Les festivités à Lunéville en août 1761 et juillet 1762
En 1761 et 1762, des festivités gigantesques eurent lieu à Lunéville, à l’occasion de la visite de Mesdames Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV. Mesdames étaient venues à Lunéville, saluer Stanislas, leur grand-père.
D’après la monographie « Essais historique sur la ville de Lunéville » de Guerrier – 1817
Mesdames Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, vinrent prendre les eaux de Plombières, et voulurent en même-temps visiter leur grand-père chéri et la cour de Lunéville.
Leur arrivée étant fixée au 13 août, le roi de Pologne, dont l’empressement de revoir ses chères petites-filles, ne pouvait être égalé que par la tendresse qu’il avait pour elles, alla à leur rencontre trois heures plus tôt qu’elles ne devaient arriver. Il les attendit, avec une partie de sa cour, à quatre lieues de Lunéville.
Treize jeunes filles, dont l’une représentait Diane, et les autres, les Nymphes de sa suite, armées de flèches et de carquois, allèrent à deux lieues, dans les bois voisins de la route. Lorsque Mesdames parurent, Diane et ses Nymphes s’avancèrent, au bruit des cors-de-chasse, jusqu’à leur carrosse. Diane leur offrit du gibier. Ses Nymphes étaient dans un char décoré avec goût, elles se mirent à la suite de Mesdames jusqu’à Lunéville. A quelque distance de là, quatre-vingts jeunes-gens, en petit uniforme de chevaux-légers, reçurent Mesdames au bruit des timbales et des trompettes.
Quatre cents hommes, en uniforme gris, revers rouges, bordaient les rues, depuis l’entrée de la ville jusqu’au château. Ils avaient à leur tête une compagnie de grenadiers.
Les gardes-du-corps du roi de Pologne étaient rangés en bataille à la tête de toutes ces troupes. Les gardes à pied formaient une haie d’une grille du château à l’autre. Toutes les rues du faubourg et de la ville étaient illuminées et ornées de devises et d’emblèmes. Le château aurait présenté le plus beau coup d’œil, si un vent qui s’éleva, n’eût dérangé la symétrie de l’illumination, en éteignant ce qui y était exposé.
On avait construit, en face du château, un arc-de-triomphe qui lui servait de perspective.
Dans l’arc du milieu, qui formait une voûte, était un Bacchus d’une grandeur colossale, sur un tonneau élevé au-dessus d’un rocher factice. Il etait orné de lierre, tenait une coupe d’une main, et un raisin de l’autre. De chaque côté, étaient deux voûtes, où l’on voyait des fontaines de vin.
Il y avait une inscription latine, dont le sens était : « L’allégresse publique à l’arrivée de Mesdames de France ». Les tours de la Paroisse, qui sont très élevées, étaient illuminées avec beaucoup d’art, les chiffres de Mesdames étaient sur l’une et l’autre, celui du Roi était suspendu au milieu. Il partait de ces tours une quantité prodigieuse de fusées.
L’hôtel-de-ville se faisait remarquer par la multitude des lampions qui en décoraient la façade. On n’entendait partout que des cris d’allégresse mêlés au bruit confus de toutes sortes d’instruments. Les cadets-gentilshommes avaient obtenu de Stanislas la permission d’établir une garde sous le perron de l’appartement de Mesdames. Il y avait tous les jours, un détachement de douze hommes avec un drapeau. La noblesse du pays vint rendre ses hommages à Mesdames.
L’après-midi, Mesdames allèrent voir le rocher, dont les figures exerçaient différents arts, et agissaient d’une manière si naturelle et si aisée, que les spectateurs y étaient trompés. L’eau était le principe caché de ces différents mouvements. On y voyait des moutons gravissant des rochers et broutant l’herbe - des béliers se frappant les uns les autres à coups de cornes et de tête - le berger jouant de la musette, son chien veillant sur le troupeau - un enfant criant dans son berceau – un autre qui le berce pour l’apaiser - des forgerons frappant en cadence sur un fer rouge - des scieurs de long, des charpentiers - enfin toutes sortes d’ouvriers travaillant si naturellement, que l’illusion était complète.
Mesdames admirèrent longtemps le jeu naturel de toutes ces figures, dont le peintre avait pris les modèles dans la bourgeoisie de Lunéville, qu’on reconnaissait aisément. Il y eut le soir un feu d’artifice devant l’appartement de Mesdames.
