L’ordre du lévrier blanc
L’ordre du lévrier blanc ou l’ordre de Saint Hubert du Duché de Bar
D’après la « Notice historique de l’Ordre de Saint-Hubert du Duché de Bar » de V. Servais – 1868
et « Histoire des ordres de chevalerie » de François Frédéric Steenackers – 1867
La mort d’Edouard III, duc de Bar, et de Jean de Bar, son frère, seigneur de Puisaye, tués à Azincourt en défendant la France contre les Anglais, le 25 octobre 1415, fit tomber la succession de ces princes au pouvoir de Louis de Bar, le seul des fils de Robert, duc de Bar et de Marie de France qui vécût alors.
Louis de Bar, trop âgé pour renoncer à l’état ecclésiastique qu’il avait embrassé dans sa jeunesse, accepta la couronne ducale du Barrois, tout en conservant le titre de cardinal, et la crosse épiscopale de Châlons, qu’il permuta depuis pour celle de Verdun, ville plus rapprochée que Châlons de son héritage.
Ce prince que son âge, son état et sans doute aussi son caractère, éloignaient des habitudes guerrières, s’appliqua, dès le commencement de son règne, à cicatriser les plaies que les hostilités survenues entre la Lorraine et le Barrois, en guerre depuis plusieurs années, avaient faites au duché de Bar : il rechercha l’amitié du duc de Lorraine et la paix. Il ne tarda pas à obtenir l’une et l’autre. Les deux princes signèrent, le 4 décembre 1415, un traité qui mit fin aux événements désastreux dont les deux duchés avaient été le théâtre sur la fin du règne de Robert et sous celui d’Edouard III.
La guerre soutenue par Charles II contre Edouard III a été fatale à plusieurs des villages des environs de Bar-le-Duc. Le 2 mai 1414, des maisons furent incendiées à Savonnières-devant-Bar, par le duc de Lorraine et ses complices, qui brûlèrent aussi le même jour le village de Louppy-le-Château. Des quittances ou décharges d’impôt furent accordées pour 6 ans, à ceux des habitants de Savonnières dont les maisons avaient été arses. De semblables décharges furent accordées, aussi vers le même temps, aux villages de Rambercourt-sur-Orne, Tronville, Fains, les Marais, Condé, Belrain, Ville et Varney. On est fondé à penser que ces dernières exemptions eurent également pour motif les désastres de la guerre.
Après avoir assuré la paix au dehors de ses états, le cardinal de Bar s’occupa de rétablir le calme au dedans. C’est à son penchant pour la paix, qu’est due l’association de l’Ordre du Lévrier, ou de la Fidélité. Cette institution, créée évidemment pour maintenir dans le duché de Bar et le marquisat du Pont, l’ordre et la tranquillité, se forma à Bar-le-Duc, sous la protection du Cardinal, et les Statuts eu furent arrêtés en sa présence, le 31 mai 1416.
Quarante-six gentilshommes (*), l’élite de la noblesse du duché de Bar, entrèrent dans ce pacte solennel. Ils s’imposèrent entre autres obligations, celles de s’entr’aimer, de se secourir mutuellement et de recourir à l’autorité ducale pour la solution des différends qui s’élèveraient entre eux. Ceux qui avaient à se plaindre de torts ou dommages quelconques, étaient tenus, d’après les statuts, d’en donner avis au Roi, ou chef de la compagnie. Sur la requête de celui-ci, et huit jours après, tous les membres de l’ordre devaient marcher au secours du plaignant, le banneret à trois hommes d’armes, le simple chevalier à deux, et l’écuyerà un. On devait fournir de plus grandes forces lorsque le cas l’exigeait, mais la nécessité de l’accomplissement de cette obligation était soumise à l’appréciation du Roi, et de six des membres de la compagnie.
