Charles IV (1624 – 1675) et Richelieu (2)

Charles IV

 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Le siège de la petite ville de La Mothe est un des épisodes qui ont laissé à bon droit un long souvenir dans la mémoire des Lorrains.

Cette place était située dans le Bassigny, tout près de la Champagne et de la Bourgogne. Elle occupait une hauteur de difficile accès et avait été fortifiée avec soin. Les vivres et les munitions y abondaient, mais elle n’avait comme garnison que 220 soldats et quatre compagnies de milice bourgeoise. Le gouverneur était M. de Choiseul, marquis d’Ische, un vaillant soldat et un habile homme de guerre.

L’armée française apparut dans le voisinage le 8 mars 1634. Elle était conduite par le maréchal de La Force qui se contenta d’abord d’organiser un étroit blocus et s’éloigna même pour aller soumettre la forteresse de Bitche.

Mais en son absence, les opérations s’engagèrent vivement. Toute la population prenait part à la lutte. Les femmes elles-mêmes étaient armées, bravaient l’ennemi et descendaient la colline pour couper de l’herbe pour les bestiaux et faisaient le coup de feu au besoin. Un capucin, le père Eustache, frère de M. de Choiseul, n’osant par scrupule se servir d’un mousquet, faisait rouler des pierres sur les assiégeants.

La lutte continua avec le même acharnement pendant plusieurs semaines. Le 25 juillet, une mine fit sauter le bastion Saint-Nicolas et ouvrit une large brèche par laquelle les assiégeants s’élancèrent avec furie. Mais ils furent repoussés par les soldats et les habitants. Ce fut le dernier acte de cet admirable drame militaire.

M. de Germainvilliers, qui avait pris le commandement après la mort de Choiseul, réunit les officiers survivants et demanda leur avis. Ils furent unanimes à déclarer que la défense était devenue impossible. Le maréchal de La Force accorda une capitulation honorable. La garnison, qui ne comptait plus qu’une centaine d’hommes valides, obtint de sortir avec armes et bagages, tambours battants, mèche allumée et enseignes déployées ; elle se retira en Franche-Comté. Les bourgeois furent autorisés à rester dans la ville ou à la quitter à leur gré. Les volontaires purent s’en retourner libres chez eux (26 juillet 1634).

Le maréchal ne trouva d’autre butin à prendre qu’un certain nombre de caisses remplies de titres de toutes espèces que Charles IV avait envoyés en dépôt dans la forteresse. Richelieu ordonna de les transporter à Paris. Ils furent déposés à la Sainte-Chapelle et fournirent de précieux matériaux pour les polémiques des érudits et des jurisconsultes.

Après la chute de La Mothe, toute résistance cessa en Lorraine. Toutefois, sur beaucoup de points, les paysans, exaspérés par les violences de la soldatesque, organisèrent une guerre de partisans.

Désormais, l’annexion était accomplie en fait.

Louis XIII, pour premier acte de souveraineté, mit la main sur la justice. Par édit du 17 septembre, il décida que le Barrois mouvant resterait dans le ressort du parlement de Paris, et le Barrois non mouvant dans la juridiction de la cour des Grands Jours siégeant à Saint-Mihiel.

Mais il créa à Nancy un conseil souverain qui devait connaître toutes affaires civiles, criminelles, police, domaine, imposition, aides, tailles, finances. Le conseil d’État, la chambre des comptes, la cour des aides, furent supprimés. Tous les fonctionnaires, magistrats, officiers de tout ordre furent invités à prêter serment de fidélité au roi. On l’exigea même de tous les gentilshommes et des simples particuliers. Les particuliers seuls résistèrent. Le nom de Louis XIII, par décision du conseil souverain, fut substitué à celui de Charles IV dans les prières publiques.

La famille ducale était poursuivie avec une implacable rigueur. Le 5 septembre, le parlement de Paris avait rendu un arrêt qui déclarait nul le mariage de Gaston et de Marguerite et, en raison du rapt commis par le duc Charles, le cardinal Nicolas-François et la princesse de Phalsbourg, les bannissait à perpétuité du royaume de France, et prononçait la confiscation des biens qu’ils y possédaient. L’arrêt ajoutait qu’une pyramide serait élevée sur la principale place de Bar avec une inscription rappelant la félonie de Charles IV et son châtiment. Le Duc furieux jura qu’il punirait cette insolence « sur tous les mangeurs de papiers ».

Charles n’avait pas fait un mouvement pour sauver l’héroïque forteresse de La Mothe. Il est vrai qu’il était alors en Allemagne, occupé à guerroyer contre les Suédois et la Ligue protestante. Son oncle, Maximilien de Bavière, se démit en sa faveur du commandement de la Ligue catholique. Il fit d’autre part appel à ses fidèles Lorrains. Ils vinrent par milliers et il reforma ses anciens régiments. Il trouvait en face de lui, deux des meilleurs généraux formés à l’école de Gustave-Adolphe, le comte de Horn et Bernard de Saxe-Weimar. L’armée impériale et une armée espagnole se joignirent à lui.

La rencontre générale eut lieu à Nordlingen en Souabe. On se battit avec acharnement pendant deux jours. Les Suédois et leurs alliés perdirent 15 000 hommes, 4 000 prisonniers, 60 pièces de canon et 500 drapeaux ou cornettes. Ce fut la plus belle journée de sa carrière militaire.

De l’aveu de tous, amis et ennemis, c’est à lui qu’on dut la victoire. Ses habiles dispositions, ses ordres fermes et précis, son autorité sur les troupes, sa fougue héroïque sur tous les points menacés excitèrent l’enthousiasme universel.Lorsqu’il rentra dans son quartier, la « redoutable infanterie espagnole » l’acclama avec admiration et il trouva sa tente pavoisée de cent vingt drapeaux conquis par ses Lorrains (5 et 6 septembre 1634). On dit que le Duc, enivré de son triomphe, fit frapper des médailles portant cette légende : Carolus rex Austrasix.

Pendant l’hiver, il répondit aux créations judiciaires de Louis XIII en instituant une cour souveraine, qu’il établit provisoirement dans la petite ville de Sierck. Les Lorrains, fidèles au prince proscrit, et qui ne voulaient point reconnaître les tribunaux français, vinrent plaider à Sierck, et les arrêts de la cour étaient signifiés et exécutés en Lorraine malgré la police du roi.