Le 15, l’infanterie et la cavalerie bourgeoises défilèrent sous les fenêtres de l’appartement de Mesdames, qui furent très satisfaites de leur belle tenue. Un char à la Chinoise fixa, pour quelque temps, leur attention. Le cocher, vêtu comme on représente les Chinois, avait la figure la plus grotesque.
Le 16, Mesdames dînèrent dans un très beau pavillon à l’Italienne, au-dessous duquel était une magnifique cascade. Les musiciens ordinaires du Roi y exécutèrent une pastorale, qui fut généralement goûtée.Vers la fin du repas, on annonça qu’un vaisseau paraissait sur le Canal qui était en face de la cascade, et qu’il portait pavillon hollandais. Mesdames se levèrent précipitamment et vinrent sur le balcon.
Ce vaisseau s’avançait lentement, on entendait un bruit confus d’instruments. On voyait beaucoup de monde, sans pouvoir distinguer la forme des habillements. Il aborda enfin au pied de la cascade, treize matelots, dont l’un était le chef, et douze matelotes, en sortirent deux-à-deux, et marchèrent en cadence. Chaque matelot avait une rame sur l’épaule. Cette troupe monta la double rampe dans le meilleur ordre, se forma aussitôt, et commença un ballet hollandais. Les figures, dessinées avec goût, furent exécutées avec la plus grande précision.
Le 18, la troupe de bergères d’Einville, qui avaient présenté la veille un agneau à Mesdames, arrivèrent dans un char de verdure. La messe fut précédée de la cérémonie du baptême du fils de M. de Clermont-Tonnerre, Gentilhomme de la Chambre du Roi, âgé d’environ trois ans. Le Roi de Pologne et Madame furent parrain et marraine. M. de Choiseul, Archevêque de Besançon, Primat de Lorraine et Grand-Aumônier du Roi, fit la cérémonie, à laquelle assista toute la Cour. A cinq heures, on se rendit dans la salle du bal. Mesdames l’ouvrirent par une contre-danse, il finit à huit heures.
Le 19, à l’issue de la messe, Mesdames montèrent en voiture pour aller dîner à Chanteheux, pavillon d’une forme élégante, à une demi-lieue de Lunéville, servant de perspective au château, d’un goût, d’une magnificence et d’une architecture dignes de l’attention des curieux. L’intérieur répondait parfaitement à l’extérieur. Tout y était recherché, mais avec une aisance qui ne faisait pas trop sentir la supériorité de l’art. L’escalier était d’une hardiesse étonnante, c’était un chef-d’œuvre en ce genre. La milice bourgeoise, tant cavalerie qu’infanterie, forma une haie le long de l’avenue.
Une troupe de jeunes filles du village de Chanteheux, habillées en bergères, vinrent, en chantant, à la rencontre de Mesdames. La plus élégante leur présenta un agneau orné de rubans. Après le dîner, toute la Cour revint au Château. Ensuite elle se rendit à la comédie. L’illumination précédente avait frappé Mesdames. Elles témoignèrent le desir d’en voir une seconde, ce qui fut exécuté à leur grande satisfaction.
Le 21, comme le Roi de Pologne était dans l’usage de se priver de musique le vendredi, Mesdames ne voulurent point qu’on intervertît pour elles l’ordre ordinaire. Ainsi, il n’y eut pas de fête ce jour-là. Pendant le souper, une Dame allemande pinça supérieurement de la harpe en s’accompagnant de la voix. Dans les intervalles où elle se reposait, une symphonie allemande se faisait entendre sous les fenêtres de la salle à manger, et continua sous celles de l’appartement de Mesdames.
Le 22, Mesdames dînèrent à la Chinoise. On fit jouer toutes les eaux, tant de la grotte que des fontaines du Salon. Les eaux qui jaillissaient dans les Bosquets, y étaient amenées par une double file de tuyaux, depuis l’étang de la Fourasse, sur une longueur d’environ 1750 toises de France. Cette file est détruite.
Le surtout, qui faisait l’ornement de la table, était un morceau très curieux. Les eaux jaillissaient de toutes parts et prenaient différentes formes, sans s’écarter de la direction qu’on leur donnait. Stanislas, qui avait imaginé ces sortes de surtouts, en avait dans toutes ses maisons de plaisance.
