entre la France, l’Angleterre et la Hollande pour régler d’avance le partage de la succession du roi d’Espagne, Charles II, qui allait s’ouvrir bientôt.

Dans cette convention, Louis XIV obtenait dans sa part le duché de Milan. Il offrait à Léopold de lui céder cette magnifique principauté en échange de la Lorraine, laissant ainsi deviner pourquoi il avait été si accommodant à la paix de Ryswick. L’offre était séduisante : la Lorraine avait à peine deux millions de revenus, le Milanais produisait quatorze millions.

Le Duc hésita un peu, de crainte d’indisposer l’empereur, mais l’habile Callières gagna à sa cause le jésuite Creitzen, tout-puissant sur l’esprit de son ancien élève, dont il était resté le confesseur, et le 16 juin 1700, Léopold donna sa signature.

Le secret de ces négociations transpira bien vite. La population dont on disposait ainsi sans la consulter, murmurait très haut. Chaque jour arrivaient au palais ducal des lettres indignées, tantôt signées, tantôt anonymes, dans lesquelles on reprochait amèrement au jeune souverain de trahir un peuple qui lui avait donné à lui comme aux siens, tant de preuves d’affection.

Soudainement, un coup de théâtre mit à néant les combinaisons diplomatiques si laborieusement préparées. Le roi Charles II mourut le 1er novembre 1700 et, dans son testament, signé vingt-huit jours avant, on lut qu’il instituait pour seul héritier de ses États le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Après quelques jours de réflexions anxieuses, le roi accepta d’un coeur ferme le dangereux héritage.

Au lieu d’une pacifique distribution de domaines, c’était la guerre, d’abord avec l’Empire et bientôt avec l’Europe entière. La lutte inévitable éclata entre la France et l’Empire au printemps 1701 et devint générale l’année suivante. Léopold, qui n’avait point l’âme batailleuse de Charles IV, s’appliqua sagement à maintenir sa neutralité. Nous n’avons donc pas à entrer dans le détail des événements purement militaires auxquels il ne prit aucune part directe.

Louis XIV était disposé à respecter l’attitude prudente de la Lorraine, mais à la condition que les Impériaux agiraient comme lui. Il se défiait du duc Léopold, dont toutes les sympathies étaient notoirement à Vienne. En apprenant qu’on faisait de grands amas de blé dans plusieurs villes et qu’on ne gênait guère les partis allemands qui couraient en Lorraine, il accrédita à Nancy un résident spécial, M. d’Audiffret. On lui fit grise mine à la cour ducale.

Tandis que d’Audiffret dénonçait à chaque courrier les mauvaises dispositions de la cour lorraine, les généraux Tallard et Villars démontraient la nécessité de s’assurer des duchés. Louis XIV céda à leurs instances, envoya de nouveau de Callières pour exposer au Duc la nécessité où il était de mettre une garnison française dans sa capitale et lui demander d’y consentir. Léopold n’était pas on état de résister. Il se soumit, mais il refusa d’assister à la prise de possession.

Le 3 décembre 1702, les soldats de Tallard entrèrent dans Nancy et occupèrent sans résistance toutes les portes. Les troupes lorraines se retirèrent à Lunéville. Villars compléta l’opération en occupant les villes de la Sarre : Sarralbe, Sarreguemines, Houquenom (Saar-Union).

Le roi essaya d’adoucir le coup porté à son neveu et à sa nièce, en assurant que la souveraineté du Duc ne souffrirait aucune atteinte, et que l’exacte discipline de la garnison lui permettrait de résider dans son palais. Léopold se refusa avec dignité à ces ouvertures. Il repoussa avec plus de force encore les conseils de ceux qui le poussaient à se réfugier en Allemagne.

Un jour que le comte de Gerbéviller l’en pressait vivement, il traça un cercle avec sa canne en disant : « Il ne me resterait que cela, tant que je serai souverain, j’y demeurerai. S’il ne me restait que mon lit, je n’en bougerais ».

En 1704, le désastre de Marsin et de Tallard à Hochstædt ayant rejeté les Français sur la rive gauche du Rhin, la guerre se rapproche de la Lorraine. Il devient de plus en plus difficile à Léopold de sauvegarder sa neutralité. Il joue le jeu des faibles, il ménage tous les belligérants. En feignant de céder à la force, il autorise les généraux de Louis XIV à faire hiverner leur cavalerie sur les bords de la Sarre, mais, d’autre part, il entretient de bons rapports avec Marlborough et les Allemands. Il essaie un moment de prendre le rôle de médiateur et Louis XIV, inquiet de la tournure des événements, encourage ses démarches.

L’empereur parait bien disposé, mais il meurt en 1705 et son successeur Joseph Ier, sans rompre les négociations, les laisse trainer. La même année, la Lorraine est sur le point de devenir le théâtre des opérations et Marlborough menace Pont-à-Mousson et le bassin de la Moselle. En 1706, Villars s’établit fortement sur la Sarre. La France espère une meilleure fortune. Les Lorrains, dans leur situation de neutres, se montrent visiblement sympathiques. Ils lui tiennent compte du bon ordre observé par les troupes de la frontière et des bénéfices que leur assurent les fournitures de vivres et de fourrages. Un certain nombre d’officiers lorrains servent Louis XIV. Il est vrai que d’autres sont dans l’armée de l’empereur Joseph Ier. Mais celui-ci se déconsidère par son impéritie et ses vices, il n’a plus ni argent ni crédit.

Malheureusement les revers de la France à Ramillies et à Turin rendent les alliés plus exigeants. Les espérances de paix s’éteignent. Le duc de Lorraine s’agite beaucoup. Il entretient à grands frais des diplomates à Versailles, à Vienne, à Londres, à La Haye. Ils y parlent trop haut et affichent des prétentions qui font songer au personnage bourdonnant du fabuliste.

En 1708, la mort du duc de Mantoue ouvre de nouvelles visées à l’ambition de Léopold. Il était du chef de sa mère le plus proche héritier. Sans avertir Louis XIV, il se hâte d’occuper Arches et Charleville, domaines isolés de la succession, et prend le titre de duc de Montferrat. Mais Arches et Charleville lui sont disputés par la princesse de Condé, autre héritière qui fait valoir ses droits devant le parlement de Paris. La Cour, secrètement influencée par le roi, se prononce pour la princesse qui cède immédiatement à la couronne la nue propriété des deux domaines contestés. Léopold s’était trop pressé, il est obligé de se retirer et de dévorer l’affront, mais il ne cessera plus de réclamer un dédommagement.

En 1709, sévit le célèbre hiver qui désola la France et réduisit toutes les provinces à la plus affreuse misère. Léopold, par sa générosité, par les habiles mesures qu’il sut prendre, atténua en Lorraine les souffrances du peuple et acquit ses meilleurs titres à la popularité légendaire qui s’est attachée à son nom. Louis XIV qui ne fut jamais plus grand que dans les tristesses de ses dernières années, se résigna enfin à demander la paix.

