Saulmory-et-Villefranche
Saulmory-et-Villefranche est une commune de l’arrondissement de Verdun, et située dans le canton de Dun-sur-Meuse. Elle compte 109 habitants.
Mais peut-on imaginer, que ces deux petits villages, réunis en 1819, ont connu une histoire mouvementée, et ont été au cœur de batailles entre les ducs de Lorraine et les rois de France pendant près de 90 ans, à cause d’une forteresse construite par François Ier ?
C’est une page d’histoire de ces deux villages, que je vous propose de découvrir. Les appellations anciennes des villes et villages ont été respectées.
D’après le « Manuel de la Meuse » de Jean-François-Louis Jeantin – Publication 1863
Origines de Saulmory
Saulmory était le chef-lieu de l’ancienne baronnie de ce nom. Les écarts du village étaient la Court du val de Saulmory et le château de Boulain.
Par ordonnance royale du 3 novembre 1819, le village de Saulmory a été réuni à la section de Ville franche, qui en dépendait primitivement.
Le val de Saulmory, sur la rive gauche de la Meuse, comprenait, autrefois, tout le versant entre la Wiseppe et le ruisseau de la froide fontaine venant de Tailly et de Montigny.
L’existence de Saulmory est constatée dès l’année 715. Tout le bassin de la mer des basses Wabvres, aujourd’hui sillonné par la Tinte et par le cours de la Meuse, était alors aux mains de Charles Martel : ce prince, attaqué par les Neustriens unis aux Frisons, subit un échec près de Saulmory, sous les dunes du Dolmois. L’assistance des Verdunois, conduits par Pépon leur évêque, lui ayant rendu la victoire, il donna à ce prélat, pour son église, Chaumont et Moirey sur la Tinte, Merles et Casapetria (Dombras) sur la Loisonne, plus la moitié de l’église et des moraines de Saulmory.
Le val de Salmoreium était à la limite des deux diocèses de Verdun et de Reims. En effet, dans la bulle de 1049, donnée par le pape Léon IX, né au château de Dun, et contenant démembrement des biens de la cathédrale des Claves, on y lit ces expressions : « ad Salmoreium medietatem unius ecclesiœ ». Les bans de Wiseppe, Saulmory, Sassey, Montigny, furent longtemps unis et confondus dans le pourcingle de la terre et châtellerie de Dun.
C’est sous Jeoffrois III d’Apremont, sire de Dun, héritier de sa mère Julianne du Rosois, dame de Chaumont en Porceannais, que Saulmory est érigé en commune, grâce au mouvement général des affranchissements.
La charte d’affranchissement date d’octobre 1284. Cette charte est curieuse à étudier. On y trouve le germe de nos institutions municipales : on y voit l’agriculture à ses débuts, dans les mots waigner, ahaner. On y découvre quelques rudiments d’un code de la pêche, qui se complète par les chartes des communes voisines. La curtis du Val, sur les grand et petit Moha, (aujourd’hui la ferme de la Cour) s’y trouve indiquée, ainsi que la Grange seigneuriale.
Par sentence du duc Robert de Bar, du 26 juillet 1409, les habitants de Saulmory ont eu droit de vain pâturage dans toute la prairie de Stenay et de Laneuville, depuis le saulsis Pervignart jusqu’au Wey de l’Ouillon, sous Martincourt.
Saulmory était la résidence des prévôts de la baronnie. La terre de Saulmory dépendait, au XIIIe siècle, de la seigneurie de Vienne le château.
Elle avait été apportée en dot à Thiébaut II, comte de Bar, par sa seconde femme Jeanne, dite de Tocy, fille aînée de Jean Ier de Torcy en Auxerrois, seigneur de Vienne, de La Val de Saulmory, Favreules, Septfonds, etc. Elle fut confisquée, en 1297, par le roi Philippe le Bel sur le comte Henry III, fils de Jeanne, ainsi que la terre de Torcy et la châtellenie de Vienne, en répression des actes de violence que ce comte avait commis, en Champagne, à la suite de sa querelle avec les moines de Beaulieu.
Henry III, par le traité de Bruges, fut contraint, en 1301, d’en faire cession à la France. Mais, comme le traité réservait les droits de sa mère, le val de Saulmory revint au fameux Pierre de Bar, seigneur de Forges, lequel était fils puiné de Jeanne.
