Les ruines du château de Mussy (54)
De ce château-fort, ne subsistent aujourd’hui que quelques ruines, des vestiges inscrits à l’inventaire général du patrimoine culturel depuis 1989. Et pourtant, ce château était décrit comme « l’un des boulevards de la nationalité lorraine ».
Il a été totalement détruit en 1670, lors de la seconde occupation de la Lorraine par la France.
Les ruines du château de Mussy
A trois kilomètres au Sud-Ouest de Longuyon, la Chiers fait une pointe vers le midi pour contourner un éperon boisé, dont les pentes abruptes sont couronnées par les ruines du château de Mussy.
La nature a achevé l’oeuvre de la guerre : les arbres ont envahi les ruines, nivelant le sol, comblant les fossés et renversant ce qui restait des anciens remparts. C’est à peine s’il en reste aujourd’hui quelques débris. Le plus important est un beau pan de mur, construit en grand appareil. Il est tourné vers l’Ouest et présente un développement d’une quarantaine de mètres, sur une hauteur de 6 mètres environ, avec une épaisseur moyenne de 2,5 mètres au sommet.
A son extrémité méridionale, on remarque les restes d’une fenêtre et, du côté opposé, le rempart se termine par une sorte de guérite en cul de four, relativement bien conservée. Cette guérite, que les gens du pays ne manquent pas de présenter comme une oubliette, semble occuper l’angle saillant d’un bastion dont le flanc droit, tourné vers le Nord, était percé d’embrasures pratiquées pour l’artillerie. Deux d’entre elles sont encore visibles, bien que cette face soit éboulée presque entièrement.
Le château de Mussy-lès-Longuyon
A trois quarts de lieues de la petite ville de Longuyon, sur la crête d’un roc escarpé que la rivière de la Chiers sépare du village de Nœrs, s’élevait encore il y a 170 ans, le château de Mussy, l’un des boulevards de la nationalité lorraine dans la grande lutte de 1635.
Ce noble manoir, dont la juridiction féodale s’étendait sur les villages d’Esprez, de Manteville, de Noyers, de Xivry, de Xorbey et de Fresnoy, était dans l’origine un fief de l’évêché de Verdun, que desservait une noble famille qu’on disoit Mucey.
Elle le tenait depuis le XIIe siècle en seure garde et bonne gouvernance, quand, en 1311, les bourgeois de Verdun s’étant révolté contre leur évêque Nicolas de Neuville, prirent à leur solde dix chevaliers et trente écuyers de l’ost d’Erard de Bar, sire de Pierre-Pont.
« En la perplexité où ce reconfort d’hommes de guerre jeta Nicolas de Neuville, il fust implorer assistance de Pierre de Bar, sire de Pierre-Fort, au quel il octraya par advance et en pur don le chastel et la baronnie de Mucey. Le ruzé Barrisien feinta une grande reconnaissance, et fist fort belles promesses, mais quand il fust en bonne et solide possession des largesses du benning preslat, il tint un aultre langaige dont Nicolas de Neuville eust si grand desplaisir et mescompte qu’il abdiqua son authorité en faveur d’Henri d’Aspremont, et s’en fust en une retraicte tellement obscure qu’on a toujours ignoré le lieu et la date de sa mort.
Par ainsy, ajoute la chronique à laquelle nous empruntons ce récit, fust perdu pour l’estat verdunois la chastellenie de Mucey, dont les ducs de Bar, héritiers des sires de Pierre-Fort, se dispensèrent de faire reprise. Le seul qui releva Mucey, fust René, roi de Cecile. La cérémonie eust lieu, avecq grand appareil, le 29 novembre 1436, devant le maistre autel de Verdun, en présence des chanoines, de l’évesque de Metz et de beaucoup d’aultres seigneurs ».
« En l’an 1368, continue une autre chronique, il y eust une grande guerre entre ceulx de Mets et de Bar, ils se recontrèrent en armes dessoubs Ligny, le jour de sainct Ambroise, et se livrèrent une grosse bataille en laquelle le duc Robert et plus de soixante de sa noblesse demourèrent prisonniers, et à Mets fust le prince amené, dont grant deuil fust desmené.
Pour lors, le chastel qu’on dict Mucey estoit tenu en gagière par Collart des Armoises, bon chevellier en faict d’armes, mais fort brustal à l’encontre des citains, et ne leur faisant jamais mercy. Ayant appris que les Messins, après avoir bruslé Hez, Belleville, Briey et Churexey (Cherisey), s’apprestoient à accoustrer de mesme sa tour de Gondrecourt, il y courut avec quatorze bons compaignons et se maintenant quinze jours durant, mais faulte de vivres, il luy fallut se rendre.