Les premières conférences s’ouvrirent à La Haye. Léopold n’était pas tenu au désintéressement. Il songea évidemment à profiter des malheurs de la France. Il agit à la cour de Vienne. Son frère le prince Charles, évêque d’Osnabrück et électeur de Trêves, fut son principal agent. Il demanda qu’on renforçât la Lorraine en y réunissant l’Alsace, les Trois-Évêchés, le Luxembourg et la Franche-Comté. On dresserait ainsi une barrière qui serait la garantie de la tranquillité pour tout l’empire.

Quel désespoir pour Léopold lorsqu’il apprit que les préliminaires de La Haye, rédigés par le grand pensionnaire Heinsius et dans lesquels étaient exposés tous les griefs et les prétentions des alliés, ne mentionnaient même pas la Lorraine ! La France paraît alors réduite aux derniers abois, les alliés se croient à la veille d’en partager les lambeaux.

En 1709, la défaite de Malplaquet, quelque gloire qu’elle laissât à Villars, annonce sa chute prochaine. Le roi fait une nouvelle tentative dans les conférences de Gertruydenberg. Le duc redouble d’activité diplomatique. Il sent qu’il joue sa dernière carte. Il se livre entièrement à l’Autriche. Il offre même de transformer son duché souverain en un Électorat de l’empire. Louis XIV, de son côté, pour le regagner, descend jusqu’aux dernières concessions et va jusqu’à offrir de lui céder l’Alsace.

Cependant, en 1710, une lueur d’espoir éclate en Espagne. C’est la victoire de Vendôme à Villaviciosa. En 1711, c’est mieux encore. L’empereur Joseph Ier est mort et il est remplacé par l’archiduc Charles, qui devient Charles VI, le principal compétiteur de Philippe d’Anjou. L’Angleterre, qui ne veut pas refaire sur sa tête la monarchie universelle de Charles-Quint, se retire de la lutte en signant les préliminaires de Londres. En 1712, Villars engage la partie décisive et la gagne à Denain. Les traités d’Utrecht sont conclus entre la France, l’Angleterre, la Hollande le Portugal, la Prusse et la Savoie (1713 et 1714).

Léopold avait envoyé au congrès ses trois plus habiles diplomates, Le Bègue, Forstner, Bourcier. Ils plaidèrent fortement dans un long mémoire les revendications de la Lorraine. On ne daigna même pas s’en occuper. Le malheureux Duc qui avait dépensé cinq à six millions et déployé d’extraordinaires efforts, n’aboutit qu’à d’humiliantes déceptions. Il tomba dans un noir chagrin.

Cependant, il se cramponna désespérément à un dernier rêve, celui d’être accepté pour médiateur entre la France et l’Autriche. Mais Villars et le prince Eugène se passèrent de lui et ils ouvrirent seuls les conférences de Rastadt qui aboutirent au traité du 6 mars 1714. Léopold n’avait rien obtenu, pas même la reconnaissance officielle de sa neutralité. Cependant Louis XIV lui tint parole et fit cesser l’occupation de la Lorraine.

Les troupes françaises ayant évacué Nancy le 12 novembre, Léopold rentra dans sa capitale quelques jours après, mais « il ne permit pas, dit Dom Calmet, que les bourgeois de la ville suivissent le penchant de leur coeur, en lui faisant une réception proportionnée à leur joie. Il n’était pas assez satisfait de lui-même ». Louis XIV survécut peu à ces événements. Il mourut le 30 août 1715.

De l’ensemble des faits, de ses stériles tentatives, de ses nombreux mécomptes, Léopold conclut sans doute que la petite souveraineté de Lorraine vivrait difficilement avec dignité entre ses deux trop puissants voisins. Il faut être très fort par soi-même pour dire comme Henri VIII d’Angleterre : « Qui je défends est maître ».

Il comprit trop tard qu’il n’était d’aucun poids sérieux dans la balance générale de l’Europe. Il songea plus que jamais à transférer sa maison dans une situation moins humiliée et donna cet étrange spectacle d’un prince qui, adoré de ses sujets et les aimant sincèrement lui-même, cherchait en toute occasion à se séparer d’eux.

A la mort de Louis XIV, son arrière-petit-fils, Louis XV, n’ayant encore que cinq ans, le duc d’Orléans, frère d’Élisabeth-Charlotte, et par suite beau-frère de Léopold, devint le vrai souverain de la France, sous le titre de Régent. Léopold profita de cette parenté. Le Régent l’aimait beaucoup et le lui prouva tout de suite en reprenant l’examen des questions restées en suspens dans les dernières années de Louis XIV et particulièrement l’affaire des dédommagements dus à la Lorraine pour la cession de Longwy. Il décida même que le Duc jouirait des revenus de la prévôté, en attendant le règlement définitif.

Léopold entretenait de son mieux le bon vouloir du Régent. Il le consultait sur toute chose, ne faisait rien sans s’être assuré de son acquiescement. C’est ainsi que pour lui être agréable, il refusa de recevoir de nouveau en Lorraine, le prétendant Jacques III, qui, à la suite d’une piteuse campagne en Ecosse, venait reprendre à Bar le refuge qu’il y avait reçu précédemment. Le prince proscrit fut obligé de se retirer à Avignon (1716).

Cependant, Léopold s’appliquait avant tout à se maintenir en bons rapports avec l’Autriche. Audiffret, le représentant de la France, ne cessait de signaler ses tendances suspectes et le bon accueil qu’il réservait aux affidés de la cour de Vienne. Il faisait des avances d’argent à Charles VI, il lui envoyait des régiments lorrains levés sous prétexte de la guerre contre les Turcs. L’empereur, de son côté, flattait ses ambitions en lui faisant entrevoir une grande situation en Italie. On disait à Audiffret qu’on avait offert au Duc, le titre de vicaire général de l’Empire et le gouvernement perpétuel du Milanais.

Léopold se repaissait d’illusions. Il entretenait un résident à Milan pour recueillir des renseignements sur toute la Lombardie et pratiquait des intelligences dans le Montferrat. Une guerre entre l’empereur et l’Espagne aurait peut-être réalisé ses espérances, mais la triple alliance formée par le Régent y coupa court.

Léopold se tourna alors plus attentivement du côté de la France, où le litige au sujet de Longwy était débattu à Paris depuis le mois d’août 1716 par une commission mixte, dont les deux membres les plus importants étaient le président Lefebvre pour le Duc et M. de Saint-Contest pour la France. La discussion fut lente, mais empreinte d’un véritable esprit de conciliation. Les intérêts de la Lorraine avaient autour de la commission, des défenseurs zélés et entre autres la duchesse douairière d’Orléans, la Palatine, qui plaidait chaleureusement pour sa fille Elisabeth-Charlotte.

Léopold retarda la solution en introduisant aux débats une question de pur amour-propre à laquelle il attachait plus de prix qu’aux acquisitions territoriales. Il aspirait au titre d’Altesse royale. L’empereur le lui avait déjà accordé et on le lui donnait dans les habitudes courantes de l’étiquette. Élisabeth-Charlotte, qui déjà y avait droit et se nommait Madame Royale comme fille de France, écrivait lettre sur lettre à son frère le Régent. Le roi, disait-elle, avait promis, mais « la vieille Maintenon qui nous hait tous comme le diable empêcha le roi de tenir sa promesse ».

