L’histoire d’une hottée de pommes ou le début d’une guerre
D’après le « Dictionnaire du département de la Moselle » de Claude Philippe de Viville – 1817
et « Histoire de Metz » de Jean François – 1775
La commune de Le Ban-Saint-Martin (Moselle) doit son nom à une abbaye célèbre de Bénédictins. On ignore l’époque de sa fondation, mais il est certain qu’elle existait au VIIe siècle, puisqu’en 613 elle fut visitée par Saint Romaric. Elle s’appelait alors « Saint-Martin-aux-Champs », parce qu’elle était située sur le penchant de la côte de Saint-Quentin.
Elle fut restaurée et enrichie par Saint Sigisbert, dixième Roi d’Austrasie, qui fut inhumé dans l’église de cette abbaye en 656. En 841, Lothaire, fils de Louis-le-Débonnaire, visita cette abbaye à laquelle il se fît agréger et dont l’abbé lui copia les livres des Evangiles.
En 1009, lorsque l’Empereur Henri II vint assiéger Metz, l’abbaye de Saint Martin fut détruite par les Esclavons qui, pendant six ans, portèrent le fer et la flamme dans le Pays-Messin. L’Empereur voulant réparer ses torts, donna une grosse somme d’argent aux religieux pour rétablir leur monastère. Alors ils se rapprochèrent de la ville, et vinrent habiter le faubourg, au bas de la montagne, d’où le nom de « Saint-Martin au fauxbourg » à compter de cette date.
L’Eglise ne fut achevée qu’en 1063. Cette Basilique devint la plus riche et la plus magnifique de toute la chrétienneté et ils y transférèrent les reliques de saint Sigisbert, Roi d’Austrasie, leur fondateur.
L’Abbé Richer, qui écrivait vers le milieu du XIIe siècle, dit, dans la description en vers qu’il en a faite, « qu’elle n’étoit éloignée de la ville que d’environ cinq cens cinquante pas, qu’elle en avoit cen soixante de longueur, soixante pieds de largeur, et cinquante quatre de hauteur sous voûte ; qu’elle étoit soutenue de six vingt colonnes, qu’il y avoit huit portes et soixante-dix fenêtres ; que le dehors étoit orné de plusieurs tours , et l’intérieur de quantité de couronnes d’or et de tables d’ivoire ».
Il ajoute que ni Rome, ni Jérusalem, ni Antioche, ni Constantinople n’avoient rien dans ce genre, ni de si beau, ni de si brillant.
Cependant, cette abbaye et le bourg de Saint Martin, quoiqu’à 550 pas du pont des Morts, étaient sous la puissance des ducs de Lorraine qui donnaient l’investiture à l’abbé, sans qu’il eut besoin de demander des bulles au Pape.
En 1427, Nicolas Chaillot promu à cette abbaye par les religieux, sollicita des bulles. Cette démarche offensa le duc et causât dans l’abbaye des discussions, dont Perrin d’Haussonville profita pour chercher à supplanter Chaillot. Celui-ci se retira dans une maison qu’il possédait à Metz où il vivait dans la retraite.
Mais son repos fut bientôt troublé à l’occasion d’une hottée de pommes qu’il fit apporter à Metz des jardins de l’abbaye. Les gens du duc Charles II voulurent percevoir les droits sur ces fruits, en raison de leur sortie des États de Lorraine pour entrer dans Metz. Les Messins défendirent à l’abbaye de les payer.
Les esprits s’aigrirent peu-à-peu, on commença par prendre du bétail de part et d’autre, on fit des prisonniers. Enfin, on en vint à une guerre ouverte. Les premiers actes d’hostilités exercés par les Lorrains, furent faits dans le village de Corny, ceux de Metz usèrent de représailles sur celui de Belrain.
Le Duc voyant que l’affaire devenait sérieuse, envoya défier les Messins par Didier de Chaufourt, et voulut que toute sa Noblesse adhérât à ce défi.