(*) Thiébaut de Blamont – Philibert, seigneur de Beffroimont – Eustache de Conflans – Richard des Hermoises – Pierre de Beffroimont, sire de Ruppes- Regnault du Châtelet, et Erard du Châtelet, son fils – Mansart d’Esne – Jean, seigneur d’Orne – Gobert d’Apremont – Joffroi d’Orne – Jacques d’Orne – Philippe de Norroy – Olry de Landre – Jean de Laire – Jean de Seroncourt – Colard d’Ottenges – Jean de Beffroimont, seigneur de Fontois – Jean de Malbeth – Joffroi de Bassompierre, chevaliers.
Jean, seigneur de Rodemach – Robert de Sarrebruck, seigneur de Commercy – Edouard de Grandpré – Henri de Breux – Wory de Lavaulx – Joffroy d’Apremont – Jean des Hermoises – Robert des Hermoises – Simon des Hermoises – Franque de Houze – Olry de Boulanges – Henri d’Epinal – François de Sorbey – Jean de St-Lou (Loup) – Hugues de Mandres – Huart de Mandres – Philibert de Doncourt – Jean de Sampigny – Colin de Sampigny – Alardin de Mouzay – Hanse de Nivelein – Le Grand Richard d’Apremont – Thiéry d’Autel – Thomas d’Ottanges – Jacquemin de Nicey – Jacquemin de Villers, écuyers.
Ces dernières conditions, et surtout celle qui était imposée aux associés par les statuts, de recourir aux règles du droit pour obtenir justice de celui d’entr’eux dont ils pouvaient avoir à se plaindre, prouvent avec évidence que la fondation de l’ordre avait principalement pour but de prévenir les voies de fait si communes dans le XIVe siècle, malgré les efforts des souverains pour les empêcher ; désordres qui n’avaient pas manqué sans doute de se reproduire et de se multiplier dans le pays, pendant la durée de la dernière guerre.
Le Cardinal promit, sur parole de prince, de faire observer les conventions jurées par les gentilshommes alliés, et de les soutenir de tout son pouvoir et de toutes les forces dont il disposait.
On a vu que le chef de l’association portait le titre de Roi. Il devait être élu pour un an. L’insigne distinctif de l’ordre, était un lévrier blanc, ayant au cou un collier portant les mots : « Tout ung ».
Tous les membres étaient tenus de le porter. La compagnie devait se réunir deux fois par an, la première le 11 novembre, jour de saint Martin, et la seconde le 23 avril, jour de saint Georges. Chaque associé était tenu d’assister aux assemblées générales, sous peine d’un marc d’argent. En cas d’excuse légitime, il devait s’y faire représenter et payer sa part des frais. On voit par les lettres de création de l’ordre que la première réunion dut avoir lieu à Saint-Mihiel.
Les membres devaient être élus par le Roi ou chef, assisté des gentilshommes les plus notables de la compagnie. Ils ne pouvaient être institués qu’en vertu d’une ordonnance du duc de Bar.
Telles sont les principales règles auxquelles étaient assujettis les associés. On voit qu’elles leur imposaient des obligations assez onéreuses, établies non-seulement dans leur intérêt, mais aussi dans l’intérêt du prince et du pays.
Cette institution chevaleresque avait été créée pour cinq ans. Il ne reste d’autres traces des premiers temps de son existence que celles qui nous sont transmises par les lettres de son établissement. On sait cependant qu’il en résulta, pour le souverain et pour le pays, des avantages qui déterminèrent le cardinal de Bar et les chevaliers de l’Ordre, peu de mois après l’expiration des cinq années, à le maintenir à perpétuité.
Cette mesure fut décidée dans une assemblée qui se tint à Bar-le-Duc, le jeudi 23 avril 1422, où treize des gentilshommes, qui avaient pris part à sa création en 1416, s’engagèrent tant en leur nom, qu’au nom de leurs associés absents, à observer les statuts adoptés en 1416.
Les seuls changements introduits dans les règlements existants portèrent sur la dénomination, la marque distinctive et les jours de réunion de l’ordre. Dans cette assemblée, les chevaliers choisirent pour patron saint Hubert, sous l’invocation duquel ils placèrent l’institution. Ils décidèrent qu’au lieu du lévrier, ils porteraient au bas du collier, « ung imaige d’or du dict sainct, pendant sur la poitrine, et ung pareil imaige brodé sur leurs habillements ». La Journée ou réunion annuelle qui jusque-là s’était tenue à la Saint-Martin (11 novembre), fut fixée au jour de la fête de saint Hubert.