La table était aussi une pièce très curieuse. Dès qu’on avait desservi, il sortait de dessous terre, une autre table, sur laquelle on voyait des paysages, des maisons, des arbres, des bestiaux, des parterres garnis de fleurs naturelles, des rivières. Enfin tout ce qu’on peut rassembler de plus frappant pour former un paysage agréable. Le tout était en porcelaine assortie au surtout qui ne variait point.
Il y avait, dans ce salon, deux fontaines qui en faisaient l’ornement. Plusieurs oiseaux de grandeur naturelle, des conques marines, des cancres, et d’autres figures jetaient de l’eau dans différentes directions. Des bergers, placés au bord, sur des rocailles, jouaient de la flûte. Tous les animaux, ainsi que les coquilles, étaient dorés, et l’ensemble faisait un très beau coup d’œil.
Ce Salon était toujours extrêmement frais, parce que, outre les eaux, tant du surtout que des fontaines, il y avait, au lieu de vitres, un tissu de canne, qui permettait à l’air de circuler. Vis-à-vis de la porte, sous une espèce de vestibule, on voyait une fort belle grotte de rocaille, faite en cascade, où toutes sortes de figures jetaient de l’eau dans les différents bassins, ce qui faisait une très belle perspective.
Le Roi, qui joignait beaucoup de galanterie à tout ce qu’il faisait, voulut ménager à Mesdames le plaisir de la surprise. Il les avait bien prévenues qu’on souperait à Chanteheux, mais il ne leur avait pas parlé de l’illumination qui eut lieu, et qui fut la plus belle et la mieux entendue qu’on eût encore vue. L’idée qu’on pourrait en donner, serait toujours fort au-dessous de la réalité.
Qu’on se figure un espace d’une demi-lieue, (depuis la grille du Champ-de-Mars jusqu’à Chanteheux) dont une partie était occupée par des jardins , des bosquets, des jets-d’eau, des statues , des vases, etc. et l’autre partie, par une avenue d’arbres, au milieu de laquelle régnait, dans toute la longueur , une charmille taillée à hauteur d’appui, avec des boules également espacées, aboutissant à un gros pavillon carré, ayant une double galerie en dehors, des portiques soutenus par des colonnes avec des bas-reliefs.
La grande allée de marronniers, qui conduit à la grille des Bosquets, était éclairée par des lustres faits exprès, placés à chaque deuxième arbre. Le bassin qui était à l’extrémité, orné des quatre saisons couchées sur des piédestaux, était garni avec beaucoup d’ordre. Les corniches, les panneaux et les soubassements de ces piédestaux, étaient merveilleusement exprimés, de même que ceux des vases et des statues qui ornaient ce vaste jardin, dont le nombre était considérable.
Enfin, rien n’était oublié pour rendre cette fête la plus belle et la plus galante qu’on pût imaginer. L’Intérieur du Salon, qui était d’une magnificence inexprimable, était éclairé avec tant de soin, qu’on s’imaginait être dans le palais de la Fée Lumineuse. L’infanterie bourgeoise formait une haie, et la cavalerie accompagna Mesdames d’une grille à l’autre. Il y avait, près de Chanteheux, un camp qui présentait une seconde illumination. Des feux de toutes parts dans la campagne, plusieurs maisons de riches particuliers illuminées, les clochers des environs paraissant tout en feu. Chacun tâchait d’exprimer de son mieux son zèle et son amour pour le bon Stanislas et ses illustres petites-filles.Le 23 après-midi, il y eut un Te Deum en musique, dans l’Église Paroissiale, pour l’heureux rétablissement de Madame. Le Roi y assista avec toute sa Cour. Mesdames voulurent y aller à pied, par bonté pour le peuple, qui témoignait le plus grand empressement de les voir. La milice bourgeoise formait une haie jusqu’à l’église. Les acclamations furent continuelles. Mesdames revinrent à pied au Château.
Le premier valet-de-chambre du Roi, qui s’était déjà distingué par les soins qu’il s’était donnés pour former la troupe de matelots et par le char à la Chinoise, se distingua encore dans cette occasion. Il avait rassemblé une douzaine de jeunes Allemands et Allemandes, qu’il avait fait habiller très galamment. Ils entrèrent dans la salle du bal, précédés d’une musique allemande. Ils exécutèrent plusieurs danses de leur pays, au grand contentement de Mesdames, qui ouvrirent le bal et dansèrent quelques contre-danses.
