D’après la monographie imprimée
« Récits lorrains. Histoire des ducs de Lorraine et de Bar » d’Ernest Mourin
Publication 1895
Un jour, René II vit paraître un certain Varin Doron, sergent pour la prévôté d’Arches : « Hé ! Duc, vous êtes bien endormi. Si vous voulez, je vous ferai seigneur de Bruyères et de tout à l’entour ! ». René lui donna un capitaine allemand avec 150 mercenaires.
Le lendemain, ils surprirent les Bourguignons pendant la messe et s’emparèrent du château. Ce fut le commencement de l’insurrection. Les populations se levèrent de tous côtés. Les habitants de Saint-Dié, d’Arches, de Remiremont chassèrent les troupes bourguignonnes. Une petite armée fut bientôt formée. Les Lorrains acccoururent pour s’y joindre. Les nobles qui avaient reconnu le duc Charles, reprirent les couleurs de René. Strasbourg envoya six cents soldats et de l’artillerie. Les comtes de Bitche, de Salm, de Réchicourt s’entendirent avec le bâtard de Vaudémont. On marcha sur Nancy.
Des messagers portaient les nouvelles à René. Il vint hâter le mouvement. Sa présence seule suffit pour amener la reddition d’Épinal. Alors, il s’avança jusque sous les murs de Nancy, s’établit dans la commanderie Saint-Jean et prit ses dispositions pour le siège. Peu à peu, son armée grossit jusqu’à 20 000 hommes. Les populations se prononçaient de plus en plus avec enthousiasme. Pour la première fois, la Lorraine eut tout à fait conscience de sa nationalité.
Cependant, de Bièvres se défendait, repoussait toutes les attaques et son artillerie bien servie répondait avec succès à celle de René. Mais la famine ne tarda pas à se faire sentir. Les auxiliaires anglais et les mercenaires ameutés menacèrent de livrer la ville. Bièvres débordé, se décida à capituler. Le 7 octobre, au matin, la garnison défila, protégée par le Duc en personne contre la brutalité et la rapacité des Allemands de son camp. Le gouverneur et ses officiers sortirent les derniers par la porte de la Craffe.
A la vue du noble chevalier, trahi par la fortune, René descendit de cheval, mit la main au chapeau et s’inclina : « Monsieur mon oncle (il était allié à la maison de Lorraine), lui dit-il, humblement vous remercie de ce qu’avez si courtoisement ma duchié gouvernée ». Bièvres en effet avait administré avec douceur et sagesse. Il répondit : « Monsieur, de cette guerre ne me sachez pas mauvais gré et me pardonnez, car j’eusse aimé mieux que monseigneur de Bourgogne ne l’eût jamais commencée ».
Au moment où l’armée lorraine entrait à Nancy, la nouvelle vint que Charles avait pénétré dans le duché du côté de Neufchâteau. Il s’avançait à marche forcée pour secourir son lieutenant. Il apprit à Toul qu’il arrivait trop tard.
Malheureusement, René n’avait déjà plus d’armée. Ses mercenaires, n’étant pas payés, ne voulaient plus se battre. Il reprit avec eux le chemin de l’Alsace. Mais avant de partir, il mit quelques vivres dans Nancy et les habitants lui promirent qu’ils tiendraient pendant deux mois pour lui donner le temps de réunir et d’amener une armée de secours.
Charles, de son côté, ayant reçu des renforts, investit Nancy avec une vingtaine de milliers hommes le 22 octobre. Les opérations furent poussées vigoureusement. On espérait prendre la ville avant le retour de René. L’artillerie battait sans relâche les murailles et en abattait de larges pans. Les vivres étaient assez abondants tout d’abord dans le camp bourguignon parce que l’évêque de Metz, toujours ami de Charles, y pourvoyait. Les habitants de la campagne, au contraire, n’en fournissaient que lorsqu’ils y étaient forcés.
Les capitaines qui commandaient à Rosières, à Epinal, à Gondreville, etc., harcelaient les Bourguignons, enlevaient des détachements, les resserraient peu à peu dans leurs lignes. L’hiver était très rigoureux, les approvisionnements devinrent plus difficiles, l’armée était décimée par le froid, les maladies, les désertions.
René revenu à Strasbourg trouva les Alsaciens bien disposés, mais comme ils ne pouvaient rien sans les Suisses, il alla les voir dans leurs cantons. Sa belle conduite à Morat l’avait rendu populaire. Sur ces rudes montagnards, sa beauté chevaleresque, ses manières accortes, son caractère hardi et persévérant, sa familiarité sans bassesse, exerçaient un grand prestige. Il flattait adroitement leurs habitudes, leurs préjugés, leurs goûts. Il partageait leurs jeux guerriers, leurs exercices, leurs chasses. Il était vraiment le « chevalier bleu » que Walter Scott a peint dans un de ses romans.