Les Messins de leur côté, appelèrent à leur secours un gentilhomme nommé Arest, qui ne cherchait que l’occasion de se vanger de certaines injures qu’il disait lui avoir été faites par ce Prince. Pour l’engager plus fortement dans leur parti, ils lui cédèrent la moitié de la forteresse de Verry. Ils attaquèrent d’abord le monastère et le faubourg de Saint Martin, où ils ne laissèrent que les deux Églises de l’Abbaye et de la paroisse.
Charles II, dans le dessein d’affamer la ville de Metz, fit fermer toutes les avenues de ses États du côté de cette ville, et défendit qu’on y portât aucuns vivres. Il essaya d’en faire faire autant à la Duchesse de Luxembourg, mais cette princesse ne voulut point entrer dans cette querelle.
Au mois de juin 1429, le Duc envoya environ 1 500 chevaux et 5 000 hommes de pied, pour faire le dégât dans la plaine de Metz. Ils y abattirent le gibet auquel il y avait 32 hommes attachés. Ils fauchèrent plusieurs champs de blé, et retournèrent en Lorraine.
Comme les Messins ne se pressaient point de se mettre en campagne, et refusaient constamment de payer les droits que le Duc exigeait pour la hottée de pommes, ce prince engagea dans sa cause le Duc de Bar son gendre, qui envoya le 10 juillet son héraut-d’armes défier les seigneurs et bourgeois de Metz.
Le même jour, le Duc de Bavière, le Marquis de Bade, gendre du Duc Charles, et l’Archevêque de Cologne, envoyèrent faire le même défi à Metz, et dès le lendemain, tous marchèrent vers cette ville avec une armée de 10 000 chevaux et de 20 000 hommes de pied.
Le premier jour, le 11 juillet, ils s’emparèrent de la forteresse de Goin. Ils fauchèrent les grains de Goin, de Pagney et de Vigney, dont ils attaquèrent sans succès le château. Le lendemain, ils prirent celui de Crepy, et allèrent de là brûler la haute et la baffe Bevoy, et le village de Peltre.
Le 13, ils mirent le feu au village de Magny, coupèrent les vignes, fauchèrent les blés de plus de mille journaux de terres, dans les finages de Peltre, Crepy et Magny. Le 14, ils en firent autant à Malroy. Le même jour, le Seigneur de Rodemach et de Boulay, à qui le Duc Charles avait donné, à ce que l’on prétendait, trois mille francs pour l’engager dans son parti, vint aussi défier les bourgeois de Metz.
Le 15, toute l’armée s’avança vers cette ville du côté de sainte Barbe. Elle mit le feu dans les villages où elle avait logé, et vint camper si près de Metz, qu’on pouvait compter leurs tentes de dessus le clocher de la Cathédrale.
Ce jour là, l’Evêque Conrad Bayer de Boppart vint de Vic à Metz, et offrit aux bourgeois sa médiation pour un accommodement avec le Duc de Lorraine. Les Magistrats le remercièrent, et lui dirent, que tant que le Duc et ses gens continueraient d’en user de la sorte, ils ne pourraient faire aucun traité avec lui.
Le 16, les Lorrains se rendirent de grand matin au haut de Châtillon. Ils y dressèrent le 18, deux grosses bombardes qui tirèrent contre Metz, sans y causer de dommages considérables.
Les Messins, de leur côté, dressèrent contre l’armée ennemie, une batterie de deux bombardes, qui tuèrent du monde. Ils s’effrayèrent si peu de voir cette armée aux environs de leurs murs, qu’ils ne renforcèrent que très faiblement les gardes, et n’en fermèrent leurs portes ni plutôt ni plus tard.
On vit, comme auparavant, les gens de la campagne apporter des vivres dans la ville, et les pillards de la garnison courir la campagne, et faire des prises sur l’ennemi.
Le 20, le Duc de Bar René d’Anjou, se retira dans son pays avec ses troupes. Alors les Messins pour se venger des Seigneurs de Rodemach et de Moërs, alliés du Duc de Lorraine, et qui lui avaient amené des troupes devant Metz, marchèrent contre eux, se rendirent maîtres de ces deux villes, et les brûlèrent.
