Charles IV (1624 – 1675) et Richelieu (2)
D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895
Le siège de la petite ville de La Mothe est un des épisodes qui ont laissé à bon droit un long souvenir dans la mémoire des Lorrains.
Cette place était située dans le Bassigny, tout près de la Champagne et de la Bourgogne. Elle occupait une hauteur de difficile accès et avait été fortifiée avec soin. Les vivres et les munitions y abondaient, mais elle n’avait comme garnison que 220 soldats et quatre compagnies de milice bourgeoise. Le gouverneur était M. de Choiseul, marquis d’Ische, un vaillant soldat et un habile homme de guerre.
L’armée française apparut dans le voisinage le 8 mars 1634. Elle était conduite par le maréchal de La Force qui se contenta d’abord d’organiser un étroit blocus et s’éloigna même pour aller soumettre la forteresse de Bitche.
Mais en son absence, les opérations s’engagèrent vivement. Toute la population prenait part à la lutte. Les femmes elles-mêmes étaient armées, bravaient l’ennemi et descendaient la colline pour couper de l’herbe pour les bestiaux et faisaient le coup de feu au besoin. Un capucin, le père Eustache, frère de M. de Choiseul, n’osant par scrupule se servir d’un mousquet, faisait rouler des pierres sur les assiégeants.
La lutte continua avec le même acharnement pendant plusieurs semaines. Le 25 juillet, une mine fit sauter le bastion Saint-Nicolas et ouvrit une large brèche par laquelle les assiégeants s’élancèrent avec furie. Mais ils furent repoussés par les soldats et les habitants. Ce fut le dernier acte de cet admirable drame militaire.
M. de Germainvilliers, qui avait pris le commandement après la mort de Choiseul, réunit les officiers survivants et demanda leur avis. Ils furent unanimes à déclarer que la défense était devenue impossible. Le maréchal de La Force accorda une capitulation honorable. La garnison, qui ne comptait plus qu’une centaine d’hommes valides, obtint de sortir avec armes et bagages, tambours battants, mèche allumée et enseignes déployées ; elle se retira en Franche-Comté. Les bourgeois furent autorisés à rester dans la ville ou à la quitter à leur gré. Les volontaires purent s’en retourner libres chez eux (26 juillet 1634).
Le maréchal ne trouva d’autre butin à prendre qu’un certain nombre de caisses remplies de titres de toutes espèces que Charles IV avait envoyés en dépôt dans la forteresse. Richelieu ordonna de les transporter à Paris. Ils furent déposés à la Sainte-Chapelle et fournirent de précieux matériaux pour les polémiques des érudits et des jurisconsultes.
Après la chute de La Mothe, toute résistance cessa en Lorraine. Toutefois, sur beaucoup de points, les paysans, exaspérés par les violences de la soldatesque, organisèrent une guerre de partisans.
Désormais, l’annexion était accomplie en fait.
Louis XIII, pour premier acte de souveraineté, mit la main sur la justice. Par édit du 17 septembre, il décida que le Barrois mouvant resterait dans le ressort du parlement de Paris, et le Barrois non mouvant dans la juridiction de la cour des Grands Jours siégeant à Saint-Mihiel.
Mais il créa à Nancy un conseil souverain qui devait connaître toutes affaires civiles, criminelles, police, domaine, imposition, aides, tailles, finances. Le conseil d’État, la chambre des comptes, la cour des aides, furent supprimés. Tous les fonctionnaires, magistrats, officiers de tout ordre furent invités à prêter serment de fidélité au roi. On l’exigea même de tous les gentilshommes et des simples particuliers. Les particuliers seuls résistèrent. Le nom de Louis XIII, par décision du conseil souverain, fut substitué à celui de Charles IV dans les prières publiques.
La famille ducale était poursuivie avec une implacable rigueur. Le 5 septembre, le parlement de Paris avait rendu un arrêt qui déclarait nul le mariage de Gaston et de Marguerite et, en raison du rapt commis par le duc Charles, le cardinal Nicolas-François et la princesse de Phalsbourg, les bannissait à perpétuité du royaume de France, et prononçait la confiscation des biens qu’ils y possédaient. L’arrêt ajoutait qu’une pyramide serait élevée sur la principale place de Bar avec une inscription rappelant la félonie de Charles IV et son châtiment. Le Duc furieux jura qu’il punirait cette insolence « sur tous les mangeurs de papiers ».