Le Régent et ses commissaires finirent par céder et toutes les difficultés résolues d’un commun accord, on signa le traité dit de Paris le 21 janvier 1718. Ce traité, en exécution des clauses de Ryswick, attribua au duc de Lorraine comme compensation pour la prévôté de Longwy qui restait au roi de France, la ville et une partie de la prévôté de Rambervillers, ainsi que plusieurs villages des environs de Nomeny et des prévôtés de Gondreville et d’Amance. En outre, ce qui alla surtout au coeur de Léopold, il reconnaissait définitivement au Duc ce titre d’Altesse royale, l’objet de sa plus ardente convoitise. C’était sa première victoire diplomatique. Il en éprouva une si grande joie qu’il envoya l’ordre de faire des illuminations dans sa capitale.

Quelques semaines après, leurs Altesses royales allèrent à Paris rendre visite au Régent. La réception fut magnifique. Pendant plus d’un mois et demi, un immense concours se pressa dans les salons du Palais-Royal. On les combla de riches présents, on leur offrit de splendides fêtes. La foule aussi fut touchée de la bonne grâce de ses hôtes et les acclama à leur passage. Une seule personne de leur cortège fut un peu maltraitée. La discrète princesse de Craon pleura en entendant des allusions peu déguisées à la faveur dont elle jouissait à la cour de Léopold.

Le Régent fut parfait à l’égard de son beau-frère. Il ne pouvait pas le dispenser de l’hommage dû au nouveau roi pour le Barrois mouvant. Mais la cérémonie s’accomplit sans appareil, dans une sorte de visite au jeune Louis XV (19 février). Les princes lorrains ne quittèrent Paris que le 8 avril. Ils avaient plu à tout le monde. Le Duc avait surtout conquis la Palatine, qui avait avec lui de longues causeries en allemand et qui, avec l’étrange indulgence des moeurs du temps, louait volontiers la tenue convenable de la Montespan de Lunéville. Quant au Régent, il témoignait de son estime et de son amitié, en disant aux membres de son conseil « qu’entre tous les souverains de l’Europe, il n’en connaissait aucun qui fût supérieur au duc de Lorraine, en expérience, en politique et en sagesse ».

Pendant son séjour à Paris, le Régent avait entretenu Léopold du projet de la quadruple alliance qui devait réunir la France, l’Angleterre, les Provinces-Unies et l’Empire contre le roi d’Espagne. Il devait s’ensuivre des remaniements qui permettraient de donner la Toscane à Léopold, comme indemnité du Montferrat.

Cette éventualité flattait trop la fantaisie de Léopold, pour qu’il ne se lançât point sur cette piste. Il se hâta d’envoyer des agents en Angleterre et aux Provinces-Unies. La quadruple alliance se montra très froide. Mais il ne se découragea point, et son représentant, le baron Le Bègue, courait de Paris à Londres et défendait habilement les intérêts du Duc. La Duchesse déployait aussi une grande activité. On souffre de voir cette fille de France, si aimée et si respectée des Lorrains, s’abaisser jusqu’à flatter l’abbé Dubois devenu secrétaire d’État aux affaires étrangères (le 24 septembre 1718), subir en silence cette humiliation d’attendre vainement une réponse à ses lettres et s’oublier jusqu’à complimenter un vil coquin de son élévation à l’archevêché de Cambrai, le siège de Fénelon. La guerre fratricide préparée par Dubois contre Philippe V fut déclarée en janvier 1719.

Léopold crut toucher au triomphe. Mais l’Espagne écrasée par la quadruple alliance n’essaya même pas de résister et mit bas les armes en février 1720. Le mirage de la Toscane se dissipa, comme tant d’autres. Infatigable dans ses espérances, malgré toutes ses déconvenues, il regarda d’un autre côté et demanda, toujours comme indemnité du Montferrat, le duché de Luxembourg. Le Régent reçut froidement ses ouvertures, et Dubois resta sourd de la façon la plus offensante aux instances et aux reproches d’Élisaheth-Charlotte.

Léopold, froissé, s’attache de plus en plus à l’Autriche. Pour le ramener, Dubois charge Audiffret de l’occuper de nouveaux projets et lui souffle la politique si autrichienne des mariages. Léopold, sans cesse séduit par sa propre imagination, rêve alors de refaire sa fortune en mariant une de ses filles à Louis XV, et en obtenant d’autre part pour son fils aîné la main de l’archiduchesse Marie-Thérèse, ce qui le pouvait porter un jour au trône impérial. Lefebvre, son plus insinuant diplomate, passe plusieurs mois à Vienne pour préparer le terrain.

On sait que l’idée fixe de Charles VI était d’assurer son héritage à sa fille aînée. Il avait déjà rédigé en secret la fameuse pragmatique sanction qui ne fut publiée qu’en 1724. Mais Lefebvre la connut et en révéla l’existence à Léopold vers la fin de 1720. Celui-ci prévenu que l’archiduchesse n’épouserait qu’un prince souverain, fit déclarer hâtivement la majorité de son fils, le prince Léopold-Clément, le 25 avril 1721, et l’associa de fait à son administration, en le chargeant de présider en son absence les séances du conseil.

Il vantait dans son édit « la force de son jugement, la solidité de son raisonnement, la justesse de ses décisions». Un homme d’État si précoce était certes un candidat présentable. Charles VI se montrait bien disposé à l’égard de son cousin et déjà il n’était bruit que d’un voyage prochain du jeune prince à la cour de Vienne, lorsqu’une catastrophe renversa les plans du cabinet de Lunéville. Léopold-Clément, atteint de la petite vérole, fut emporté en quelques jours (4 juin 1723).

Mais cette fois, la fortune ne s’obstina point dans ses rigueurs accoutumées. L’empereur étant gagné d’une manière générale à l’idée de l’alliance lorraine, fit savoir au Duc qu’il aurait plaisir à voir son second fils, le prince François. On se hâta de proclamer sa majorité et, quelques semaines après les funérailles de son frère, il partait pour l’Allemagne, accompagné d’une suite brillante et sous la direction du prince de Craon. Charles VI accueillit le jeune prince avec une cordialité du meilleur augure. Il le traita tout de suite comme un fils, l’entoura de gens sûrs et voulut diriger lui-même son éducation. Il ne fut bientôt plus douteux pour personne, qu’il serait un jour l’époux de l’archiduchesse Marie-Thérèse. Il avait alors quinze ans et la princesse six ans et demi.

Au moment où ses affaires prenaient si bonne tournure en Autriche, Léopold n’espérait plus rien de la France. Le cardinal Dubois était mort (août 1723) et le duc d’Orléans lui avait peu survécu (2 décembre 1723). Le duc de Bourbon qui les avait remplacés dans la direction du gouvernement, était un ennemi déclaré des maisons d’Orléans et de Lorraine. Il manifesta ses sentiments dès la première heure, sans déguisement. Le Bègue étant allé à Paris pour rappeler que le duc d’Orléans avait promis de ménager à la Lorraine son accession à la quadruple alliance, le ministre lui répondit qu’il aurait pu s’épargner la peine de venir, que les promesses du duc d’Orléans, s’il y en avait, n’engageaient pas le roi.

