La prévôté de Longwy, pomme de discorde entre la France et la Lorraine
D’après un article paru dans la revue « Mémoires de la société d’archéologie lorraine » en 1896.
Les appellations anciennes ont été respectées.
Négociations relatives à la prévôté de Longwy, par M. F. Nau, d’après des documents manuscrits de la bibliothèque nationale de Paris.
Le catalogue sommaire des manuscrits qui composent la collection de Lorraine, porte n° 78-79 « Traités entre la France et la Lorraine en 1718 », puis n° 504-511 « Longwy ».
Le plus grand nombre de pièces, que les douze volumes contiennent, est relatif à un même fait : l’échange de la prévôté de Longwy, que le traité de Ryswick permettait à Louis XIV de garder, contre un territoire équivalent qu’il s’agissait de déterminer.
Premier sujet de litige : La France veut garder Longwy.
Jusqu’en 1679, Longwy comprenait un château fort, une ville haute et une ville basse, et donnait son nom à une prévôté. Sa position sur la route la plus courte de Verdun à Luxembourg et à Thionville, lui donnait grande importance durant les guerres entre la France et l’Espagne.
Aussi, elle fut investie par Condé en 1643, prise par la Ferté-Senneterre en 1646, et rendue seulement à la Lorraine en 1659 à la paix des Pyrénées. Enfin en 1670, le maréchal de Créqui s’empara de nouveau de Longwy, et cette ville ne fit plus retour au duché de Lorraine. Louis XIV, voulant opposer une place forte respectable à Luxembourg que tenaient les Espagnols, fit raser le château fort et la ville haute, et fit tirer au cordeau les rues de la ville actuelle, que fortifia Vauban (1679).
De nombreux privilèges accordés par le roi, amenèrent bientôt de nombreux habitants dans la nouvelle forteresse qui eut jusqu’à 2 000 hommes de garnison.
A la paix de Ryswick (7 octobre 1697), les alliés imposèrent aux Français, l’obligation de rendre au duc de Lorraine tous ses États. Louis XIV fit sans doute valoir qu’il n’avait pas construit et fortifié Longwy pour le compte du duc. Aussi, dans un article spécial (art. 33), on permit au roi de conserver la prévôté de Longwy, à condition de rendre au duc une prévôté de même valeur et même étendue dans les Évêchés.
S’il était facile de trouver une prévôté de même étendue, il ne l’était pas autant, parait-il, d’en trouver une de même valeur, car les plénipotentiaires du roi et du duc, après plusieurs années consacrées à des enquêtes et à des discussions, ne purent arriver à s’entendre.
Premières négociations : 1698-1701
Citons d’abord quelques lignes d’un mémoire étendu sur la prévôté de Longwy, dont il va être constamment question :
- La prévôté de Longwy est située à l’extrémité de la Lorraine à l’occident.
- Elle est bornée par les prévôtés de Luxembourg, Thionville, Sancy, Arrancy, Longuyon, Mangiennes, Damvillers, Marville, Virton et Arlon.
- La rivière Chiers est remarquable en ce que ce fut sur ses bords que Lothaire, roi de France, donna la Lorraine en fief à Othon, second-empereur.
- La prévôté est fertile en grains. Le grain y est petit mais bon. Elle est utile pour faire passer les blés de Lorraine et les vins du Barrois et par l’Ardenne les marchandises de Liège et du pays de Bar.
- Elle est encore considérable par les mines de fer qui s’y rencontrent en plusieurs endroits, et de la grosse et de la riche. (Les mines d’Aumetz étaient indispensables aux forges des environs, en particulier à celle de Moyeuvre). Elle a aussi des bois en suffisance pour l’exploitation de ses forges.
Il fallait donc, conformément à l’article 33 du traité de Riswick, estimer la valeur de cette prévôté de Longwy, puis lui trouver un équivalent dans les Évêchés. Les plénipotentiaires furent M. de Turgot, intendant de Metz, pour le roi de France, et le sieur Jean-Baptiste, baron de Mahuet, conseiller d’Etat, pour le duc de Lorraine.
Les environs de Longwy avaient été ravagés durant la guerre de Trente ans par les Français (1631), les Suédois de Bernard de Saxe-Weimar (1635) et enfin par les troupes impériales, Polonais, Hongrois, Croates qui, envoyés pour défendre le pays, s’y signalèrent surtout par leurs pillages et leurs atrocités.