Ses compaignons furent pendus par leur col, et luy Collart des Armoises, ne beut plus ni vin ni cervoise, renonça aux armes et espée, car il eust la teste coupée et fust en ce point accoustré par ung qu’estoit menestré.
Ceulx de Mets ayant ainsi faict, vinrent devers Mucey qui fust prins d’emblée le jeudy après l’Annonciation de la Vierge, et tout ars (brulé) ainsi que la ville dessoubs ».
Robert de Bar, rendu à la liberté, releva la ville et le château de Mussy, que Charles le Téméraire incendia tellement que le Duc René renonça à les rétablir.
Ce vieux manoir était donc délaissé depuis près de deux siècles, quand un valeureux Lorrain du nom de Richard, fit surgir de ses cendres, une puissante place d’armes.
Mais n’anticipons point sur les événements et laissons-les conter à Dom Drouyn, abbé de St Pierremont :
« J’allais, nous dit-il dans ses mémoires, passer les fêtes de pasques de l’an 1651, près d’un bon amy, M. de Vaulx d’Ottange, qui m’accompagna à Longuyon et m’y fit faire la connaissance de M. Richard, prévôt d’Etain et capitaine d’une compagnie de cavalerie pour le service de son Altesse de Lorraine. M. Richard était venu reconnaître un vieux château appelé Mussy, situé dans les bois et ruiné depuis près de deux siècles.
S’étant assuré que ses murailles étaient fort bonnes encore, il les fit restaurer et fortifier d’ouvrages modernes et réguliers. Il m’avait témoigné beaucoup de bienveillance, aussi je fus bien marri en apprenant, qu’ayant été mandé à Bruxelles pour affaires de service, il avait été assassiné à son retour par des cavaliers espagnols.
Il fut remplacé dans son commandement par M. de Remencourt, qui eut l’année suivante à lutter contre le corps d’armée du maréchal de la Ferté-Sénectère, et contre une division française aux ordres du baron de Marolles, gouverneur de Thionville ».
Le siège, la prise et la ruine du fort du château de Mussy
Après le grand effort de 1650 et l’échec de la tentative de Ligniville, la Lorraine était lentement retombée sous la domination royale. L’incursion de Condé, durant l’hiver 1652, n’avait été qu’un épisode de guerre sans lendemain et sans portée. L’opinion désespérait de voir des jours meilleurs et commençait à prendre en patience une occupation, qui d’ailleurs se faisait moins rude.
L’arrestation de Charles IV par ses alliés espagnols, son internement à Tolède ne contribuèrent pas peu à cet apaisement tardif. L’hostilité contre la France diminua de toute la haine qu’inspiraient désormais aux sujets du duc, les traîtres à la foi jurée.
Tandis que l’armée lorraine, après quelque hésitation, passait tout entière sous les drapeaux de Louis XIV, la duchesse Nicole, reconnue régente, signait, par l’entremise du duc de Guise, un traité de neutralité pour les places que, sur les frontières, ses soldats occupaient encore : Bitche, Homburg, Landstuhl, Mussy, Longuyon, Marsal et Dieuze.
Ainsi prendraient fin les courses et pillages, où s’exerçait depuis quelques années, l’activité de ces garnisons. Le pays, par cet accord, serait mis hors de la lutte. Le peuple travaillerait librement à réparer les ruines qu’avaient accumulées vingt années de misère.
Par malheur, on avait omis d’escompter la résistance des gouverneurs : Cronders à Homburg, Lhuillier à Landstuhl, Vautrin à Mussy, protestèrent assez justement qu’ils avaient des troupes à nourrir, et ne le pouvaient faire qu’en levant des contributions et des vivres sur les villages d’alentour. Au mépris du traité conclu, ils continuèrent leurs expéditions. Même, plus hardis que de coutume, des cavaliers de Bitche, en août 1655, s’avancèrent jusqu’à Tantonville où ils eurent, avec la garnison de Mirecourt, un assez vif engagement.
Saint-Martin et Mengin, agents du duc à Paris, cependant s’entremirent et, réchauffant le zèle des uns, obtenant pour les autres du cardinal Mazarin la promesse de quelques subsides, ils réprimèrent cette agitation naissante. (Les gouverneurs de Homburg, Landstuhl et Bitche reçurent une somme de 60.000 rixdalles en deux versements, le 2 mars 1656 et le 22 janvier 1657. La rixdalle, monnaie des Etats allemands du nord, valait environ 5 livres).