Le 24, le Roi, Mesdames et toute la Cour montèrent en carrosse, pour aller dîner à Jolivet, jolie petite maison de plaisance du Roi de Pologne, à un quart de lieue de Lunéville, où l’on jouit d’une très belle vue. Mesdames, qui, la veille, avaient pris beaucoup de plaisir à voir danser les Allemands, furent enchantées de les retrouver à Jolivet. Ils varièrent extrêmement leurs danses. On continua le bal jusqu’à sept heures et demie.
Le Roi ne retint Mesdames si tard, que parce qu’il avait l’intention de faire illuminer le Château à l’occasion de la fête du Roi de France. Mais un orage qui survint, fit remettre la partie au surlendemain.
L’infanterie et la cavalerie bourgeoises formaient une haie sur l’avenue de Jolivet. Le Roi de Pologne ayant annoncé, la veille, son intention pour la célébration de la fête de St Louis, tout se trouva dans l’ordre qu’il desirait, pour honorer avec magnificence la mémoire de ce Saint Roi. On se rendit, sur les onze heures, à la chapelle du Château. L’archevêque de Besançon officia. Il y eut une messe en musique, chantée à grand chœur. La présence de Mesdames, filles de St Louis, rendit la cérémonie plus auguste et plus touchante.
Le même jour, les gardes-du-corps du Roi de Pologne passèrent en revue sous les fenêtres de l’appartement de Mesdames, qui furent frappées de la beauté de cette troupe. Elles en firent leur compliment au Roi. Les cadets-gentilshommes eurent le même honneur. Ils montrèrent leur adresse et leur habileté dans le maniement des armes et dans les différentes évolutions qu’ils exécutèrent. A sept heures, on illumina le Château. Mesdames ne se lassaient pas d’admirer l’illumination, et pour voir plus à leur aise, elles descendirent de voiture, se promenèrent d’une grille à l’autre, en disant : « Il n’est pas possible de voir une illumination plus belle ni mieux entendue ».
Le Roi de Pologne s’était fait porter dans la partie la plus éloignée de la place. Mesdames accompagnées de toute la Cour, s’y rendirent, on considéra longtemps l’ensemble de cette illumination. On entendait, au milieu du bruit des instruments, des acclamations continuelles de « Vive notre bon Roi ! vive le Roi de France ! Vivent Mesdames ! ». Le 26, après le dîner, Madame la Comtesse Humieska, arrivée la veille à Lunéville, donna à Mesdames le plaisir de voir danser plusieurs danses cosaques à un nain polonais, Joseph Boristawsky. La table sur laquelle on avait mangé, lui servit de salle de danse.La bourgeoisie avait pris les armes pour le départ de Mesdames, qui assistèrent au salut dans l’église des Carmes. Après quoi, le Roi, Mesdames et toute la cour prirent la route de la Malgrange, sous l’escorte de la cavalerie jusqu’à Dombasle. Une partie des Grenadiers avait pris les devants et formait une haie sur le pont.
Mesdames de France revinrent en 1762 à Lunéville, où on les revit avec les mêmes transports. Stanislas préparait de nouveaux plaisirs à ses petites-filles, qui continuaient de prendre les eaux de Plombières, d’où elles arrivèrent à Lunéville le 10 juillet.
On avait battu la générale vers midi. Près de 400 bourgeois en uniforme gris, relevé de rouge, avec une très belle compagnie de Grenadiers à leur tête, et environ 30 jeunes gens avec le même uniforme, prirent les armes.
Une troupe de 50 jeunes gens des meilleures familles, les prirent aussi. Cette troupe, en uniforme bleu de roi, revers rouges, boutons et boutonnières d’argent, et un galon sur le collet, guêtres et cocarde blanches, avaient fait broder sur leurs fourniments couverts de maroquin rouge, les chiffres de Mesdames. La bandoulière était blanche, bordée de rouge. Les officiers avaient un plumet blanc.