Aussi, le duc de Lorraine ne voulait pas estimer la valeur de la prévôté de Longwy uniquement d’après son état actuel, mais il voulait tenir compte de sa richesse passée qu’une longue paix devait lui rendre. On réunit donc pour en faire la comparaison, un certain nombre de comptes.
Nous avons à Paris ceux de 1629 et 1637, puis les comptes de Gérard Magnier, gruyer et receveur du domaine de Longwy pour les années 1657 et 1666, enfin le registre et contrôle vingt-neuvième de François Gérard, contrôleur du domaine et office de Longwy pour l’an 1667. Ces comptes fournissaient et fourniraient encore intéressante matière à comparaison entre l’état de la prévôté avant, pendant et après la période française de la guerre de Trente ans.
Les fours et moulins publics avaient été détruits. En 1666, il y avait dix-huit fours ruinés, un en bon état (Longwy-Bas) et deux affermés (Villers et Beuville). La plupart furent ruinés en 1636, celui de Longwy-Haut en 1641 et celui d’Errouville en 1677 par l’armée impériale.
Le nombre des habitants était aussi bien diminué. En 1698, Tiercelet ne comptait encore que 18 chefs de famille, dont 8 laboureurs, au lieu de 86 qu’il avait avant les guerres. Tellancourt en avait aussi 18, dont 6 laboureurs au lieu de 40. Hussigny n’avait plus un seul habitant.
La plupart des maisons étaient encore en ruines. A Ville, il y avait dix maisons sur pied et douze masures à Houdlemont, six maisons sur pied et cinq masures. A Tiercelet, vingt-huit maisons sur pied, « y compris celle du curé » et cinquante masures.
En 1698, la prévôté comprend une soixantaine de villages ou hameaux, avec 646 laboureurs, 1200 artisans ou manœuvres, et 184 femmes veuves. De nombreuses listes donnent le nombre et les noms des habitants de chaque village.
On trouve même un tableau qui n’a rien à envier pour le soin des détails à nos recensements actuels. Il donne le nombre des hommes, femmes, garçons et filles, avec l’état de chacun pour l’an 1696. Il y a alors dans la prévôté, 3163 hommes et jeunes garçons et 3211 femmes et jeunes filles, répartis en 1376 feux. Il y a aussi 36 moulins, 2 forges, 2 carrosses, 1 chaise, 413 1/2 chariots, 113 charrettes, 410 1/2 charrues, 2711 chevaux, 329 poulains, 8 baudets, 1 bourrique, 2306 vaches, 589 veaux, 3668 moutons, 2505 porcs, 170 chèvres.
Les premières négociations eurent lieu à Metz. Le 2 décembre 1698, le sieur Mahuet énonce douze sujets de grief contre M. de Turgot.
Enfin, on trouve le procès-verbal des séances du 1er au 4 décembre 1698 qui furent consacrées à de purs préliminaires, et paraissent n’avoir été suivies d’aucun résultat positif, car le 1ermars 1699, le duc Léopold accrédita Jean-Baptiste Mahuet pour aller demander au roi lui-même l’équivalent de Longwy.
On proposa alors au duc, cinq territoires différents pour l’équivalent de la prévôté :
- La ville de Toul et 52 villages qui dépendent de la ville, évêché et chapitre de Toul, avec 8 villages de l’évêché de Verdun, Dieulouard, Belleville, Sivry, Moirey, Bezaumont, Landremont, Loisey, Sainte-Geneviève.
- La ville de Vic et 64 villages dont 8 moitié lorrains.
- Un équivalent dans les Évêchés proposés à Paris par M. Turgot le 26 décembre 1699, et comprenant en particulier les baronnies de Chatillon, Saint-Georges, Turquestein et des villages entre Vic et Sarrelouis.
- Vers l’angle de la Franche-Comté entre les rivières de Saône, du Cosné, d’Angrogne et du Breuchain. Ce projet comme le second est du 22 décembre 1699.
- Les prévôtés de Rambervillers, Vic, Moyen et Baccarat.
Il semble que ce luxe de projets devait amener un accord facile, mais il n’en fut rien. On parut se préoccuper surtout de trouver des objections.
Un auteur anonyme conseille au roi de donner l’équivalent cherché dans le baillage d’Allemagne, parce que « le bailliage d’Allemagne ne sera jamais un pays qui puisse payer beaucoup de subventions, il n’y est même pas accoutumé. Outre qu’il sent la poudre à canon, il sera toujours exposé aux premiers mouvements de guerre ». Les mêmes raisons suffirent sans doute pour faire exclure ce projet par les Lorrains.