Mais les chefs hésitaient cependant. A Berne, où on le voyait suivi partout d’un ours apprivoisé, on ne l’encouragea que de bonnes paroles. A Zurich on fut plus affirmatif. Mais quoi ! Les Suisses qui étaient à la veille de commencer leur métier de soldats mercenaires, n’entendaient pas faire du sentiment et se donner pour rien. René était pauvre et n’ayant pas d’argent ne pouvait avoir les Suisses.
On lui vint en aide en Alsace. Louis XI lui avança quarante mille livres. Il réussit à emprunter. Lorsqu’il annonça qu’il payerait une solde de quatre florins par mois, les soldats s’enrôlèrent en foule. Le départ fut fixé à la Noël.
René tenta d’avertir les habitants de Nancy. Un gentilhomme, nommé Suffren de Baschi, qui était son maître d’hôtel, passa à travers les lignes bourguignonnes. Malheureusement, il fut pris au moment où il franchissait une tranchée.
Traîné devant le duc de Bourgogne, il fut condamné par lui à être pendu. Malgré les remontrances et les prières des principaux chefs, la sentence fut immédiatement exécutée. Les Lorrains, profondément irrités, exercèrent de cruelles représailles et 120 Bourguignons prisonniers furent pendus, avec un écriteau sur la tête portant qu’ils mouraient en expiation de la cruauté du Duc. Ce sont les moeurs du temps.
Cependant les Nancéiens souffraient cruellement de la famine. Après avoir mangé les chevaux, ils en étaient aux chiens, aux chats, aux rats. Ils envoyaient des messagers pour presser le Duc. Quelques-uns étaient pris avant d’arriver, d’autres ne réussissaient pas à rentrer. Les milices, quoique privées d’informations tenaient toujours ferme, leur défense était vraiment héroïque. Malgré les larges brèches faites par le canon, Charles était repoussé dans les assauts qu’il multipliait en vain. Certes, il fallait des coeurs de patriotes pour ne pas céder au désespoir dans une aussi affreuse détresse.
Enfin un compagnon drapier, nommé Thierry, parvint à franchir les lignes et se rendit en cinq jours auprès de René. Le Duc lui montra les Suisses et les Allemands déjà rassemblés, prêts à se mettre en route. Thierry revint en toute hâte, trompa les Bourguignons grâce à un déguisement, rentra dans Nancy et annonça la bonne nouvelle. La vaillante population exaltée par l’espérance, jura de périr tout entière plutôt que de livrer la ville à l’ennemi.
Le rassemblement s’était fait à Bâle. René put enfin donner le signal du départ. Il marchait lui-même à la tête des bandes, la hallebarde sur l’épaule comme un soldat suisse. En même temps, ses messagers allaient dans toutes les directions répandre avis de sa marche, et assigner à tous les fidèles Lorrains, le rendez-vous général pour le 4 janvier à Saint-Nicolas-de-Port.
L’armée de secours comptait environ 15 000 hommes dont 8 000 Suisses. Le reste, mercenaires allemands, alliés alsaciens, se grossissait tout le long du chemin de volontaires lorrains. Beaucoup de Français venaient aussi. Le roi, qui évitait de se déclarer ouvertement, ayant licencié plusieurs compagnies, faisait, par-dessous main, pousser les soldats à se rendre en partisans dans la Lorraine.
Au jour dit, dans l’après-midi du 4 janvier, les alliés qui avaient suivi la vallée de la Meurthe atteignirent Saint-Nicolas. La ville était encore pleine de Bourguignons. Ils furent impitoyablement massacrés. Le soir venu, René fit allumer un fanal sur le clocher de la ville, pour annoncer son arrivée aux Nancéiens.
On devine dans quel sentiment se trouvait l’armée bourguignonne. Le froid, la famine, la misère, les fatigues l’avaient réduite à dix ou douze mille hommes. Comment tenir tête à des troupes fraîches !
Le Téméraire seul semblait inébranlable dans ses résolutions. Il tint conseil cependant, mais plutôt pour exhaler ses colères et donner des ordres, que pour prendre l’avis de ses capitaines. Avec son mépris de gentilhomme, il se répandit en injures contre « la canaille » que René commandait. Les plus sages se risquèrent à lui conseiller de lever le siège (Le roi de Portugal était venu dans son camp et lui avait donné le même conseil, mais il refusa de l’écouter) et de se retirer à Pont-à-Mousson, puis dans le Luxembourg où il se referait.