Cette troupe levée et disciplinée par les soins de M. de Froidefontaine, ancien capitaine, exempt des Cent Suisses de la garde ordinaire du Roi de France, avait un drapeau blanc, parsemé de fleurs de lys d’or, orné au centre et aux angles des chiffres de Mesdames. M. de Froidefontaine avait été présenté au Roi de Pologne, quelques jours auparavant avec trois officiers de sa troupe. Le Roi applaudit beaucoup à son zèle.
Le jour de l’arrivée de Mesdames, cette compagnie se rendit sur la petite place de la Cour, où le Marquis de Choiseul la passa en revue. Le Cardinal de Choiseul, plusieurs seigneurs et Dames de la Cour la virent maneuvrer avec plaisir. Environ 80 hommes en uniforme semblable à celui des Chevaux-Légers, timbales et trompettes à leur tête, allèrent au-devant de Mesdames. Le Roi partit à quatre heures, accompagné de toute sa Cour, et alla jusqu’à Gerbéviller à la rencontre des Princesses.
Dès les cinq heures, tout était disposé à Lunéville pour recevoir Mesdames. La Bourgeoisie enrégimentée formait une haie, depuis l’entrée du faubourg de Viller, jusqu’à la première grille. Les compagnies de sous-officiers invalides, faisant le service de garde à pied, étaient postées dans l’avant-cour du château, et formaient une haie d’une grille à l’autre.
Les cadets-gentilshommes du Roi de Pologne, ayant à leur tête le Marquis de Baye, maréchal de camp et leur commandant, étaient rangés en bataille entre la première grille et le grand escalier. Les cadets-volontaires de la ville étaient dans le même ordre, du côté opposé. Les chevaux-légers de la ville étaient allés à une lieue au-devant des Princesses, toute la troupe des Gardes du Roi les attendait à une demi-lieue. Le Roi précédait Mesdames de quelques instants.
Toutes les cloches donnèrent au peuple le signal de l’arrivée des Princesses ; on entendit une rumeur générale qui annonçait le plaisir dont on allait jouir. Mesdames étaient précédées de toute la cavalerie, au bruit des timbales et des trompettes. L’hôtel-de-ville était illuminé avec art. La noblesse du pays vint en foule rendre ses hommages aux Princesses. Les cadets-gentilshommes avaient établi, comme l’année précédente, une garde de douze hommes avec deux officiers sous le perron de l’appartement de Mesdames. La double rampe de ce perron et l’appui de la terrasse étaient garnis de cloches de verre renversées, dans lesquelles on avait mis des bougies, ce qui produisait une grande clarté, et faisait un effet très agréable.
Le 11, les Princesses assistèrent à une messe en musique. Le cardinal de Choiseul, grand aumônier du Roi, présenta l’eau-bénite à Mesdames, et leur donna l’évangile et la patène à baiser. Lunéville affluait d’étrangers que la curiosité y attirait de toutes parts.
A l’issue du dîner, les Princesses passèrent dans le grand cabinet, suivies de toute la cour, qui était très brillante et très nombreuse. Une enfant de 9 ans, fille de M. Chedville, chirurgien, mérita l’attention de Mesdames par la légèreté et la délicatesse avec lesquelles elle toucha du timpanon. Sur les 7 heures, les Princesses allèrent prendre le frais sur le perron avec le Roi et une partie de la Cour, jusqu’à l’heure du souper. Un magnifique feu d’artifice le fit un peu accélerer.
La décoration de ce feu, placé sur la terrasse, en face du péristyle, présentait une perspective fort agréable. Mesdames l’avaient vue avec plaisir pendant la journée. L’auteur de ce feu, M. Chevalier, Garde du Roi de Pologne, déjà connu par celui qu’il avait donné l’année précédente, attendait, avec une impatience mêlée de crainte, qu’on donnât le signal. Les timbales et les trompettes annoncèrent enfin l’arrivée des Princesses, plusieurs boîtes y répondirent. Une multitude de fusées, qui partirent en même temps, semblèrent avoir embrasé toute l’atmosphère. Les serpenteaux, les tourbillons se croisant, faisaient un feu terrible. Les cascades et les pyramides produisaient un effet admirable.
Quelques personnes employées au service de cet artifice, peu accoutumées à se trouver au milieu des flammes et de la fumée, en furent étourdies, et n’écoutèrent plus le commandement, ce qui fit qu’il y eut un peu de confusion à la gauche, et que quelques pièces furent allumées trop tôt, et d’autres oubliées. Mais cette petite lacune n’empêcha pas qu’on n’admirât beaucoup l’ensemble de l’illumination.