Ces dispositions furent approuvées le même jour par Louis de Bar, qui, à la requête des chevaliers assemblés, fit apposer son sceau aux lettres contenant le résultat de leur délibération.
C’est au milieu des troubles et des débats qui s’élevèrent au sujet des successions à la couronne de Lorraine et de Bar, que l’on voit figurer les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Hubert avec une grande distinction.
En 1430, après la mort de Charles II, ils se firent remarquer par leur dévouement à la cause légitime de René et d’Isabelle son épouse, contre les prétentions d’Antoine, comte de Vaudemont, neveu de Charles II.
La guerre qui éclata à cette occasion entre les deux prétendants fut terrible. René fut fait prisonnier par le duc de Bourgogne qui était venu au secours du comte de Vaudemont son allié, et son armée, complètement battue, se livra d’elle-même au carnage de l’ennemi.
Le prince fut conduit à Dijon et enfermé dans une tour. La princesse Isabelle obtint une trêve dont elle se servit habilement pour fortifier son parti. On nomma six gentilshommes choisis parmi les Chevaliers de l’Ordre, pour gouverner l’Etat et terminer la contestation qui divisait René et le comte de Vaudemont. Les chevaliers nommés acceptèrent le gouvernement du pays, mais ils se refusèrent d’être les juges ou les arbitres des prétentions des deux princes.
Cette affaire fut portée au concile de Bâle devant l’empereur Sigismond qui prononça en faveur de René, lequel cependant resta toujours prisonnier du duc de Bourgogne, faute de pouvoir s’accommoder avec le comte de Vaudemont. Sur ces entrefaites, René duc de Bar et de Lorraine, succéda à son frère Louis, roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem. Mais cette fortune ne servit qu’à prolonger sa captivité, parce qu’elle fut un prétexte d’augmenter sa rançon.
Enfin, vers le milieu de 1436, il y eut une grande assemblée de tous les seigneurs de Lorraine, au sujet de la détention de René. Tous étant animés par le souvenir de la conduite des chevaliers de Saint-Hubert en 1416, il y fut décidé qu’ils prodigueraient de nouveau leurs biens et leurs richesses pour la liberté du prince. En effet, les subsides qu’on levait en Lorraine depuis un an pour la rançon de René ne suffisant point, les chevaliers se cotisèrent à l’envi pour former la somme exigée. L’un d’eux, Evrard du Chatelet, engagea même toutes ses terres, et donna pour sa part dix-huit mille saluées d’or.
René obtint enfin sa liberté, moyennant une rançon de deux cent mille écus, dont la majeure partie fut fournie par les Chevaliers de l’Ordre.
L’histoire de Lorraine, qui nous a transmis les noms de ces seigneurs, nous fait voir que ceux qui donnèrent dans cette circonstance un si touchant exemple de dévouement à leur souverain, sont les mêmes qui, en 1422, avaient coopéré à la fondation de l’Ordre de Saint-Hubert, à perpétuité : les Thibaut de Blamont, Eustache de Conflans, Evrard du Chatelet, Arnauld de Sampigny, Philippe de Nourroy, etc. etc.
A sa création, le chef de l’ordre eut le titre de Roi, en 1422 celui de Gouverneur, et on en faisait l’élection chaque année. Mais depuis 1619, on lui donna celui de Grand-Maître, et par les statuts de 1783, il a été rendu inamovible.
Pour être admis dans l’ordre, ce qui ne pouvait se faire que par le Grand-Maître, huit ou dix des plus puissants seigneurs qui en faisaient partie, et avec l’agrément du prince régnant, il fallait être issu d’ancienne Chevalerie, ou avoir mérité personnellement un titre, et s’être distingué par des services et des belles actions.