Charles n’avait pas fait un mouvement pour sauver l’héroïque forteresse de La Mothe. Il est vrai qu’il était alors en Allemagne, occupé à guerroyer contre les Suédois et la Ligue protestante. Son oncle, Maximilien de Bavière, se démit en sa faveur du commandement de la Ligue catholique. Il fit d’autre part appel à ses fidèles Lorrains. Ils vinrent par milliers et il reforma ses anciens régiments. Il trouvait en face de lui, deux des meilleurs généraux formés à l’école de Gustave-Adolphe, le comte de Horn et Bernard de Saxe-Weimar. L’armée impériale et une armée espagnole se joignirent à lui.
La rencontre générale eut lieu à Nordlingen en Souabe. On se battit avec acharnement pendant deux jours. Les Suédois et leurs alliés perdirent 15 000 hommes, 4 000 prisonniers, 60 pièces de canon et 500 drapeaux ou cornettes. Ce fut la plus belle journée de sa carrière militaire.
De l’aveu de tous, amis et ennemis, c’est à lui qu’on dut la victoire. Ses habiles dispositions, ses ordres fermes et précis, son autorité sur les troupes, sa fougue héroïque sur tous les points menacés excitèrent l’enthousiasme universel.Lorsqu’il rentra dans son quartier, la « redoutable infanterie espagnole » l’acclama avec admiration et il trouva sa tente pavoisée de cent vingt drapeaux conquis par ses Lorrains (5 et 6 septembre 1634). On dit que le Duc, enivré de son triomphe, fit frapper des médailles portant cette légende : Carolus rex Austrasix.
Pendant l’hiver, il répondit aux créations judiciaires de Louis XIII en instituant une cour souveraine, qu’il établit provisoirement dans la petite ville de Sierck. Les Lorrains, fidèles au prince proscrit, et qui ne voulaient point reconnaître les tribunaux français, vinrent plaider à Sierck, et les arrêts de la cour étaient signifiés et exécutés en Lorraine malgré la police du roi.
L’année suivante, Charles rentra en Lorraine. Il s’empara de Remiremont, puis s’établit à Rambervillers. Avec un peu plus de vigueur et d’élan, il aurait peut-être obtenu des avantages plus décisifs.
Déjà plusieurs soulèvements s’étaient produits. L’esprit national se réveillait partout, une insurrection générale semblait près d’éclater. Mais le Duc resta inactif. Cet homme en apparence si fougueux, si prompt à la main, était parfois hésitant et perdait un temps précieux.
Le mouvement fut cependant assez sérieux, pour obliger le roi à venir lui-même avec une armée. Il put juger du patriotisme et du dévouement des Lorrains.
Il assiégea Saint-Mihiel, ville presque ouverte, et y fut arrêté longtemps. Après la reddition de la place, il manda devant lui le gouverneur et lui reprocha sévèrement d’avoir résisté dans une ville qui n’était pas tenable.
« Sire, lui répondit le gentilhomme lorrain, si Votre Majesté avait commandé à un de ses gentilshommes de défendre un moulin à vent et qu’il ne l’eut pas fait, Votre Majesté l’aurait fait décapiter. Son Altesse, mon maître, m’en aurait fait autant si j’avais manqué à lui obéir ». Louis XIII, peu généreusement, au mépris de tout droit, envoya les officiers à la Bastille et les soldats aux galères.
La guerre prenait alors son caractère définitif. La France, qui s’était jusqu’alors contentée d’appuyer les Suédois de ses subsides, se jeta directement dans la lutte en 1635. La Lorraine fut inondée de troupes et eut à souffrir cruellement.
Alors eut lieu l’effroyable saccagement de Saint-Nicolas-de-Port.
C’était une des plus importantes villes de la Lorraine, bien supérieure à Nancy par sa population et par ses richesses. Simple pèlerinage à l’origine, elle était devenue peu à peu, un centre de commerce. Ses foires étaient les plus fréquentées de toute la région de l’Est. Les marchands y affluaient chaque année de toutes les contrées voisines.
Elle n’était couverte que d’un simple mur. Tous les belligérants se jetèrent sur elle. Gallas et ses Allemands la pillèrent les premiers. Les Français du maréchal de La Force vinrent à leur tour y faire le butin. Enfin les Suédois s’y ruèrent comme une horde de sauvages.