La terrasse contenait au moins 15 000 personnes. Mesdames rentrèrent dans leur appartement.
A une heure après minuit, les sentinelles aperçurent du feu au pavillon nommé le Kiosque. Elles crièrent, la garde s’y transporta, mais le feu ayant déjà percé la seconde coupe du toit, fit tant de progrès, qu’en un instant toutes les coupes furent embrasées, malgré les secours les plus prompts. C’était à une heure où tout le monde était plongé dans le plus profond sommeil.
La rapidité et les progrès de l’incendie sont aisés à imaginer. Un bâtiment construit en bois, peint en dedans et en dehors, devait s’embraser à l’instant. La toiture venait d’être renouvelée et peinte à l’huile, aussi semblait-elle être garnie d’artifices. L’architecte voyant que tous ses efforts seraient vains, et qu’il lui serait impossible de sauver ce bâtiment, tourna toute sa sollicitude sur les maisons de la ville, auxquelles une galerie, faisant corps avec ce pavillon, était adossée. Il fit couper, le plus promptement possible, cette communication. Mais, malgré toute sa diligence, il ne put empêcher le feu de gagner trois maisons voisines.
L’architecte s’était porté sur les toits pour être plus à portée de diriger les secours, suivant les circonstances. Il n’avait pas pris garde que le toit sur lequel il se trouvait, venant à s’embraser, ne lui laisserait plus la possibilité de se retirer, parce qu’il était adossé à un bâtiment dont les murs faisaient un angle qui excédait ce toit de plus de 10 pieds. Il se trouva réellement en danger. Cependant, malgré le péril où il était lui-même, il sauva la vie à un malheureux ouvrier, à qui le toit venait de manquer sous les pieds, et qui se tenait suspendu par sa hache au milieu des flammes qui l’eussent bientôt dévoré.
A force de secours, on vint à bout de ralentir l’activité du feu, qui n’avait pas à beaucoup près, autant de prise sur les maisons que sur ce pavillon, et environ à 6 heures, tout danger était passé.
L’appartement de Madame Victoire donnait sur la partie des Bosquets qui environnait ce pavillon, elle entendit quelque bruit, demanda ce que c’était, et sur la réponse qu’on lui fit, que le feu avait pris au Kiosque, elle alla sur le perron de son appartement, où elle vit ce spectacle effrayant, elle en fut frappée, et témoigna la plus vive inquiétude. Mais les assurances qu’on lui donna que ce bâtiment était isolé, la tranquillisèrent.
Une foule de monde accourut pour donner du secours. Tous les habitants des villages voisins, qui aperçurent le feu, s’y rendirent à toutes jambes. Ils croyaient que le château était en feu, ils se portèrent avec empressement partout où le danger était pressant. L’intention du Roi était de donner une fête dans l’enceinte qui renfermait ce pavillon, les dispositions étaient déjà faites. L’année précédente, il y en avait déjà donné une des plus galantes, mais celle-ci aurait été beaucoup plus magnifique.
La sage précaution qu’avait prise M. de Sobry, capitaine-commandant des sous-officiers invalides faisant le service de gardes-à-pied, de ne faire battre la générale que fort loin du château, et de mettre des sentinelles tout autour, afin d’éloigner le bruit, épargna au Roi et à Madame Adélaïde l’effroi et la considération du danger, que l’imagination est toujours portée à grossir.
Les Valets-de-chambre du Roi ne voulurent pas être les premiers à annoncer cette mauvaise nouvelle à leur Maître. Ce soin fut réservé à M. Alliot, qui entra dans l’appartement du Roi. Stanislas parla beaucoup de la fête de la veille, et en témoigna son contentement.
Oui, Sire dit M. Alliot, elle était belle, mais elle aurait été encore plus agréable, sans le petit accident qui est arrivé cette nuit. — Eh quoi donc ? demanda le Roi avec vivacité. Sire, votre Kiosque est réduit en cendres. Après un moment de silence : Eh bien ! Les maisons voisines n’ont-elles pas souffert ? demanda le Roi avec cette tendre sollicitude qu’un père peut avoir pour ses enfants. M. Alliot ayant répondu qu’il y en avait eu trois un peu endommagées. Ah ! Tant pis, dit le Roi, qu’on répare promptement tout le mal.