L’année suivante, Charles rentra en Lorraine. Il s’empara de Remiremont, puis s’établit à Rambervillers. Avec un peu plus de vigueur et d’élan, il aurait peut-être obtenu des avantages plus décisifs.

Déjà plusieurs soulèvements s’étaient produits. L’esprit national se réveillait partout, une insurrection générale semblait près d’éclater. Mais le Duc resta inactif. Cet homme en apparence si fougueux, si prompt à la main, était parfois hésitant et perdait un temps précieux.

Le mouvement fut cependant assez sérieux, pour obliger le roi à venir lui-même avec une armée. Il put juger du patriotisme et du dévouement des Lorrains.

Il assiégea Saint-Mihiel, ville presque ouverte, et y fut arrêté longtemps. Après la reddition de la place, il manda devant lui le gouverneur et lui reprocha sévèrement d’avoir résisté dans une ville qui n’était pas tenable.

« Sire, lui répondit le gentilhomme lorrain, si Votre Majesté avait commandé à un de ses gentilshommes de défendre un moulin à vent et qu’il ne l’eut pas fait, Votre Majesté l’aurait fait décapiter. Son Altesse, mon maître, m’en aurait fait autant si j’avais manqué à lui obéir ». Louis XIII, peu généreusement, au mépris de tout droit, envoya les officiers à la Bastille et les soldats aux galères.

La guerre prenait alors son caractère définitif. La France, qui s’était jusqu’alors contentée d’appuyer les Suédois de ses subsides, se jeta directement dans la lutte en 1635. La Lorraine fut inondée de troupes et eut à souffrir cruellement.

Alors eut lieu l’effroyable saccagement de Saint-Nicolas-de-Port.

C’était une des plus importantes villes de la Lorraine, bien supérieure à Nancy par sa population et par ses richesses. Simple pèlerinage à l’origine, elle était devenue peu à peu, un centre de commerce. Ses foires étaient les plus fréquentées de toute la région de l’Est. Les marchands y affluaient chaque année de toutes les contrées voisines.

Elle n’était couverte que d’un simple mur. Tous les belligérants se jetèrent sur elle. Gallas et ses Allemands la pillèrent les premiers. Les Français du maréchal de La Force vinrent à leur tour y faire le butin. Enfin les Suédois s’y ruèrent comme une horde de sauvages.

Après avoir pillé les quartiers les plus riches, ils enfoncèrent les portes de la magnifique église, s’emparèrent des vases sacrés, profanèrent les hosties, brisèrent les statues, brûlèrent la toiture et les charpentes des tours. Pendant six ou sept jours, les scènes les plus horribles se succédèrent. Tous les bandits vinrent se joindre aux Suédois. La ville entière fut mise à sac. Les deux tiers des maisons furent incendiées. De nombreux habitants furent assassinés, les autres prirent la fuite. La population fut réduite à quelques centaines d’habitants. C’en était fait de cette florissante cité, elle ne s’est pas relevée depuis (novembre 1635).

Charles IV ne fit rien ou ne put rien pour empêcher ces actes de brigandage. L’armée impériale se contenta d’observer. Le maréchal de La Force et Bernard de Saxe-Weimar laissèrent faire.

Les années qui suivirent (1635-1641) furent les plus malheureuses de l’histoire de la Lorraine. Les populations foulées, pillées, violentées par les armées ennemies qui, par instant, comptèrent ensemble plus de 150 000 hommes, connurent les extrémités de la plus affreuse misère.

La culture des champs était devenue presque impossible. Le peu de récolte que le paysan parvenait à obtenir dans quelques quartiers, était enlevé pour la nourriture des soldats. La famine sévit avec toutes ses horreurs.

Les historiens disent qu’on n’avait rien vu de comparable depuis le siège de Jérusalem. On mangea de la chair humaine. Les Suédois commirent surtout d’effroyables excès. Leur férocité a laissé dans la mémoire du peuple, des souvenirs que rien n’a jamais pu effacer.

Mais il est vrai de dire aussi, que les armées de France et d’Allemagne, dont une partie était recrutée parmi les mercenaires, prirent part à ces barbaries, et des Lorrains même, chassés de leurs maisons, exaspérés par les calamités qui pesaient sur eux, se livrèrent au brigandage. Beaucoup s’enfuirent, poussant droit devant eux, sans savoir où ils allaient et cherchèrent des refuges en Bourgogne et en France.

La dépopulation prit des proportions effroyables, d’autant plus que la peste ravagea le pays pendant plusieurs années. Des milliers de familles périrent dans les villes. Des bourgs et des villages abandonnés disparurent du sol. L’historien Digot cite quatre-vingts de ces localités qui n’ont pas laissé de trace, et dit qu’il faudrait en ajouter un grand nombre à la liste funèbre.

Richelieu et Louis XIII ne paraissent pas s’être émus au spectacle de ce peuple si cruellement opprimé. Ils ne voulurent voir que le résultat politique, c’est-à-dire l’affaiblissement d’une nationalité mourante qui serait hors d’état désormais de défendre sa liberté.

Aux ruines accumulées par les armées, ils ajoutèrent la démolition d’une multitude de châteaux et de forteresses dont, il est vrai, la plupart servaient de repaires aux bandits.

Dans l’insensibilité générale, il n’est que juste de relever les noms de deux hommes de coeur qui se firent bénir du peuple pour leurs sentiments humains et leur active charité : un prêtre lorrain, Pierre Fourier, et un prêtre français, saint Vincent de Paul.

Pierre Fourier était curé de la petite paroisse de Mattaincourt. Il était aussi le supérieur des chanoines réguliers de Lorraine, et avait fondé de belles institutions pour l’enseignement populaire. Très dévoué à la maison ducale, il avait approuvé le mariage de Nicolas-François avec la soeur de Nicole. Richelieu lui en voulut beaucoup, le fit poursuivre avec acharnement de retraite en retraite, et le força enfin à se retirer à Gray où il mourut à bout de forces. Mais il ne put l’empêcher, tant qu’il fut en Lorraine, de prodiguer ses consolations et ses secours aux malheureuses populations.