Un autre mémoire est intitulé « Réflexions sur l’équivalent proposé du côté de la Bourgogne ». Il y a un tiers ou approchant de masures à rétablir, etc.
Ailleurs, on critique Rambervillers « ville fermée d’une simple muraille et d’un fossé mal entretenu, elle ne contient dans son enceinte et ses faubourgs que 350 habitants ».
Enfin, il y a des objections générales. M. Turgot propose des villages qui sont introuvables, du moins sur les cartes, ou qui sont déjà Lorrains, enfin il donne comme villages de simples censes ou hameaux. A tout cela, M. Turgot répondait par d’autres mémoires, et le temps passait entre les objections et les réponses, ou bien en enquêtes près des employés subalternes.
Ces retards avaient peut-être aussi une cause bien au-dessus de la volonté des négociateurs, car on sut depuis, que Louis XIV avait conclu avec le duc Léopold un traité secret lui donnant le duché de Milan, en échange de la Lorraine et du Barrois.
Il n’était donc plus nécessaire de chercher l’équivalent de Longwy, puisque tout devait rester au roi. Il suffisait de laisser tomber peu à peu les négociations. On arriva ainsi à la guerre de la succession d’Espagne (1701).
On sait que le duc Léopold dut recevoir une garnison française dans Nancy, et se retira à Lunéville (2 déc. 1702). Mais il sut maintenir la neutralité de la Lorraine, à l’exception de la prévôté de Longwy qui suivit la fortune de la France, et fut encore dévastée. Hussigny fut pillé par les ennemis la deuxième année de la guerre, Ottange fut brûlé et paya 3415 livres. Audun paya 700 livres pour deux prisonniers et Micheville 300 pour un prisonnier. A Tiercelet, les ennemis prirent 22 chevaux, etc. Les Français font aussi de nombreuses réquisitions.
Ainsi en une année, du 7 mai 1713 au 2 mars 1714, la prévôté fournit 1985 chariots pour l’évacuation de Luxembourg (10 mai 1713) et pour voiturer des vivres et des munitions de Verdun à Thionville et à Metz.
On trouve quelques rares mémoires composés durant la guerre de la succession d’Espagne On demande au roi de France en 1703 de donner l’équivalent de la prévôté ou de la rendre au duc de Lorraine, en se réservant seulement les murailles et fortifications de Longwy. Cette mesure aurait épargné à la prévôté les horreurs de la guerre.
Plus tard en 1706, le duc de Lorraine fait composer un mémoire « pour justifier l’étendue et la valeur de la prévôté de Longwy ».
On a un second mémoire de 1706 sur le même sujet, très bien documenté qui fait l’historique de la prise de Longwy et de la paix avec le duc de Lorraine, puis donne l’évaluation détaillée des revenus. Un dernier mémoire de 1706 donne l’évaluation des domaines. On trouve en tout 81 555 livres 8 sols 10 deniers et soutiennent que le domaine augmentera encore tous les jours, parce que le tiers de la prévôté se trouvant encore en ruine, suivant la reconnaissance que nous en avons faite, elle se rétablira par la paix.
Enfin, on nous apprend incidemment que en cette année 1709, les grains se vendaient fort chers, parce que le rigoureux hiver qu’on eut cette année perdit toutes les semences des blés.
Second sujet de litige : Les revenus de la prévôté de Longwy.
Ces retards apportés à l’échange de la prévôté de Longwy amenaient nécessairement un nouveau sujet de discussions.
Le roi n’ayant pas donné en 1698 un territoire équivalent, devait rendre les revenus, que depuis lors il percevait indûment. En d’autres termes, le roi détenait un capital appartenant depuis 1698 au duc de Lorraine, c’est-à-dire l’équivalent de la prévôté de Longwy, il devait donc en rendre les intérêts égaux aux revenus de Longwy. C’est autour de l’évaluation de ces revenus que vont maintenant avoir lieu les mémoires et les discussions pendant plusieurs années.
Secondes négociations : 1714-1718.
Au congrès d’Utrecht (1712), le duc fit réclamer les parties de ses états occupées par les Français, mais ses réclamations n’aboutirent à rien de solide. Ses envoyés firent protestation et opposition le 30 avril 1713.
En cette année 1713, se place un mémoire de M. Olivier de Hadonviller, prévoyant le cas où le roi ne garderait de la prévôté que Longwy et quelques villages, dont il donne le nombre des habitants et l’estimation des revenus.