Après avoir pillé les quartiers les plus riches, ils enfoncèrent les portes de la magnifique église, s’emparèrent des vases sacrés, profanèrent les hosties, brisèrent les statues, brûlèrent la toiture et les charpentes des tours. Pendant six ou sept jours, les scènes les plus horribles se succédèrent. Tous les bandits vinrent se joindre aux Suédois. La ville entière fut mise à sac. Les deux tiers des maisons furent incendiées. De nombreux habitants furent assassinés, les autres prirent la fuite. La population fut réduite à quelques centaines d’habitants. C’en était fait de cette florissante cité, elle ne s’est pas relevée depuis (novembre 1635).
Charles IV ne fit rien ou ne put rien pour empêcher ces actes de brigandage. L’armée impériale se contenta d’observer. Le maréchal de La Force et Bernard de Saxe-Weimar laissèrent faire.
Les années qui suivirent (1635-1641) furent les plus malheureuses de l’histoire de la Lorraine. Les populations foulées, pillées, violentées par les armées ennemies qui, par instant, comptèrent ensemble plus de 150 000 hommes, connurent les extrémités de la plus affreuse misère.
La culture des champs était devenue presque impossible. Le peu de récolte que le paysan parvenait à obtenir dans quelques quartiers, était enlevé pour la nourriture des soldats. La famine sévit avec toutes ses horreurs.
Les historiens disent qu’on n’avait rien vu de comparable depuis le siège de Jérusalem. On mangea de la chair humaine. Les Suédois commirent surtout d’effroyables excès. Leur férocité a laissé dans la mémoire du peuple, des souvenirs que rien n’a jamais pu effacer.
Mais il est vrai de dire aussi, que les armées de France et d’Allemagne, dont une partie était recrutée parmi les mercenaires, prirent part à ces barbaries, et des Lorrains même, chassés de leurs maisons, exaspérés par les calamités qui pesaient sur eux, se livrèrent au brigandage. Beaucoup s’enfuirent, poussant droit devant eux, sans savoir où ils allaient et cherchèrent des refuges en Bourgogne et en France.
La dépopulation prit des proportions effroyables, d’autant plus que la peste ravagea le pays pendant plusieurs années. Des milliers de familles périrent dans les villes. Des bourgs et des villages abandonnés disparurent du sol. L’historien Digot cite quatre-vingts de ces localités qui n’ont pas laissé de trace, et dit qu’il faudrait en ajouter un grand nombre à la liste funèbre.
Richelieu et Louis XIII ne paraissent pas s’être émus au spectacle de ce peuple si cruellement opprimé. Ils ne voulurent voir que le résultat politique, c’est-à-dire l’affaiblissement d’une nationalité mourante qui serait hors d’état désormais de défendre sa liberté.
Aux ruines accumulées par les armées, ils ajoutèrent la démolition d’une multitude de châteaux et de forteresses dont, il est vrai, la plupart servaient de repaires aux bandits.
Dans l’insensibilité générale, il n’est que juste de relever les noms de deux hommes de coeur qui se firent bénir du peuple pour leurs sentiments humains et leur active charité : un prêtre lorrain, Pierre Fourier, et un prêtre français, saint Vincent de Paul.
Pierre Fourier était curé de la petite paroisse de Mattaincourt. Il était aussi le supérieur des chanoines réguliers de Lorraine, et avait fondé de belles institutions pour l’enseignement populaire. Très dévoué à la maison ducale, il avait approuvé le mariage de Nicolas-François avec la soeur de Nicole. Richelieu lui en voulut beaucoup, le fit poursuivre avec acharnement de retraite en retraite, et le força enfin à se retirer à Gray où il mourut à bout de forces. Mais il ne put l’empêcher, tant qu’il fut en Lorraine, de prodiguer ses consolations et ses secours aux malheureuses populations.
Saint Vincent de Paul (Monsieur Vincent, comme on l’appelait à la cour de Louis XIII) est resté dans le souvenir des hommes comme la personnification de la charité. Touché d’une pitié profonde, il parvint par des miracles d’éloquence à réunir des secours considérables (deux millions de livres), qu’il fit répandre par les mains de ses Pères de la Rédemption dans les campagnes de la principauté. Il sauva de la faim des milliers de pauvres gens.