Saint Vincent de Paul (Monsieur Vincent, comme on l’appelait à la cour de Louis XIII) est resté dans le souvenir des hommes comme la personnification de la charité. Touché d’une pitié profonde, il parvint par des miracles d’éloquence à réunir des secours considérables (deux millions de livres), qu’il fit répandre par les mains de ses Pères de la Rédemption dans les campagnes de la principauté. Il sauva de la faim des milliers de pauvres gens.

Quant au duc Charles IV, le protecteur naturel de ces malheureuses populations, il se montra indifférent à leurs disgrâces. Rien ne troubla sa bonne humeur qu’il promenait en Franche-Comté, en Allemagne et dans les Pays-Bas. Il ne retranchait rien de ses plaisirs. Il allait de fête en fête et se donnait en spectacle aux populations qui applaudissaient sa merveilleuse adresse dans les carrousels.

En avril 1637, il s’avisa d’un nouveau genre de réjouissance. Il avait retrouvé à Besançon cette belle Béatrix de Cusance, dont il s’était occupé quelques années auparavant et qu’on avait mariée au prince de Cantecroix. Ce seigneur venait de mourir, le Duc affrontant le scandale, épousa la veuve. C’était un cas de bigamie. Mais de savants théologiens démontrèrent qu’il n’y avait aucune incorrection, le mariage avec Nicole étant entaché de nullité.

En ce moment, Charles se donna entièrement à l’Espagne qui lui conféra le titre de capitaine-général de la Franche-Comté, où il était très populaire pour avoir forcé le père du grand Condé à lever le siège de Dôle.

Avec une petite armée qui s’était attachée à sa fortune, il ressemblait de plus en plus à un chef de condottieri. De temps en temps, il faisait des pointes en Lorraine et il s’emparait de quelques places qu’il perdait bientôt. Le peuple, dont nous devons louer le patriotisme et la constance, restait, malgré tout, fidèle à sa cause parce qu’elle était, à ses yeux, celle de la nationalité et de l’indépendance.

Cependant, Charles IV se fatiguait du rôle de comparse qu’il jouait au profit de l’Espagne et de l’Autriche. Il se plaignait amèrement de l’ingratitude des alliés ou plutôt des maîtres qu’il s’était donnés.De son côté, Richelieu, préoccupé de la guerre générale, inclinait à croire qu’il serait plus sage d’ajourner l’annexion définitive d’une province ruinée qu’on serait probablement obligé de rendre à la paix. Il se décida à ouvrir des négociations avec Charles.

Comme elles traînaient en longueur, le Duc, avec son irréflexion ordinaire, résolut d’aller traiter directement, demanda un passeport et partit pour Paris dans les premiers jours de mars 1641.

Le roi le reçut très gracieusement, mais le renvoya au cardinal pour traiter de la paix. Celui-ci ne se relâchant d’aucune de ses exigences, Charles, après avoir discuté avec vivacité, finit par croire qu’il était, comme à Laneuveville, prisonnier du roi. Il consentit à tout.

Le traité fut signé le 29 mars. Dans un préambule humiliant, il faisait une sorte d’amende honorable et reconnaissait tous ses torts envers le roi. Il cédait les villes de Clermont, Jametz, Stenay et Dun. Il laissait Nancy aux Français jusqu’à la paix générale, rompait toute intelligence avec la maison d’Autriche, s’engageait à joindre ses troupes à celles du roi à première réquisition, et à donner le libre passage dans la Lorraine aux troupes royales qui auraient à se rendre en Alsace, en Franche-Comté ou en Bourgogne.

Une des clauses concernait la malheureuse Nicole. Le prince était allé la voir à l’hôtel de Lorraine. Comme il affectait de l’appeler toujours ma cousine : « Ne suis-je donc pas votre femme ? » lui dit la duchesse. Il s’inclina et sortit sans répondre. Il revint cependant et s’engagea à lui servir une pension annuelle de cent vingt mille livres tournois.

Ce traité de Paris fut appelé la petite paix, à cause de sa courte durée (29 mars 1641).

Charles s’était hâté de rentrer dans ses États. A Bar-le-Duc, il fut rejoint par un officier du roi qui l’invita à signer un acte portant ratification du traité, pour qu’il ne prétendît point plus tard n’avoir pas été libre à Paris. De Bar, il courut à Épinal, où il retrouva sa prétendue femme Béatrix. Il la prit avec lui et lui fit rendre tous les honneurs d’une souveraine dans les diverses parties de son duché.

Partout, il fut accueilli avec des transports enthousiastes. On voyait en lui le vivant symbole de la patrie. Il s’approcha de Nancy et, comme le gouverneur, du Hallier, lui en interdisait l’entrée, il s’établit au château de la Malgrange et vint faire ses dévotions à Notre-Dame de Bon-Secours. Sur toute la route, les paroisses rurales accouraient, le curé à leur tête avec la croix et l’eau bénite. Un curé fut assez simple pour y porter le Saint-Sacrement. On l’entourait, on poussait des cris de joie, chacun voulait le toucher. On lui déchira ses manchettes, ses habits. Quelques-uns lui prirent des cheveux et des poils de sa barbe, pour en faire des reliques.Au milieu de cette allégresse dont jouissait pleinement Béatrix, l’infortunée Nicole était oubliée de tout le monde, sauf peut-être de quelques paysannes qui, naïvement, criaient enjoignant les mains : « Dieu nous conserve monseigneur le Duc, ses deux femmes et son enfant ! ».

Ces démonstrations inquiétaient Richelieu. Cependant, il observa la convention et fit évacuer les villes qui, aux termes de cet arrangement, devaient être restituées.

Quant au Duc, il ne prenait pas au sérieux ses engagements. Déjà le 28 avril, peu après son retour à Épinal, il avait fait appeler un notaire et avait protesté par-devant témoins contre la violence qui lui avait été faite à Paris. Invité par le roi à joindre ses troupes à celles du maréchal de Châtillon, chargé de réduire le comte de Soissons et le duc de Bouillon qui étaient en pleine révolte, il se déroba sous divers prétextes. Il fit mieux. Il se lia par un traité secret avec les princes. Châtillon, lassé d’attendre les troupes lorraines, livra le combat de la Marfée et fut battu.

Richelieu, irrité, envoya ordre à du Hallier de se saisir de la personne du prince lorrain. Celui-ci fut prévenu, se mit à l’abri, et bientôt ne garda plus de mesure. Le 30 août, il fit prendre par sa cour souveraine siégeant à Vaudrevange, un arrêt annulant le traité du 29 mars, par ce motif que le prince n’avait point le droit d’aliéner une portion de son État sans le consentement du peuple. C’était vrai, mais Charles s’en avisait bien tard.