A l’extinction de la postérité de ce noble brigand, Saulmory fit retour au Barrois. Du Barrois, il passa à la Lorraine, entre les mains des Lenoncourt, puis… aux adjudicataires des biens expropriés sur ceux-ci.
On trouve alors Saulmory entre les mains des inféodataires de Tailly, de Boulain et de Laneuville, des Touly de Cléry, des Renart de Fuschemberg, et finalement des Moriolles, comtes de Beauclair et barons de Saulmory. Les des Saulx furent les derniers seigneurs du château de Boulain.
Origines de Villefranche
La paix de Crespy, conclue, en Laonais, le 18 septembre 1544, entre l’empereur Charles Quint et le roi de France François Ier, avait stipulé la restitution à Charles III, duc de Lorraine, des ville, chastellerie et seigneurie de Sathenay, comme fief impérial mouvant du duché de Luxembourg.
Après avoir exécuté ce traité pour Jametz, Dampvillers, Montmédy, Ivoy, enfin pour Stenay, le Roi voyant sa frontière ouverte du côté de la Champagne, et voulant en protéger les abords, vers le Clermontois et surtout vers Grandpré, se transporta sur la Meuse avec des ingénieurs.
Après avoir visité le terrain, il ordonna de bâtir et fortifier, en toute hâte, sur le territoire de Saulmory, une petite ville, en forme de corps de garde, flanquée de quatre bastions, propre à être opposée aux troupes lorraines de la nouvelle garnison de Stenay. Cet ordre fut exécuté dans l’année même. L’ingénieur Marina avait dressé les plans, le sous-ingénieur Mundos avait dirigé les travaux. Ce furent eux, aussi, qui, à la même époque, fortifièrent Sainte Mennehould.
Le Roi la nomma Ville franche, et, par lettres patentes, données à Saint Germain en Laye au mois de février 1545, il accorda à ceux qui viendraient habiter la colonie nouvelle, l’exemption de toutes tailles, corvées, impôts du 8e et du 20e, aides, emprunts, et autres charges de toute nature. Ces exemptions firent que Villefranche fut peuplée promptement. Le roi Henry IV renouvela et confirma ces franchises par ses lettres de 1597.
Description de la forteresse
La place était un quadrilatère régulier : il était assis dans l’angle interne du ruisseau dit le petit Moha, en amont de son confluant à la Meuse. A chaque angle du carré, était un bastion fermé à la gorge.
Les quatre étaient reliés par autant de courtines faisant face :
- à l’est, sur la rivière
- à l’ouest, sur l’avancée vers la redoute de Halles, frontière champenoise
- au nord, sur les marécages de la Wiseppe, frontière barro-lotharingienne
- au sud, sur les afflux et les mottes du petit Moha, du grand Moha, et de la froide Fontaine, venant de Montigny et de Tailly, frontière des enclaves luxembourgeoises et de l’Auxuennois.
Au centre du corps de place, se trouvait un vaste carrefour. C’était la place d’armes, entourée des bâtiments militaires. De l’ouest à l’est, elle était traversée par une large rue, aboutissant aux deux issues : celle de Meuse sur la rivière, celle de France sur la campagne. Toutes deux étaient précédées de pont-levis, et munies de portes intérieures et extérieures… remparts, escarpes, contre-escarpes, glacis, poudrière, etc.
A l’entrée, vers l’ouest, s’élevait une tour ronde percée, dans sa lourde épaisseur, d’arceaux, en plein ceintre, dont le tympan était surmonté des armoiries de la ville et de l’étendard fleurdelysé de Saint Denis son patron. Cette porte, formant un arc isolé, seul témoin échappé au démantèlement de 1634, ne fut abattue qu’en 1845.
Les armoiries de la ville figuraient : « En champ d’azur, une tour, à quatre crénaux, d’argent, maçonnée, de sable, percée d’un œil de bœuf radié, d’or, en tête, armée d’une herse relevée, en pointe, de même ».
A la sortie, sur la rivière, était une autre tour massive quadrangulaire. Les bâtiments intérieurs, le grand four, la manutention, et autres édifices militaires, étaient construits en brique, et le tout d’une grande solidité. On peut encore, à l’extérieur du village actuel, suivre facilement les lignes intérieures du corps de place.
D’autres vestiges, beaucoup plus anciens, indiquent une voie gallo-romaine, large de 12 mètres, enfouie à 20 centimètres, près et à l’ouest de Villefranche, et se dirigeant parallèlement à la route de Laneuville à Dun. Elle conduisait, il est probable, de la station de Voncq au castrum de la côte de Saint Germain, en passant par le pinaculum de Pouilly.