Au reste, il n’importait guère au gouvernement français que, dans leurs environs immédiats, Bitche, Landstuhl ou Homburg continuassent leurs déprédations : ces pilleries lointaines ne portaient à la province qu’un médiocre préjudice. Homburg et Landstuhl, d’ailleurs, n’étaient même pas en Lorraine. (Ces villes du Palatinat bavarois avaient été cédées à Charles IV en gages de sommes considérables prêtées leurs possesseurs).
Mussy se trouvait placé dans des conditions différentes.
Le gouverneur Vautrin était en position de menacer tout ensemble le Barrois, le Clermontois et les Trois-Evêchés. Son obstination rendait inutile la soumission de Longuyon. Sans quitter même ses murailles, il paralysait jusqu’aux portes de Metz le trafic et l’industrie, inquiétait, mettait sur les dents les corps français les plus proches et répandait la terreur dans tout le nord du duché.
Aussi M. de Marolles, qui commandait à Thionville et constatait chaque jour les inconvénients de ce voisinage, ne cessait dans ses rapports de réclamer une intervention : il était urgent, si l’on prétendait assurer de façon sérieuse la tranquillité publique, de réduire cette insolente forteresse.
La tentative, à bien voir, était plus malaisée qu’il ne semblait d’abord. De Marolles affirmait que le château ne saurait soutenir trois cents coups de canon. Charles IV, en 1653, avait manifesté qu’il avait en meilleure estime une assez bonne demi-lune, un large fossé et les murs épais qui défendaient la place. Sur quelques bruits que se préparait une attaque, il n’avait pas craint d’envoyer là cent cinquante hommes, des plus solides, avec mission de tenir ferme.
De Brinon pourtant, qui remplaçait à Nancy La Ferté-Sénectère absent, se laissa convaincre d’essayer l’entreprise. Il s’entendit avec Fabert, gouverneur de Sedan.
Dans les derniers jours de juillet 1655, des compagnies furent tirées des quartiers les moins éloignés une petite armée s’assembla. Elle comptait mille fantassins et traînait avec elle trois canons légers approvisionnés de six cents boulets. Fabert et de Marolles vinrent à Longuyon prendre le commandement. Mussy fut investi.
Fabert, au premier examen, dut reconnaître qu’une attaque brusquée était impossible : les Lorrains avertis se mettaient sur leurs gardes, la disposition des lieux d’ailleurs desservait les assaillants.
Un siège en règle présentait des difficultés aussi grandes :
- les bois de la haute futaie qui s’étendaient jusqu’aux remparts devaient rendre pénible le travail des tranchées
- des ravins entiers empêcheraient d’établir, entre les lignes, des communications assurées
- l’artillerie surtout paraissait insuffisante.
Le maréchal concluait que mieux valait se résoudre à abandonner la partie. Le succès serait en tout cas sans gloire, un échec serait ridicule.
Les officiers à cheval inspectaient les abords du fort et discutaient l’opportunité d’une retraite, lorsque Vautrin jugea convenable de souligner d’une canonnade ses volontés de résistance. La pièce fut pointée si bien que le boulet arriva droit sur le groupe de cavaliers. Fabert fut sauvé par un écart de sa monture, mais de Marolles s’abattit, la poitrine ouverte, tué sur le coup. Derrière lui Réchicourt, bas officier, eut une cuisse fracassée.
Le souci de venger la mort de son lieutenant n’irrita pas le maréchal à poursuivre une aventure, dont il attendait plus de désagrément que de profit. Les troupes françaises se retirèrent. Et si Vautrin désormais réprima par prudence l’excessive audace de ses soldats, cependant il demeura maître, sous la « protection » platonique du roi, de faire flotter en ce coin de terre, le drapeau lorrain.
Il devait succomber sans gloire en 1663, deux ans après que le duché fut restitué à son légitime possesseur.
Les agents du roi, demeurés pour surveiller, selon les clauses du traité de Vincennes, la démolition des fortifications de Nancy, imaginaient difficilement qu’après une occupation prolongée de trente années, leur maître eut renoncé à conserver la province. Ils ne cessaient point pour leur part de la traiter en pays conquis, et méprisaient ouvertement les droits souverains dont Charles IV avait repris l’usage.
Les mêmes sentiments animaient les gouverneurs des places fortes qui touchaient à la frontière. Les remontrances ministérielles les persuadaient mal de respecter une indépendance, dont ils ne voulaient pas croire qu’elle fut sincèrement reconnue.
En ces conditions, il parut assez naturel à quelques officiers de tenter, en dépit de la paix conclue, un coup de main contre Mussy. Le comte d’Apremont se mit à leur tête : une surprise fut préparée.