Charles ne voulut rien entendre, redoubla de fureur, déclara qu’il ne fuirait pas devant un « enfant » et ordonna de tout disposer pour la lutte suprême.
Et pourtant l’âme indomptable du héros était elle-même assiégée de sombres pressentiments. On dit que lorsqu’il se revêtit de ses armes pour la dernière fois, le lion d’or qui formait le cimier de son casque étant tombé, il dit tristement : « Hoc est signum Dei ».
Le comte de Campo-Basso, en qui Charles avait toute confiance, le trahit odieusement et, avec sa compagnie, rejoignit René. Mais quand les Suisses apprirent cette défection, ils ne voulurent pas d’une aussi honteuse recrue. « Nous ne souffrirons pas, dirent-ils à René, que ce traître italien combatte à nos côtés. Nos pères n’ont jamais usé de telles gens, ni de telles pratiques pour gagner l’honneur de la victoire ! ».
Campo-Basso n’insista pas, mais traversa la Meurthe et descendit jusqu’au village de Bouxières-aux-Dames. Il occupa le pont, l’obstrua avec des chariots et attendit l’issue du combat qui n’était pas douteuse pour lui.
Le 5 janvier, à la pointe du jour, l’armée bourguignonne sortit de ses tentes et vint s’établir sur le terrain choisi la veille par Charles et ses meilleurs officiers. Ce terrain assez élevé s’étendait entre les deux ruisseaux de la Madeleine et de Jarville et s’appuyait d’un côté sur la Meurthe et de l’autre sur le bois de Saulrupt. On disposa l’artillerie qui était très forte à trois cents mètres du ruisseau de Jarville, de façon à pouvoir foudroyer les masses lorraines qui, suivant les prévisions, arriveraient en colonnes serrées par la route de Saint-Nicolas, ce qui permettrait de racheter la différence du nombre. La position de Charles était certainement excellente.
De son côté, l’armée lorraine, après avoir entendu la messe et avoir mangé la soupe, s’avança en bon ordre jusqu’auprès du village de Jarville. On s’arrêta là pour tenir conseil et s’entendre sur les dernières dispositions. Les chefs des grandes familles lorraines entouraient le duc René.
Des coureurs ayant appris que Charles avait négligé de s’éclairer au delà du bois de Saulrupt sur lequel s’appuyait sa droite, l’habile capitaine Vautrin Wisse fit décider qu’on tromperait l’ennemi en le laissant croire à une attaque directe, tandis que le gros des forces déroberait sa marche, tournerait le bois et aborderait par le flanc, la droite des Bourguignons.
Une centaine de cavaliers furent envoyés en avant pour occuper l’ennemi par une escarmouche. Les vivandiers et les valets se placèrent sur une hauteur où, à demi cachés par le brouillard, ils pouvaient être pris pour un corps de troupes. Cependant le principal de l’armée remonta le ruisseau de Heillecourt jusqu’auprès de la Malgrange, et fit une dernière halte près de la ferme de Brichambeau.
René adressa un suprême appel à ses Lorrains et à ses auxiliaires. Un prêtre monta sur une éminence, présenta à l’armée une hostie consacrée et exhorta les soldats. Chacun d’eux se jeta à genoux, traça une croix sur la terre, la baisa dévotement et se releva plein de confiance et de résolution.
René commandait l’aile droite. Il avait fait dresser devant lui le grand étendard ducal où était représentée l’Annonciation. Il s’est décrit lui-même dans sa Vraye déclaration, monté sur le cheval qui l’avait porté à Morat, richement harnaché de drap d’or, et ayant lui-même sur son armure une robe de drap d’or avec trois doubles croix blanches.
L’armée entra dans le bois vers midi. Une neige aveuglante tombait. Les Bourguignons ne virent point venir l’ennemi. Quoique surpris, ils firent cependant bonne contenance. Le sire de la Rivière, avec une remarquable présence d’esprit, commanda le mouvement de conversion et par une vigoureuse charge, refoula les Lorrains. Mais alors l’infanterie suisse, commandée par Herter, pressa le pas et bientôt descendit comme une avalanche sur les lignes bourguignonnes qui furent défoncées et rejetées hors du champ de bataille. Charles s’apercevant du désastre s’écria : « Qui sont ces gens ? ». Les capitaines lui répondirent : « N’entendez-vous pas les trompes de Granson et de Morat ! ».