Histoire militaire de Villefranche
Sous les rois Henry II (1547-1559) – François II (1559-1560) – Charles IX (1560-1574) – Henry III (1574-1589), le fort de Ville franche vit s’agiter, en face de ses bastions, les fureurs de la Ligue et celles du Calvinisme. Il vit expirer les luttes des Guises contre les princes de Sedan.
En 1587, le duc de Bouillon, Guillaume de Lamarck, tenta une démonstration qui fut énergiquement repoussée. Depuis, ce fort, confié à des capitaines de cœur dévoués à la France, ce boulevard restait inattaquable et inattaqué, sous l’étendard de Saint Denis, quand la trahison vint le livrer aux mains des Lorrains.
Devenu maître de Jametz, en 1589, et pour s’assurer la remise de Stenay par un gage valable, le duc Charles III de Lorraine, suivi de la garnison de Stenay commandée par Louis de Pouilly-Cornay, de celle de Dun commandée par Robert de Gratinot, sire de Jupile, de celle de Jametz commandée par le sieur de Lesmont, escorté de trois de ses capitaines-prévost, vient assiéger Villefranche, le 9 octobre 1590. Le célèbre chef de partisans, dit capitaine Saint Paul, conduisait les assaillants.
La place était confiée au nommé de Flamainville. Le lâche ouvrit ses portes, et le duc s’empara du fort, sans coup férir : il en expulse les soldats de la France et il remplace leur chef par le grand-maître de son hôtel, Jean Louis de Lénoncourt. Les principaux acteurs de cette surprise ne recueillirent pas, longtemps, les fruits de la félonie. Les Français avaient repris Stenay, en novembre 1591. Tombé entre leurs mains, Flamainville fut jugé prévotalement et pendu à Chalons.
Louis de Lénoncourt ne tarda pas à succomber, mais plus glorieusement. Le duc de Lorraine, ayant tenté un coup de main contre les occupateurs de sa ville astenienne, le nouveau gouverneur de Villefranche, atteint d’un boulet, le 7 décembre 1591, aux côtés de son maître, laissa son nom à la Croix dite du Grand maître, entre Stenay et Mouzay.
Le duc Charles remplaça Lénoncourt par le célèbre comte de Tilly. Jean Tzerclaës de Tilly près Nivelle, issu d’une illustre maison de Bruxelles, préludait, alors, après avoir été jésuite, aux exploits qui le rendirent si fameux, plus tard, comme rival de Mansfeld, comme commandant des bavarois sous le duc Maximilien d’Autriche, comme soutien de l’archiduc Léopold dans le Palatinat, comme vainqueur des Danois, etc., et qui ne perdit sa renommée de premier capitaine de l’empire, que devant Gustave Adolphe à la tête de ses Suédois. Tilly eut pour lieutenant, à Villefranche, le commandant de Pinaut.
Par un audacieux coup de main, Stenay était tombé, le 11 octobre 1591, entre les mains d’Henry de la Tour, vicomte de Turenne, qui, la nuit même de son mariage avec la princesse Charlotte de la Marck, voulant cueillir un bouquet de noces sur les terres de Monsieur de Lorraine, avait rapporté, à Sedan, les clés de cette ville au bon roi Henry IV, à son petit lever.
Mais Tilly, pendant cinq années, débouchant à l’improviste de Villefranche, par ces attaques incessantes, ne cessa de troubler le sommeil de Louis de Pouilly-Cornay, installé gouverneur de Stenay, de par Turenne, au nom du roi de France et de Navarre.
De là, escarmouches continuelles : du côté des Français, pour reprendre Villefranche, de la part des Lorrains, pour reprendre Stenay. Toujours Villefranche s’en tira honorablement.
Une première attaque eut lieu le 22 décembre 1591. Les garnisons françaises de Beaumont, de Mouzon, de Stenay, s’unirent pour tenter l’escalade. Elles furent repoussées par le commandant de Pinaut.
En 1594, la garnison de Ville franche, unie à celles de Dun et de Jametz, attaqua les fortifications naissantes d’une citadelle que Louis de Pouilly-Cornay commençait à Stenay : elles furent déconfites par la valeur brillante du colonel du régiment d’Esnes, Jean de la Cour de Jupille, époux d’Elisabeth de Pouilly.