M. le Duc blessa bien plus gravement Léopold quand il fut question de marier Louis XV. Le Régent avait déjà arrangé un projet avec une infante, fille de Philippe V. La princesse avait même été amenée à Paris pour y recevoir une éducation française. Mais comme elle n’avait que quatre ou cinq ans, le duc de Bourbon impatient, refusa d’attendre et la renvoya à Madrid. Puis il chercha en Europe une princesse en état d’être tout de suite une reine de France. On en trouva une centaine. Aucune ne paraissait plus qualifiée que la fille aînée de Léopold et d’Élisabeth-Charlotte. Sa candidature fut posée. Pour mieux réussir, on insinua à M. le Duc que s’il choisissait l’aînée pour le roi, on lui accorderait pour lui-même la main de la cadette.

Cette combinaison eût peut-être agréé au ministre. Mais il n’avait pas plus de caractère que d’intelligence et la marquise de Prie le menait en laisse. La toute-puissante favorite ne voulait ni d’une princesse de Lorraine ni de toute autre qui pût mettre sa fortune en péril. Elle fixa le choix du duc de Bourbon sur la princesse la plus pauvre, la plus humble, dans la pensée que lui devant son élévation inattendue, elle accepterait plus facilement sa direction, et l’Europe apprit avec étonnement que Marie Leczinska, la fille de Stanislas, roi de Pologne déchu et qui vivait alors dans la gêne à Wissembourg, devenait reine de France (1725).

Ce fut un cruel mécompte pour les princes de Lorraine. La duchesse exhala dans sa correspondance privée son amer chagrin : « Je ne suis pas née pour être heureuse dans ce monde, écrivait-elle à sa confidente, le bon Dieu me fasse la grâce de l’être dans l’autre ! ». Dans son dépit, elle laissa libre cours à la malignité des courtisans qui savaient ne point lui déplaire en tenant de méchants propos sur l’âge de Marie Lcczinska qui avait sept ans de plus que Louis XV, sur son peu de beauté et surtout sur sa santé troublée, disait-on, par des accès d’épilepsie.

L’affliction des princes lorrains fut atténuée par la chute du duc de Bourbon et l’avènement au pouvoir du vieux cardinal de Fleury. Dans sa joie, la duchesse surfaisait singulièrement la valeur de l’ancien précepteur du roi. « Il serait à souhaiter, s’écriait-elle, que des ministres tels que lui fussent immortels ! ». Avec Fleury, se renouèrent les bons rapports de la Lorraine et de la cour de France.

Léopold tout entier aux espérances de plus en plus fondées que lui inspirait le prochain mariage de son fils, cessa alors de s’agiter comme il l’avait fait pendant près de trente ans et renonça à ses projets d’établissement en Italie. Il ne demande plus qu’une chose, c’est qu’en vue des éventualités de guerre qu’avait fait naître le renvoi de l’infante, la France reconnaisse la neutralité perpétuelle de la Lorraine.

Les négociations sont commencées par Choiseul-Stainville, le père du futur ministre de Louis XV. Il les continue lui-même directement. Par d’adroites flatteries, il gagne le vaniteux vieillard qui avait d’abord fait quelques objections et le traité du 14 octobre 1728 consacre l’indépendance et garantit la sécurité de ses États. Toutefois, telle était la fatalité de la situation, il fallait bien prévoir les nécessités de la guerre et une contre-déclaration destinée à rester secrète, stipulait que si les troupes françaises étaient obligées de passer à travers la Lorraine, le Duc ne considérerait point ce fait comme une infraction à la neutralité.

Cette convention fut une des dernières joies de Léopold, qui pensait avoir ainsi placé son patrimoine sous la sauvegarde des puissances européennes. Des fêtes et des manifestations populaires prouvèrent que ses sujets s’associaient à ses illusions.


Archive pour 24 janvier, 2011

Léopold (1697 – 1729)

Le duc Léopold 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Pour les écrivains lotharingistes, les trente années du règne de Léopold ont été l’âge d’or de la Lorraine. En cherchant à qui le comparer dans l’histoire générale, ils ont évoqué les souvenirs de Salomon, de Titus, de Trajan, de Marc-Aurèle. Ils l’ont évidemment surfait. Aujourd’hui, on se défie avec raison de la légende. On est même disposé à une sorte de réaction qu’il ne conviendrait pas de pousser trop loin.

Nous estimons que son dernier historien est dans la mesure juste lorsqu’après avoir relevé sévèrement ses fautes administratives et les écarts de sa vie privée, il résume ainsi son sentiment quelque peu inattendu : « Léopold est et restera l’une des figures les plus intéressantes et les plus sympathiques de l’histoire de Lorraine ».

Léopold était né à Inspruck, le 11 septembre 1679. Il avait été élevé jusqu’à l’âge de 12 ans par sa mère Marie-Éléonore, femme supérieure par son caractère et par l’étendue de son instruction. Il eut ensuite pour gouverneur le comte de Carlingford, seigneur irlandais qui avait suivi les Stuart en exil, et pour précepteurs un Lorrain, l’abbé François Le Bègue, chanoine de Saint-Dié, et un jésuite allemand nommé Creitzen, ancien luthérien converti.

A seize ans, il avait fait ses premières armes en Hongrie et déployé la plus brillante intrépidité à la bataille de Temeswar, où il commandait deux régiments lorrains qu’avait formés son père Charles V. Il fit sa seconde campagne sur les bords du Rhin et s’empara de la forteresse d’Eberbach, défendue par une garnison française. La paix de Ryswick ferma sa carrière militaire.

Au moment où le traité lui rendit ses États, le comte de Carlingford lui dit : « C’est pour le coup, Monseigneur, qu’il faudra oublier la guerre, car la Lorraine a besoin d’une longue paix ». Ce fut le programme du règne.

Marie-Éléonore consolida la fortune de son fils en obtenant pour lui la main de la nièce de Louis XIV, Elisabeth-Charlotte d’Orléans, fille de Monsieur et de Charlotte de Bavière, dite la princesse Palatine. Mais elle n’eut point le plaisir de voir célébrer le mariage. Elle mourut prématurément le 17 décembre 1697, à l’âge de 55 ans. Léopold retenu à Vienne par son deuil et voulant d’ailleurs attendre l’évacuation de ses duchés, envoya devant lui en Lorraine, trois fondés de pouvoir, le comte de Carlingford, l’abbé Le Bègue et le président Canon.

Le 15 mai 1698, le nouveau Duc fit son entrée à Lunéville dans un appareil presque royal, ce qui flatta singulièrement l’amour-propre des Lorrains. Il avait à peu près 19 ans. La nature ne lui avait donné ni la grande mine ni la haute stature des descendants de Gérard d’Alsace. Mais malgré sa taille moyenne, sa complexion délicate, sa lèvre autrichienne, comme il avait de beaux yeux et une physionomie riante empreinte de bonté, il plaisait à première vue. Tous les coeurs volèrent à lui, parce qu’il était vraiment la nationalité, l’indépendance, la paix assurée.

Ses premiers actes justifièrent les espérances qu’il avait fait naître. Il se hâta de renvoyer les compagnies françaises que le lieutenant-général de Bissy avait voulu lui laisser pour former sa garde et déclara qu’il ne confierait sa personne qu’à des volontaires lorrains. Il refusa d’aller à Nancy avant sa complète évacuation.