Les troupes françaises réoccupèrent la Lorraine. Toutes les villes récemment restituées furent reprises. Charles IV tua 1 500 hommes dans un brillant combat livré à du Hallier, mais il ne se sentit pas assez fort pour lutter sérieusement, il se contenta de prendre une bonne position entre la Meuse et la Sambre. Puis, ayant renouvelé ses liaisons avec l’Empire et l’Espagne, il alla passer l’hiver à Bruxelles, accompagné par Béatrix de Cusance.

Nicole fut vengée par le pape Urbain VIII, qui statuant sur la demande en nullité de son mariage introduite à Rome par Charles IV lui-même, confirma son droit et frappa d’excommunication le bigame et sa complice.

Le 4 décembre 1642, survint un événement qui pouvait changer la fortune de Charles IV. Son redoutable adversaire, le cardinal de Richelieu, avait cessé de vivre.

Les Lorrains ont été durs pour la mémoire du cardinal. Ils n’ont vu en lui, que l’oppresseur de leur patrie. Et en vérité, la Lorraine avait tant souffert pendant cette première réunion à la France, que l’on comprend les ressentiments des populations contre celui qui, à leurs yeux, était le principal auteur de leurs maux.

L’esprit féodal avait du reste conservé presque toute sa force. L’indépendance de la principauté était un principe sacré, qu’ils ne voulaient à aucun prix sacrifier à l’intérêt supérieur de l’unité française dont ils n’avaient souci, qu’ils ne soupçonnaient même point.

Aujourd’hui, la succession logique des faits nous a placés à un autre point de vue. Certes, nous ne condamnons pas le sentiment des ancêtres, nous n’en méconnaissons ni la légitimité, ni la grandeur. Mais rien ne nous empêche non plus de rendre justice à ce ministre patriote, à ce grand Français qui, par-dessus la Lorraine, regardait vers l’Alsace et le Rhin, et dont la politique extérieure se résume dans ces mots de son testament : « J’ai voulu rendre à la Gaule les limites que la nature lui a destinées… identifier la Gaule avec la France et, partout où fut l’ancienne Gaule, y retrouver la nouvelle ».

La mort du cardinal amena une certaine détente dont profita la première, Marguerite de Lorraine. Le roi reconnut enfin son mariage, et elle fut autorisée à venir en France. Louis XIII, du reste, depuis longtemps malade, suivit de près son ministre (14 mai 1643).


Archive pour 19 décembre, 2010

Charles IV (1624 – 1675) et Richelieu (1)

Charles IV

 

D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895

Voici la figure la plus étrange de l’histoire de Lorraine et peut-être, de l’histoire générale de l’Europe.

C’est un bizarre amalgame de grandeurs et de petitesses. Il y a en Charles IV de l’homme de génie et du bouffon. Il fut un général de premier ordre, peu au-dessous de Turenne, de Condé, de Montecuculli qui admirèrent ses talents. Mais, par son défaut d’équilibre, son inconsistance, ses passions désordonnées, son égoïsme, son manque de sens moral, sa fourberie, il se réduisit lui-même à n’être le plus souvent qu’un capitaine d’aventure.

Son règne si agité, avec ses accidents, ses fortunes diverses, est un vrai roman de cape et d’épée où l’histoire perdrait sa gravité si, au milieu de toutes ses folies, ne se jouaient les destinées mêmes d’une nation. Et pourtant, tel est le prestige des hommes d’audace et d’action, que ce prince, l’auteur des plus grands maux qu’ait soufferts son pays, jouit de la popularité la plus vive et la plus persistante. La Lorraine fut pour lui comme ces mères aveugles qui aiment obstinément et jusqu’à la folie les enfants qui les ruinent et les maltraitent.

Le règne commença par une impudente comédie.

Charles IV avait feint d’abord de se conformer aux clauses de son mariage : il gouvernait d’accord avec la duchesse Nicole. Les ordonnances portaient leurs deux noms, leur double effigie figurait sur les monnaies. Mais, par-dessous main, de concert avec son père, il continuait à faire soutenir dans des mémoires le principe de la loi salique. Il invoquait le testament de René II qui, disait-on, excluait les femmes de la succession au trône ducal. On affectait de chercher partout l’original de cet acte qui avait disparu depuis plus de cent ans. En novembre 1625, les Vaudémont prétendirent, enfin, l’avoir retrouvé.

Charles IV convoqua alors l’assemblée des États. Son père présenta le testament en revendiquant ses droits. Le fils, respectueusement, les reconnut bien fondés et déclara qu’il restituait au chef de sa famille le sceptre qui lui appartenait en vertu de la loi fondamentale. Aucune opposition, la fière Chevalerie elle-même s’inclina. On proclama aussitôt le duc légitime sous le nom de François II, on le conduisit au palais, il accomplit tous les actes de la souveraineté, instituant des officiers, créant des nobles, frappant de la monnaie, signant des ordonnances et se hâtant surtout de payer ses dettes avec les fonds de l’État.

Quelques jours après, François II réunit de nouveau l’assemblée, se déclara incapable de porter le fardeau du pouvoir et abdiqua en faveur de son fils (26 mars 1625). Charles IV reprit le gouvernement dans toute sa plénitude et à l’exclusion de Nicole.

Charles ne se borna pas à cette spoliation. Il entreprit d’enlever à la duchesse Nicole même sa qualité d’épouse. Il fit poursuivre, torturer et condamner comme sorcier un ancien aumônier de Henri II qui avait baptisé Nicole, ce qui impliquait la nullité du baptême, et, par voie de conséquence, la nullité canonique du mariage. Ce prêtre, nommé Melchior de la Vallée, fut brûlé vif et ses biens, situés chemin de Laxou, ayant été confisqués, servirent à installer des Chartreux qu’on transféra plus tard à Bosserville.

Au dehors, personne ne réclama pour la princesse si odieusement dépouillée. Cependant, le roi de France refusa de se faire complice de l’usurpation, et, sans intervenir directement, réclama l’hommage qui lui était dû pour le Barrois mouvant, en déclarant qu’il ne le recevrait pas au nom de Charles seul.