La paix, conclue à Soissons le 31 juillet 1595, entre la France et la Lorraine, par la médiation de Jehan Ier de Vassinhac, rendit Stenay à la Lorraine et Villefranche aux Français.
Les remises s’étant respectivement opérées, le 17 mars 1596, Villefranche reçut pour gouverneur un gentilhomme de la suite du duc de Nevers, qui avait commandé en chef, à Stenay, en 1552, sous le roi Henry II. Il se nommait de Trémelet. C’était un militaire d’excellente renommée, dont la valeur et la fidélité étaient à toute épreuve.
Et il ne tarda pas à en donner de nouveaux gages, car cette paix ne faisait pas les affaires de l’Espagne, alors souveraine de la Bourgogne et du Luxembourg. Dans sa haine contre Henry IV, l’Espagnol fomentait entreprise sur entreprise contre les places frontières de la ligne de la Meuse : Mézières, Sedan, Rocroy, Mouzon, Maubert fontaine et il voulait emporter Villefranche à tout prix.
Un capitaine de fortune, nommé Gaucher, lorrain d’origine, entreprit de la lui livrer. Essayer de corrompre quelques soldats de la garnison était chose facile : le jour est pris… rendez-vous est donné… et tout se prépare pour une attaque nocturne, qui sera dirigée par le gouverneur luxembourgeois de Damvillers, François 1er d’Allamont-de-Housse, il est probable.
Mais quelques conspirateurs vendirent la mèche, et le brave de Trémelet eut le temps de se mettre sur ses gardes. Il n’a que trois compagnies de pied et une de gendarmes, il sait qu’il aura affaire à des forces très supérieures.
N’importe ! Il dépêche, en toute hâte, vers les gouverneurs des places voisines. C’était, à Mouzon, Claude de Joyeuse comte de Grandpré. C’était Louis de Mailly du Rumesnil, à Maubert fontaine. C’était le sire d’Estivaux, à Sedan. Rumilly ramasse quelques troupes, il accourt à la nuit tombante. Il jette une partie de ses hommes dans la place, il place les autres, en embuscade, aux approches.
Et, quand, dans la nuit du 4 août 1597, Gaucher et le capitaine-prévôt de Damvillers arrivèrent avec 5 à 600 hommes, on leur tomba sus, des deux parts. 300 des assaillants restèrent assommés dans les fossés, 120 sont pris avec leurs chefs, et Gaucher, seul, grâce à la vitesse de son cheval, parvint à s’échapper. Cette échauffourée fut la dernière tentative des Bourguignons.
En 1596, le duc Charles IV de Lorraine avait obtenu la restitution de Stenay. Sa conduite impolitique envers la France contraignit Louis XIII, en 1632, à la lui reprendre, à titre de dépôt. Alors le gouvernement de Villefranche fut donné au baron de Baricourt de Ligny, en Champagne.
En 1634, le comte de Charost, qui avait le gouvernement de Stenay, et qui eût voulu obtenir de Baricourt la cession de sa charge, en sollicita la suppression : cette suppression fut prononcée, avec ordre de démolition immédiate. L’ordre était exécuté, complètement, pour le 9 octobre 1634.
Ainsi tomba la place de Villefranche, après 89 années d’importance presque capitale, au point de vue tant civil, qu’administratif et militaire. Car de 1591 à 1596, elle fut le centre judiciaire d’une double prévosté. Les officiers civils et de judicature de la châtellenie Astenienne, contraints de quitter leur poste, se retirèrent à Villefranche, qui, par emprunt, devint alors chef lieu de juridiction, et on trouve, datés de Villefranche, des actes des anciens notaires de Stenay.
Villefranche, dans le principe, dépendait de la prévosté du Thour, en Porcéanais, et de la baronnie de Montcornet.
Nota : La place forte de Villefranche est représentée sur les cartes des Naudin, cartes réalisées entre 1728 et 1739, par des ingénieurs géographes appartenant à l’atelier versaillais des Naudin. Ils ont parcouru la Lorraine, c’est-à-dire non seulement les Trois-Evêchés (Metz, Toul et Verdun), qui relevaient pleinement du Royaume de France depuis les traités de Munster (1648), mais également les duchés de Lorraine et de Bar et les territoires voisins du Palatinat, des Deux-Ponts, du Luxembourg.
Vous pouvez retrouver Villefranche et Saulmory sur la carte des Naudin 01, zone C01 / Z02-02 ici