Installé dans le palais ducal le 17 août, il s’occupa avec Carlingford de la réorganisation nationale des duchés. Il rétablit la Cour souveraine et les deux chambres des comptes, et reforma le Conseil d’Etat. Mais il se garda de comprendre dans la restauration, la Chevalerie, les Assises et les États des trois ordres, vieilles institutions dont l’esprit nouveau avait effacé le souvenir.

Le mariage de Léopold avec Elisabeth-Charlotte d’Orléans eut lieu par procuration le 13 octobre 1698. Le Duc était représenté par le duc d’Elbeuf, de la branche cadette de Lorraine. Il fut béni à Bar par l’abbé de Riguet, grand aumônier de Lorraine, à l’exclusion et au grand déplaisir de M. de Toul.

Le 9 novembre, le duc et la duchesse firent leur entrée solennelle à Nancy. Suivant l’usage, on avait dressé un autel entre les deux portes Saint-Nicolas. Le duc prêta serment sur les évangiles, en adhérant à la formule lue par l’abbé Le Bègue, doyen de la Primatiale : « Très haut, très puissant, très excellent prince et souverain seigneur, vous jurez et promettez à Dieu que vous conserverez et maintiendrez la pureté de la religion catholique, apostolique et romaine dans tous vos États, que vous aurez soin de soutenir l’état ecclésiastique et la dignité de votre noblesse, et que vous conserverez les peuples qui vous sont soumis, dans les coutumes qui conviennent au bien de votre État ». Ce n’était plus l’antique serment.

Quelques seigneurs de la Chevalerie, dit-on, avaient un instant songé à exiger la confirmation de leurs droits et de leurs franchises. Mais l’opinion n’était plus favorable à ces prétentions archaïques. En réalité, c’était le pouvoir absolu comme en France que l’on inaugurait. Des fêtes magnifiques suivirent le mariage.

La nouvelle duchesse manquait de beauté, mais elle était gracieuse et, autant que son mari, elle devint très sympathique par sa bonté, son air affable et la simplicité de ses manières. Elle était très aimée à la cour de France. L’aimable duchesse de Bourgogne versa des torrents de larmes à son départ. Louis XIV lui-même pleura.

Elle se rendit tout de suite très populaire en adoptant les traditions lorraines. Il était d’usage à Nancy que pendant les fêtes du carnaval, les couples mariés dans l’année, portant tous de petits fagots, après une procession dans la ville, se réunissent au palais ducal pour rendre hommage aux souverains et fissent avec leurs fagots un grand feu dans la cour d’honneur, signal de rondes et de danses. C’était le jour des brandons. Quelle fut la joie de la foule eu 1699 lorsqu’on vit, à la tête de la procession, le Duc portant un fagot enrubanné, avec une serpette d’argent à sa boutonnière, bras dessus bras dessous avec la duchesse qui avait à sa ceinture un petit berceau de vermeil.

Cependant, le Duc était à peine installé dans ses États, que le bruit se répandit qu’il avait l’intention de les échanger contre une principauté plus importante. Cette rumeur fut confirmée par l’arrivée à Nancy d’un agent supérieur du roi, M. de Callières, l’un des plus habiles négociateurs du traité de Ryswick. Le diplomate français venait communiquer au duc de Lorraine un traité conclu secrètement à Londres, le 3 mars 1700, entre la France, l’Angleterre et la Hollande pour régler d’avance le partage de la succession du roi d’Espagne, Charles II, qui allait s’ouvrir bientôt.

Dans cette convention, Louis XIV obtenait dans sa part le duché de Milan. Il offrait à Léopold de lui céder cette magnifique principauté en échange de la Lorraine, laissant ainsi deviner pourquoi il avait été si accommodant à la paix de Ryswick. L’offre était séduisante : la Lorraine avait à peine deux millions de revenus, le Milanais produisait quatorze millions.

Le Duc hésita un peu, de crainte d’indisposer l’empereur, mais l’habile Callières gagna à sa cause le jésuite Creitzen, tout-puissant sur l’esprit de son ancien élève, dont il était resté le confesseur, et le 16 juin 1700, Léopold donna sa signature.

Le secret de ces négociations transpira bien vite. La population dont on disposait ainsi sans la consulter, murmurait très haut. Chaque jour arrivaient au palais ducal des lettres indignées, tantôt signées, tantôt anonymes, dans lesquelles on reprochait amèrement au jeune souverain de trahir un peuple qui lui avait donné à lui comme aux siens, tant de preuves d’affection.

Soudainement, un coup de théâtre mit à néant les combinaisons diplomatiques si laborieusement préparées. Le roi Charles II mourut le 1er novembre 1700 et, dans son testament, signé vingt-huit jours avant, on lut qu’il instituait pour seul héritier de ses États le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Après quelques jours de réflexions anxieuses, le roi accepta d’un coeur ferme le dangereux héritage.

Au lieu d’une pacifique distribution de domaines, c’était la guerre, d’abord avec l’Empire et bientôt avec l’Europe entière. La lutte inévitable éclata entre la France et l’Empire au printemps 1701 et devint générale l’année suivante. Léopold, qui n’avait point l’âme batailleuse de Charles IV, s’appliqua sagement à maintenir sa neutralité. Nous n’avons donc pas à entrer dans le détail des événements purement militaires auxquels il ne prit aucune part directe.

Louis XIV était disposé à respecter l’attitude prudente de la Lorraine, mais à la condition que les Impériaux agiraient comme lui. Il se défiait du duc Léopold, dont toutes les sympathies étaient notoirement à Vienne. En apprenant qu’on faisait de grands amas de blé dans plusieurs villes et qu’on ne gênait guère les partis allemands qui couraient en Lorraine, il accrédita à Nancy un résident spécial, M. d’Audiffret. On lui fit grise mine à la cour ducale.

Tandis que d’Audiffret dénonçait à chaque courrier les mauvaises dispositions de la cour lorraine, les généraux Tallard et Villars démontraient la nécessité de s’assurer des duchés. Louis XIV céda à leurs instances, envoya de nouveau de Callières pour exposer au Duc la nécessité où il était de mettre une garnison française dans sa capitale et lui demander d’y consentir. Léopold n’était pas on état de résister. Il se soumit, mais il refusa d’assister à la prise de possession.

Le 3 décembre 1702, les soldats de Tallard entrèrent dans Nancy et occupèrent sans résistance toutes les portes. Les troupes lorraines se retirèrent à Lunéville. Villars compléta l’opération en occupant les villes de la Sarre : Sarralbe, Sarreguemines, Houquenom (Saar-Union).

Le roi essaya d’adoucir le coup porté à son neveu et à sa nièce, en assurant que la souveraineté du Duc ne souffrirait aucune atteinte, et que l’exacte discipline de la garnison lui permettrait de résider dans son palais. Léopold se refusa avec dignité à ces ouvertures. Il repoussa avec plus de force encore les conseils de ceux qui le poussaient à se réfugier en Allemagne.