La fuite devint générale. Les vaincus s’écoulaient dans la direction de Pont-à-Mousson. Les soldats laissés dans les tranchées les suivirent. Au lieu d’aller jusqu’à Frouard, ils voulurent prendre par Bouxières. Ils y trouvèrent Campo-Basso qui en massacra une partie, et envoya les principaux à son château de Commercy, pour en tirer rançon.
Le combat resta alors concentré tout près de Charles. René et les Lorrains conduisirent plusieurs charges brillantes. Le Téméraire, entouré de la fleur de sa chevalerie, soutint longtemps le choc, fit même plusieurs fois reculer ses ennemis. Atteint d’un coup de hallebarde, il se releva. Il fallut céder enfin, mourir écrasé par la masse des assaillants ou se résigner à fuir. Il prit ce dernier parti. C’était la troisième fois qu’il fuyait. Par un vigoureux effort, il parvint à se dégager et se dirigea sur la commanderie de Saint-Jean, où il espérait retrouver les soldats des tranchées.
A partir de ce moment, on ne sait plus rien de certain sur ce que devint Charles. Rappelons cependant le récit populaire bien qu’il mérite peu de crédit.
Comme le fugitif atteignait le bord d’un ruisseau qui alimentait l’étang de Saint-Jean, il aurait enfoncé l’éperon dans le flanc de son cheval, pour le forcer à franchir le cours d’eau. Le cheval fit un écart, puis fléchissant sous la lourde charge de son cavalier couvert de fer, il tomba dans la vase. A ce moment, Claude de Beaumont, châtelain de Saint-Dié, l’atteignit et lui porta un coup de lance au visage. Le duc essaya de se relever. « Sauve Bourgogne ! » cria-t-il. Le châtelain était sourd. Il crut entendre « Vive Bourgogne ! ». Il lui asséna un second coup qui lui fendit la tête de l’oreille à la bouche.
Des soldats allemands l’achevèrent et continuèrent la poursuite des fuyards, sans soupçonner qu’ils venaient de frapper le grand Duc d’Occident. Douze ou quinze gentilshommes, et entre autres de Bièvres, furent tués au même endroit. (Le prétendu Beaumont serait mort de chagrin en apprenant qu’il avait tué le prince. Beaucoup refusèrent de croire à la mort de Charles. On disait qu’il s’était réfugié dans un château ignoré et qu’il en sortirait bientôt. Des marchands vendaient sous condition que l’acheteur paierait double prix au retour du duc de Bourgogne).
Dès qu’on fut sûr dans Nancy de la victoire de René, les bourgeois et les soldats firent une sortie et massacrèrent les ennemis en déroute. Les Lorrains et les Français s’attachaient à ramasser des prisonniers. Mais les Suisses et les Allemands ne faisaient pas de quartier. Quelques Nancéiens même périrent parce qu’ils avaient négligé de prendre l’écharpe de Lorraine sur leurs vêtements.
On fuyait dans toutes les directions. Le grand bâtard de Bourgogne, frère de Charles le Téméraire, fut pris à Laxou. Le plus grand nombre se porta du côté de Bouxières. Campo-Basso n’y était plus. Mais comme le pont était encore obstrué, les vainqueurs atteignirent les Bourguignons, un dernier combat s’engagea et le reste poursuivi jusqu’au château de Condé (Custines) s’échappa vers Metz.
A 7 heures, René fit son entrée à Nancy par la porte de Notre-Dame (la Craffe), entouré de ses capitaines, au son de toutes les cloches, éclairé par des centaines de torches et toutes les maisons illuminées.
Le Duc se porta à l’église Saint-Georges pour y rendre ses actions de grâces au Dieu des armées. Les Nancéiens célébrèrent toute la nuit dans de joyeux festins, que la prompte arrivée de vivres abondants leur permettait d’improviser, la fête des Rois, la fin de la famine et la victoire.
Ils avaient certes bien droit de revendiquer une bonne part dans le triomphe, car cette journée à jamais mémorable n’eût pas été possible sans leur héroïque résistance et leur constance inébranlable au milieu des souffrances du siège.
Que serait-il arrivé, s’ils avaient cédé et si, désespérant de voir paraître l’armée de secours, ils avaient ouvert leurs portes à Charles de Bourgogne ? C’eût été la fin de la Lorraine, car René n’aurait jamais pu recommencer une telle campagne.