Quant au duc Charles IV, le protecteur naturel de ces malheureuses populations, il se montra indifférent à leurs disgrâces. Rien ne troubla sa bonne humeur qu’il promenait en Franche-Comté, en Allemagne et dans les Pays-Bas. Il ne retranchait rien de ses plaisirs. Il allait de fête en fête et se donnait en spectacle aux populations qui applaudissaient sa merveilleuse adresse dans les carrousels.
En avril 1637, il s’avisa d’un nouveau genre de réjouissance. Il avait retrouvé à Besançon cette belle Béatrix de Cusance, dont il s’était occupé quelques années auparavant et qu’on avait mariée au prince de Cantecroix. Ce seigneur venait de mourir, le Duc affrontant le scandale, épousa la veuve. C’était un cas de bigamie. Mais de savants théologiens démontrèrent qu’il n’y avait aucune incorrection, le mariage avec Nicole étant entaché de nullité.
En ce moment, Charles se donna entièrement à l’Espagne qui lui conféra le titre de capitaine-général de la Franche-Comté, où il était très populaire pour avoir forcé le père du grand Condé à lever le siège de Dôle.
Avec une petite armée qui s’était attachée à sa fortune, il ressemblait de plus en plus à un chef de condottieri. De temps en temps, il faisait des pointes en Lorraine et il s’emparait de quelques places qu’il perdait bientôt. Le peuple, dont nous devons louer le patriotisme et la constance, restait, malgré tout, fidèle à sa cause parce qu’elle était, à ses yeux, celle de la nationalité et de l’indépendance.
Cependant, Charles IV se fatiguait du rôle de comparse qu’il jouait au profit de l’Espagne et de l’Autriche. Il se plaignait amèrement de l’ingratitude des alliés ou plutôt des maîtres qu’il s’était donnés.De son côté, Richelieu, préoccupé de la guerre générale, inclinait à croire qu’il serait plus sage d’ajourner l’annexion définitive d’une province ruinée qu’on serait probablement obligé de rendre à la paix. Il se décida à ouvrir des négociations avec Charles.
Comme elles traînaient en longueur, le Duc, avec son irréflexion ordinaire, résolut d’aller traiter directement, demanda un passeport et partit pour Paris dans les premiers jours de mars 1641.
Le roi le reçut très gracieusement, mais le renvoya au cardinal pour traiter de la paix. Celui-ci ne se relâchant d’aucune de ses exigences, Charles, après avoir discuté avec vivacité, finit par croire qu’il était, comme à Laneuveville, prisonnier du roi. Il consentit à tout.
Le traité fut signé le 29 mars. Dans un préambule humiliant, il faisait une sorte d’amende honorable et reconnaissait tous ses torts envers le roi. Il cédait les villes de Clermont, Jametz, Stenay et Dun. Il laissait Nancy aux Français jusqu’à la paix générale, rompait toute intelligence avec la maison d’Autriche, s’engageait à joindre ses troupes à celles du roi à première réquisition, et à donner le libre passage dans la Lorraine aux troupes royales qui auraient à se rendre en Alsace, en Franche-Comté ou en Bourgogne.
Une des clauses concernait la malheureuse Nicole. Le prince était allé la voir à l’hôtel de Lorraine. Comme il affectait de l’appeler toujours ma cousine : « Ne suis-je donc pas votre femme ? » lui dit la duchesse. Il s’inclina et sortit sans répondre. Il revint cependant et s’engagea à lui servir une pension annuelle de cent vingt mille livres tournois.
Ce traité de Paris fut appelé la petite paix, à cause de sa courte durée (29 mars 1641).
Charles s’était hâté de rentrer dans ses États. A Bar-le-Duc, il fut rejoint par un officier du roi qui l’invita à signer un acte portant ratification du traité, pour qu’il ne prétendît point plus tard n’avoir pas été libre à Paris. De Bar, il courut à Épinal, où il retrouva sa prétendue femme Béatrix. Il la prit avec lui et lui fit rendre tous les honneurs d’une souveraine dans les diverses parties de son duché.