Un jour que le comte de Gerbéviller l’en pressait vivement, il traça un cercle avec sa canne en disant : « Il ne me resterait que cela, tant que je serai souverain, j’y demeurerai. S’il ne me restait que mon lit, je n’en bougerais ».

En 1704, le désastre de Marsin et de Tallard à Hochstædt ayant rejeté les Français sur la rive gauche du Rhin, la guerre se rapproche de la Lorraine. Il devient de plus en plus difficile à Léopold de sauvegarder sa neutralité. Il joue le jeu des faibles, il ménage tous les belligérants. En feignant de céder à la force, il autorise les généraux de Louis XIV à faire hiverner leur cavalerie sur les bords de la Sarre, mais, d’autre part, il entretient de bons rapports avec Marlborough et les Allemands. Il essaie un moment de prendre le rôle de médiateur et Louis XIV, inquiet de la tournure des événements, encourage ses démarches.

L’empereur parait bien disposé, mais il meurt en 1705 et son successeur Joseph Ier, sans rompre les négociations, les laisse trainer. La même année, la Lorraine est sur le point de devenir le théâtre des opérations et Marlborough menace Pont-à-Mousson et le bassin de la Moselle. En 1706, Villars s’établit fortement sur la Sarre. La France espère une meilleure fortune. Les Lorrains, dans leur situation de neutres, se montrent visiblement sympathiques. Ils lui tiennent compte du bon ordre observé par les troupes de la frontière et des bénéfices que leur assurent les fournitures de vivres et de fourrages. Un certain nombre d’officiers lorrains servent Louis XIV. Il est vrai que d’autres sont dans l’armée de l’empereur Joseph Ier. Mais celui-ci se déconsidère par son impéritie et ses vices, il n’a plus ni argent ni crédit.

Malheureusement les revers de la France à Ramillies et à Turin rendent les alliés plus exigeants. Les espérances de paix s’éteignent. Le duc de Lorraine s’agite beaucoup. Il entretient à grands frais des diplomates à Versailles, à Vienne, à Londres, à La Haye. Ils y parlent trop haut et affichent des prétentions qui font songer au personnage bourdonnant du fabuliste.

En 1708, la mort du duc de Mantoue ouvre de nouvelles visées à l’ambition de Léopold. Il était du chef de sa mère le plus proche héritier. Sans avertir Louis XIV, il se hâte d’occuper Arches et Charleville, domaines isolés de la succession, et prend le titre de duc de Montferrat. Mais Arches et Charleville lui sont disputés par la princesse de Condé, autre héritière qui fait valoir ses droits devant le parlement de Paris. La Cour, secrètement influencée par le roi, se prononce pour la princesse qui cède immédiatement à la couronne la nue propriété des deux domaines contestés. Léopold s’était trop pressé, il est obligé de se retirer et de dévorer l’affront, mais il ne cessera plus de réclamer un dédommagement.

En 1709, sévit le célèbre hiver qui désola la France et réduisit toutes les provinces à la plus affreuse misère. Léopold, par sa générosité, par les habiles mesures qu’il sut prendre, atténua en Lorraine les souffrances du peuple et acquit ses meilleurs titres à la popularité légendaire qui s’est attachée à son nom. Louis XIV qui ne fut jamais plus grand que dans les tristesses de ses dernières années, se résigna enfin à demander la paix.

Les premières conférences s’ouvrirent à La Haye. Léopold n’était pas tenu au désintéressement. Il songea évidemment à profiter des malheurs de la France. Il agit à la cour de Vienne. Son frère le prince Charles, évêque d’Osnabrück et électeur de Trêves, fut son principal agent. Il demanda qu’on renforçât la Lorraine en y réunissant l’Alsace, les Trois-Évêchés, le Luxembourg et la Franche-Comté. On dresserait ainsi une barrière qui serait la garantie de la tranquillité pour tout l’empire.

Quel désespoir pour Léopold lorsqu’il apprit que les préliminaires de La Haye, rédigés par le grand pensionnaire Heinsius et dans lesquels étaient exposés tous les griefs et les prétentions des alliés, ne mentionnaient même pas la Lorraine ! La France paraît alors réduite aux derniers abois, les alliés se croient à la veille d’en partager les lambeaux.

En 1709, la défaite de Malplaquet, quelque gloire qu’elle laissât à Villars, annonce sa chute prochaine. Le roi fait une nouvelle tentative dans les conférences de Gertruydenberg. Le duc redouble d’activité diplomatique. Il sent qu’il joue sa dernière carte. Il se livre entièrement à l’Autriche. Il offre même de transformer son duché souverain en un Électorat de l’empire. Louis XIV, de son côté, pour le regagner, descend jusqu’aux dernières concessions et va jusqu’à offrir de lui céder l’Alsace.

Cependant, en 1710, une lueur d’espoir éclate en Espagne. C’est la victoire de Vendôme à Villaviciosa. En 1711, c’est mieux encore. L’empereur Joseph Ier est mort et il est remplacé par l’archiduc Charles, qui devient Charles VI, le principal compétiteur de Philippe d’Anjou. L’Angleterre, qui ne veut pas refaire sur sa tête la monarchie universelle de Charles-Quint, se retire de la lutte en signant les préliminaires de Londres. En 1712, Villars engage la partie décisive et la gagne à Denain. Les traités d’Utrecht sont conclus entre la France, l’Angleterre, la Hollande le Portugal, la Prusse et la Savoie (1713 et 1714).

Léopold avait envoyé au congrès ses trois plus habiles diplomates, Le Bègue, Forstner, Bourcier. Ils plaidèrent fortement dans un long mémoire les revendications de la Lorraine. On ne daigna même pas s’en occuper. Le malheureux Duc qui avait dépensé cinq à six millions et déployé d’extraordinaires efforts, n’aboutit qu’à d’humiliantes déceptions. Il tomba dans un noir chagrin.

Cependant, il se cramponna désespérément à un dernier rêve, celui d’être accepté pour médiateur entre la France et l’Autriche. Mais Villars et le prince Eugène se passèrent de lui et ils ouvrirent seuls les conférences de Rastadt qui aboutirent au traité du 6 mars 1714. Léopold n’avait rien obtenu, pas même la reconnaissance officielle de sa neutralité. Cependant Louis XIV lui tint parole et fit cesser l’occupation de la Lorraine.

Les troupes françaises ayant évacué Nancy le 12 novembre, Léopold rentra dans sa capitale quelques jours après, mais « il ne permit pas, dit Dom Calmet, que les bourgeois de la ville suivissent le penchant de leur coeur, en lui faisant une réception proportionnée à leur joie. Il n’était pas assez satisfait de lui-même ». Louis XIV survécut peu à ces événements. Il mourut le 30 août 1715.

De l’ensemble des faits, de ses stériles tentatives, de ses nombreux mécomptes, Léopold conclut sans doute que la petite souveraineté de Lorraine vivrait difficilement avec dignité entre ses deux trop puissants voisins. Il faut être très fort par soi-même pour dire comme Henri VIII d’Angleterre : « Qui je défends est maître ».