Tous les droits et prérogatives de l’Ordre de Saint-Hubert furent confirmés :
- par Charles III, duc de Lorraine et de Bar, par décret expédié en son conseil d’état , le 4 novembre 1605 , et entériné au bailliage de Bar, le 2 octobre 1606
- par Charles IV, duc de Lorraine et de Bar, par décret expédié en son conseil, tenu à Bar, le 27 octobre 1661
- par Léopold, duc de Lorraine et de Bar, par décret expédié en son conseil, tenu à Lunéville le 12 juin 1718.
L’Ordre, qui subsista avec splendeur tant que les duchés de Lorraine et de Bar furent souveraineté indépendante, ne perdit point de son éclat lorsque ces principautés furent cédées à la France.
Le roi Stanislas étant devenu duc de Lorraine et de Bar, en 1737, après avoir abdiqué la couronne de Pologne, conserva aux Chevaliers de l’Ordre, par des lettres de prise de possession de ses nouveaux états , les droits et prérogatives dont ils jouissaient et avaient joui jusqu’alors. Louis XV, à qui les duchés devaient revenir après la mort de Stanislas, accorda la même grâce à ces Chevaliers par sa déclaration de prise de possession éventuelle.
C’est en qualité de Ducs de Lorraine et de Bar que les rois Louis XV et Louis XVI furent Chefs suprêmes et protecteurs de l’Ordre, près duquel ils se faisaient représenter par le gouverneur de la province. Le maréchal duc de Choiseul Stainville est le dernier qui ait joui de cette faveur. Il la conserva depuis 1782, époque de sa réception dans l’Ordre, jusqu’à sa mort, arrivée en 1789.
Le roi Louis XVI honora constamment cet Ordre de sa protection spéciale. C’est par sa volonté que les Chevaliers substituèrent au ruban ponceau liseré vert, qu’ils portaient, le ruban vert liseré ponceau. Ce changement de couleur du ruban a été effectué, à cause de sa ressemblance avec celui de l’Ordre de Saint-Hubert de Bavière.
A l’époque de la révolution, l’Ordre de Saint-Hubert, de même que les autres Ordres, cessa d’être en vigueur en France, mais, pour cela, il ne continua pas moins d’exister. M. le baron de Scewald, successivement Ministre des Cours de Trêves, de Nassau et de Francfort, fut nommé administrateur général plénipotentiaire. Il établit le chef-lieu de l’Ordre à Francfort, et, par la suite, obtint en sa faveur, la protection immédiate du grand-duc.
C’est pendant cette administration qu’un assez grand nombre de généraux français, de ministres et de grands officiers de plusieurs cours d’Allemagne furent admis dans l’Ordre. C’est aussi à ce même administrateur que l’institution est redevable de l’organisation définitive de la langue étrangère, dont l’établisement ne peut que puissamment contribuer à la prospérité de l’Ordre.
En 1815, l’Ordre fut réorganisé conformément aux statuts. M. Jean-Baptiste-Marie Bercaire de la Morre, un des plus anciens Chevaliers, et dont la famille a fourni un Grand-Maître, et plusieurs dignitaires de l’Ordre, fut d’abord nommé le 26 mai 1814, administrateur général plénipotentiaire, en remplacement de M. le baron de Scewald , puis élu Grand-Maître par interim, le 21 novembre 1815.
En mars 1816, le roi daigna accueillir l’adresse qui lui fut présentée par une commission spéciale, et sur le rapport particulier de M. le comte de Vaublanc, alors ministre de l’intérieur, l’Ordre fut reconnu par Sa Majesté.
En avril 1816, M. le duc d’Aumont, pair de France et premier gentilhomme de la chambre du Roi, fut élu Grand-Maître définitif. Le 6 du même mois, le Commissaire général fit hommage de la dignité de Grand-Maître à son nouveau titulaire, qui n’accepta sa nomination, d’après l’article 5 du titre 1er des statuts , qu’après avoir pris les ordres du Roi, et après avoir obtenu l’autorisation spéciale de Sa Majesté.