Les États avaient tout approuvé, mais ils ne tardèrent pas à regretter leur faiblesse. Charles IV avait donné la mesure de sa moralité dans sa conduite à l’égard de la duchesse Nicole, il ne tarda pas à accuser ses maximes en administration. Nourri pendant quelques années à la cour de France, il s’était imbu des théories gouvernementales qui y prévalaient et, impatient de tout contrôle, il entendait exercer un pouvoir absolu.

Dès 1629, il cessa de convoquer les assemblées et ne prit plus conseil que de ses fantaisies et de son bon plaisir. S’il eut en quelque chose une sérieuse fixité, ce fut dans sa résolution de ruiner l’influence traditionnelle de la noblesse lorraine. On trouve là peut-être, une des causes de sa popularité dans les masses.

Mais il ne bornait pas son ambition à être le maître indiscuté de l’administration de ses deux duchés, il aspirait à jouer un grand rôle au dehors. Il étouffait dans ses étroites limites, comme un lion en cage. Il n’eut jamais la modestie de sa situation : emporté par son humeur remuante, il s’agitait, s’engageait dans toutes les intrigues en attendant qu’il se mêlât aux luttes militaires vers lesquelles le poussait surtout son génie incontestable de capitaine.

En somme, il n’avait pas de politique définie, de plan bien arrêté. Pour son malheur, il se trouva en face d’un homme supérieur qui savait bien ce qu’il voulait et où il allait, et poursuivait ses desseins avec une volonté de fer et une ténacité égale à son génie.

La France était alors gouvernée par Richelieu, le grand cardinal, comme l’appela plus tard le grand Colbert. Il avait, lui, un programme bien clair et une politique ferme tant pour l’intérieur que pour le dehors. Au dedans, réduire les grands au respect des lois, en faisant tomber au besoin les têtes les plus hautes, supprimer les factions protestantes tout en assurant la liberté des consciences. Et, au dehors, reprendre la politique nationale d’Henri IV en s’avançant vers le Rhin et en fondant l’équilibre européen sur les ruines de la maison d’Autriche.

Richelieu avait-il, dès le début, l’intention d’absorber la Lorraine ? C’était dans la logique de l’histoire. Mais on peut dire cependant que si Charles IV avait eu la sagesse de Charles III, qui fut plus tard aussi celle de Léopold, et qu’il se fût appliqué à maintenir sa neutralité, il eût épargné d’affreux malheurs à son pays et réussi peut-être à créer, sur la frontière de France, un petit État respecté comme la Belgique d’aujourd’hui. Mais on conviendra que le ministre de Louis XIII ne pouvait permettre à un prince étranger de lui susciter des embarras chez lui et à un souverain sans puissance effective d’entraver, par pur amour des aventures, les destinées de la France.

Au lieu de garder la réserve que lui commandait la plus simple prudence, le Duc agit comme s’il eût été un prince français, entra dans tous les complots ourdis contre le cardinal, se fit l’ami de tous ses ennemis, reçut à sa cour et dans une intimité scandaleuse l’intrigante duchesse de Chevreuse, lia commerce avec l’Anglais Buckingham, attira à Nancy le frère du roi, Gaston d’Orléans, et lui promit secrètement la main de l’une de ses soeurs, Marguerite de Lorraine. En outre, il noua des intelligences avec l’empereur et lui facilita l’occupation des deux places de Vic et de Moyenvic, dans l’évêché de Metz, et enfin obtint de l’argent de la cour d’Espagne et leva des troupes.

Richelieu, attentif à ses menées, le laissa faire tout d’abord. Mais en 1631, au moment où Gustave-Adolphe, d’accord avec la France, exécutait en Allemagne sa foudroyante campagne de Leipsick, le roi Louis XIII fit demander à Charles IV quel était le but de ses armements.

Le duc répondit que le roi de Suède ayant envahi l’Allemagne septentrionale, les princes catholiques étaient obligés d’armer pour secourir l’empereur et mettre leurs propres frontières en état de défense. Le roi, le prenant au mot, lui répliqua que s’il ne partait pas immédiatement avec ses troupes, une armée française entrerait dans son duché. Le Duc obéit à cette injonction, passa le Rhin avec une petite armée. Il eut quelques velléités de se mesurer avec Gustave-Adolphe, mais l’infériorité trop manifeste de ses forces le fit renoncer à ce coup de tête, il alla se joindre au général Tilly, enleva quelques places, puis installa ses quartiers d’hiver.

Comme il revenait assez mécontent de cette campagne où il n’avait point pu tenter les grandes choses qu’il rêvait, il apprit par un message de son père que Louis XIII était à Metz et menaçait la Lorraine. Le roi avait reçu des plaintes de son allié Gustave-Adolphe, et, après avoir exigé le départ du Duc pour l’Allemagne, il exigeait qu’il revînt sur ses pas.

Charles IV, frémissant de colère, rentra à Nancy, puis se rendit à Metz pour y voir le roi. Le suzerain le reçut de façon à ne lui laisser aucun doute sur la rupture de leur amitié d’enfance. Il lui reprocha ses intrigues, ses louches menées, son entente avec tous ses ennemis et surtout ses complots avec Gaston d’Orléans à qui il avait donné la main de sa soeur Marguerite.

Charles IV protesta, promit de ne rien faire contre les intérêts du roi, et nia hardiment le mariage de sa soeur. Il disait vrai sur ce dernier point le 1er et le 2 janvier 1632, mais, le 3 janvier, le mariage était béni secrètement dans une chapelle du prieuré de Saint-Romain, avec l’autorisation de Marie de Médicis expédiée de Bruxelles et les dispenses conférées par l’évêque de Toul, frère de Charles IV.

Le 6 janvier, le roi ignorait tout encore, et faisait signer au Duc le traité de Vic, par lequel Charles renonçait à toute alliance avec les ennemis du roi, notamment (par article secret) avec l’Empire et l’Espagne, s’interdisait de recevoir dans ses États des personnages mal disposés et particulièrement (par article secret) Gaston et la reine-mère, fournissait au roi un contingent de quatre mille hommes d’infanterie et de deux mille chevaux, et enfin remettait en garantie pour trois ans l’importante forteresse de Marsal.

Les traités ne gênaient guère Charles IV lorsqu’il se croyait assez fort pour les éluder ; il exécuta cependant celui de Vic, pria son beau-frère Gaston de quitter la Lorraine et livra Marsal aux Français.