Il comprit trop tard qu’il n’était d’aucun poids sérieux dans la balance générale de l’Europe. Il songea plus que jamais à transférer sa maison dans une situation moins humiliée et donna cet étrange spectacle d’un prince qui, adoré de ses sujets et les aimant sincèrement lui-même, cherchait en toute occasion à se séparer d’eux.

A la mort de Louis XIV, son arrière-petit-fils, Louis XV, n’ayant encore que cinq ans, le duc d’Orléans, frère d’Élisabeth-Charlotte, et par suite beau-frère de Léopold, devint le vrai souverain de la France, sous le titre de Régent. Léopold profita de cette parenté. Le Régent l’aimait beaucoup et le lui prouva tout de suite en reprenant l’examen des questions restées en suspens dans les dernières années de Louis XIV et particulièrement l’affaire des dédommagements dus à la Lorraine pour la cession de Longwy. Il décida même que le Duc jouirait des revenus de la prévôté, en attendant le règlement définitif.

Léopold entretenait de son mieux le bon vouloir du Régent. Il le consultait sur toute chose, ne faisait rien sans s’être assuré de son acquiescement. C’est ainsi que pour lui être agréable, il refusa de recevoir de nouveau en Lorraine, le prétendant Jacques III, qui, à la suite d’une piteuse campagne en Ecosse, venait reprendre à Bar le refuge qu’il y avait reçu précédemment. Le prince proscrit fut obligé de se retirer à Avignon (1716).

Cependant, Léopold s’appliquait avant tout à se maintenir en bons rapports avec l’Autriche. Audiffret, le représentant de la France, ne cessait de signaler ses tendances suspectes et le bon accueil qu’il réservait aux affidés de la cour de Vienne. Il faisait des avances d’argent à Charles VI, il lui envoyait des régiments lorrains levés sous prétexte de la guerre contre les Turcs. L’empereur, de son côté, flattait ses ambitions en lui faisant entrevoir une grande situation en Italie. On disait à Audiffret qu’on avait offert au Duc, le titre de vicaire général de l’Empire et le gouvernement perpétuel du Milanais.

Léopold se repaissait d’illusions. Il entretenait un résident à Milan pour recueillir des renseignements sur toute la Lombardie et pratiquait des intelligences dans le Montferrat. Une guerre entre l’empereur et l’Espagne aurait peut-être réalisé ses espérances, mais la triple alliance formée par le Régent y coupa court.

Léopold se tourna alors plus attentivement du côté de la France, où le litige au sujet de Longwy était débattu à Paris depuis le mois d’août 1716 par une commission mixte, dont les deux membres les plus importants étaient le président Lefebvre pour le Duc et M. de Saint-Contest pour la France. La discussion fut lente, mais empreinte d’un véritable esprit de conciliation. Les intérêts de la Lorraine avaient autour de la commission, des défenseurs zélés et entre autres la duchesse douairière d’Orléans, la Palatine, qui plaidait chaleureusement pour sa fille Elisabeth-Charlotte.

Léopold retarda la solution en introduisant aux débats une question de pur amour-propre à laquelle il attachait plus de prix qu’aux acquisitions territoriales. Il aspirait au titre d’Altesse royale. L’empereur le lui avait déjà accordé et on le lui donnait dans les habitudes courantes de l’étiquette. Élisabeth-Charlotte, qui déjà y avait droit et se nommait Madame Royale comme fille de France, écrivait lettre sur lettre à son frère le Régent. Le roi, disait-elle, avait promis, mais « la vieille Maintenon qui nous hait tous comme le diable empêcha le roi de tenir sa promesse ».

Le Régent et ses commissaires finirent par céder et toutes les difficultés résolues d’un commun accord, on signa le traité dit de Paris le 21 janvier 1718. Ce traité, en exécution des clauses de Ryswick, attribua au duc de Lorraine comme compensation pour la prévôté de Longwy qui restait au roi de France, la ville et une partie de la prévôté de Rambervillers, ainsi que plusieurs villages des environs de Nomeny et des prévôtés de Gondreville et d’Amance. En outre, ce qui alla surtout au coeur de Léopold, il reconnaissait définitivement au Duc ce titre d’Altesse royale, l’objet de sa plus ardente convoitise. C’était sa première victoire diplomatique. Il en éprouva une si grande joie qu’il envoya l’ordre de faire des illuminations dans sa capitale.

Quelques semaines après, leurs Altesses royales allèrent à Paris rendre visite au Régent. La réception fut magnifique. Pendant plus d’un mois et demi, un immense concours se pressa dans les salons du Palais-Royal. On les combla de riches présents, on leur offrit de splendides fêtes. La foule aussi fut touchée de la bonne grâce de ses hôtes et les acclama à leur passage. Une seule personne de leur cortège fut un peu maltraitée. La discrète princesse de Craon pleura en entendant des allusions peu déguisées à la faveur dont elle jouissait à la cour de Léopold.

Le Régent fut parfait à l’égard de son beau-frère. Il ne pouvait pas le dispenser de l’hommage dû au nouveau roi pour le Barrois mouvant. Mais la cérémonie s’accomplit sans appareil, dans une sorte de visite au jeune Louis XV (19 février). Les princes lorrains ne quittèrent Paris que le 8 avril. Ils avaient plu à tout le monde. Le Duc avait surtout conquis la Palatine, qui avait avec lui de longues causeries en allemand et qui, avec l’étrange indulgence des moeurs du temps, louait volontiers la tenue convenable de la Montespan de Lunéville. Quant au Régent, il témoignait de son estime et de son amitié, en disant aux membres de son conseil « qu’entre tous les souverains de l’Europe, il n’en connaissait aucun qui fût supérieur au duc de Lorraine, en expérience, en politique et en sagesse ».

Pendant son séjour à Paris, le Régent avait entretenu Léopold du projet de la quadruple alliance qui devait réunir la France, l’Angleterre, les Provinces-Unies et l’Empire contre le roi d’Espagne. Il devait s’ensuivre des remaniements qui permettraient de donner la Toscane à Léopold, comme indemnité du Montferrat.

Cette éventualité flattait trop la fantaisie de Léopold, pour qu’il ne se lançât point sur cette piste. Il se hâta d’envoyer des agents en Angleterre et aux Provinces-Unies. La quadruple alliance se montra très froide. Mais il ne se découragea point, et son représentant, le baron Le Bègue, courait de Paris à Londres et défendait habilement les intérêts du Duc. La Duchesse déployait aussi une grande activité. On souffre de voir cette fille de France, si aimée et si respectée des Lorrains, s’abaisser jusqu’à flatter l’abbé Dubois devenu secrétaire d’État aux affaires étrangères (le 24 septembre 1718), subir en silence cette humiliation d’attendre vainement une réponse à ses lettres et s’oublier jusqu’à complimenter un vil coquin de son élévation à l’archevêché de Cambrai, le siège de Fénelon. La guerre fratricide préparée par Dubois contre Philippe V fut déclarée en janvier 1719.

Léopold crut toucher au triomphe. Mais l’Espagne écrasée par la quadruple alliance n’essaya même pas de résister et mit bas les armes en février 1720. Le mirage de la Toscane se dissipa, comme tant d’autres. Infatigable dans ses espérances, malgré toutes ses déconvenues, il regarda d’un autre côté et demanda, toujours comme indemnité du Montferrat, le duché de Luxembourg. Le Régent reçut froidement ses ouvertures, et Dubois resta sourd de la façon la plus offensante aux instances et aux reproches d’Élisaheth-Charlotte.

