La fête des Champs-Golots
D’après un article paru dans « Le magasin pittoresque » en 1841
Il existe encore aujourd’hui dans la principale ville des Vosges, à Epinal, un vieil usage fort singulier. C’est la fête des Champs-Golots.
Qui a institué cette fête ? A quelle époque a-t-elle été fondée ? Nul ne le sait.
Chaque année, dans la soirée du jeudi saint, lorsque les pieux exercices de la journée sont terminés, la rue de l’Hôtel-de-Ville se remplit de promeneurs de tous les âges et de toutes les conditions. Sept heures sonnent, et de toutes les rues adjacentes débouchent des groupes d’enfants conduits par leurs bonnes s’ils sont riches, ou leurs parents s’ils sont pauvres.
Cette troupe bruyante s’avance portant ou faisant porter des esquifs de sapin, dont toute la cargaison se compose de bougies ou de chandelles allumées et dressées comme des mâts. Elle en forme une flotte ; chaque esquif est sous les ordres de l’enfant à qui il appartient. La mer sur laquelle ces bâtiments sont lancés, est l’humble ruisseau qui roule ses eaux le long des maisons de la rue de l’Hôtel-de-Ville.
C’est là qu’ils se promènent, tenus en laisse par leurs propriétaires, et projetant sur les rives garnies de spectateurs leurs vacillantes lumières : ils descendent et remontent le ruisseau, se heurtant, s’entrelaçant, menaçant de sombrer quelquefois, et excitant parmi leurs capricieux conducteurs des cris incessants de joie ou de détresse, selon les chances qu’ils courent dans leur navigation embarrassée.
Pendant cette promenade nautique, les enfants, les bonnes, les parents, chantent à tue-tête et sans accord ce couplet :
Les champs golot,
Les lours relot.
Pâques revient,
C’est un grand bien
Pour les chats et les chiens
Et pour les gens tout aussi bien.
Aussi longtemps que brillent les fanaux plantés sur les esquifs, la foule, suivant les manœuvres de la flotte, et, comme elle, descendant et remontant le ruisseau, se presse et s’agite dans la rue. Mais dès qu’ils sont éteints, elle se disperse, sa curiosité est satisfaite. Les enfants rentrent sous le toit paternel, les uns riant, les autres pleurant, mais emportant tous, pour s’en servir encore l’année suivante, leurs légères embarcations, et la rue de Hôtel-de-Ville rentre dans son calme et son silence habituels.
C’est ainsi que se célèbre la fête des Champs-Golots, et voici l’explication que l’on en donne.
Quand le Carême touche à sa fin, les veillées cessent, les nuits s’abrègent, le repas du soir devient le signal du repos. Le jour suffit désormais aux exigences du travail. La campagne reverdit, les ruisseaux que le froid avait arrêtés dans leur course, serpentent en gazouillant dans les prairies. Le printemps, en un mot, apporte une nouvelle vie à la nature et à l’homme.
Or, c’est pour dire adieu aux veillées, pour inaugurer le retour d’une saison riante, pour proclamer l’abolition de l’abstinence et du jeûne, qu’à Epinal, le jeudi saint, le ruisseau de la rue de l’Hôtel-de-Ville se couvre à la brune de toutes ces nefs étincelantes, et que la chanson traditionnelle des Champs-Golot est répétée en choeur par la population.
Cette chanson a nécessairement été composée à deux époques différentes. Ses deux premiers vers sont empruntés au patois le plus ancien du pays. Ils se traduisent ainsi : Les champs coulent, les veillées s’en vont. Les quatre derniers sont d’une date beaucoup plus récente, et remplacent probablement d’autres vers qui n’ont pu se transmettre jusqu’à nos jours, et dont ils reproduisent le sens et la naïveté.
D’après un article paru dans « Essai sur les fêtes religieuses et les traditions qui s’y rattachent » en 1867
Les Champs-Golots, institués pour solenniser le retour du printemps, se célébraient invariablement en plain air, pendant une heure. Dès la fin du jour, une multitude d’enfants, portant des planchettes ou des boîtes de sapin parsemées de bouts de chandelles ou de petites bougies, envahissait la rue de l’Hôtel-de-Ville. Là, tous confiaient aux ruisseaux de la rue leurs embarcations, qu’ils dirigeaient sur l’eau à la file les unes des autres, en les retenant par une ficelle, afin de les empêcher de sombrer.
Rien de plus curieux de voir ces marins du premier âge conduire leurs navires avec une gravité comique, descendre et remonter bravement les courants, éviter avec soin les écueils, et rire aux éclats ou pleurer à chaudes larmes, lorsque le vent éteignait leurs fanaux ou que, par malheur, l’onde submergeait leurs esquifs. Du milieu de la foule des nautoniers, des parents, des bonnes et des promeneurs, s’élevaient des voix qui chantaient un vieux couplet patois.
C’est ainsi que dans cette vieille cité lorraine, l’enfance annonçait la fin de l’hiver, la chute des veillées et l’expiration du Carême.
Mais cette amusante coutume a disparu depuis que l’administration municipale a restauré la rue de l’Hôtel-de-Ville et lui a donné des trottoirs. En 1861, on a bien fait couler les fontaines dans cette rue afin de permettre aux enfants de se livrer à leur jeu comme précédemment. Beaucoup s’y sont rendus avec leurs navires illuminés. Mais, bien que la joie fut assez grande, le cachet primitif de la fête n’a pas entièrement reparu : on se plaignait de ce que la boîte à fromage tradionnelle était généralement remplacée par le navire de haut-bord.
Cette fête traditionnelle se perpétue toujours dans certains endroits des Vosges pour l’arrivée du printemps, en particulier à Epinal et Remiremont.