Mais il reprit aussitôt ses pourparlers avec l’Allemagne et l’Espagne. Montecuculli vint à Nancy de la part de Ferdinand II, lui promettre une armée qui le mettrait à même de tenir tête aux Français et de reprendre Marsal, et un ministre d’Espagne, annonça, ce qui était urgent, de sérieux subsides.

Richelieu, informé par ses agents secrets, envoya une armée en Champagne pour surveiller le Duc.

Au mois de juin 1632, Gaston, ayant recruté quelques troupes dans le Luxembourg, se décida à entrer en France pour y rejoindre les mécontents qui se rassemblaient dans le Midi sous la direction du maréchal de Montmorency. Il vint passer une journée à Nancy, poursuivit sa route après avoir compromis son beau-frère et alla misérablement se briser à Castelnaudary contre l’armée de Schomberg (1er septembre 1632).

Alors le roi, bien que Charles niât toute connivence avec Gaston, envahit le Barrois, s’empara de Bar-le-Duc et de Pont-à-Mousson et campa à Liverdun. Le Duc, hors d’état de lutter, s’humilia, demanda à négocier. Richelieu lui fit signer, le 26 juin 1632, un nouveau traité confirmatif de celui de Vic en y ajoutant que Charles remettrait au roi, en dépôt pour quatre ans, Stenay, Jametz, le bailliage de Clermont. C’était un premier démembrement de la Lorraine.

Cette dure leçon ne rendit pas le Duc plus sage.

Son père, François II, le voyant engagé dans une si mauvaise voie, en conçut un noir chagrin qui le conduisit au tombeau le 14 octobre 1632. Mais déjà Charles, au mépris de ses deux traités, renouvelait ses liaisons avec l’empereur Ferdinand qui, pour l’attacher tout à fait à sa cause, lui cédait plusieurs places en Alsace : Haguenau, Colmar, Schlestadt.

Les circonstances paraissaient favorables. Gustave-Adolphe avait trouvé la mort dans sa victoire de Lutzen (16 novembre 1632). Mais les Suédois ne se laissèrent pas décourager par ce malheur. Ils gardèrent leur supériorité, s’avancèrent sur les bords du Rhin et assiégèrent Haguenau, une des villes cédées par l’empereur à Charles IV. Une petite armée lorraine, qui essaya de dégager la position, fut battue et dispersée (*). La Lorraine en fut consternée. Le Duc, s’exagérant l’échec, se réfugia derrière les murs de Nancy.

(*) Ce fut le combat de Pfaffenhoffen. La cavalerie, entrainée avec une merveilleuse vigueur par le seigneur de Richarménil, de la maison de Ludres, enfonça les Suédois et les mit en pleine déroute. On crut et l’on cria bataille gagnée. Mais Richarménil ayant été frappé dans les reins d’un coup de mousquet, les cavaliers sans direction s’emportèrent à la poursuite des fuyards. L’infanterie, composée de nouvelles levées, maltraitée par l’artillerie, fut prise de terreur panique. Les Suédois se rallièrent. La cavalerie abandonnée fut obligée de céder, se débanda et, à son tour, prit la fuite. (Mémoires du marquis de Beauvau).

De son côté, le cardinal accusait de plus en plus nettement sa résolution de s’emparer des duchés. Il faisait rechercher tous les titres qui établissaient les droits de la France, les droits du roi, sur diverses possessions. Le 15 janvier 1633, il créait le parlement de Metz qui devait, dans sa pensée, être un instrument de conquête pacifique préparant et hâtant la conquête militaire.

Le parlement de Paris servait aussi efficacement la politique du cardinal. Charles s’était obligé par le traité de Liverdun à faire hommage dans l’année pour le Barrois mouvant, faute de quoi cette partie du domaine serait réunie à la couronne de France. L’engagement n’ayant pas été rempli, le parlement, par arrêt du 30 juillet 1633, prononça la réunion et poursuivit la saisie. Cette exécution ne rencontra aucune difficulté.

Dès lors ce fut la guerre ouverte. Louis XIII et Richelieu connaissaient désormais le mariage de Gaston avec Marguerite de Lorraine que le Duc avait constamment nié jusque-là. Le roi en était fort irrité et voulut châtier lui-même l’affront personnel qui lui avait été fait.En apprenant la marche des troupes françaises, Charles se sentit perdu, tenta une négociation et envoya son frère le cardinal Nicolas-François.

Louis XIII refusa de traiter d’affaires avec lui et le renvoya à Richelieu. Le ministre fut très net. Il déclara que les troupes du roi ne se retireraient que si le Duc remettait entre ses mains la ville de Nancy. Nicolas-François se récria et demanda à voir le roi. Celui-ci fut tout aussi inflexible.

Déjà une autre armée française, conduite par Saint-Chamont, et qui opérait dans l’électorat de Trêves, avait reçu ordre de pénétrer en Lorraine, avait occupé Saint-Nicolas-de-Port et s’était établie devant Nancy. Charles IV n’attendit pas le roi. Il mit dans Nancy une garnison de quatre mille hommes, y fit entrer des vivres et des munitions et s’en alla lui-même dans les Vosges, pour lever de nouvelles recrues. Il chargea Nicolas-François d’essayer une dernière tentative diplomatique.

Le négociateur offrit de faire annuler le mariage de Marguerite et de céder la forteresse de la Mothe. Ses propositions furent encore rejetées.Il semble qu’il ne restait plus à un homme de coeur qu’un parti à prendre : ramasser toutes ses forces, attaquer Saint-Chamont, l’écarter et s’enfermer dans Nancy pour y défendre sa couronne et l’indépendance nationale. René II eût agi ainsi. On ne s’explique pas que cette résolution ait manqué à Charles IV, qui était cependant, à n’en pas douter, un héros.

Il préféra user d’un stratagème. Supposant que Richelieu n’en voulait qu’à sa personne, il fit venir un notaire et rédigea un acte d’abdication en faveur de son frère le cardinal (26 août 1633). Celui-ci, porteur d’une expédition régulière, vint à Nancy et, tout d’abord, s’occupa de faire évader la princesse Marguerite.