Pour abuser une garnison sans défiance, point n’était besoin d’un stratagème inédit. Travestis en paysans, des soldats, autour de charrettes chargées de sacs de grain, s’avancèrent jusqu’au fossé, parlementèrent avec le poste, furent aussitôt reçus, et prièrent qu’on les aidât à débarrasser leurs voitures.
Les hommes de garde avaient déposé leurs armes et saisi les sacs lorsque les conducteurs, tirant des pistolets cachés sous leurs blouses, les assaillirent, tuèrent les uns, maîtrisèrent les autres et dispersèrent les groupes étonnés qui accouraient au bruit. Cependant, quelques Lorrains se ralliaient, cherchaient à gagner la porte pour relever le pont-levis. La fortune était indécise. Apremont la fixe quand, sortant des bois où il tenait sa réserve, il se fut assuré la possession du pont. Les défenseurs composèrent : vainqueurs et vaincus évacuèrent ensemble la forteresse.
Charles IV était trop faible, trop incertain, trop indifférent aussi pour oser présenter des protestations ou des plaintes. Louis XIV ne voulut pas joindre à cette première atteinte au droit des gens, cette perpétuelle provocation qu’aurait été le maintien d’une garnison royale en territoire indépendant. Les choses restèrent en l’état, la place demeura vide.
Ce n’était là qu’un court répit. Lorsqu’en 1670 commença la seconde occupation française, l’un des premiers actes des envahisseurs fut de jeter bas ces murailles, devant lesquelles avait reculé Fabert et et qui n’avaient été violées que par guet-apens.
Mussy disparut obscurément de l’histoire, sans résistance et sans honneur. La Lorraine, épuisée de misère et de deuil, n’était plus capable même de tirer l’épée.
La légende de Jeanne de Remencourt
Le traité de Marsal, en restituant au Duc Charles IV une partie de ses états, rendit M.de Remencourt à son gouvernement. Il y revint accompagné de sa fille, jeune et belle héroïne, qui, si l’on en croit la tradition, avait pointé le canon qui tua de M. de Marolles.
Douce, pieuse et modeste, mademoiselle de Remencourt dominait toutes les volontés par les grâces de son esprit et les charmes de son extérieur. Toujours la première au feu, jamais on ne l’entendit proférer un conseil timide. Elle était l’idole du soldat et l’admiration des gentilshommes rangés sous le drapeau de son père. Tous s’efforçaient d’en être distingués, mais l’amazone livrée à ses rêves de gloire, se montrait indifférente, et n’eut peut-être point cessée de l’être, si dans une affaire d’avant-poste, elle n’eut été redevable de la vie à un jeune et brillant officier du nom de Waltrin.
La reconnaissance dont elle paya le dévouement du preux fut suivie d’un sentiment plus tendre, et l’antique forteresse se parait pour de nobles fiancailles, le jour même que Créquy menaçait ses remparts.
Mais Waltrin avait un rival qui, dans sa fureur jalouse, jura une atroce vengeance. Ce misérable était secrétaire du gouverneur, et savait qu’un souterrain partant du donjon, s’étendait au loin dans la campagne. Il court le révéler à Créquy, lui en livrer les clefs, et traiter du salaire de sa félonie.
C’est la nuit même au coup de minuit, quand l’artillerie donnera le signal de la danse aux flambeaux, que les Français doivent surgir de terre, massacrer la garnison et n’épargner que mademoiselle de Remencourt. Les mesures du traître étaient trop bien prises pour ne point avoir un plein succès.
Déjà le vieux sang lorrain ruisselait à flot, Waltrin, Remencourt n’étaient plus, et les vainqueurs se félicitaient de leur facile conquête, quand au sommet de la tour aux artifices, apparaît l’héroïne, tenant d’une main l’étendard de Lorraine, et de l’autre une mèche allumée.
C’est aux sicaires de Créqui à trembler à leur tour, car ils ont compris les funérailles que Jeanne de Remencourt réserve à ses compagnons de gloire. Ils veulent fuir, regagner le souterrain, mais la terre manque sous leurs pieds. Une détonation terrible se fait entendre, et Mussy n’est plus qu’un monceau de décombres, où vainqueurs et vaincus confondent leur dernier soupir.
Le souvenir de la fille du gouverneur s’est religieusement conservé chez l’habitant des bords de la Chiers. Il vous redit avec orgueil le courage de l’héroïne, ses exploits et sa mort sublime. Il vous montre la croix élevée, là, où son boulet frappa Marolles, et vous raconte qu’à certains jours de l’année, elle descend sur les ruines de Mussy, vêtue de la robe des fiancées et la tête ceinte d’une auréole.