Mesdames, qui savaient que ce pavillon faisait les délices du Roi, tant par sa situation et sa grande fraîcheur, que parce que c’était le premier ouvrage qu’il avait fait en Lorraine, étaient dans la plus grande inquiétude. Ces Princesses entrent dans l’appartement de leur grand-papa, et lui prodiguent les plus tendres caresses, en lui disant quelles prenaient toute la part possible à l’accident qui venait d’arriver.
Le Roi, qui avait regardé ce fâcheux événement d’un œil philosophique, ne s’en occupait déjà plus ; il crut que c’était tout autre chose, et pressa Mesdames de s’expliquer. Mais lorsqu’il fut éclairci du fait : Ah ! Mes chères Enfants, leur dit-il, combien les tendres sentiments que vous me témoignez, me touchent, et combien j’y suis sensible ! Mais tranquillisez-vous sur mon compte. Le plus grand déplaisir que j’aie ressenti de cet événement, ç’a été de ne pouvoir vous donner la fête que j’y faisais préparer. Que cela fût arrivé après, peu m’importait.
Plusieurs dames de la Cour entrèrent dans l’appartement du Roi. Stanislas, sans leur donner le temps de parler, leur dit : « Vous venez me féliciter, Mesdames, sur l’événement de cette nuit ? Vous me faites réellement plaisir ; je remercie le Seigneur de ce que les progrès de ce feu n’ont pas été plus considérables, et d’en être quitte à si bon marché ».
Il y a eu différentes opinions sur la cause de cet incendie. Mais quelle qu’elle soit, on fît une telle diligence pour rétablir ce Kiosque, qu’au bout de deux mois, le nouveau fut achevé.
Le 12, le Roi avait résolu de donner à dîner aux Princesses à Chanteheux. Mais sur la simple observation qu’on fit au Roi, que toute sa maison avait été sur pied toute la nuit, l’ordre fut révoqué.
Le 13, à l’issue de la messe, le Roi, Mesdames et toute la Cour allèrent dîner à Chanteheux, édifice dont on peut dire qu’il a le mérite rare de ne ressembler à rien de ce qui s’est fait en ce genre.
Le 14, toute la Cour se rendit à Einville, où elle resta jusqu’à cinq heures du soir. Vers 7 heures, Mesdames, accompagnées de toute la Cour, voulurent revoir le Rocher. Elles parurent y prendre autant de plaisir que la première fois. Ce tableau mouvant avait toujours le mérite d’intéresser. La nature y était trop bien imitée, pour qu’on ne se prêtât pas à l’illusion. Une foule étonnante s’était portée sur les pas des Princesses.
Le 15, le Roi, Mesdames et une partie de la Cour allèrent dîner à Jolivet, et revinrent vers 5 heures du soir. Pendant le souper, les musiciens ordinaires du Roi exécutèrent l’opéra de Zaïde.
Le 17, après la messe, Mesdames se rendirent à la cascade, accompagnées de toute la cour. Le Roi les y avait précédées. L’intérieur de cet édifice est un beau salon à l’Italienne, orné de peintures à fresque. Le bruit des eaux de cette cascade, la fraîcheur qu’elles procurent, la beauté et la variété des points de vue qu’offrent les quatre façades, et une excellente musique, faisaient sur l’âme l’impression la plus vive. La cour était très nombreuse, des tables furent dressées sous une tente voisine de la cascade.
Mesdames, de retour au château, entendirent un concerto à deux clavecins, exécuté par Mlle Boyard l’aînée, qui fût accompagnée par le Sr. Climeratte, maître de clavecin. Ces Princesses l’entendirent avec plaisir, témoignèrent leur satisfaction à cette Demoiselle, dont tout le monde loua la grâce, la précision et la légèreté. Sur les cinq heures, le Roi, Mesdames et toute la cour se rendirent dans la grande salle, où tout était disposé pour le bal, qui finit sur les 8 heures.
Une demi-heure après, toute la cour se rendit à la chapelle, où le cardinal de Choiseul baptisa le fils du marquis de Boësse, maréchal des camps et armées du Roi de France, gentilhomme de la chambre du Roi de Pologne, qui nomma cet enfant avec Madame Adélaïde. On lui donna les noms de Stanislas-Adélaïde. Les musiciens ordinaires du Roi exécutèrent, pendant le souper, tous les airs de l’opéra comique : On ne s’avise jamais de tout.