Avec le concours de sa tante l’abbesse Catherine, la jeune princesse se déguisa en cavalier, se brunit le visage, le cou et les mains et « bottée, esperonnée, l’espée au côté, la plume au chapeau », à trois heures du matin, elle partit en carrosse avec le prélat son frère. Arrêté par un poste français, le cardinal montra le passeport qu’il avait reçu pendant les négociations. Saint-Chamont, qui avait pourtant l’éveil, les laissa passer. La princesse trouva à Condé un excellent cheval et, escortée de deux gentilshommes, gagna d’une seule traite Thionville, puis atteignit Namur, où Gaston vint la recevoir pour la conduire à Bruxelles.

Le cardinal de Lorraine rencontra le roi à une lieue de Pont-à-Mousson, et lui communiqua l’acte d’abdication de Charles IV. Le roi le félicita, tout en émettant des doutes sur la sincérité de son frère. Richelieu fut plus dur. Il déclara que cette abdication n’était qu’une comédie. Puis il lui reprocha d’avoir aidé la princesse Marguerite à s’évader de Nancy.

Nicolas-François, espérant l’adoucir et le rendre même favorable, lui fit part doses projets d’avenir. Devenu duc de Lorraine, disait-il, il allait quitter l’église et se marier, ce qui n’offrait pas de difficulté puisque, quoique cardinal, il n’avait pas été ordonné prêtre. Il ajouta qu’il s’estimerait heureux d’obtenir la main de Mme veuve de Combalet, sa nièce.

Mais Richelieu répondit très froidement « qu’il ne se gouvernait pas par des intérêts de famille », et termina en déclarant que, même dans le cas, où Nicolas-François deviendrait vraiment duc de Lorraine, le roi voulait avoir Nancy.

Louis XIII continua donc sa marche. Le 30 août, il logeait dans la ville de Saint-Nicolas. Le 2 septembre, il adressait au premier président du parlement de Metz une sorte de manifeste dans lequel il accusait le Duc d’avoir violé les traités de Vic et de Liverdun. En même temps, il complétait l’investissement de Nancy. Des corps détachés allaient successivement occuper toutes les places fortes des duchés de façon à empêcher aucun envoi de secours.

Charles songea alors à se réfugier en Franche-Comté. Mais le gouverneur espagnol ayant refusé de le recevoir, il s’établit près de Darney dans une forte position et attendit les événements. On lui annonçait que le duc de Feria traversait les Alpes avec une armée espagnole et ne tarderait pas à se joindre à un corps de troupes impériales, pour venir le dégager.

Louis XIII avait établi son quartier général à Laneuveville. Il aimait la guerre et la faisait bien. Il traça lui-même une grande ligne de circonvallation qui, sur un développement d’environ quatre lieues, enserra la ville de Nancy.

Les assiégés étaient en état de résister longtemps, mais, par ordre du Duc, ils s’abstenaient de toute hostilité. Seule la princesse de Phalsbourg réclamait une défense énergique au lieu d’illusoires négociations. Un matin, malgré le gouverneur, marquis de Mouy, elle donna ordre de tirer le canon sur les Français et vint elle-même mettre le feu aux pièces. Louis XIII faillit être emporté par un boulet.

Cependant Richelieu, qui voyait le roi inquiet sur la durée du siège, en raison de la saison avancée, fit offrir à Charles IV de conférer avec lui. L’entrevue eut lieu à Charmes, elle fut orageuse. On finit cependant par tomber d’accord sur les termes d’un traité, par lequel le duc s’engageait à remettre aux mains du roi sa soeur Marguerite dans un espace de trois mois et à réaliser toutes les conventions antérieures. Les fortifications de Nancy seraient rasées par le roi s’il le jugeait à propos (septembre 1633).

Les contractants n’étaient de bonne foi ni l’un ni l’autre. Charles voulait gagner du temps pour recevoir les secours promis par l’Espagne et Richelieu voulait occuper Nancy pour ne plus s’en dessaisir. Il paraît certain aussi que Charles s’était enfin arrêté au parti qu’il aurait dû adopter dès le début, et qu’il avait l’intention d’entrer à Nancy, de s’y fortifier et de soutenir le siège à outrance. Dans ce dessein, il alla voir le roi à son quartier général de Laneuveville. Il espérait s’en échapper facilement.

Mais Richelieu l’avait deviné et son logement fut si bien gardé, sous prétexte d’honneurs à lui rendre, qu’il n’en put sortir. Il se sentit prisonnier et, se résignant à sa mauvaise fortune, il donna ordre au gouverneur Mouy d’ouvrir les portes de Nancy.

L’armée française prit possession. A quoi avaient servi les admirables fortifications de Charles III et d’Henri II ? Le lendemain, le roi et Richelieu firent leur entrée en appareil magnifique, tandis que les habitants restaient enfermés, en proie à une profonde tristesse (24 septembre 1633).

Le sentiment national était très vif chez les Lorrains. Le roi, voulant perpétuer le souvenir de sa conquête, fit venir Jacques Callot et lui demanda de représenter dans une suite de gravures les événements qui venaient de s’accomplir.

« Sire, répondit l’illustre artiste, je suis Lorrain, et je crois ne devoir rien faire contre l’honneur de mon prince et de mon pays ». Et les courtisans lui reprochant sa résistance comme un crime : « Je me couperai plutôt le pouce », répliqua le graveur. Louis XIII respecta cette patriotique fierté.

La population tout entière était animée du même sentiment. Lorsque, le 26 septembre, Charles IV vint saluer le roi à Nancy, les Nançéiens se portèrent au-devant de lui et crièrent : « Vive Son Altesse de Lorraine ! ».

Louis XIII en conclut qu’il fallait se bien garder, et mit dans la ville une garnison de 8 000 hommes, sous le commandement du comte de Brassac. Le Duc, incapable d’un long chagrin, se montra fort gracieux à l’égard du roi et surtout de la reine Anne qui était venue à Nancy après la reddition. Il leur fit les honneurs de sa capitale et voulut les guider lui-même dans la visite des principaux monuments.

Le 1er octobre, le roi et la veine retournèrent séparément à Paris. Charles IV accompagna Anne d’Autriche jusqu’à Toul et, avec son étrange légèreté de caractère, sur la route, il donna à la reine le spectacle des exercices d’agilité et d’adresse qui lui avaient valu la réputation d’un écuyer accompli. Quelques semaines après, il quitta Nancy et se retira à Mirecourt. Par défiance de Richelieu, il emmena les princesses Nicole et Claude et, oublieux de ses malheurs, il passa le reste de l’automne et une partie de l’hiver dans de joyeuses fêtes.