Partout, il fut accueilli avec des transports enthousiastes. On voyait en lui le vivant symbole de la patrie. Il s’approcha de Nancy et, comme le gouverneur, du Hallier, lui en interdisait l’entrée, il s’établit au château de la Malgrange et vint faire ses dévotions à Notre-Dame de Bon-Secours. Sur toute la route, les paroisses rurales accouraient, le curé à leur tête avec la croix et l’eau bénite. Un curé fut assez simple pour y porter le Saint-Sacrement. On l’entourait, on poussait des cris de joie, chacun voulait le toucher. On lui déchira ses manchettes, ses habits. Quelques-uns lui prirent des cheveux et des poils de sa barbe, pour en faire des reliques.Au milieu de cette allégresse dont jouissait pleinement Béatrix, l’infortunée Nicole était oubliée de tout le monde, sauf peut-être de quelques paysannes qui, naïvement, criaient enjoignant les mains : « Dieu nous conserve monseigneur le Duc, ses deux femmes et son enfant ! ».
Ces démonstrations inquiétaient Richelieu. Cependant, il observa la convention et fit évacuer les villes qui, aux termes de cet arrangement, devaient être restituées.
Quant au Duc, il ne prenait pas au sérieux ses engagements. Déjà le 28 avril, peu après son retour à Épinal, il avait fait appeler un notaire et avait protesté par-devant témoins contre la violence qui lui avait été faite à Paris. Invité par le roi à joindre ses troupes à celles du maréchal de Châtillon, chargé de réduire le comte de Soissons et le duc de Bouillon qui étaient en pleine révolte, il se déroba sous divers prétextes. Il fit mieux. Il se lia par un traité secret avec les princes. Châtillon, lassé d’attendre les troupes lorraines, livra le combat de la Marfée et fut battu.
Richelieu, irrité, envoya ordre à du Hallier de se saisir de la personne du prince lorrain. Celui-ci fut prévenu, se mit à l’abri, et bientôt ne garda plus de mesure. Le 30 août, il fit prendre par sa cour souveraine siégeant à Vaudrevange, un arrêt annulant le traité du 29 mars, par ce motif que le prince n’avait point le droit d’aliéner une portion de son État sans le consentement du peuple. C’était vrai, mais Charles s’en avisait bien tard.
Les troupes françaises réoccupèrent la Lorraine. Toutes les villes récemment restituées furent reprises. Charles IV tua 1 500 hommes dans un brillant combat livré à du Hallier, mais il ne se sentit pas assez fort pour lutter sérieusement, il se contenta de prendre une bonne position entre la Meuse et la Sambre. Puis, ayant renouvelé ses liaisons avec l’Empire et l’Espagne, il alla passer l’hiver à Bruxelles, accompagné par Béatrix de Cusance.
Nicole fut vengée par le pape Urbain VIII, qui statuant sur la demande en nullité de son mariage introduite à Rome par Charles IV lui-même, confirma son droit et frappa d’excommunication le bigame et sa complice.
Le 4 décembre 1642, survint un événement qui pouvait changer la fortune de Charles IV. Son redoutable adversaire, le cardinal de Richelieu, avait cessé de vivre.
Les Lorrains ont été durs pour la mémoire du cardinal. Ils n’ont vu en lui, que l’oppresseur de leur patrie. Et en vérité, la Lorraine avait tant souffert pendant cette première réunion à la France, que l’on comprend les ressentiments des populations contre celui qui, à leurs yeux, était le principal auteur de leurs maux.
L’esprit féodal avait du reste conservé presque toute sa force. L’indépendance de la principauté était un principe sacré, qu’ils ne voulaient à aucun prix sacrifier à l’intérêt supérieur de l’unité française dont ils n’avaient souci, qu’ils ne soupçonnaient même point.
Aujourd’hui, la succession logique des faits nous a placés à un autre point de vue. Certes, nous ne condamnons pas le sentiment des ancêtres, nous n’en méconnaissons ni la légitimité, ni la grandeur. Mais rien ne nous empêche non plus de rendre justice à ce ministre patriote, à ce grand Français qui, par-dessus la Lorraine, regardait vers l’Alsace et le Rhin, et dont la politique extérieure se résume dans ces mots de son testament : « J’ai voulu rendre à la Gaule les limites que la nature lui a destinées… identifier la Gaule avec la France et, partout où fut l’ancienne Gaule, y retrouver la nouvelle ».
La mort du cardinal amena une certaine détente dont profita la première, Marguerite de Lorraine. Le roi reconnut enfin son mariage, et elle fut autorisée à venir en France. Louis XIII, du reste, depuis longtemps malade, suivit de près son ministre (14 mai 1643).