En 1714, les troupes françaises évacuent Nancy et les autres places fortes de Lorraine, et les négociations relatives à Longwy sont reprises à Metz, où elles continuent l’année 1715. La mort de Louis XIV (1er septembre 1715) les interrompit durant quelques mois.
Enfin, elles reprirent en 1716 pour se terminer en 1718. Les négociateurs sont alors pour le roi de France, les sieurs Dominique de Barberie, seigneur de Saint-Contest, et Lefebure, seigneur d’Ormesson, et pour le duc de Lorraine, les sieurs Jean-Baptiste, baron de Mahuet, et François de Barrois, seigneur de Saint-Remy.
En 1715, la France propose Phalsbourg, Niederwiler, Saint-Epvre et Saint-Mansuy, le ban de Saint-Pierre Leywiler, etc., en échange de Longwy et de huit villages, mais ce projet souffre de nombreuses difficultés parce que, dit-on, plusieurs de ces villages appartiennent déjà de droit à la Lorraine.
En 1716, nous trouvons trois projets d’équivalent formés par le duc de Lorraine. Les deux premiers supposent l’échange de toute la prévôté de Longwy et demandent en place,
- l’un : la ville de Vic et son territoire, les mairies de Réméréville et de Saint-Clément, les terres et seigneuries de Lorquin, de Cerey, de Chatillon, etc.,
- l’autre : Rambervillers, Baccarat, Saint-Clément, Turquestein, Saint-Georges, etc.
Enfin, le troisième projet prévoit le cas où la France ne garderait que Longwy et quelques villages à l’entour. On demande Rambervillers en échange. Et « en cas que la France refuse absolument de nous abandonner la châtellenie de Rambervillers, on peut proposer les châtellenies de Baccarat et de Moyen, les mairies de Saint-Clément et de Réméréville et la seigneurie de Gerbévillers avec leurs bans finages et dépendances ».
Ils consistent en 770 habitants. Longwy n’en a que 650, mais « il y en a 400 dans Longwy qui est une ville et les habitants de Longwy valent beaucoup mieux que ceux des dites châtellenies ».
Cette opinion flatteuse pour les habitants de Longwy, ne fut sans doute pas partagée en France, car on se décida à donner Rambervillers en échange de Longwy et des villages situés à une demi-lieue à l’entour.
Il ne restait plus qu’à évaluer les revenus perçus indûment par le roi depuis 1698, et qu’il devait donc rendre au duc de Lorraine. Il aurait été assez simple de prendre pour la valeur des revenus de la prévôté, le montant du bail passé avec les fermiers généraux. Mais ici se présentait une difficulté.
Un certain François Rodemack de Ballieu s’était rendu sous-adjudicataire des domaines de la prévôté de Longwy pour 33 700 francs, monnaie lorraine, qui font 14 442 livres 17 sols de France, par année. L’acte fut passé devant Me Vergaland, notaire à Longwy. Les Lorrains prétendent que Rodemack était très solvable, mais ce n’était sans doute pas l’opinion de M. Turgot, car il accusa Rodemack « d’avoir oultré le prix de la prévôté et le fit mettre en prison ». Notons, à la décharge de M. Turgot, que dans les comptes de 1657 ne figure, parmi les habitants de Laix et de Bailleux, qu’un seul Rodemack (Pierre), classé parmi les manouvriers et mendiants.
Enfin M. Turgot rendit la liberté à François Rodemack, mais l’expulsa du pays, et mit à sa place Henry Laurent pour régir la prévôté. Mais « un régisseur s’applique moins au bien de la chose qu’à trouver son profit dans la régie », aussi les revenus ne furent que de 10 837 livres, 12 sols par an.
Le roi ne voulait rendre, comme revenu des domaines, que ce qu’il avait perçu par les mains de Henry Laurent, tandis que les Lorrains voulaient prendre comme base le bail de Rodemack, et prétendaient même (22 mars 1715) que les domaines ayant augmenté de valeur, le chiffre de Rodemack était trop faible et qu’il fallait évaluer leur revenu à 18 615 livres 15 sols par an.
Des difficultés analogues se présentaient pour évaluer les revenus des gabelles, des droits d’entrée et sortie, de la marque du fer, de la vente des offices, etc.. etc.
Les Lorrains demandaient ce que le duc aurait tiré du pays s’il l’avait exploité lui-même. Un mémoire est capital dans ce sens. On y trouve le chiffre définitif pour eux, des revenus en 20 ans (1698-1718). « Revenus sur le pied de l’administration des finances en Lorraine » : 2 034 881 livres 15 sols.