Le 18, le même opéra ayant été redemandé par Mesdames, fut encore exécuté pendant la dîner, avec le même succès.
Le 19, Mesdames partirent pour Nancy, d’où elles revinrent le 20.
Le 21, Mesdames allèrent voir le rocher pour la 3e fois. On exécuta, pendant le souper, les morceaux chantants de l’opéra comique la Servante maîtresse.
Le 22, le petit opéra comique le Maréchal ferrant, fut exécuté pendant le dîner, les Princesses desirèrent qu’on le donnât encore à souper, et l’entendirent avec plaisir.
Vers 7 heures, les cadets volontaires de Lunéville passèrent en revue sous les fenêtres de l’appartement de Mesdames, et firent plusieurs évolutions militaires, après lesquelles le capitaine de cette troupe eut l’honneur de réciter aux Princesses ces quatre vers :
On succombe aisément sous le fardeau des armes,
Si l’amour pour son Roi n’y fait trouver des charmes.
Mais, Princesses, ce poids, qu’il a d’attraits pour nous,
Quand nos bras sont armés pour leur Prince et pour vous !
Mesdames témoignèrent leur satisfaction à ces jeunes gens. Le dessert parut amuser Mesdames. On avait représenté le château de Chanteheux, avec les jardins qui l’entourent, illuminés comme l’année précédente, excepté qu’ils l’étaient en petit sur ses quatre façades. Plusieurs troupes rangées en haie y étaient très bien exprimées. Tous les jours, la décoration des desserts a été variée, et l’on a exactement rendu toutes les fêtes qu’on donna dans ce temps-là aux Princesses.
Le 23, sur les 2 heures, le Roi envoya chercher son architecte, et lui dit que Mesdames voulant souper à la Cascade, il fallait qu’elle fût illuminée pour cette heure-là. Un si petit espace de temps n’était pas suffisant pour illuminer ce bâtiment. Aussi l’architecte ne regarda-t-il cela que comme un essai, et il ne songea qu’à exprimer le plan de la Cascade.
Le 24, on exécuta, pendant le dîner, le petit opéra comique le Devin du village. Les Princesses desirèrent qu’on le répétât pendant le souper, et l’entendirent encore arec plaisir.
Le 25, pendant le dîner, les musiciens exécutèrent plusieurs airs italiens, et des ariettes tirées du Peintre amoureux de son modèle. M. Leroi, curé de la Paroisse, était venu, la veille, inviter Mesdames à honorer son église de leur présence, attendu que c’en était la fête. Ces Princesses eurent la bonté de le lui promettre, et de s’y rendre à pied sur les 5 heures. La milice bourgeoise bordait les rues, ayant à leur tête les grenadiers et les cadets-volontaires de la ville.
Le Roi avait précédé Mesdames, qui étaient allées et revenues à pied, pour satisfaire l’empressement du peuple. Elles eurent la satisfaction de voir l’impression que faisait leur présence, d’entendre les propos flatteurs dont elles étaient l’objet, et les regrets que leur départ allait causer.
Pour faire sa cour à Stanislas, qui était enchanté de procurer à ses chères petites filles quelque chose qu’elles n’eussent pas vu à Versailles, François Guillot, figuriste en cire, né à Nancy, représenta en cire, façon de porcelaine, la compagnie de cadets, composée de jeunes écoliers de Lunéville, avec uniforme bleu de ciel, galonné en argent. Il la plaça sur un bastion en forme de plateau, qu’il exposa sur la cheminée du salon du Château de Lunéville. Les glaces multipliées, répétant cette petite compagnie en divers endroits du salon, lui donnaient l’apparence d’une petite armée.
Le même artiste fit aussi en cire les portraits des Demoiselles de Lunéville, habillées en Nymphes, avec Diane à leur tête, sur le char dans lequel elles étaient allées au-devant des Princesses.
Sur les 6 heures, tout étant disposé, Mesdames, après les adieux les plus tendres, et les promesses réitérées du Roi, de les aller voir à Plombières, partirent et laissèrent tout le monde dans la plus grande consternation. Les chevaux-légers de la ville les accompagnèrent pendant plus d’une lieue.