Cependant les semaines s’écoulent. Le traité de Charmes n’est pas exécuté : la princesse Marguerite n’est pas remise au roi et les troupes françaises continuent à camper en Lorraine.

Le cardinal Nicolas-François se rend à Paris, plaide la cause de son frère. Mais Richelieu se montre de plus en plus pressé d’en finir, réclame impérieusement la personne de la princesse et finit par annoncer que le parlement de Paris va assigner Charles IV comme coupable de séduction et de rapt sur la personne du frère du roi. Et comme le négociateur fait observer que le duc de Lorraine, étant un souverain indépendant, ne relève pas du parlement de Paris : « Oui, lui répond le ministre, comme duc de Lorraine, mais comme duc de Bar, il est vassal du roi ».

Alors Charles, découragé par l’insuccès des négociations, reprit, avec plus de sincérité cette fois, son projet d’abdication. Le 19 janvier 1634, il en fit dresser un acte authentique, qu’il envoya pour l’enregistrement à la cour des Grands Jours de Saint-Mihiel. Le lendemain, il partit pour l’Alsace, emmenant un grand nombre de gentilshommes restés fidèles et treize compagnies de cavalerie. Après un séjour d’un mois dans les possessions que l’empereur Ferdinand lui avait cédées antérieurement, il passa en Franche-Comté.

Cependant, Nicolas-François avait repris le titre de duc et avait notifié son avènement à Louis XIII. Richelieu refusa de le reconnaître. Il ne croyait pas à la bonne foi de Charles IV, qui, d’ailleurs, disait-il, n’avait aucun droit de disposer de la Lorraine, laquelle appartenait à la duchesse Nicole et, au défaut de celle-ci, à sa soeur Claude. Il espérait mettre la main sur les deux filles d’Henri II et marier Claude à un prince français qui serait une sorte de lieutenant du roi en Lorraine. Ce plan fut déjoué par le prince-cardinal. A son départ, son frère lui avait surtout recommandé de veiller sur les deux princesses. Pour leur assurer une protection plus directe, il proposa à sa cousine Claude de l’épouser. Il était jeune et de bonne mine et ne déplaisait pas. La princesse lui accorda volontiers sa main.

Il fallait se hâter. Déjà Richelieu, lassé et inquiet, ordonnait au comte de Brassac de se saisir de la Duchesse et de sa soeur, et de les faire conduire sous bonne escorte à Paris. Le jeune cardinal, sur l’avis motivé de deux savants religieux, se donna à lui-même, en vertu de ses pouvoirs d’évêque de Toul, la dispense des bans et la dispense pour parenté. Le prieur des chanoines réguliers, qui était en même temps curé de Lunéville, bénit le mariage en présence de Nicole, du prince de Mouy, premier prince du sang lorrain, et de quelques autres personnes (18 février 1634). Le lendemain, il envoya un courrier à Rome pour prier le pape de confirmer les dispenses. Le maréchal de La Force arriva trop tard pour empêcher la cérémonie.

Il ramena à Nancy les mariés et Nicole, et les tint sous bonne garde dans le palais ducal. Richelieu, profondément irrité, hésita cependant avant de prendre un parti. Ce ne fut que le 20 mars, que le comte de Brassac reçut une dépêche lui prescrivant d’envoyer à Paris le prince et les deux princesses. Mais la veille étaient arrivées à Nancy, les dispenses régulières accordées par le pape Urbain VIII.

Nicolas se hâta de faire bénir de nouveau son union par le curé de la paroisse Saint-Epvre. Brassac embarrassé crut devoir réclamer de nouvelles instructions. Nicolas et Claude ne les attendirent pas. Le 31 mars, à la nuit, le prince s’étant fait couper les cheveux et ayant revêtu un habit de portefaix gagna la maison d’un de ses gentilshommes nommé Bornet. Peu après, un autre gentilhomme, nommé Beaulieu, faisait sortir Claude du palais ducal. Elle était déguisée en page et portait une torche. Pour donner le change, Beaulieu feignait de réprimander rudement son serviteur.

Le lendemain, à la pointe du jour, les deux évadés sortaient de la ville par la porte Notre-Dame (de la Craffe). Ils étaient habillés en paysans et portaient des hottes de fumier. Une paysanne, dit-on, les reconnut et avertit un soldat. Celui-ci prévint l’officier de garde, mais comme on était au premier avril, on crut à une plaisanterie de la part de la villageoise.

Bientôt les faux paysans atteignaient le bois de Saulrupt, y trouvaient de bons chevaux et, à franc étrier, gagnaient la ville de Mirecourt. De là, ils se rendirent à Besançon, où ils retrouvèrent la princesse de Phalsbourg qui s’était aussi échappée de Nancy par une ruse du même genre. On voit que les princesses lorraines devançaient dans leurs hardiesses les romanesques héroïnes de la Fronde.

Les fugitifs ne s’arrêtèrent que fort peu en Franche-Comté. Ils allèrent demander asile à leur tante la grande duchesse de Toscane, et plus tard s’établiront à Vienne où naquirent leurs quatre enfants.

La pauvre duchesse Nicole ne songea point à se rendre à Besançon. Elle savait que son mari y était engagé dans une intrigue, publique avec une jeune fille nommée Béatrix de Cusance, qu’il prétendait épouser, au mépris de sa foi jurée et des lois.

Elle se résigna à partir pour la France. Louis XIII et la reine se portèrent au-devant d’elle et la reçurent avec courtoisie au château de Fontainebleau. Mais lorsqu’elle fut introduite dans son appartement qui avait été richement décoré et tendu de magnifiques tapisseries, elle s’aperçut que sur l’un des panneaux était représentée la fable du pot de terre contre le pot de fer. C’était la moralité de toute cette histoire. Elle fondit en larmes. Bientôt, elle quitta la cour pour aller vivre isolée dans l’hôtel de Lorraine à Paris.

La Lorraine se trouva ainsi abandonnée par ses souverains. Le pays n’était pas encore soumis complètement, mais sa défense ne pouvait guère être sérieuse. Toutefois, le patriotisme de la population prolongea la résistance.

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