Léopold, froissé, s’attache de plus en plus à l’Autriche. Pour le ramener, Dubois charge Audiffret de l’occuper de nouveaux projets et lui souffle la politique si autrichienne des mariages. Léopold, sans cesse séduit par sa propre imagination, rêve alors de refaire sa fortune en mariant une de ses filles à Louis XV, et en obtenant d’autre part pour son fils aîné la main de l’archiduchesse Marie-Thérèse, ce qui le pouvait porter un jour au trône impérial. Lefebvre, son plus insinuant diplomate, passe plusieurs mois à Vienne pour préparer le terrain.

On sait que l’idée fixe de Charles VI était d’assurer son héritage à sa fille aînée. Il avait déjà rédigé en secret la fameuse pragmatique sanction qui ne fut publiée qu’en 1724. Mais Lefebvre la connut et en révéla l’existence à Léopold vers la fin de 1720. Celui-ci prévenu que l’archiduchesse n’épouserait qu’un prince souverain, fit déclarer hâtivement la majorité de son fils, le prince Léopold-Clément, le 25 avril 1721, et l’associa de fait à son administration, en le chargeant de présider en son absence les séances du conseil.

Il vantait dans son édit « la force de son jugement, la solidité de son raisonnement, la justesse de ses décisions». Un homme d’État si précoce était certes un candidat présentable. Charles VI se montrait bien disposé à l’égard de son cousin et déjà il n’était bruit que d’un voyage prochain du jeune prince à la cour de Vienne, lorsqu’une catastrophe renversa les plans du cabinet de Lunéville. Léopold-Clément, atteint de la petite vérole, fut emporté en quelques jours (4 juin 1723).

Mais cette fois, la fortune ne s’obstina point dans ses rigueurs accoutumées. L’empereur étant gagné d’une manière générale à l’idée de l’alliance lorraine, fit savoir au Duc qu’il aurait plaisir à voir son second fils, le prince François. On se hâta de proclamer sa majorité et, quelques semaines après les funérailles de son frère, il partait pour l’Allemagne, accompagné d’une suite brillante et sous la direction du prince de Craon. Charles VI accueillit le jeune prince avec une cordialité du meilleur augure. Il le traita tout de suite comme un fils, l’entoura de gens sûrs et voulut diriger lui-même son éducation. Il ne fut bientôt plus douteux pour personne, qu’il serait un jour l’époux de l’archiduchesse Marie-Thérèse. Il avait alors quinze ans et la princesse six ans et demi.

Au moment où ses affaires prenaient si bonne tournure en Autriche, Léopold n’espérait plus rien de la France. Le cardinal Dubois était mort (août 1723) et le duc d’Orléans lui avait peu survécu (2 décembre 1723). Le duc de Bourbon qui les avait remplacés dans la direction du gouvernement, était un ennemi déclaré des maisons d’Orléans et de Lorraine. Il manifesta ses sentiments dès la première heure, sans déguisement. Le Bègue étant allé à Paris pour rappeler que le duc d’Orléans avait promis de ménager à la Lorraine son accession à la quadruple alliance, le ministre lui répondit qu’il aurait pu s’épargner la peine de venir, que les promesses du duc d’Orléans, s’il y en avait, n’engageaient pas le roi.

M. le Duc blessa bien plus gravement Léopold quand il fut question de marier Louis XV. Le Régent avait déjà arrangé un projet avec une infante, fille de Philippe V. La princesse avait même été amenée à Paris pour y recevoir une éducation française. Mais comme elle n’avait que quatre ou cinq ans, le duc de Bourbon impatient, refusa d’attendre et la renvoya à Madrid. Puis il chercha en Europe une princesse en état d’être tout de suite une reine de France. On en trouva une centaine. Aucune ne paraissait plus qualifiée que la fille aînée de Léopold et d’Élisabeth-Charlotte. Sa candidature fut posée. Pour mieux réussir, on insinua à M. le Duc que s’il choisissait l’aînée pour le roi, on lui accorderait pour lui-même la main de la cadette.

Cette combinaison eût peut-être agréé au ministre. Mais il n’avait pas plus de caractère que d’intelligence et la marquise de Prie le menait en laisse. La toute-puissante favorite ne voulait ni d’une princesse de Lorraine ni de toute autre qui pût mettre sa fortune en péril. Elle fixa le choix du duc de Bourbon sur la princesse la plus pauvre, la plus humble, dans la pensée que lui devant son élévation inattendue, elle accepterait plus facilement sa direction, et l’Europe apprit avec étonnement que Marie Leczinska, la fille de Stanislas, roi de Pologne déchu et qui vivait alors dans la gêne à Wissembourg, devenait reine de France (1725).

Ce fut un cruel mécompte pour les princes de Lorraine. La duchesse exhala dans sa correspondance privée son amer chagrin : « Je ne suis pas née pour être heureuse dans ce monde, écrivait-elle à sa confidente, le bon Dieu me fasse la grâce de l’être dans l’autre ! ». Dans son dépit, elle laissa libre cours à la malignité des courtisans qui savaient ne point lui déplaire en tenant de méchants propos sur l’âge de Marie Lcczinska qui avait sept ans de plus que Louis XV, sur son peu de beauté et surtout sur sa santé troublée, disait-on, par des accès d’épilepsie.

L’affliction des princes lorrains fut atténuée par la chute du duc de Bourbon et l’avènement au pouvoir du vieux cardinal de Fleury. Dans sa joie, la duchesse surfaisait singulièrement la valeur de l’ancien précepteur du roi. « Il serait à souhaiter, s’écriait-elle, que des ministres tels que lui fussent immortels ! ». Avec Fleury, se renouèrent les bons rapports de la Lorraine et de la cour de France.

Léopold tout entier aux espérances de plus en plus fondées que lui inspirait le prochain mariage de son fils, cessa alors de s’agiter comme il l’avait fait pendant près de trente ans et renonça à ses projets d’établissement en Italie. Il ne demande plus qu’une chose, c’est qu’en vue des éventualités de guerre qu’avait fait naître le renvoi de l’infante, la France reconnaisse la neutralité perpétuelle de la Lorraine.

Les négociations sont commencées par Choiseul-Stainville, le père du futur ministre de Louis XV. Il les continue lui-même directement. Par d’adroites flatteries, il gagne le vaniteux vieillard qui avait d’abord fait quelques objections et le traité du 14 octobre 1728 consacre l’indépendance et garantit la sécurité de ses États. Toutefois, telle était la fatalité de la situation, il fallait bien prévoir les nécessités de la guerre et une contre-déclaration destinée à rester secrète, stipulait que si les troupes françaises étaient obligées de passer à travers la Lorraine, le Duc ne considérerait point ce fait comme une infraction à la neutralité.

Cette convention fut une des dernières joies de Léopold, qui pensait avoir ainsi placé son patrimoine sous la sauvegarde des puissances européennes. Des fêtes et des manifestations populaires prouvèrent que ses sujets s’associaient à ses illusions.

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