Durant la même guerre, les Lorrains vinrent un jour au nombre de 10 000 hommes dans la plaine de Metz, et y firent de grands dégâts. Les Messins envoyèrent contre eux 400 chevaux qui les suivirent dans leur retraite, et les atteignirent près de Pont-à-Mousson. Les Lorrains les repoussèrent jusqu’au clos de saint Symphorien. Là, les Messins, sûrs de leur retraite, mirent pied à terre, se défendirent, et leur prirent 70 soldats avec leurs Capitaines, Messire Verry de Tournay, et le Prévôt de Châtenoi, qui tous furent amenés prisonniers à Metz, où ils y demeurèrent plusieurs mois.
Cependant, à force de sollicitations et de prières, l’Evêque de Metz et le Comte de Salm, firent conclure entre le Duc Charles et les Messins, une trêve qui devoir durer depuis la veille de la Conception 7 Décembre 1429, jusqu’au lendemain de Noël de la même année.
Le Prélat et le Comte profitèrent de ce moment de calme, pour chercher des moyens d’accommodement entre les parties, et se rendirent l’un et l’autre à Metz, le lendemain de la Fête de saint Thomas de Cantorbery 30 décembre, pour y annoncer que le Duc de Lorraine avait nommé des commissaires avec plein pouvoir de finir toutes les difficultés. Ces députés étaient les Comtes de Salm, de Blamont, de Richecourt et d’Apremont. Ils s’assemblèrent le jour même, dans l’Abbaye de saint Arnoul hors des murs de la ville, et arrêtèrent qu’on relâcherait les prisonniers de part et d’autre, et que chacun demeurerait comme il était avant la guerre.
Le Comte de Salm publia cette paix le premier jour de l’an 1430, dans la chapelle de Notre-Dame de la Ronde, mais Charles ne voulut ni recevoir les prisonniers qui lui furent envoyés de Metz, ni relâcher ceux qui étaient en sa puissance.
Dans l’intervalle, Conrad de Boppart était allé à Rome avec son neveu Jacques de Sierck, pour faire valoir son élection à l’Archevêché de Trêves. Il fut fort surpis à son retour à Metz, sur la fin de juillet 1430, d’apprendre que le Duc ne voulait tenir aucune des conditions de la paix. Il se donna, de même que le Comte de Salm, tous les mouvements possibles pour obtenir l’élargissement des prisonniers, mais le Duc exigea des conditions trop dures, et ils demeurèrent à Nancy et dans les autres lieux où ils étaient gardés, jusqu’au 25 janvier 1431, jour de la mort du Duc Charles. Alors, la Duchesse Marguerite son épouse, à qui l’autorité était dévolue, les fit mettre tous en liberté.
Les Messins démolirent quand même la Basilique de Ban-Saint-Martin, et ils en employèrent les démolitions à construire la digue de Wadrineau qui n’était alors qu’un bâtardeau.
Implacable dans son ressentiment, la ville de Metz défendit, à ses habitants, de bâtir ou de réédifier aucune maison dans le faubourg de Saint-Martin, et même de prêter de l’argent aux étrangers qui voudraient s’y établir.
Et c’est ainsi que, pour une hottée de pommes, s’était allumée une guerre sanglante, où furent brûlés plusieurs villages, et qui causa la ruine d’une très ancienne abbaye et d’une église qui ne cédait en rien à la cathédrale de Metz.
Devenu faubourg de Metz, le Ban-Saint-Martin se rétablit promptement, mais les maisons en furent rasées dans le siège de 1444. Elles le furent encore en 1552, par le duc de Guise, lorsque Charles-Quint vint assiéger Metz.
Les reliques de Saint Sigisbert, qui étaient restées dans l’Eglise paroissiale du faubourg, furent données au duc Charles III par les Messins, qui les transportèrent solennellement jusqu’à Corny. Elles furent ensuite déposées dans la primatiale de Nancy.