Le roi faisait estimer de son côté ce qu’il avait perçu, d’où une foule de comptes particuliers sur les revenus de la gabelle, des entrées et issues foraines, des ventes de bois, etc. et il prétendait, avec quelque raison, ne pas rendre davantage. Or, en additionnant leurs recettes, les Français ne trouvaient que 1 367 648 livres 12 sols.
Pour expliquer la différence considérable des deux comptes, les Lorrains ne manquent pas non plus de bonnes raisons :
1) Ils accusent les régisseurs de mauvaise gestion ou dilapidation. Nous l’avons déjà vu pour Henry Laurent. Cette accusation était trop fréquente pour n’avoir pas quelque raison d’être.
Le 25 décembre 1681, les habitants des prévôtés de Longwy et Sancy se plaignent des rigueurs et vexations que leur causent les fermiers, « ce qui les contraint à faire des traités onéreux avec les fermiers pour tâcher à vivre en repos », ce qu’ils ne trouvent pas dans la suite, à cause de l’impuissance où ils sont de les acquitter.
On trouve une accusation de dilapidation contre le sieur Nicolas Vergalant, avocat au bailliage de Longwy qui géra les domaines des prévôtés de Longwy, Longuyon et Norroy-le-Sec du 1er octobre 1691 au 1eroctobre 1697, et les domaines, la gabelle, les entrées et issues foraines de la prévôté de Longwy de 1701 à 1710. Avant lui, on consommait 160 muids de sel et la foraine produisait 3 000 francs par an. A ce moment, on n’en consomme plus que 100 muids, et la foraine ne produit que 1 000 francs, parce que Vergalland « qui n’a ny foy ny religion » laisse faire la contrebande des sels à l’un de ses proches parent qui est fermier des gabelles à Metz, et il loue trop bon marché les revenus royaux « à de ses intimes amis, de qui il reçoit plusieurs gratifications ».
On pouvait répondre du reste, que les dilapidations n’étaient pas moindres sous l’administration du duc de Lorraine, car on trouve une lettre de Le Gay, substitut à Longwy, du 14 octobre 1662, disant « que les fermiers gagnent la juste moitié. D’avantage, monseigneur, il n’est pas juste que quelqu’un de ces fermiers qui ont sucé toute la substance de vos sujets durant l’absence de votre Altesse et qui ont toute la richesse du pays, tirent encore la moitié des fruits de son domaine de Longwy, tandis que cette pauvre ville désolée et ruinée, faute d’entretien, se démantèle tous les jours, et va bientôt être un village par la chute de ses murailles ».
2) Le roi n’a pas établi le droit de marque des fers, mais il n’en doit pas moins le rembourser au duc, puisque celui-ci en aurait tiré profit, et en a été frustré.
Il y avait alors trois usines dans la prévôté, fabriquant annuellement plus de 1 500 milliers de fer, à Herserange, Villerupt et Ottange.
La forge de Herserange dont le fourneau est dans Athus est une forge à deux feux, avec une fonderie, une platinerie et une affinerie. Elle fabrique 400 milliers de fer par an.
Villerupt a son fourneau avec fonderie et affinerie, il fabrique tous les ans 300 milliers de fer.
Le fourneau d’Ottange fournit deux forges qui ont toute leur suite. Il fournit 800 milliers de fer.
Le droit de marque du fer est de 6 livres 15 le millier.
3) Outre les recettes accusées par ses régisseurs, le roi a imposé au pays de nombreuses contributions et corvées qu’il n’est pas facile d’estimer, mais qui n’en doivent pas moins entrer en compte dans les recettes.
Le duc demande des indemnités, à raison des affranchissements et octroys, que le roi a accordés aux habitants de la ville neuve de Longwy, pour la faciente de la bière, pour la banalité du four, pour les quatre foires (Rehon, Pierrepont, Haucourt et Longwy) transportées à Longwy, où l’on percevait auparavant le soixantième denier de toute marchandise vendue, pour le droit de cabaretage, etc., etc. La faciente était une redevance rattachée au commerce de vins ou de bière.
4) Le duc demande encore à être indemnisé pour certains dons, que fit le roi aux dépens du domaine.