Les Suisses et les Allemands ne s’attardèrent pas, à célébrer la victoire. La saison était dure, le froid intense, la guerre impossible. Ils partirent dès le lendemain matin, sans savoir ce qu’était devenu le prince vaincu. René les accompagna avec toute sa noblesse jusqu’à Lunéville et après les avoir pourvus de tout ce dont ils avaient besoin, il prit congé d’eux.
Le 7 janvier, Campo-Basso qui avait peut-être ses raisons pour n’avoir pas de doute sur le sort du Duc de Bourgogne, présenta à René un jeune page nommé Colonna, de la grande maison italienne de ce nom, lequel assurait qu’il avait vu tomber son maître sans pouvoir indiquer l’endroit exact. On lui donna une escorte avec ordre de visiter les environs. Après des recherches attentives, Colonna s’écria tout à coup : « Voilà mon maître ! ».
Il était dépouillé de ses vêtements et engagé dans les eaux glacées du petit étang de Saint-Jean. Lorsqu’on le souleva, la peau d’un côté du visage fut enlevée, l’autre avait déjà été déchirée par les loups et les chiens. Malgré l’affreuse blessure qui l’avait balafré de l’oreille à la bouche, on le reconnut à un anneau qu’il portait toujours au doigt, à ses ongles d’une longueur inusitée, à la cicatrice de sa blessure de Montlhéry et à d’autres particularités qui ne laissèrent aucun doute.
On enveloppa le corps dans un drap et quatre gentilshommes le portèrent dans une maison de la Grand’rue. Le corps fut alors richement vêtu et couché sur un lit de parade. Le public fut admis dans la chapelle ardente et pour qu’il ne restât pas d’incertitude sur l’identité du duc de Bourgogne, on amena près du corps les deux bâtards de Bourgogne, son médecin, son chambellan, Olivier de la Marche, son chapelain, ses valets de chambre. Tous le reconnurent sans hésiter.
René vint à son tour. Il portait une robe de deuil et, à l’exemple des anciens preux, une longue barbe de fils d’or descendant jusqu’à sa poitrine. Il prit une main de son adversaire vaincu et dit : « Cher cousin, vos âmes ait Dieu ! Vous nous avez fait moult maux et douleurs ». Il s’agenouilla et pria pendant un quart d’heure.
Le 12 janvier, les funérailles furent célébrées en grande pompe dans la collégiale de Saint-Georges. René y assista avec toute sa noblesse. Il lui fit dresser un magnifique tombeau où le grand Duc d’Occident reposa jusqu’en 1550 et d’où Charles-Quint le fit transporter dans une église de Bruges.
On releva, suivant la chronique de Lorraine, 3 900 cadavres bourguignons qui furent entassés dans une immense fosse creusée dans un terrain voisin de l’église actuelle de Bon-Secours. On en trouva aussi plus de six cents au pont de Bouxières.
La bataille de Nancy est l’événement le plus glorieux de l’histoire de la Lorraine. Son souvenir est resté impérissable. Aujourd’hui encore, après quatre cents ans, lorsqu’on parcourt le terrain où elle s’est livrée, depuis Jarville jusqu’à la tour de la commanderie, bien que tout ait changé d’aspect, les images qui s’éveillent à chaque pas ont un tel relief, qu’il semble que les faits se sont passés hier. Rien ne reste aussi vivant au coeur du peuple et jusque dans le sol que la mémoire des combats soutenus pour la patrie !
Le vainqueur fut modeste dans son triomphe. Il fit élever au bord de l’étang où avait été retrouvé le corps de Charles de Bourgogne, une simple colonne en bois surmontée de la croix de Lorraine. Cette croix à double croisillon avait été rapportée de Hongrie par la maison d’Anjou qui y avait régné au XIVe siècle et elle est restée l’emblème populaire de notre vieille nationalité. Le chardon des armoiries de Nancy rappelle aussi la résistance victorieuse avec sa fière devise non inultus premor, laquelle ne vaut pas le dicton populaire qui s’y frotte s’y pique, ou mieux encore dans la vieille langue : ne mi toquès, je poins.
René récompensa les vaillants qui avaient si bien servi la cause nationale. La ville de Nancy reçut à perpétuité l’exemption de la taille. De nombreux bourgeois furent anoblis. Les nobles fidèles obtinrent de riches domaines, aux dépens de ceux qui avaient fait défection et qui furent frappés de confiscation. René ne garda rien pour lui.
La Lorraine aurait eu droit aussi à une récompense en quelque sorte internationale. Elle n’avait pas seulement sauvé son indépendance, elle avait rendu un immense service à ses voisins.
A suivre…
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