Ainsi, le roi donna aux habitants de Longwy le bois de Xay (maintenant bois de Châ) de 258 arpents. Il donna à M. de Naue, gouverneur de Longwy, 95 jours de terre près de la porte de la ville. Enfin le 5 mai 1688, il donna à M. Mathieu, gouverneur de Longwy, le domaine du village d’Errouville, qui comprenait moulin et four banal, la moitié du terrage, la haute justice, le droit de bourgeoisie et de faciente de la bière, 150 arpents de bois et les amendes.
A l’aide de ces raisons et d’autres du même genre, les commissaires de Lorraine en arrivent non seulement à expliquer la différence entre les revenus sur le pied de l’administration des finances en Lorraine et en France, mais ils sont amenés à conclure que leur chiffre de 2 034 881 livres 15 sols est trop faible, et que le roi a tiré de la prévôté 2 342 309 livres 14 sols, qu’il doit donc rendre au duc de Lorraine.
Accord entre la France et la Lorraine.
Enfin l’accord sur les deux sujets de litige fut conclu en 1718. Par un traité en 68 articles, daté du 21 janvier 1718, le roi déclare garder uniquement la ville de Longwy et les villages à une demi-lieue à l’entour savoir Mexi, Herseranges, Longlaville, Mont-Saint-Martin, Glaba, Autru, Piedmont, Romain, Lexi et Rehon, et donner en place la ville et la châtellenie de Rambervillers.
Les autres articles concernent Sarrelouis et d’autres points en litige, mais surtout le commerce entre la France et la Lorraine.
Les deux exemplaires du traité sont signés l’un Louis et l’autre Léopold avec sceaux appendus. L’acte d’enregistrement au Parlement de Metz est daté du 24 février 1718. L’acte d’enregistrement au Conseil souverain d’Alsace pour les articles qui pourraient être de son ressort est du 25 février 1718.
Les lettres patentes pour l’exécution du traité furent données à Paris le 11 février et enregistrées au Parlement le 7 avril. Elles furent données à Lunéville le 30 juin, et enregistrées en la Cour souveraine de Lorraine et Barrois et en la Chambre des comptes de Lorraine le 7 et 9 juillet 1718.
Quant au second sujet de litige, on prit à peu près la moyenne entre les recettes accusées par les commissaires du roi et la somme réclamée par les commissaires de Lorraine. « Tout considéré, ouy le rapport, le roi étant en son conseil, de l’avis de M. le duc d’Orléans régent, a ordonné et ordonne que les fruits, jouissances et revenus perçus au nom et profit de sa Majesté ès ville et prévôté de Longwy pendant vingt ans, dont M. le duc de Lorraine doit être indemnisé et remboursé conformément à l’article 12 du traité du 21 janvier 1718, demeureront réglés et liquidés à la somme de 1 750 000 livres pour toutes indemnités, laquelle sera payée des fonds à ce destinés par sa Majesté ».
Le 27 février 1718, les envoyés du duc prennent possession de Rambervillers.
Mais c’est dans la prévôté de Longwy que cette reprise de possession, après une annexion de quarante-huit ans, eut un caractère grandiose. Les envoyés du duc vont de village en village, et font prêter serment à tous les habitants, partout on bénit à nouveau la terre, l’eau et le feu, on sonne les cloches, on chante le Te Deum.
On part de Longwy. A Haucourt, on trouve un bûcher, on sonne les cloches, on bénit le feu et la terre, on boit à la santé du duc. Près de Villers, est un autre bûcher près duquel se tiennent deux cents hommes armés, le tambour battant la marche de Lorraine. Ils ont le drapeau jaune et rouge et portent des cocardes de papier de même couleur.
Six femmes de Villers-la-Montagne se signalèrent en se rangeant avec les hommes, le fusil sur l’épaule. On nomme un prévôt à Villers, on fait prêter serment, on bénit la terre et le feu, on sonne les cloches, on chante le Te Deum et le Domine salvum fac ducem. On se dirige alors vers les villages d’Aumetz, Audun, Ottange, qui firent toujours partie de la prévôté de Longwy, c’est-à-dire de la Lorraine française, et on y est reçu avec les mêmes démonstrations de joie.
Le sentiment national était resté intact chez les Lorrains après quarante-huit ans d’annexion, et ils surent le faire voir à leurs ennemis d’alors, comme en témoigne la phrase suivante par laquelle je termine : « J’ai annoncé que les officiers de Longwy qui se vantaient de ruiner la chasse sur nos terres trouveraient à qui parler, et que les premiers soldats qui ravageraient nos bois du voisinage ou les jardins des villages, j’en ferais faire exemple du premier qui y serait attrapé ».